La notion d`engagement chez Aaron COPLAND I – Repères

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La notion d’engagement chez Aaron COPLAND
Copland est perçu soit comme un compositeur indifférent à toute conviction politique
particulière, soit comme un compositeur communiste « citoyen engagé ».Il aborde
explicitement dans ses œuvres des thématiques politiques d’extrême gauche, teintées
d’un fort sentiment patriotique comme Into the streets may firts, chanson populaire
composée en 1934 pour célébrer la journée du parti communiste. Copland n’est pas
insensible à la notion de musique destinée au prolétariat, aux notions d’égalitarisme et
de collectivisme (URSS). Il souhaite s’engager pour une démocratisation de la
création nouvelle et pour la naissance d’un style spécifiquement américain : il
« simplifie » son expression au bénéfice des amateurs et compose des musiques pour la scène (Billy the kid 1938,
Apalachian spring 1943) et pour le cinéma.
Fanfare for the common man est l’œuvre la plus patriotique de COPLAND, composée pour cuivres et
percussions en 1942 à la demande d’Eugène GOOSSENS, chef d’orchestre du Cincinnati Symphony Orchestra.
GOOSSENS souhaitait organiser une série de concerts essentiellement constituée de Fanfares, dans le but de
soutenir les soldats américains. Ainsi, COPLAND apportait-il sa contribution à l’effort de guerre mais il installe
de nouvelles stratégies fondées sur l’expression de l’artiste dans sa volonté de communiquer avec les
auditeurs.
Fanfare for the common man est le fruit des convictions patriotiques et progressistes de COPLAND. Les
contextes historiques, politiques et sociaux sont les éléments déclencheurs et la principale source d’influence. La
« simplcité » que COPLAND a imposé à son style abrite des positions esthétiques complexes dont l’origine se
trouve au cœur des politiques progressistes dans le contexte américain du New Deal et des réformes plus
démocratiques engagées en faveur de la classe ouvrière.
Rappel sur le New Deal!(ou Nouvelle Donne en français) : politique interventionniste mise en place entre 1933 et 1939
par Roosevelt pour lutter contre les effets de la Gde Dépression aux USA. L’objectif était de soutenir les couches les
plus pauvres de la population, de réformer les marchés financiers et de redynamiser l’économie américaine affaiblie
par le chômage et les nombreuses faillites suite au krach de 1929. Le New Deal mettait en avant une redistribution
des ressources et du pouvoir, avec des lois de protection syndicales et des programmes d’aides pour les farmers et
les travailleurs itinérants.
I – Repères biographiques
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Né à Brooklyn le 14 novembre 1900 et mort le 2 décembre 1990 dans l’état
de New York.
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Issu d’une famille d’émigrés russes, il étudie le piano, l’harmonie, le
contrepoint (avec un élève de DVORAK), pour qui ne comptait que le répertoire
germanique et surtout BEETHOVEN.
-
COPLAND se passionne pour IVES (compositeur américain né le 20 octobre
1874 et mort le 19 mai 1954),
SCRIABINE (pianiste et compositeur russe né le 25
décembre 1871 et mort le 14 avril 1915),
DEBUSSY (compositeur français, né le 22
août 1862 à Saint-Germain-en-Laye et mort le 25 mars 1918 à Paris
).
En 1921, il travaille la composition avec Nadia BOULANGER (musicienne et pédagogue française, 1887-1979),
au conservatoire américain de Fontainebleau (fondé en juin 1921, il est un élément important de l’histoire
musicale contemporaine. Ayant déjà eu une première existence pendant la guerre à Chaumont (Haute-Marne), pour
les orchestres de musique militaire américains, il est dirigée dans un premier temps par Francis Casadesus et
Charles-Marie Widor, avec l’appui de nombreux compositeurs français!: Camille Saint-Saëns, Vincent d'Indy,
Emmanuel Chabrier, Maurice Ravel… Les quatuors à cordes Capet et Hewit viennent alors donner des cours et des
concerts.
