Dierenartsenwereld Christelle Hage, Anne-Christine Merveille et Stéphanie Claeys Traitement chirurgical d’une persistance de canal artériel chez un chaton de 4 semaines Le canal artériel est un vaisseau fœtal qui connecte l’aorte descendante à l’artère pulmonaire. Il permet de dévier le sang destiné aux poumons alors inutilisés chez le fœtus. Ce canal se ferme normalement très vite après la naissance (dans les 4 à 5 jours post partum). Habituellement, la persistance de canal artériel (patent ductus arteriosus ou PDA) se retrouve chez le chiot mais quelques rares cas sont décrits chez le chaton. La conséquence de cette persistance est une hypertrophie du coeur gauche associée à une surcharge en volume. Une régurgitation s’ensuit car la valve mitrale devient peu à peu défaillante. Dans les cas les plus avancés, un œdème pulmonaire se développe des suites du déficit cardiaque gauche. Le traitement de cette anomalie est la fermeture du canal (de manière invasive ou non invasive). Cas clinique Anamnèse Un chaton femelle de 550 grammes âgé de 4 semaines est présenté à la Clinique Vétérinaire Universitaire pour une suspicion de cardiopathie congénitale. Le chaton présente une forte intolérance à l’effort (phases d’orthopnée), un retard de croissance et un frémissement cataire. Une radiographie thoracique a permis de détecter une cardiomégalie très importante quelques jours avant la présentation du chaton à la Clinique Vétérinaire Universitaire. Examen clinique Le chaton est alerte, il présente une tachypnée modérée (60 mpm) et une fréquence cardiaque régulière de 240 bpm. L’auscultation révèle un souffle systolo-diastolique de grade 5/6 et le pouls fémoral est bondissant. dierenartsenwereld | # 157 | februari 2016 Figure 1 : Illustration du retard de croissance du chaton atteint, à droite sur la photo, à côté d’un chaton de la même portée. 18u Dierenartsenwereld Echocardiographie L’échocardiographie permet de mettre en évidence une dilatation importante des cavités cardiaques gauches. Le tronc pulmonaire apparaît dilaté et des turbulences sont visibles. Un canal artériel de type IIA est visualisé sur la coupe petit axe parasternal gauche (Figure 3). Un flux continu gauche droit est visible au niveau de ce canal (Figure 4). Une quantité importante d’épanchement péricardique (1 cm) associé à un début de tamponade cardiaque est également présent. Diagnostic et plan thérapeutique Une persistance du canal artériel avec décompensation cardiaque gauche débutante est diagnostiquée. Un traitement médical à base de pimobendane 0,3 mg/kg (1 gélule de 0,15 mg deux fois par jour) et de furosémide 1mg/kg (1 gélule de 0,5 mg deux fois par jour) est mis en place jusqu’au jour de la chirurgie. capnographe, un pulsoxymètre, un ECG et un appareil Doppler pour vérifier sa pression artérielle. Un thermomètre oesophagien permet de contrôler sa température en continu et un coussin chauffant est mis en place. Une injection de cefazolin (20 mg/kg IV) est réalisée lors de l’induction de l’anesthésie. Une thoracotomie intercostale est réalisée au niveau du 4 ème espace intercostal gauche. Une fenêtre péricardique est réalisée afin d’évacuer l’épanchement péricardique. Le nerf vague gauche est identifié et rétracté en regard du canal artériel. Celui-ci est alors identifié et disséqué délicatement à l’aide d’un forceps à angle droit. Un double fil de soie 3-0 est passé sous le canal et 2 ligatures simples sont mises en place pour fermer le canal artériel. La thoracotomie est fermée classiquement après évacuation de l’air de la cavité thoracique: points simples intercostaux préplacés (polydioxanone 3-0), surjets musculaire (polyglecaprone 25 3-0), sous-cutané et intradermique (polyglecaprone 25 4-0). Traitement chirurgical et anesthésie Le chaton est placé en décubitus latéral droit et la paroi thoracique gauche est préparée. Une tonte et une asepsie chirurgicale sont réalisées. L’anesthésie utilisée pour l’intervention est la suivante : induction au midazolam 0,2 mg/kg IV, rémifentanil 0,2 μg /kg/ minute en infusion et alfaxolone 1mg/kg IV et maintenance au sévoflurane par inhalation. Le chat est donc intubé et sa respiration est contrôlée. Le monitoring comprend un Figure 3 : Echocardiographie ; coupe transversale par abord gauche. Tronc pulmonaire dilaté par rapport à l’aorte, canal artériel visible sur la droite (flèche). Figure 2: Echocardiographie ; coupe longitudinale 4 cavités par abord droit. Présence d’une quantité importante d’épanchement péricardique (flèche) et d’une dilatation atriale et ventriculaire gauche. dierenartsenwereld | # 157 | februari 2016 Figure 4 : Echocardiographie Doppler : flux systolodiastolique enregistré dans l’artère pulmonaire principale. 