Équations de réaction–diffusion et modèles d`invasions

C. R. Acad. Sci. Paris, Ser. I 339 (2004) 549–554 http://france.elsevier.com/direct/CRASS1/
Équations aux dérivées partielles
Équations de réaction–diffusion et modèles d’invasions
biologiques dans les milieux périodiques
Henri Berestyckia, François Hamelb, Lionel Roquesc
aEHESS, CAMS, 54, boulevard Raspail, 75006 Paris, France
bUniversité Aix-Marseille III, LATP, avenue Esc. Normandie-Niemen, 13397 Marseille cedex 20, France
cUniversité Aix-Marseille I, LATP, CMI, 39, rue F. Joliot-Curie, 13453 Marseille cedex 13, France
Reçu et accepté le 26 juillet 2004
Présenté par Haïm Brezis
Résumé
Cette Note traite d’équations de réaction–diffusion en milieu périodique intervenant dans la modélisation de la persistance et
des invasions d’espèces biologiques. Nous étudions l’influence de la répartition des hétérogénéités sur l’existence et l’unicité
de solutions stationnaires non triviales et sur l’existence de fronts progressifs pulsatoires. Pour citer cet article:H. Berestycki
et al., C. R. Acad. Sci. Paris, Ser. I 339 (2004).
2004 Académie des sciences. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Abstract
Reaction–diffusion equations and biological invasion models in periodic media. This Note deals with reaction–diffusion
equations in periodic media arising in the modelling of persistence and invasions of biological species. We investigate the
influence of the distribution of heterogeneities on the existence and uniqueness of nonzero stationary states and on the existence
of invading pulsating travelling fronts. To cite this article: H. Berestycki et al., C. R. Acad. Sci. Paris, Ser. I 339 (2004).
2004 Académie des sciences. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Abridged English version
This Note is concerned with the mathematical analysis of biological invasion models in periodic environments
(see [14]), which can be written as reaction–diffusionequations of the type
ut−∇·A(x)u=f(x,u), xRN,(1)
Adresses e-mail:[email protected] (H. Berestycki), francois.hamel@univ.u-3mrs.fr (F. Hamel), [email protected] (L. Roques).
1631-073X/$ see front matter 2004 Académie des sciences. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.crma.2004.07.025
550 H. Berestycki et al. / C. R. Acad. Sci. Paris, Ser. I 339 (2004) 549–554
where the diffusion Aand the reaction fare periodic (L1,...,L
Nare given positive numbers, and a function gis
said to be periodic if g(x +k) =g(x) for all xRNand kL1Z×···×LNZ). Let C=(0,L
1)×···×(0,L
N)
be the periodicity cell. One assumes that f(x,0)=0forallxRN,and
xRN,s→f(x,s)/s is decreasing with respect to s>0
M00,sM0,xRN,f(x,s)0.(2)
Examples of functions satisfying (2) are f(x,u)=u(µ(x) κ(x)u) (of Fisher type), where µand κare periodic
and infRNκ>0. The environment may be favourable (meaning µ(x) > 0) in some regions and unfavourable
(meaning µ(x) < 0) in others.
In this context, biological persistence of the species is interpreted as the existence of a solution pof
−∇ ·A(x)p=f(x,p), pL(RN), p(x) > 0,xRN.(3)
Let λ1=λ1[µ]be the first eigenvalue of −∇ · (A(x))µ(x) with periodicity conditions, where µ(x) =
∂f /∂ u(x , 0). We first give a simple condition for biological conservation:
Theorem 0.1. Assume that fsatisfies (2). There exists a solution pof (3) iff λ1<0, and the solution pis then
unique and periodic. Let u(t, x) solve (1) with initial condition u0(x) 0,u0(x) ≡ 0,u0bounded. If λ1<0,then
u(t, x) p(x) in C2
loc(RN)as t→+;if λ10,thenu(t, x) 0unif. in xas t→+.
Note that the solutions of (3) are not assumed a priori to be periodic. The difficult part in the proof of uniqueness
is to show that any solution pof (3) satisfies infRNp>0 (periodicity and uniqueness follow).
The next result states that a heterogeneous environment is better for conservation than a homogeneous one with
the same average. On the other hand, there is an adverse effect of fragmentation:
Theorem 0.2. One has λ1[µ]λ1[m],wherem=Cµ/|C|and |C|is the Lebesgue measure of C.IfA=I
(identity),thenλ1[µ]λ1[µ],whereµis obtained from µby successive periodic Steiner symmetrizations with
respect to x1,...,x
N.Ifm0and maxRNµ>0,thenλ1[]<0and decreases with B>0.
