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et citoyens dans la région, et de ce fait, de leurs partenaires et alliés en Europe, et en France.
Or parmi les agents à la fois acteurs et bénéficiaires des économies d’Afrique du Nord figurent les multinationales
françaises. Elles y sont largement implantées, du Maroc à l’Égypte, certaines bien avant les décolonisations,
et ce dans tous les secteurs : énergie, services financiers, télémarketing, télécommunications, agroalimentaire, textile,
bâtiment et constructions, biens d’équipements automobiles ou aéronautiques, distribution et assainissement de l’eau,
transports et services urbains... L’histoire coloniale dans le Maghreb, la proximité géographique et la conviction plus
ou moins illusoire d’un destin méditerranéen partagé, mais surtout les nombreuses « facilités » octroyées par les régimes
en place jusqu’en 2011-12 dans les 4 pays concernés, l’expliquent largement.
Mais une revue de presse même superficielle permet de constater que les fleurons français de l’industrie
et des services à l’international sont loin d’y contribuer au progrès social et à une mise en valeur des richesses
et des savoir-faire soucieuse de sobriété et de préservation de la Nature. Bien au contraire, elles participent à tous
les étages de la fusée productiviste et prédatrice — des ressources naturelles, du capital humain — en échappant
le plus souvent à la fiscalité et en rapatriant tous leurs bénéfices au Nord de la Méditerranée. Produisant principalement
sur le mode de l’extraversion, pour les marchés internationaux, elles ont su profiter de tous les avantages fiscaux
et légaux tricotés par les autorités locales à partir des années 80.
Les multinationales françaises apparaissent également dans un certain nombre d’affaires de corruption, de fraudes fiscales,
de violations des droits syndicaux et de maltraitance au travail. La participation active de certaines d’entre elles aux activités
de contrôle et de répression de certains des dictateurs déchus a même été mise à jour après leurs chutes respectives.
Incontestablement, les entreprises françaises, mais plus largement européennes voire occidentales, agissent en parasites :
elles ponctionnent, avec l’appui de leurs gouvernements « d’origine », les ressources locales, parfois même en violant
la loi. Elles contribuent activement à la dévastation des écosystèmes de la région et plus globalement à la catastrophe
écologique mondiale, sans jamais produire la moindre valeur ajoutée économique ou technologique de long terme,
et en ne redistribuant sur place que le strict nécessaire qui permettra d’assurer la reproduction de leurs activités
de prédation. Et dans cette équation, les accords internationaux de libre-échange (à l’OMC ou dans les cadres
bi-régionaux) et le régime international de l’investissement sont pour beaucoup, puisqu’ils fournissent
aux multinationales les cadres et les instruments légaux qui leur permettent d’imposer leur loi, celle du profit maximal,
comme supérieure aux lois domestiques aussi bien qu’aux droits humains internationaux.
Et malgré cela, dès le printemps 2011, l’Union européenne manifestait son intention de s’engager aux côtés
des nouvelles démocraties issues des « printemps arabes »2, et annonçait la refonte des accords l’associant 3 aux pays
de la région, notamment de leur dimension commerciale : elle appelait à l’ouverture de négociations avec les 4 pays unis
par l’accord d’Agadir en vue d’aboutir à des Accords de libre-échange « complets » et « approfondis», seuls à même
selon elle d’engendrer la croissance économique et l’emploi dont les jeunes de la région avaient impatiemment exprimé
la demande à travers leurs soulèvements.
Plus d’exportations, moins de contraintes aux entreprises étrangères pour plus d’investissements, plus de libéralisation
des services publics, davantage d’ouverture des marchés publics mais aussi plus d’extraction, plus de tourisme de masse,
donc, quand bien même l’expérience des accords d’association existants n’avait pas démontré son efficacité,
loin s’en faut. Et que 25 années de néo-libéralisme, corrompu de surcroît, auraient dû être identifiées parmi les causes
premières des soulèvements populaires de 2011 et 2012.
Dans ce contexte, le présent document se veut une première contribution, introductive et parcellaire, à l’analyse critique
à la fois :
•de l’agenda commercial de l’Union européenne dans la région Maghreb-Mashreq, afin de discréditer la perspective
de nouveaux accords approfondis.
•de l’action économique, sociale, environnementale des multinationales françaises dans la région, en préfigurant
la mise en place de méthodes et d’instruments plus systématiques pour l’avenir.
Délibérément exploratoire, il ne révèle aucun « scoop ». Il se propose toutefois de mettre en perspective les faits
présentés au prisme de la grille de lecture particulière développée par l’AITEC, qui imbrique trois composantes
de réflexion :
•l’une relative à l’économie politique de la libéralisation commerciale de l’Union européenne, impliquant la critique
de la confiscation du pouvoir politique par les grandes multinationales européennes et leurs protecteurs politiques,
•une seconde concernant les alternatives politiques pour garantir les droits économiques, sociaux et
environnementaux des peuples, en Europe et au delà,
•une réflexion, enfin, en lien étroit avec les mouvements sociaux et citoyens, sur les conditions nécessaires
à l’émergence de ces propositions politiques alternatives, et sur les stratégies pertinentes pour les défendre.