La journée de l’éthique à l’EM Strasbourg
7 octobre 2014
LE
Journal
Éthique,
comment passer à l’action ?
Des experts témoignent
Le point de vue des entreprises
Zoom sur les débats de la journée
AVIS D’EXPERT
02
L’éthique : une démarche
structurante et pragmatique
Un véritable management de
l’éthique, en entreprise, nécessite
une méthodologie rigoureuse.
Or une approche à la fois globale
et ambitieuse implique d’aller
au-delà d’une simple charte et de
dépasser les freins et résistances,
comme l’explique Jean-Jacques
Nillès, professeur de philosophie
et cofondateur du cabinet de
conseil Socrates.
Une démarche à l’origine
de croissance économique
Aujourd’hui, la plupart des
groupes et grandes entreprises se
sont dotés d’une charte éthique :
il s’agit d’un document de
référence, affichant des valeurs
traduites en principes d’action sur
des sujets aussi variés que l’impact
environnemental des activités, les
relations avec les fournisseurs ou
encore le management des col-
laborateurs.
« La problématique
de l’éthique devient la colonne
vertébrale de la responsabilité
sociétale des entreprises, surtout
depuis la norme ISO 26 000 »
,
explique Jean-Jacques Nillès. Cette
évolution justifie l’intérêt croissant
des acteurs économiques pour ce
sujet, qui peut être traité de façon
très différente.
« Les démarches
s’inscrivent dans un spectre qui
va d’une approche “française”,
hyper-réflexive, de posture, à un
modèle anglo-saxon, constructi-
viste et pragmatique
», précise le
spécialiste.
Mise en place semée
d’embûches
Existe-t-il un
modus operandi
unique, voire idéal ? Sans doute
pas, tant les cultures d’entreprise
et les objectifs visés sont divers,
mais en revanche une dynamique
en cinq étapes complémentaires
peut être adoptée. Fort de son
expérience, Jean-Jacques Nillès
a en effet identifié une logique
progressive, qui débute avec la
définition d’un référentiel :
« Il s’agit du corpus de valeurs
associées au secteur d’activité et à
éthique
Octobre 2014
03
Jean-Jacques Nillès
PROFESSEUR DE PHILOSOPHIE À L’UNIVERSITÉ DE SAVOIE
CONSEIL SCIENTIFIQUE DU CABINET SOCRATES
l’ADN de l’entreprise. »
Seconde
étape, la définition des lignes de
conduite et des bonnes pratiques,
qui vont servir de base à la rédac-
tion de la charte
. « La plupart
des entreprises s’arrêtent à cette
phase »,
indique Jean-Jacques
Nillès, qui souligne plusieurs
raisons : la difficulté à positionner
le curseur sur des sujets aussi diffi-
ciles à circonscrire que l’équité ou
le partage de valeur ; l’évaluation
délicate du retour sur investisse-
ment, nécessitant des indicateurs
précis ; ou encore le risque de
dilemme éthique en cas de
comportements opposés au
référentiel mais source de
croissance économique.
L’évaluation des actions
en point de mire
Dépasser ces limites est pourtant
possible, et la mise en œuvre
de pratiques éthiques peut être
source de développement et de
gain de parts de marché.
La troisième étape est celle de
la démarche qualité,
« pour
définir les indicateurs et mesures
à prendre en compte, comme la
perception des sous-traitants ou le
ressenti des collaborateurs ».