The condition for biological conservation also determines biological invasion through travelling fronts. Namely,
under assumptions (2) and λ1<0, let pbe the unique solution of (3). A pulsating front travelling in a given unit
direction ewith speed c= 0 is a solution u(t, x) (tR,xRN) of (1) such that u(t k·e/c, x) =u(t, x +k) for
all (t, x) RN+1and kL1Z×···×LNZ,andu(t, x) 0asx·e→+,u(t, x) p(x) 0asx·e→−
locally in tand uniformly in the directions which are orthogonal to e.
Theorem 0.3. (1) Under assumptions (2) and λ1<0,thereisc=c[µ]>0such that fronts uwith speed cexist
if and only if cc.Furthermore,c=minλ>0k(λ)/λ,wherek(λ) is the principal eigenvalue of ∇·(A(x))
2λeA(x)∇+[λ∇·(A(x)e) +λ2eA(x)e +µ(x)]with periodicity conditions.
(2)Assume that Ais constantand fsatisfies (2).Ifm>0,thenc[µ]c[m].Ifm0and M=maxRNµ>0,
then c[]is decreasing with B>0; moreover, c[]/B2eAe mas B0+and
1
2eAe M liminf
B→+∞
c[]
B
limsup
B→+∞
c[]
B
2eAe M.
The existence part especially extends some earlier partial or formal results [11,14] in dimension 1. It also
generalizes the classical KPP formula c=2f(0)if f=f(u)[12]. The result in part 2 indicates that the more
differentiated the environment,the higher the speed.
All the above results are proved in our forthcoming papers [4,5].
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1. Introduction
Cette Note traite de l’analyse mathématique de modèles d’invasion biologique en environnement périodique
fragmenté. Ces modèles sont représentés par des équations de réaction–diffusion
ut−∇·A(x)u=f(x,u), xRN,(4)
où le champ de matrices Aet le terme non linéaire f(·,s) sont périodiques. Plus précisément, on se donne
L1,...,L
N>0; une fonction gdéfinie dans RNest dite périodique si g(x +k) =g(x) pour tout xRNet
kL1Z×···×LNZ. On note Cla cellule de périodicité C=(0,L
1)×···×(0,L
N). On suppose qu’il existe
ν>0 tel que A(x) νI pour tout x, au sens des matrices symétriques (Iest la matrice identité). Enfin, Aest de
classe C2(α>0), et fest de classe C1en (x, u),C2en u. On suppose que f(x,0)=0 pour tout xRN.On
supposera éventuellement que
xRN,s→ f(x,s)/s est strictement décroissante par rapport à s>0(5)
et/ou
M00,sM0,xRN,f(x,s)0.(6)
Des exemples de fonctions fvérifiant ((5), (6)) sont donnés par f(x,u) =u(µ(x) κ(x)u) ou simplement
f(x,u)=u(µ(x) u),oùµet κsont périodiques avec infRNκ>0.
L’exemple le plus simple d’équations du type (4) dans RNest l’équation de Fisher-KPP [8,12]
utu =f(u) dans RN.(7)
Pour des nonlinéarités fdu type f(u)=u(1u) ou f(u) =u(1u2), cette équation a été introduite dans
des modèles de génétique de populations, mais intervient également dans d’autres domaines, en écologie notam-
ment. Elle permet de rendre compte de la propagation de fronts. Ceux-ci sont des solutions de la forme u(t, x) =
U(x ·ect) eest la direction (normée) de propagation, et cla vitesse (positive) d’invasion de l’état constant 0
par l’état constant 1 (la fonction U:R(0,1)vérifie U(−∞)=1etU(+∞)=0). Il est bien connu [1,12] que
de tels fronts existent pour toute vitesse cc=2f(0). De plus, toute solution positive, non constante à 0 et
localisée à l’instant initial, converge vers 1 en temps grand, en s’étendant avec la vitesse asymptotique c.