À cette époque, le conservatoire reçoit plus de cent cinquante élèves par an pour des séjours de trois mois. Il offre
des concerts gratuits et monte des créations... Dès l’origine, il comprend parmi ses membres un jeune professeur de
composition et d'orchestration, Nadia Boulanger, qui va devenir l’âme de cette école internationale en assurant la
direction musicale de 1949 à 1979. Les plus grands sont venus à Fontainebleau suivre ses cours ou à son invitation,
qu'ils soient compositeurs ou interprètes!: Igor Stravinski, Georges Enesco, Jean Françaix, Arthur Rubinstein,
Yehudi Menuhin, Maurice Gendron, Robert Casadesus, Leonard Bernstein, Philip Glass...)
-
En France, il s’intéresse à la musique de STRAVINSKY (compositeur et chef d'orchestre russe 1882 –
1971(naturalisé français en 1934, puis américain en 1945) de l'époque moderne, considéré comme l'un des
compositeurs les plus influents du XXe!siècle dont l’œuvre se divise en trois périodes!: russe , néoclassique et
sérielle),
de MILHAUD (1892 – 1974, compositeur français qui emprunte beaucoup aux musiques folkloriques, et
au jazz et ses rythmes syncopés, utilisant le contrepoint, la polyrythmie et la polytonalité),
ainsi que pour le jazz et
le folklore (d’où l’origine de son concerto pour piano et orchestre de 1926)
-
Il rentre aux USA en 1924 et crée ses premières œuvres : Symphonie pour orgue et orchestre, Music for
the Theatre, Concerto pour piano et orchestre – 1927 (qui fit scandale à cause de ses éléments au caractère très
jazzistique)
-
En 1928, il fonde les Copland-Sessions Concerts pour promouvoir la jeune musique américaine. Il
dirige le Festival de musique contemporaine de Yaddo (N.Y.), poursuit une carrière de pianiste, de chef
d’orchestre et de pédagogue.
-
Au début des années 1930, il découvre le DODÉCAPHONISME de l’école de Vienne (SCHÖNBERG,
BERG, WEBERN).
Quelques précisions :
o
La musique dodécaphonique est une technique de composition musicale imaginée par Arnold
Schoenberg. Cette technique donne une importance comparable aux 12 notes de la gamme chromatique, et évite
.
ainsi toute tonalité La série dodécaphonique est conçue comme une succession permettant de faire entendre
chacun des douze sons, mais sans qu'aucun ne soit répété. L'ordre ainsi établi forme une série immuable
d'intervalles, qui soutient tout le développement de l'œuvre. Schönberg appliquait le principe qui ôte toute hiérarchie
dans les hauteurs, chacune ayant la même importance dans le flux mélodique. De ce fait, il va contre les principes de
l'harmonie tonale, et crée, terme que Schönberg refusait, une atonalité!: les mélodies ne sont plus soumises aux lois
harmoniques d'attirance vers une note ou un accord. Le dodécaphonisme donnera naissance à la musique sérielle,
théorisée puis développée par Arnold Schönberg à partir de 1923.
o
COPLAND applique l’écriture sérielle d’une manière très personnelle
(la musique sérielle, extension du dodécaphonisme, n'apparaît réellement qu'avec la Klavierstück V de l'opus 23 de
SCHÖNBERG!; il s'agit ici de n'utiliser qu'une seule et unique suite de 12 sons , appelée série)
-
Sa musique reste teintée de néo-classicisme.
o
Le néo-classicisme est l’une des branches de la musique classique de la période moderne. Ce
mouvement musical du XXe!siècle fut particulièrement important dans la période de l'entre-deux-guerres!: les
compositeurs néo classique puisaient leur inspiration dans la musique tonale, (par opposition au mouvement atonal),
dans le courant classique de la seconde moitié du XVIIIe!siècle, mais en y ajoutant des éléments modernes,
notamment dans l'orchestration, des extensions dans le traitement de la tonalité, ou encore des bruits (compositeurs
de musique concrète!: c'est le début de l'exploration de la superposition "bruit" - "son" ) . Malgré cet apport
moderniste, être néoclassique, pour un compositeur, c'est s'inscrire résolument d a n s la tradition, voire renouer
avec des procédés d'écriture plus anciens, aussi bien harmoniques que contrapuntiques.