Sur
cette base, des axes prioritaires de
progrès seront définis, avant de
mettre en œuvre un système de
management de l’éthique :
« Cette dernière étape, encore
rare dans les entreprises, vise à
évaluer l’effet des actions dans
une dynamique d’amélioration
continue. »
Des outils y contri-
buent, comme des questionnaires
de retour d’expérience destinés à
évaluer la pertinence d’une déci-
sion dans une situation difficile,
ou des baromètres de perception
destinés aux collaborateurs ou aux
clients/usagers. L’ensemble
de cette démarche dessine ainsi
les contours d’un cercle vertueux
inscrit dans une logique de
progrès continu. x
Des valeurs déclinées
en pratiques chez Maped
Pour mieux comprendre la manière dont les entreprises
peuvent se saisir concrètement de leurs enjeux éthiques,
on
peut citer en exemple Maped, PME familiale de Haute-
Savoie devenue leader mondial sur son marché – les fourni-
tures scolaires et de bureau. Le développement de l’entreprise
et l’acquisition de filiales dans diverses zones géographiques
l’ont amenée à réfléchir à sa culture et à ses valeurs.
Mais au-delà de ce travail de réexion et d’écriture collec-
tives, elle a souhaité que ces valeurs soient déclinées dans les
pratiques et que leur niveau de mise en œuvre soit évalué.
Elle a mis en place des groupes de travail « métier », an de
décliner les valeurs dans les activités de chaque fonction et
produire des lignes de conduite opérationnelles, confron-
tées, dans un second temps, aux pratiques.
Les situations emblématiques de tensions éthiques vécues
par les salariés ont été identiées par ces groupes de tra-
vail. Dans le but de prévenir les risques de stress éthique, ces
situations ont fait l’objet d’enquêtes auprès de l’ensemble
des salariés. Les résultats ont enfin été exploités afin d’éla-
borer des plans d’amélioration. L’une des originalités de ce
projet est d’avoir réalisé ce travail en prenant en compte les
préoccupations des opérateurs et des techniciens de main-
tenance.
x
L’ÉTHIQUE À L’EM STRASBOURG
04
« Une éthique dans tous
ses états » : cette formule
d’Isabelle Barth, directrice
générale de l’EM Strasbourg
Business School, résume
bien l’ambition de la journée
d’échanges et de réflexions
organisée par l’école en
octobre 2013. L’éthique est-elle
abordée différemment dans le
public ou dans le privé ?
Le secteur d’activité a-t-il un
impact ? Comment, en tant
que manager, concilier impéra-
tifs de performance et respect
des valeurs ?
Des compétences plus fortes
que les stéréotypes
Valeur humaniste, socle de rela-
tions équitables et justes, l’éthique
repose sur la confiance (par
exemple, entre le manager et ses
collaborateurs), l’objectivité et une
bonne dose de recul sur soi et ses
actions. Un comportement éthique
consiste par exemple à ne prendre
en compte que les compétences
dans la sélection d’un candidat.
Or la discrimination à l’embauche,
les entretiens bâclés ou les promo-
tions de complaisance existent et
nécessitent une réaction appro-
priée, comme l’a exposé Thierry
Potier, responsable des ressources
humaines (RH) de l’EM Strasbourg.
Les recruteurs peuvent effectuer un
tri non équitable en s’appuyant sur
des stéréotypes. Et souvent sans
penser à mal, a expliqué Christophe
Moore, responsable RH chez
Roquette. Le rôle de l’accompa-
gnant, qu’il soit DRH ou conseil
extérieur, sera de faire comprendre
que ces pratiques vont à l’encontre
des bénéfices de la société, béné-
fices autant sociaux que financiers.
Cela passe par des prises de déci-
sion éthiques, nécessitant de sortir
des sentiers battus pour créer de
nouvelles dynamiques.
L’importance du dialogue avec
les parties prenantes
L’éthique doit s’imposer comme
une ligne directrice et structurante.
Dans un souci de management res-
ponsable, la fondation Vincent-de-
Paul s’est par exemple dotée d’une
charte mettant le collaborateur
au cœur de son développement.
Mais l’éthique s’applique aussi en
aval, où des consultants, comme
Muriel Kuntzmann de RH Experilis,
apportent leur expertise d’accom-
pagnement de plans sociaux
ou de reclassements.