Le cas général où les coefficients de diffusion et de réaction ne sont pas constants n’a été envisagé que re-
lativement récemment. Suivant les modèles d’écologie proposés par Shigesada et al. [14], nous supposons que
l’environnement varie périodiquement et qu’il peut être favorable à la survie des espèces dans certains endroits,
et défavorable dans d’autres. Ceci signifie que le taux de croissance effectif associé, fu(x, 0):= ∂f / u(x , 0),peut
changer de signe (plus fu(x, 0)est négatif, plus le milieu est défavorable à la survie de cette espèce). Pour le
problème (7) avec fs’annulant en 0 et 1, ces deux valeurs sont des états stationnaires. Pour le problème (4), 0 est
toujours un état stationnaire, mais il n’y a pas en général de solutions évidentes strictement positives pdu problème
stationnaire :
−∇ ·A(x)p=f(x,p), p(x)>0,xRN.(8)
Nous donnons ici des conditions simples assurant l’existence, et/ou l’unicité de solutions pde (8) dans ce cadre
périodique général, et relions ces conditions à l’existence de fronts décrivant l’invasion de l’état 0 par l’état p
(en général non constant). Nous étudions également l’influence des hétérogénéités du milieu, en particulier la
répartition et l’amplitude des zones plus ou moins favorables ou défavorables, sur les conditions d’existence de
solutions pde (8) et sur la propagation de fronts.
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2. Existence, unicité, comportement en temps long et effets des hétérogénéités
Soit λ1la valeur propre principale de l’opérateur −∇ · (A(x))fu(x, 0)avec conditions de périodicité,
c’est-à-dire l’unique réel pour lequel il existe une fonction φ, périodique, de classe C2, vérifiant
−∇ ·A(x)φfu(x, 0=λ1φ, φ(x) > 0dansRN.
La solution 0 de (8) est dite instable si λ1<0, et stable sinon. L’instabilité est vérifiée si fu(x, 0)0,≡ 0(par
exemple si f(0)>0 dans le cas où fne dépend pas de x), mais cette condition n’est pas nécessaire.
Théorème 2.1. (1) Supposons λ1<0.Sifvérifie (6), alors il existe une solution périodique pde (8); si f
vérifie (5), alors il existe au plus une solution bornée de (8), qui est alors périodique.
(2) Si λ10et fvérifie (5), alors il n’existe pas de solution bornée de (8).
Le résultat d’existence de la partie (1) se généralise à des équations plus générales comprenant éventuellement
des termes de transport (lorsque fest du type f(x,u)=µ(x)u ν(x)u2, ce problème admet une interprétation
probabiliste et des résultats d’existence – avec des opérateurs plus généraux – ont été obtenus dans [6,7,13]).
Le résultat d’unicité est de type Liouville, et il convient de remarquer que l’on ne suppose pas a priori que les
solutions sont périodiques. La difficulté est ici de montrer que toute solution strictement positive de (8) est bornée
inférieurement par une constante strictement positive.
Les conditions d’existence et d’unicité des solutions pde (8) induisent le comportement en temps grand des
solutions u(t, x) de (4) avec donnée initiale u0(x) 0, u0(x) ≡ 0, bornée et uniformément continue :
Théorème 2.2. Sous les hypothèses(5) et (6),alorsu(t, x) p(x) (unique solution bornée de (8)) dans C2
loc(RN)
quand t→+si λ1<0,etu(t, x) 0uniformément en xquand t→+si λ10.
Ainsi, sous les hypothèses (5), (6), la condition λ1<0 est équivalente à la persistance de l’espèce, la concen-
tration finale étant égale à l’unique solution bornée pde (8), alors qu’il y a extinction si λ10.
Le signe de la valeur propre λ1, qui ne dépend que de Aet de fu(·,0), joue donc un rôle crucial, et nous
précisons dans la suite de cette section l’influence des hétérogénéités du milieu sur la valeur de λ1, que nous
noterons λ1=λ1[µ]avec µ(x) =fu(x, 0).
Nous rappelons que, pour toute fonction g=g(x1,...,x
N)périodique, la symétrisation de Steiner périodique
de gpar rapport à la variable xiest la fonction gitelle que, pour tout (x1,...,x
i1,x
i+1,...,x
N),giest paire
et périodique de période Lipar rapport à la variable xi, a même distribution que g(pour xi∈[0,L
i])etest
décroissante par rapport à xipour xi∈[0,L
i/2]. Nous notons gla fonction obtenue à partir de gen effectuant
successivement des symétrisations de Steiner périodiques par rapport aux variables x1,...,x
N.
Théorème 2.3. (1) On a λ1[µ]λ1[m],oùm=Cµ/|C|et |C|est la mesure de Lebesgue de C.
(2) Si A=I,alorsλ1[µ]λ1[µ].
(3) Si m0et maxRNµ>0,alorsλ1[]<0pour tout B>0,etλ1[]est strictement décroissant par
rapport à B0.Sim<0,alorsλ1[]>0pour B>0petit. Si maxRNµ>0,alorsλ1[]<0au moins pour
B>0suffisamment grand et λ1[]est strictement décroissant en Bdès que λ1[]<0.