20u Dierenartsenwereld Figure 5 : Illustration des étapes chirurgicales après thoracotomie intercostale gauche (images issues de la chirurgie d’un chiot). A, rétraction du nerf vague (flèche du haut) permettant la mise en évidence du canal artériel (entre les 2 instruments, flèche du milieu), nerf phrénique visualisé également (flèche du bas). B, mise en place de 2 fils de soie sous le canal artériel disséqué. C, canal artériel doublement ligaturé. Soins post-opératoires Suivi post-opératoire Le chaton est réveillé et ne présente pas de complications. Il reçoit de la méthadone 0,2 mg/kg IV toutes les 4 heures pour son analgésie ainsi que du pimobendane 0,3 mg/kg per os 2 fois par jour. Il est gardé en observation pendant une nuit et est rendu à ses propriétaires le lendemain. Le traitement à base de pimobendane est poursuivi jusqu’au prochain contrôle mais le furosémide est arrêté. Enfin, 10 jours de repos sont conseillés. Quatre semaines après la chirurgie, le chaton est présenté pour un contrôle. Il est en forme et ne présente plus d’intolérance à l’effort. L’examen clinique est peu remarquable. Il a pris du poids (300 grammes). L’échocardiographie de contrôle révèle une nette amélioration : l’épanchement péricardique a disparu, absence de reflux turbulent visualisé dans l’artère pulmonaire (flux normal), nette réduction de la taille de l’atrium et du ventricule gauches et réduction de la fraction de raccourcissement. Ces deux dernières modifications sont liées à la réduction de la pré-charge et une augmentation de la postcharge suite à la fermeture du canal. Le pimobendane (0,3 mg/kg deux fois par jour per os) est poursuivi et à adapter en fonction du poids du chat. Un nouveau contrôle est prévu dans 6 mois. Un contrôle téléphonique réalisé 12 semaines après l’intervention confirme le bon état général du chaton et l’absence de signes cliniques. Il a bien grandi et pèse 1,62 kg. Discussion La persistance du canal artériel chez le chat est rare. Une étude rétrospective a repris les données médicales de 57 418 chats et a montré que parmi ces individus, 0,14 % présentaient des maladies cardiaques congénitales. La persistance du canal artériel ne représentait que 5% de toutes les pathologies congénitales cardiaques contre 14 % chez le chien (Schrope, 2015). Peu de publications sont d’ailleurs rapportées sur cette pathologie chez le chat ; la plupart concernent l’espèce canine. Figure 6 : Chaton en fin de chirurgie. dierenartsenwereld | # 157 | februari 2016 21u Dierenartsenwereld Cette anomalie entraine une insuffisance cardiaque congestive gauche secondaire à une surcharge en volume du cœur gauche associée ou non à une hypertension pulmonaire. Dans les cas les plus avancés, une décompensation cardiaque se met alors en place, avec un souffle de grade 4/6 ou plus, audible à l’auscultation lors de l’examen clinique (Hutton et al., 2015). Dans notre cas, l’insuffisance cardiaque congestive se manifestait principalement par une tachypnée et la présence d’un épanchement péricardique. L’épanchement péricardique est un signe classique de décompensation cardiaque gauche chez le chat. Selon Hutton (2015), le souffle est détecté plus précocement dans l’espèce féline que dans l’espèce canine. En effet, les 28 chats vus dans cette étude rétrospective avaient moins de un an lors de la détection d’un souffle cardiaque alors que d’autres études concernant l’espèce canine décrivent qu’environ un tiers des chiens sont diagnostiqués après l’âge d’un an. Afin d’éviter le développement d’une décompensation cardiaque et d’une hypertension artérielle pulmonaire, il est nécessaire de traiter en fermant le canal. Deux types de