Capitalismes asiatiques
et puissance chinoise
Diversité et recomposition
des trajectoires nationales
Sous la direction de
Pierre Alary
Elsa Lafaye de Micheaux
Catalogage Électre-Bibliographie (avec le concours de la Bibliothèque de
Sciences Po)
Capitalismes asiatiques et puissance chinoise : Diversité et recomposition des
trajectoires nationales / Pierre Alary, Elsa Lafaye de Micheaux (dir.). – Paris :
Presses de Sciences Po, 2014.
ISBN papier 978-2-7246-1620-0
ISBN pdf web 978-2-7246-1621-7
ISBN epub 978-2-7246-1622-4
ISBN xml 978-2-7246-1623-1
RAMEAU :
Capitalisme : Asie : 1990-...
Capitalisme : Chine : 1990-...
Chine : Conditions économiques : 2000-...
Hégémonie : Chine : 1990-...
DEWEY :
330.951 : Situation et conditions économiques – Chine
Couverture : Tour 101 à Taipei, Taïwan, © Marc Dozier/Hemis/Corbis.
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© Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 2014.
Chapitre 3 / LA CHINE ET LE CLIMAT
MUR DE L’ENVIRONNEMENT
ET BRAS DE FER SINO-AMÉRICAIN1
Jean-Paul Maréchal
« La Chine ne bougera pas sans l’Amérique et l’Amérique ne bougera pas
sans la Chine. Ils sont enfermés ensemble. Un accord entre eux est vital pour
sauver le siècle2
Les États-Unis et la Chine sont à la fois les deux premières économies
mondiales et les deux plus importants émetteurs de gaz à effet de serre de la
planète, une réalité que ce chapitre se propose d’examiner tant d’un point de
vue économique qu’en termes de relations internationales. Y sont abordés cer-
tains aspects – logiques (dilemme du prisonnier, etc.) et empiriques – du cadre
décisionnel créé par les rejets de gaz à effet de serre américains et chinois,
produits par deux économies se situant à des stades différents de leur processus
de développement. À la lumière de ce constat, se pose la question de la res-
ponsabilité de cette rivalité Chine/États-Unis dans la difficile progression des
négociations climatiques qui, de Copenhague à Varsovie, s’efforcent d’élaborer
un régime climatique post-Kyoto.
Mots clés :
changement climatique – économie politique internationale –
Chine – États-Unis
1. Ce chapitre a été publié sous une première version dans le dossier « Éco-
nomie politique de l’Asie (1) », Revue de la régulation, 13, premier
semestre 2013, en ligne sur : http://regulation.revues.org/10031
2. Chris Patten, What Next ? Surviving the Twenty-first Century,Londres,
Penguin Books, 2009, p. 379.
G
éant politique depuis sa création en 1949, la République popu-
laire de Chine (RPC) est devenue en un peu plus de trente ans,
à partir de l’accession au pouvoir de Deng Xiaoping en 1978,
un géant économique. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 1971, le
produit intérieur brut (PIB) chinois s’élevait à 127 milliards de dollars,
en 2011 il atteignait 4 195 milliards. Une multiplication par 33 en
quatre décennies donc, qui équivaut à un taux de croissance moyen
annuel légèrement supérieur à 9,1 %. Certes, sur la même période la
population a été multipliée par 1,6, passant de 841 millions à
1,344 milliard. Cela n’en signifie pas moins que le PIB par tête a été
multiplié par 20, soit une progression annuelle de 7,8 % (International
Energy Agency, 2013)3.