-
Dans sa musique et ses écrits, COPLAND cherche et développe une esthétique typiquement
américaine à partir du jazz et du folklore de son pays : il est le 1er compositeur à introduire dans ses œuvres des
chants de cow-boys (cf Milk cow blues) et des cantiques de quakers (cf Jesus remember me). Certaines de ses
œuvres comme les ballets Billy the kid 1938 et Apalachian Spring 1944, Rodeo, F for the C.M.-1942, reflètent
les mythes et les symboles de la culture américaines : l’esprit patriotique, le western -- > style « simplifié »,
arpèges, mélodies pleines de force.
-
Ses œuvres remportent un grand succès auprès du public et des institutions. Il reçoit plusieurs prix dont
l’oscar de la meilleure musique de film en 1949. L’université de New York a fondé en 1982 l’Aaron Copland
School of Music.
-
Copland est considéré comme un compositeur majeur pour avoir traversé la vie musicale américaine du
XXe siècle. . Il lui a donné ses lettres de noblesse et a réalisé l’union de la tradition savante européenne avec le
folklore américain et le jazz.
-
Copland est un musicien engagé socialement et politiquement : il a défendu toute sa vie un fort
sentiment patriotique et populiste, en destinant sa musique au peuple. F. for the C.M. et la 3 e Symphonie
incarnent cette conscience d’appartenance.
II – L’engagement de COPLAND
-
Engagement au socialisme dans les années 1920, au communisme dans les année 1930, son adhésion et
sa rupture avec la « nouvelle gauche » (New Left) dans les années 1960. Ses amis artistes
et intellectuels étaient politiquement engagés à gauche.
Le chef d’orchestre Serge KOUSSEVITZKY eut une grande influence sur lui : leur
rencontre en 1923 chez Nadia Boulanger a été le début d’une amitié sincère et d’une
intense collaboration musicale autour de 12 œuvres de Copland, dont la 3e Symphonie. Ils
partageaient tous les deux les mêmes aspirations sociales et artistiques :
o
Créer une musique qui saura franchir les frontières entre l’art et la vie quotidienne afin de
rejoindre le public -- > rôle éminemment social de l’artiste.
o
KOUSSEVITZKY a fui le régime bolchevique (qui a fait des Russes de véritables « esclaves
obligés de travailler pour presque rien ») mais il défendit son pays après l’invasion des Nazis en 1941, exprimant
son « admiration pour les merveilleuses réalisations de l’avant garde russe rendues possibles grâce à son système
éducatif musical complet et démocratique ». Il fait référence au progressisme de la peinture moderne
d’Alexandra EXTER qui ouvrit dès 1917 plusieurs écoles d’art abstrait « pour enfants avec des méthodes
révolutionnaires d’enseignement ». cf dossier sur l’avant garde russe.
o
Du fait de ses origines russes, COPLAND reste sensible à la question soviétique, comme
l’étaient de nombreux compositeurs, dont certains juifs, qui se sentaient concernés par « laide au peuple russe »
(organisation qui réunit aux USA des moyens financiers et politiques pour soutenir l’effort de guerre de l’URSS
contre les Nazis.
-
La grande crise de 1929 a favorisé l’émergence d’idéaux progressistes de gauche et a fait de nombreux
adeptes aux USA. La Guerre froide oppose les 2 blocs à partir de 1947, déclenchant aux USA un véritable climat
de paranoïa et de terreur envers les communistes et leurs sympathisants. Ainsi, des évènements contraignent les
artistes à se politiser et parfois à épouser des convictions politiques contradictoires.