procédures sont décrites chez le chat : la ligature du canal artériel via une thoracotomie comme réalisée ici (méthode extravasculaire invasive) et l’embolisation d’une spirale via l’artère fémorale ou l’artère carotide pour créer une occlusion du canal (méthode intravasculaire moins invasive) (Fossum, 2013). En cas de non fermeture du canal, un traitement médical peut être initié mais la plupart des chats développeront des symptômes relatifs à la persistance du canal artériel et décéderont de cette pathologie (Hutton, 2015). Une étude rétrospective portant sur 98 chiens souffrant de persistance de canal artériel rapporte 90 % de traitement par fermeture réalisés contre 6% de traitement médical et 4% d’absence de traitement (Van Israël et al., 2002). Les principales complications rencontrées sont les suivantes : rupture du canal (dans 6 à 15 % des cas), reformation du shunt et flux résiduel (Fossum, 2013), embolisation pulmonaire des spirales, saignement au niveau du site de cathétérisme. L’étude de Van Israël et al. (2002) a permis de donner un taux de flux résiduel de 43 % en post-opératoire avec une tendance plus importante pour les fermetures par spirale par rapport à la ligature chirurgicale. Elle a également permis de montrer qu’il n’y a pas de différence significative entre les deux types de procédure en termes de complications et de taux de survie (95% un mois après la chirurgie). Une complication en particulier est rapportée dans plusieurs articles (Van Israël et al., 2002 ; Hutton et al., 2015 ; Adamovich-Rippe et al., 2015). Il s’agit du développement d’une paralysie laryngée liée à un trauma du nerf laryngé récurrent gauche (dont l’origine est le nerf vague gauche) lors de l’intervention (méthode invasive par ligature du canal). Il en résulte une absence de mobilité du cartilage aryténoïde gauche. Une laryngoscopie n’a pas été réalisée en post-opératoire dans notre cas mais aucun signe clinique de paralysie laryngée n’a été observé. Quelques rapports de cas félins ont décrit une présentation similaire à notre chaton (retard de croissance, intolérance à l’effort, souffle cardiaque à l’auscultation) et le diagnostic s’est dans tous les cas fait par radiographie et échocardiographie. Une thoracotomie pour ligaturer le canal a été réalisée sur chacun d’eux. La méthode par embolisation n’était techniquement pas envisageable vu le faible poids des sujets (Summerfield et al., 2005 ; NovoMatos et al., 2014 ; Aoki et al., 2013 ; Adamovich-Rippe et al., 2013). Le pronostic chez le chat après fermeture du canal artériel est bon. Cependant, selon Hutton et al. (2015), le taux de survie chez le chat n’atteint pas celui du chien. On parle de 94% de succès après fermeture par ligature chez le chien (taux de mortalité de 5,6%). Cette étude sur un faible nombre de chats révélait un taux de mortalité de 13% en peropératoire. La petite dierenartsenwereld | # 157 | februari 2016 22p taille des sujets a été pointée, rendant l’intervention (ligature ou embolisation) plus difficile à réaliser. Chez le chien, un canal artériel non traité résulte en une insuffisance cardiaque congestive dans l’année suivant sa détection et est associé à un taux de mortalité de 64 % (Hutton et al., 2015). Conclusion La persistance de canal artériel est peu fréquente chez le chat. Le retard de croissance observé, l’intolérance à l’effort rapportée et le souffle cardiaque détecté à l’auscultation peuvent aiguiller le vétérinaire généraliste vers ce type d’anomalie congénitale. Le diagnostic est ensuite posé par échocardiographie. La fermeture chirurgicale précoce du canal artériel a été réalisée avec succès chez ce chaton. Bibliographie - SCHROPE D.P., Prevalence of congenital heart disease in 76 301 mixed-bread dogs and 57 025 mixed-breed cats, J. Vet. Card., 2015, 17,192202. - HUTTON J.E., STEFFEY M.A., RUNGE J.J., McCLARAN J.K., SILVERMAN S.J., KASS P.H. Surgical and nonsurgical management of patent ductus arteriorus in cats : 28 cases (1991-2012). J. A. Vet. Med. A., 2015, 247 (3), 278-285. - WELCH FOSSUM T., Small Animal Surgery, Fourth edition, Elsevier : Missouri, 2013, 1775p. - SUMMERFIELD N. 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