De telles tendances maintenues aussi longtemps ont naturellement
bouleversé le visage de ce pays aux dimensions d’un continent. Entre
300 millions et un demi-milliard de Chinois ont été tirés d’une pauvreté
que l’on a peine à imaginer aujourd’hui, tandis que s’est développée
une classe moyenne qui, selon Lu Xueyi, ancien directeur de l’Institut
de sociologie de l’Académie des sciences sociales de Chine, représentait
15 % de la population en 2001, 23 % en 2009 et pourrait s’élever à
40 % d’ici une vingtaine d’années (Li, 2010). Dans le même temps, la
position internationale de la Chine n’a cessé de s’améliorer. Vingtième
économie du monde en 1971, elle parvient à la deuxième place en 2009
(International Energy Agency, 2013). Les Jeux olympiques de Pékin en
2008 et l’Exposition universelle de Shanghai deux ans plus tard
consacrent ce changement de dimension. Les craintes qui avaient pré-
cédé la rétrocession de Hong Kong à la Chine communiste par Margaret
Thatcher en 1997 – rétrocession réalisée dans le mépris le plus total des
droits de la population concernée et seulement huit ans après le mas-
sacre de la place Tiananmen – semblent appartenir à un monde
aujourd’hui disparu, dissoutes dans le fulgurant succès économique de
l’empire du Milieu. Tout se passe comme si la Chine – qui fascinait de
longue date de nombreux intellectuels français de droite comme
d’extrême gauche – était brusquement apparue sur les écrans radar de
tout un chacun et que son écho grossissait à vue d’œil.
3. Les données sont en dollars constants (à leur valeur de 2005).
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CAPITALISMES ASIATIQUES ET PUISSANCE CHINOISE
Reste que ce passage de la vingtième à la deuxième place écono-
mique mondiale en trente ans ne s’est pas fait sans contreparties sur
les plans social et environnemental. La Chine vit, à la fois en accéléré
et de manière paroxystique, des problèmes que les anciennes nations
industrialisées ont rencontrés – et tenté de régler avec plus ou moins
de succès – depuis le milieu du XVIIIesiècle. Au point que, comme
l’écrit Marie-Claire Bergère, « la destruction de l’environnement et
l’aggravation des inégalités sociales engendrées par le rythme accéléré
de la croissance chinoise risquent, à moyen ou même à court terme,
de bloquer cette croissance tant par l’épuisement des ressources natu-
relles que par l’intensification des souffrances sociales » (Bergère,
2013). Ce constat a mis du temps à faire son chemin tant les scintil-
lements des skylines de Pékin, Shanghai ou Hong Kong dissimulent
aux yeux de nombreux observateurs des inégalités sociales et envi-
ronnementales proprement ahurissantes.
Ainsi, le coefficient de Gini4ne cesse d’augmenter et avoisinerait
désormais 0,6 – c’est-à-dire un niveau comparable à celui du Brésil –, ce
qui fait de la Chine l’un des pays les plus inégalitaires du monde (Ibid.,
p. 219-220). On ne reviendra pas ici sur les conditions de vie des salariés
chinois dans des entreprises pourtant aussi connues de Foxconn, pour ne
rien dire des mines où 4 700 ouvriers ont péri en 2006 (Vermander, 2007,
p. 65), ou encore des tristement célèbres « villages du cancer », expression
par laquelle on désigne les bourgs et les villes proches de sites industriels
où sont observés des taux de cancer anormalement élevés. La consom-
mation d’énergie est un bon révélateur de la pression exercée par une
économie sur le milieu, tant en termes de prélèvements (tonnes de
charbon, etc.) que de rejets (tonnes de dioxyde de carbone...). Or,
entre 1971 et 2011, la consommation énergétique chinoise est passée de
392 millions de tonnes équivalent pétrole à 2 727 milliards, soit une
multiplication par 6,9 – inférieure, remarquons-le, à l’augmentation du
PIB. Ce qui, en valeur absolue, signifie qu’en 1971 la consommation
énergétique chinoise représentait 7 % du total mondial, contre 20,7 %
quatre décennies plus tard (International Energy Agency, 2013, p. 80). De
4. Le coefficient de Gini est une mesure de l’inégalité dans la distribution des revenus.
Il peut prendre une valeur comprise entre 0 et 1. Il est égal à 0 si la distribution est
égalitaire et se rapproche de 1 au fur et à mesure que l’inégalité s’accroît.
LaChineetleclimat
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