III – Une « simplicité » imposée
Pour COPLAND, le soutien à l’URSS s’adressait notamment à l’œuvre de
compositeurs résistants comme CHOSTAKOVITCH. Sa 7e Symphonie ou
Léningrad Symphony (1941) est devenue le symbole de la résistance russe face
au nazisme (et plus tard avec d’autres de ses œuvres face à Staline). Ce soutien
permet la programmation de concerts de symphonistes russes aux USA.
COPLAND rencontra CHOSTAKOVITCH lors d’une conférence à New York,
en 1949, en pleine guerre froide. Cette conférence était destinée à marquer une
opposition à la guerre froide et à plaider en faveur de l’alliance USA/URSS, développée pendant la 2e guerre.
COPLAND évoqua les effets néfastes de cette guerre froide sur les artistes aux USA.
COPLAND admirait chez CHOSTAKOVITCH « l’urgence et la sincérité de sa musique, son énergie lyrique, sa
capacité à partout déplacer le grand public : comment le compositeur peut combler un vide entre lui-même et
une grande masse de gens, en parlant un langage qu’ils peuvent comprendre ». COPLAND va alors suivre son
exemple.
Ayant pris conscience de la nécessité de communiquer avec le grand public en composant des œuvres
compréhensibles, il « s’impose » un style beaucoup plus « simple » :
-
Langage mélodique qui utilise des références aux chansons populaires ou au folklore (Rodeo, Billy the
kid…) -- > lignes mélodiques très audibles, précises, prévisibles, mémorisables
-
Arpèges -- > point de repère, valorisant des notes de l’accord ou de l’harmonie générale de l’œuvre.
-
Accords de 3 sons (triades) et leurs renversements (F for the C.M.) -- > grande stabilité et facilité
d’écoute .
Ce retour à une certaine forme de « simplicité » est motivé par
- un désir profond et sincère de communiquer avec un auditoire le plus vaste possible
- une volonté de rendre à la musique savante son utilité publique
- un désir de permettre à un compositeur américain de jouer un rôle important dans l’avenir musical de
son pays : n
n
> rôle social du compositeur
> sentiment patriotique qui va croissant en raison de la situation politiquement instable des USA
depuis la crise de 1929, et durant la 2e Guerre.
n
> attachement aux idées communistes directement importées d’URSS dont les slogans clamaient
« la liberté de penser et de créer des artistes dans leur désir (illusoire) de rencontrer le peuple par
le biais de leurs œuvres ».
n
> créer loin de toute répression et de la « pesante autorité de l’idéologie »
IV – Le progressisme de COPLAND
A la fin du XIXe siècle se développa aux USA,un mouvement politique qui défendait un certain nombre
d’idéaux : c’est le PROGRESSISME. Ces idéaux seront plus tard associés aux mouvements hippies et
révolutionnaires des années 60. Le progressisme défend notamment l’antifascisme, l’antimilitarisme, et
l’anticapitalisme, le pacifisme, la solidarité, le féminisme et l’avortement, le droit des homosexuels, l’abolition
de la ségrégation raciale, la laïcité…
Au début des années 30, un grand nombre d’intellectuels américains ont été marqué par la révolution culturelle
anti-bourgeois de l’URSS des années 1910 : pour eux , c’était le véritable modèle de la démocratie. C’est sur ce
fond d’utopie que COPLAND voulait faire de « l’art le prolongement de la vie », faire un art qui soit « à l’image
du quotidien de l’homme ordinaire » : il affirme ses idées progressistes et son patriotisme , dans le seul intérêt
d’un style authentiquement américain : désir de changement, progrès social, musical et culturel (par opposition
au conservatisme), implication (et non adhésion) au mouvement communiste.