La partie (1) signifie que, à moyenne égale, un taux de croissance hétérogène (non constant en x) est plus
favorable à la survie de l’espèce qu’un milieu homogène, et ceci quel que soit le type de diffusion.
La partie (2) signifie qu’un environnement fragmenté, où les zones favorables et défavorables sont éparpillées,
est moins bon pour la conservation des espèces (pour éradiquer des espèces nuisibles, il est donc préférable que
l’environnement soit plus fragmenté). Ce type de résultat avait été observé par Shigesada et al. [14] en dimension
1 à partir de simulations numériques, pour un milieu où le taux de croissance µétait constant par morceaux et ne
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prenait quedeux valeurs(ce cas est appelé modèlede «patch»). Dans [4], nousprouvonsce résultat rigoureusement
et l’étendons à la dimension quelconque et au cas µest plus général. L’inégalité λ1[µ]λ1[µ]implique que si
un environnementpermet la survie des espèces, alors celui où le taux de natalité est symétrisé le permetaussi. Mais
il existe des cas où ce dernier permet la survie alors que l’environnement de départ ne le permet pas (c’est-à-dire
λ1[µ]<0λ1[µ]).
3. Invasions biologiques
La condition de survie des espèces, c’est-à-dire l’existence d’une solution pde (8) détermine également l’inva-
sion biologique sous la forme de solutions de (4) de type «fronts». Plus précisément, étant donné une solution p
de (8) et un vecteur normé ede RN, on appelle front pulsatoire se propageant dans la direction eavec la vitesse
effective c(= 0), une solution u=u(t, x) (tR,xRN) de (4) telle que
k
N
i=1
LiZ,xRN,u
tk·e
c,x=u(t, x +k),
u(t, x) −→
x·e→+∞0,u(t,x)p(x) −→
x·e→−∞0.
(9)
Les limites dans (9) s’entendent localement en tet uniformément dans les directions de RNorthogonales à e.
Cette notion de front pulsatoire généralise celle de front progressif du type u(t, x) =U(x ·ect) pour l’équation
homogène (7).
Théorème 3.1. Supposons que fvérifie (5), (6) et que λ1<0. Soit pl’unique solution de (8).Ilexistec>0tel
que l’Éq. (4) avec les conditions (9) admet une solution (c, u) si et seulement si cc. De plus, toute solution uest
strictement croissante en t. Enfin, cest donnée par c=minλ>0k(λ),oùk(λ) est la valeur propre principale
de l’opérateur Lλ(avec conditions de périodicité)défini par
Lλψ=∇·A(x)ψ2λeA(x)ψ+λ∇·A(x)e+λ2eA(x)e +fu(x, 0)ψ.
Ce résultat généralise notamment la formule c=2f(0)pour l’Éq. (7) avec une nonlinéarité ftelle que
0<f(s)f(0)s pour tout s∈]0,1[et f(0)=f(1)=0. Hudson et Zinner [11] avaient montré pour le problème
(4) en dimension 1 (lorsque µ0) qu’il existe des fronts pour toute vitesse cc. Le Théorème 3.1 étend ce
résultat en dimension quelconque, et énonce, de plus, que cest la vitesse minimale des fronts pulsatoires. En
outre, nous établissons que tout front est croissant en t. Les deux premiers auteurs et Nadirashvili [2,3] avaient
étudié les fronts pulsatoires pour des équations périodiques plus générales que (4), dans un domaine périodique
plus général, mais pour des nonlinéarités f(x,u) positives pour 0 <u<1 et s’annulant en u=0etu=1(voir
aussi [2,9,10,15]pour d’autres types de nonlinéarités). La positivité de fpermettait de raisonner par approximation
par des nonlinearités s’annulant pour u∈[0](avec θ>0 petit), pour lesquelles la vitesse de propagation cθ,
unique, tendait vers cquand θ0+. Une des difficultés du problème (4) est que fpeut changer de signe. Le
problème (4) avec les conditions (9) est résolu dans notre article [5] par régularisation elliptique d’une part, en
montrant d’autre part que l’ensemble des vitesses cpossibles est un intervalle minoré mais non majoré, et que sa
borne inférieure cest une vitesse admissible.
Sous les hypothèses du Théorème 3.1, cne dépend que de A,eet µ(x) =fu(x, 0). Nous supposons que Aet
esont fixés, et notons c=c[µ].
Théorème 3.2. Supposons que fvérifie (5), (6) et que Aest constante.
(1) Si m=Cµ/|C|>0,alorsc[µ]c[m]=2eAe m.
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