La phytosociologie, outil pertinent pour le suivi de la restauration

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La phytosociologie, outil pertinent
pour le suivi de la restauration écologique ?
Sébastien Gallet –Frédéric Bioret –Bernard Fichaut –Jérôme Sawtschuk
Le développement de l’activité touristique et l’attractivité croissante des espaces naturels ou
semi-naturels au cours de la seconde partie du XXesiècle ont conduit àladégradation de
nombreux sites. Ce phénomène est particulièrement sensible sur le littoral atlantique où, sur des
surfaces souvent limitées, se concentre une fréquentation intense principalement sur les quelques
semaines qui constituent la période estivale. Cette dégradation est d’ordre paysager avec l’ap-
parition de plus ou moins larges plages de sol dénudé. Elle est aussi écologique avec la destruc-
tion de différents habitats d’intérêt communautaire telles que les végétations de falaise, les
pelouses aérohalines ou les landes atlantiques.
Face àcette situation, depuis le milieu des années 1980, les gestionnaires d’espaces naturels ont
initié des opérationsd’aménagement et de restauration écologique.Uninventaire réalisé en 2007
sur le littoral Manche-Atlantique apermis d’en décrire les caractéristiques (Gallet
et al.
,2008).
Ainsi, si le cadre de ces opérations est variable, les méthodes mises en œuvre sont souvent
similaires et se fondent principalement sur une mise en défens des espaces, complétée ou non
par des méthodes actives de restauration.
Aujourd’hui se pose la question de l’évaluation de la réussite notamment écologique de ces
opérations. Cette évaluation passe tout d’abord par la définition d’objectifs précis et par la mise
en place de suivis permettant de comparer les communautés végétales effectivementrestaurées
avec cesobjectifs. Ces suivis écologiques permettent également l’acquisition de connaissances
fondamentalessur les processus de recolonisation. Or, parmi les sites concernés, si des suivis
photographiques existent sur de nombreux sites, il s’avère que seule une minorité (9 sur 35) ont
fait ou font l’objet de suivis écologiques. Les méthodes employées sont principalement des
lignes permanentesdepoints contacts ou des relevés phytosociologiques, réalisés par des
universitaires, des associations ou par le gestionnaire lui-même.
Dans l’objectif d’une généralisation de la mise en place de suivis, il paraît important de mener
une réflexion sur les méthodes utilisées. En effet, les différentes techniques disponibles, carto-
graphies, relevés phytosociologiques, points-quadrats, quadrats permanents ou aléatoires
(Bouzillé, 2007), vont chacune correspondre àune échelle et àune finesse d’observation diffé-
rentes. Leur mise en œuvre va, en outre, présenter différents niveaux de difficultés et nécessiter
un temps plus ou moins long. Le choix de la méthode devra également prendre en compte les
objectifs de suivis, purement liés àlagestion ou plus scientifiques.
Pour contribuer àrépondre àcette problématique, nous analyserons ici des données acquises
dans le cadre des opérations de restauration de la végétation des pointes du Raz et du Van
(Finistère) où, pendant plusieurs années, ont été réalisés, sur les mêmes stations, des relevés
phytosociologiques et des lignes permanentes de points contacts. Lors de cette comparaison,
plusieurs paramètres seront analysés afin de mettre en évidence les atouts et les limites de
chacune d’entre elles. La cohérence des données obtenues par chacune des méthodes, la sensi-
bilité des deux méthodes aux variations de compositionfloristique et de recouvrement et leur
capacité de diagnostic seront notamment analyséesetmises en parallèle avec les difficultés de
mises en œuvre.