Il fonde le Groupe des jeunes compositeurs avec d’autres musiciens compositeurs tels Henry BRANT, Bernard
HERMANN … : il était « plutôt une active voix de « rouge », référence à la Red Scare, peur du Rouge… Son
nom figurait sur la liste noire du sénateur Joseph McCarthy*… »
*Joseph McCarthy : homme politique américain célèbre pour ses luttes entre 1950 et 1956,contre le gouvernement
fédéral et surtout contre tous ceux qu'il soupçonnait d'être ou de sympathiser avec les communistes.
Curieusement, COPLAND se déclara plus tard avoir été « démocratique et libéral ». Son œuvre F .for the C.M.
(1942) est directement influencée par ses positions d’obédience progressistes. Ce progressisme s’apparente
aux idées du Parti de Gauche de Franklin Delano ROOSEVELT*
au « néo-nationalisme » du président américain qui souhaitait favoriser la masse ouvrière et les plus
désavantagés de la société.
*ROOSEVELT (1882-1945):président des USA, le seul à avoir été élu 4 fois. Il changea le pays par des réformes et
non par la révolution, permit une démocratisation de la culture en s’intéressant aux artistes, essaya de résoudre
était sensible aux difficultés des Américains les plus défavorisés, aux injustices et à l'oppression sous toutes ses
formes, respectant scrupuleusement l’idée de démocratie.)
L’intitulé même de l’œuvre peut être considéré comme un hommage rendu au discours du 8 mai 1942 d’Henry
WALLACE, chef du Parti Progressiste et vice président démocrate jusqu’en 1944 (il en sera même écarté pour
ses idées jugées trop progressistes).
V – Le patriotisme de COPLAND
Il existe un décalage important entre le cadre fixé par le commanditaire de F. for the C.M,(message patriotique
explicite, choix d’un effectif instrumental très connoté) et le sens que COPLAND donnait à son œuvre.Son
patriotisme n’éatit pas aussi fort que celui de GOOSSENS et il n’avait pas la fibre guerrière, bien qu’approuvant
le ralliement des USA à la coalition antinazie. Ce qui explique sa démarche qui consiste à neutraliser et à
détourner un genre, la fanfare, généralement réservé aux défilés et autres cérémonies militaires.
Cette volonté de détournement se retrouve dans plusieurs aspects de l’écriture :
-
l’absence d’un RYTHME cadencé, les fréquents changements de mesure, les carrures asymétriques, les
interventions irrégulières de la percussion sont incompatibles avec les impératifs d’ordre et de discipline propres
à l’armée.
o
refus des carcans et des contraintes,
o
image de l’homme « ordinaire » qui n’avance pas forcément au pas de marche car il reste
maître de ses décisions.
-
Le THÈME avec son incipit caractéristique (1ères notes du début :4te ascendante suivie d’une 5te) garde des
traces de mélodies de cuivres utilisées dans l’armée. Sa 1ère apparition peut évoquer un appel de clairons dans la
cour d’une caserne. Mais par la suite, l’impact de la cellule rythmique s’atténue et d’autres motifs, dépourvus de
connotations militaires, passent au 1er plan.
-
L’utilisation de quintes à vide, l’insistance sur la relation plagale IV-I, l’absence de cadences parfaites
et les nombreux accords sur des degrés secondaires donnent à l’œuvre une COULEUR MODALE, couleur
inhabituelle dans l’harmonie d’une fanfare traditionnelle qui privilégie davantage les fonctions tonales
principales (accords parfaits sur les degrés I et/ou V, cadence parfaite…)
-
Le CRESCENDO est réalisé sans agressivité, « force tranquille d’une foule pacifique et déterminée en
train de se rassembler » (et non pas une armée en marche).
(De nombreuses œuvres du répertoire utilisent des fanfares, qui ont souvent une fonction introductive comme la
Toccata de l’Orféo de MONTEVERDI.)Au XXe siècle, plusieurs compositeurs ont abordé le genre de la fanfare
dans l’intention de parodier l’esprit guerrier des fanfares traditionnelles : DUKAS, RAVEL, STRAVINSKI,
SATIE, MILHAUD, BRITTEN…
Mais dans son œuvre F. for the C.M, COPLAND s’engage non seulement en faveur de la création d’un style
musical à l’image de l’Américain moyen, mais aussi en faveur des soldats « ordinaires ».