Dans une telle situation, vécue
en 2013 par l’entreprise Clestra,
Hélène Bour, responsable formation
et recrutement chez ce fabricant
de cloisons, a rappelé la nécessité
« d’instaurer un dialogue avec
toutes les parties prenantes de
l’entreprise : les managers, les
partenaires sociaux et les salariés ».
Adapter la démarche
éthique au contexte
Engagement réciproque, confiance,
prudence morale, dialogue, transpa-
rence, moralité et persévérance :
si ces sept piliers d’une prise de
décision éthique, définis par Danut
Casoinic, enseignant-chercheur à
l’EM Strasbourg, et Niels-Ingvar
Boer, consultant chez Berenschot,
peuvent inspirer tout manager, leur
mise en œuvre peut connaître des
spécificités en fonction du secteur
d’activité.
Finalement, c’est sans doute l’inter-
vention – centrée sur le commerce
équitable – de Sihem Dekhili, maître
de conférences à l’EM Strasbourg,
qui illustre le mieux la complexité
de la démarche éthique :
« Il n’y a
pas de stratégie généralisable. »
x
« L’éthique nécessite du
courage et de l’exemplarité »
Pour un management
éthique et responsable :
retour sur la journée de 2013
éthique
Octobre 2014
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« L’éthique nécessite du
courage et de l’exemplarité »
Isabelle Barth
DIRECTRICE GÉNÉRALE DE L’EM STRASBOURG
Isabelle Barth, directrice générale de l’EM Strasbourg, est chercheur
et spécialiste des questions de responsabilité sociétale des organi-
sations. Elle revient sur les enjeux de cette 6e journée de l’éthique.
En quoi l’éthique et le management sont-ils liés ?
Dans le débat classique entre morale et éthique, les sciences du management ont tendance
à considérer la première comme étant d’ordre privé, individuel, tandis que la seconde aurait
une dimension organisationnelle. L’éthique renvoie à la notion de justice. Or le management
est l’art de la décision juste, en termes de conséquences sur les individus et sur l’environ-
nement, mais aussi de cohérence entre les actions et les valeurs. L’éthique est ainsi étroite-
ment associée à un paradigme qui prend de l’importance depuis une vingtaine d’années : la
responsabilité sociale des organisations.
Quels éléments contribuent à une prise de décision juste ?
En entreprise, la notion de justice s’inscrit dans des dimensions sociale – qui concerne
les salariés, le sens donné à leurs missions, la reconnaissance de leur implication, etc. –,
environnementale – qui prend en compte l’impact des choix stratégiques sur l’environne-
ment physique – et économique – qui renvoie aux objectifs de croissance. Le management
durable doit intégrer ces trois éléments. À chaque carrefour décisionnel, une vision réflexive
doit être mise en œuvre. Deux leviers essentiels, le courage et l’exemplarité, y contribuent :
le courage de la franchise, du refus du prêt-à-penser, de l’affirmation de son point de vue,
de la mise en œuvre de ce qui a été décidé...
Comment faire en sorte que l’éthique soit l’affaire de tous ?
L’éthique ne se résume pas à une charte, elle implique la mise en action. Il s’agit de
permettre l’expression de la parole, d’éduquer chacun au sens critique, de prendre de la
distance pour apprendre des erreurs et échecs. L’entretien d’évaluation annuel est un
exemple d’espace de parole, dans lequel le manager peut préciser ses attentes en termes
de comportement éthique. La logique qui doit prévaloir est celle de l’amélioration continue.
Et elle débute dès la formation des managers : nos étudiants sont amenés à réfléchir à
leurs propres comportements – l’implication dans les travaux de groupe, l’attitude respec-
tueuse vis-à-vis de l’enseignant et des pairs –, et à se mettre en situation – par exemple,
par la confrontation à des scénarios impliquant une prise de décision et un feedback sur la
dimension éthique de celle-ci, ou par le biais de leurs expériences de stage ou de semestre
à l’étranger. x
Pour un management
éthique et responsable :
retour sur la journée de 2013
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