SITES D’ÉTUDE ET DONNÉES ANALYSÉES
Les données utilisées dans cette étude proviennentdesuivis mis en place depuis 1991 (Bioret
et Fichaut, 1994) sur les sites de la pointe du Raz (site du Conservatoire du littoral) et de la
pointe du Van (site du conseil général du Finistère). Ces deux sites constituent avec la baie des
Trépassés un ensemble naturel remarquable et un site touristique majeur de la pointe bretonne,
accueillant près de un million de visiteurs chaque année. Cet afflux touristique aengendré une
forte dégradation des pelouses et landes littorales, ce qui aconduit àlamise en œuvre d’une
opération “Grand Site” àpartir de 1989.
Afin d’observer l’évolution du couvert végétal suite aux aménagements réalisés dans ce cadre,
une vingtainedelignes permanentes de points contacts (Daget et Poissonnet, 1971) té mise
en place dont 8suivies jusqu’à ce jour. Depuis 2002, ces 8lignes sont complétéespar des
relevés phytosociologiques réalisés sur une surface d’environ 25 m2autour de la ligne. Ces
dispositifs ont été suivis par les mêmes observateurs depuis 1991.
Nous disposonsainsi de 8relevés réalisés à5dates depuis 2002, soit 40 couples
«ligne/relevé », pour lesquels diverses analyses ont été réalisées. Ces analyses se positionnent
àdeux échelles :l’échelle de la communautévégétale (recouvrementglobal, diversité et compo-
sition floristique) et l’échelle des espèces (analyse de la cohérence des données obtenues par
les différentesméthodes).
ANALYSE COMPARATIVEDES RÉSULTATS DES DEUX MÉTHODES
Recouvrement global
L’approche du recouvrement global de la végétation diffère entre les deux méthodes. Dans le cas
des relevés phytosociologiques, nous disposons directement d’une valeur de recouvrement total
(Rtot) estimé par l’observateur. Pour les lignes permanentes, l’approche est indirecte et deux
paramètres peuvent être considérés comme indicateurs du recouvrement :lafréquence du sol nu
(Sn) dans les relevés (le recouvrementant estimé par «100-%Sn ») et la somme des fréquences
des espèces (fr) qui est relative àladensité du couvert végétal (Gallet et Rozé, 2001).
Les analyses de corrélation réalisées entre ces paramètres montrent une bonne corrélation
(R2=0,82, p <0,001) entre Rtot et fr (figure 1a, p. 411). Cette corrélation est atténuée pour
les valeurs de fr fortes du fait d’un plafonnement des valeurs de Rtot. En revanche, la corréla-
tion n’est pas significative entre le recouvrementet«100-%Sn »(figure 1b, p. 411).
Évolution du recouvrement
L’observation de l’évolution temporelle de trois paramètres issus des relevés :Rtot, fr et
100-%Sn (figure 2, p. 411) montre des variations généralement très similaires entre ces para-
mètres. Globalement, les tendances observées sont semblables. L’amplitude des variations (repré-
sentée par le coefficient de variations), qui peut être considérée comme indicatrice de la
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SÉBASTIEN GALLET -FRÉDÉRIC BIORET -BERNARD FICHAUT -JÉRÔME SAWTSCHUK
sensibilité des méthodes, est également similaire (12 à17%). En effet, une analyse de variance
réalisée surles coefficients de variationsmontre que ceux-ci ne présentent pas de différences
significatives entre lesméthodes (p <0,05).
Richesse spécifique
La richesse spécifique issue des relevés phytosociologiques peut être considérée comme une valeur
fiable. En effet, la méthode se basant sur une prospection au sein d’une surface supérieure àl’aire
minimale, il est possible de considérer que le relevé est quasi exhaustif au sein de l’aire étudiée.
Deux résultats peuvent être mis en avant. Tout d’abord, il existe une corrélationsignificative
entre les valeurs de diversité spécifique enregistrée par les deux méthodes (R2 =0,51, P <0,05).