La commande de F.for the C.M. fait suite à 18 autres fanfares pour cuivres et percussions passées entre 1942 et
1943 auprès de plusieurs compositeurs contemporains de COPLAND.
Copland hésita longtemps sur le titre définitif. Composer cette fanfare était pour lui un « honneur de pouvoir
participer à un projet patriotique ». F.for the C.M. est dédiée aux soldats sur le front : « c’était l’homme
ordinaire, lui qui faisait le sale boulot dans la guerre et l’armée. Il méritait bien une fanfare. »
F.for the C.M. est écrite pour une formation instrumentale typique des orchestres de musiques militaires : cors
(4), tombones (3), trompettes (3), tuba, timbale, grosse caisse ou tam-tam*.
*Un tam-tam est un idiophone à son indéterminé, contrairement au gong. Depuis
l'époque coloniale, le vocable «!tam-tam!» est abusivement utilisé (génériquement!?)
pour désigner n'importe quel instrument de percussion à peau — surtout s'il vient ou
est censé venir d'Afrique.
Cet instrument de percussion d'origine asiatique fut apprécié par les compositeurs
occidentaux en raison de l'effet dramatique produit par sa sonorité profonde et
métallique. Ils l’ont introduit parmi les percussions de l'orchestre symphonique au
XIXe!siècle!: François-Joseph GOSSEC l'a utilisé pour la première fois en Europe en
1791 dans la Marche funèbre composée à la mort de Mirabeau, Luigi CHERUBINI l’a
utilisé dans son Requiem.
Une de ses premières utilisations dans la musique militaire a été à l'occasion de
l'exhumation des restes de Napoléon Bonaparte aux Invalides le 15 décembre 1840.
Selon l'Encyclopædia Britannica, la qualité de la sonorité des tam-tams serait due à la
composition de leur bronze comprenant quatre-vingts parties de cuivre pour vingt
d'étain, ainsi qu'à leur trempe à l'eau froide. Cette particularité aurait été redécouverte
au début du XIXe!siècle par le chimiste Jean-Pierre Joseph d'Arcet.
COPLAND reprend le thème de F.for the C.M. dans l’ouverture du final de la 3e Symphonie (1946) mais sur un
tempo beaucoup plus lent, plus doux (pianissimo) et plus aérien (il ajoute des flûtes et des clarinettes aux
trompettes). La création de cette 3e Symphonie a permis à F.for the C.M. de rencontrer son public et de connaître
un succès toujours actuel.
COPLAND joue un rôle essentiel dans le contexte musical et culturel de son pays, aussi bien dans le domaine
savant que dans le domaine populaire.
Quelques groupes rock ont repris F.for the C.M., tel STYX* en 1972, les Rolling Stones en 1976, Emerson Lake & Palmer
(ELP) en 1977, utilisée comme générique d’une émission sportive de CBS(!), dans la bande son de films dont il faut sauver le
soladat Ryan
* groupe rock américain, qui atteignit le sommet de sa popularité dans les
années 1970 et au début des années 1980, premier groupe à obtenir des
certifications platine aux États-Unis pour quatre albums consécutifs.
F.for the C.M semble même être devenue un HYMNE patriotique : l’œuvre est souvent utilisée aux USA dans
diverses cérémonies d’ouverture de célébrations démocrates voire républicaines, confirmant par là le sentiment
d’appartenance que COPLAND souhaitait évoquer et susciter en la composant.(Mais elle est souvent amputée de moitié
comme ce fut le cas lors du discours de B.OBAMA prononcé au mémorial Lincoln en janvier 2009.)