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Session 3-Laphytosociologie, un outil incontournable pour les gestionnaires des milieux naturels
FIGURE 1CORRÉLATIONS ENTRE LES DIFFÉRENTS PARAMÈTRES LIÉS AU RECOUVREMENT
R=0,8176
0
20
40
60
80
05
0100 150 200
Recouvrement total
Somme des Fréquences
2
0
20
40
60
80
020406080100 120
100- %Sol nu
R=0,5644
2
FIGURE VOLUTION DE Rtot (),fr ()et 100-%Sn ()
SUR DIFFÉRENTES LIGNES AU COURS DE L’ÉTUDE
0
40
80
120
160
01/09
2002
14/01
2004
28/05
2005
10/10
2006
22/02
2008
13 Raz
0
20
40
60
80
01/09
2002
14/01
2004
28/05
2005
10/10
2006
22/02
2008
14 Van
0
40
80
120
01/09
2002
14/01
2004
28/05
2005
10/10
2006
22/02
2008
15 Van
0
40
80
120
160
01/09
2002
14/01
2004
28/05
2005
10/10
2006
22/02
2008
16 Van
0
20
40
60
01/09
2002
14/01
2004
28/05
2005
10/10
2006
22/02
2008
17 Van
0
40
80
120
160
01/09
2002
14/01
2004
28/05
2005
10/10
2006
22/02
2008
R1 Raz
Tableau II Répartition des coefficients d’abondance-dominance (A/D)
en fonction de la fréquence observée.
Les cases grisées correspondent aux valeurs pouvant êtreconsidérées comme cohérentes
Fr (nombrededonnées) A/D
0(espèce absente) +123
1(88) .............. 7% 78 %15% 00
2à5(111)........... 6% 33 %50% 11 %6%
6à25(125) ......... 5% 7% 45 %38% 5%
25 à50(18) ......... 5% 06%63% 25 %
Tableau I Tableau de concordance théorique entrecoefficient d’abondance-dominance (A/D)
et fréquence des espèces.
Les valeurs 4et5deA/D n’ont pas été rencontrées dans cette étude
A/D....... +12345
Fr ........ 11à5 6à2526à5051-75 >75
En revanche, la diversité enregistrée par la méthode des lignes permanentes est toujours
beaucoup plus faible que celle mise en évidence par les relevés phytosociologiques, avec seule-
ment 58 %(+/– 18,3 %) des espèces relevées. Il existe donc une perte importanted’informations
floristiques dans le cas de la ligne permanente.
Divers tests n’ont pas permis de corréler significativement cette valeur avec d’autres caractéris-
tiques et notamment la densité ou avec la diversité elle-même.
Cohérence des données floristiques
Pour chaque espèce observée au sein de chaque station, il est possible d’analyserlacohérence
entre les résultats des deux méthodes utilisées. Le tableau Iprésente la concordance théorique,
ou du moins attendue, entre les deux systèmes de relevé. La concordance entre les valeurs doit
s’envisager dans les deux sens.
412 Rev. For. Fr. LXII -3-4–2010
SÉBASTIEN GALLET -FRÉDÉRIC BIORET -BERNARD FICHAUT -JÉRÔME SAWTSCHUK
Si on observe la répartition des coefficients d’abondance-dominance en fonction de la fréquence
relevée (tableau II), on note une bonne cohérence pour les faibles fréquences. En effet, par
exemple, un coefficient «+»aété attribué à78%des espèces présentant une fréquence de
1%.Enrevanche, pour les fréquences élevées, la corrélation semble moins bonne. Ainsi, pour
les espèces ayant une fréquence supérieure à25%,seul un quart présente un coefficient de 3.
Globalement,onnote une proportion importante d’espèces présentant le coefficient directement
inférieur àcelui attendu. Ceci peut notamment s’expliquer par la présence dans le type de milieu
étudié de nombreuses espèces de petite taille dont la fréquence peut être importantemais
présentant un faible recouvrement. Il est également ànoter que quelques espèces présentes sur
les lignes sont absentes des relevés.
L’analyse inverse (tableau III, p. 413) montre une bonne cohérence des données aux différents
niveaux d’abondance. Elle confirme également que les espèces non enregistrées par les lignes
permanentes sont presque exclusivement des espèces présentes ponctuellement (+) dans les
relevés phytosociologiques.
Concernant le coefficient A/D =1,parmi les 36 %d’espèces ayant une fréquence comprise en 6
et 25 %, il est ànoter que la plus grande partie (62 %) est en fait comprise entre 6et10%,
ce qui reste relativement cohérent. La répartition des coefficients 3peut, elle, être négligée du
Tableau III Répartition des fréquences (Fr) en fonction
du coefficient d’abondance-dominance (A/D) observé.
Les cases grisées correspondent aux valeurs pouvant êtreconsidérées comme cohérentes
A/D
(nombrededonnées)
Fr
012-5 6-25 26-50 >50 Moyenne
(sans les Fr =0)
+(418) ............... 72 %16% 9% 3% 00 0,57 (2,11)
1(144) ............... 15 %46% 36 %3%0 5,56 (6,61)
2(84) ................ 5% 6% 74 %15% 014,54 (15,26)
3(14) ................ 00036 %28% 36 %38%
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Session 3-Laphytosociologie, un outil incontournable pour les gestionnaires des milieux naturels
fait du faible nombre de valeurs. On peut néanmoins noter que ces espèces très présentes ne
sont jamais absentes des lignes permanentes.
DISCUSSION
Cette étude, basée sur l’analyse d’un jeu de données diachroniques permet de comparer les
résultats de deux méthodes de relevés couramment utilisées en écologie végétale et notamment
en écologie de la restauration. Le fait que ces données n’aient pas été spécifiquement réalisées
àcet effet nous paraît un atout. En effet, cette comparaison n’est pas de l’ordre de l’expéri-
mentation mais bien de la pratique courante. Elle intègre ainsi les erreurs minimes de relevés ou
de report pouvant exister dans ce type d’étude.
Afin d’analyser les caractéristiques, atouts et contraintes de chacune des deux techniques, nous
pouvons nous baser sur les critères proposés par Cairns
et al.
(1993) pour définir un bon indi-
cateur biologique, en étendant cette réflexion aux méthodes. L’indicateur considéré est ici le
relevé floristique par chacune des deux méthodes.
Un certain nombre de caractéristiques liées aux critères de Cairns
et al.
(1993) s’avèrent
communes aux deux méthodes considérées. Il s’agit notamment de la pertinence biologique et
sociale, ou du caractère intégrateur. En effet l’objet du relevé, dans les deux cas le couvert
végétal, va refléter en partie les conditions stationnelles et est facilement perçu par le public
comme une caractéristiquedel’état de dégradation du milieu. De même, les deux méthodes sont
non destructrices et répondent àdes protocoles standardisés depuis longtemps. La capacité
d’utilisation dans des conditionsvariées et pour analyser l’effet de différents stress est égale-
ment attestée dans les deux cas par la bibliographie.
Dans le cas présent, au vu de nos résultats on peut s’interroger sur les différences existant entre
ces deux méthodes sur des critères de Cairns
et al.
qui paraissent particulièrement importantset
notamment :sensibilité, capacité de diagnostic, interprétabilité, reproductibilité dans le temps,
rapport temps/efficacité.
Tout d’abord,les résultats obtenus montrent que la sensibilité des deux méthodes est similaire.
En effet, les variationsdecouvert suivent les mêmes tendancesetles variationsrelatives sont
du même ordre de grandeur. Il peut néanmoins être noté que, lorsque le recouvrement approche
ou atteint 100 %, les relevés effectués par la méthode de la ligne permanente permettent de
mettre en évidence des variations de la densité du couvert végétal. Cette densité est liée àla
somme des fréquencesdes espèces. Pour les relevés phytosociologiques,ilpourrait être envisagé
d’utiliser, de façon similaire, la somme des coefficients d’abondance-dominance mais la décli-
naison par “classe” de ces indices fausse largement la démarche.
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