F.for the C.M rappelle et réactualise un des mythes fondateurs de l’Amérique, celui de l’héroïsme des pionniers,
« des hommes ordinaires » d’une autre époque, et de leur esprit solidaire. Les retours du thème dans F.for the
C.M confère à l’homme ordinaire la dimension d’un héros mythique. Entre le ton funeste des percussions du
début et la brillance des cuivres sur l’accord final de ré Majeur se dessine « le parcours d’une résurrection et
d’un passage vers l’éternité. ».L’homme ordianire est paré d’une aura qui le rapproche d’un autre héros humble
et anonyme, entré dans la légende en tant qu’incarnation de tout un peuple : le soldat inconnu. D’où le statut
d’icône auquel il accède, statut qui rejaillit sur une musique qui devient elle-même une icône de l’Amérique
contemporaine.
Mais accepter que F.for the C.M , icône musicale, puisse être bafouée dans son utilisation comme un vulgaire
jingle, n’est-ce pas participer voire collaborer implicitement à une forme de trahison de l’homme « ordinaire » ?
CONCLUSION
Le public américain est unanime pour reconnaître que F.for the C.M résume les valeurs américaines. Très ancrée
dans la conscience des citoyens américains de toutes les couches sociales, elle est associée spontanément à
l’image de leur pays, à son armée : elle est devenue elle-même un symbole.
A force d’incarner des valeurs du mythe américain, telles que la liberté, l’esprit de sacrifice, l’esprit de conquête,
F.for the C.M a intégré ce mythe. Sa large appropriation a entraîné une distorsion de son sens, à l’image de celui
de l’Ode à la joie. Comme l’Ode à la joie, F.for the C.M a été instrumentalisée, récupérée, utilisée dans des buts
parfois opposés aux intentions et aux idéaux de COPLAND (elle est même devenue un outil de propagande du
parti républicain qui l’a quasiment transformé en jingle électoral).
Intentions et Idéaux de COPLAND dans F.for the C.M :
-
Sa musique fut encouragée et influencée par le l’instabilité du climat social et politique national des
USA et international dans le monde, d’où son implication dans l’effort de guerre.
-
Manifester son patriotisme par une conscience sentimentale d’attachement à son pays et à sa
Culture, de différentes manières :
-
o
En déjouant les attentes du système tonal par des enchaînements chromatiques
o
En déstabilisant la pulsations par des accents
o
En contrariant les rythmes
L’engagement de COPLAND en faveur des idées progressistes du New Deal défendues par Henry
WALLACE se fait par la musique
-
Avec F.for the C.M., et sa 3e symphonie (1946), il met sur pied une musique moderne destinée au
peuple américain : pour faire comprendre et apprécier à l’Américain moyen la musique à sa juste valeur, et si
celui-ci acceptait d’être « moins conservateur », COPLAND relevait le défi de trouver une méthode susceptible
d’allier les attentes de l’auditeur aux nouvelles donnes de la création musicale. Il imitait en cela
CHOSTAKOVITCH qui était arrivé à établir en URSS un dialogue entre la musique moderne et la classe
populaire par le concert grand public : l’œuvre musicale devient le témoignage d’un contexte culturel touché par
la guerre et un régime totalitaire.
-
COPLAND s’impose une grande « simplicité » (regrettant plus tard cette expression estimant « qu’elle
tend à compartimenter la création entre musique savante et musique populaire »). Il a toujours travaillé à faire
évoluer son langage qui même d’apparence « simple », est nuancé, subtil, coloré, expressif, voire sophistiqué.
-
Comme pédagogue, il a orienté sa pensée musicale et ses motivations vers une ouverture de la création
musicale moderne à un large public.
-
Il cherche à dépasser le clivage qui semble s’installer entre la tradition classique européenne et la
musique populaire :
-
o
Economie de moyens
o
Clarté des textures
o
Richesse des mélodies
o
Précision du langage
Il veut promouvoir un style musical typiquement américain et libre de tout dogme, mettre en rapport ses
idées musicales avec le quotidien de l’auditeur « ordinaire.
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