Nostra Aetate - Diocèse d`Evry

publicité
 1
Nostra Aetate La rédaction Au début du Concile, personne n’est en mesure d’imaginer une déclaration conciliaire spécifique sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes. Le contexte Au début du Concile, les religions non chrétiennes ne préoccupent guère les évêques et les organismes qui y travaillent. Aucun évêque d’Europe ou d’Amérique n’aborde la question. Quant aux évêques de « pays de mission », ils évoquent largement les problèmes missionnaires, mais très peu les religions non chrétiennes en tant que religions. Les évêques des Églises orientales qui sont confrontées de manière quotidienne aux autres religions, restent également silencieux sur la question. Par contre, la volonté d’ouverture de Paul VI a largement contribué à la déclaration Nostra Aetate et aux incises sur les autres religions dans Lumen Gentium et Ad Gentes. ‐
‐
‐
‐
‐
Son voyage en Terre Sainte en janvier 1964 a été un moment important avec notamment son message de paix adressé de Bethléem pour les chrétiens et le monde où il s’adresse explicitement à ceux qui professent le monothéisme. Dans son message de Pâques radiodiffusé au monde le 29 mars 1964, il déclare : « Toute religion possède un rayon de lumière que nous ne devons ni mépriser, ni éteindre, même s’il ne suffit pas à donner à l’homme la clarté dont il a besoin, ni à réaliser le miracle de la lumière chrétienne en qui se rejoignent la vérité et la vie. Mais toute religion nous élève vers l’Être transcendant, unique raison d’être de l’existence, de la pensée et de l’action responsable, de l’espérance sans illusion. Toute religion est une aube de foi, et nous nous attendons à ce qu’elle s’épanouisse en aurore et dans la radieuse splendeur de la sagesse 1
chrétienne. » 2
Toujours en 1964, en lien avec les discussions du concile, il décide la création d’un Secrétariat pour les Non‐chrétiens . Trois mois plus tard il publie l’encyclique Ecclesiam Suam où il invite à « reconnaître avec respect les valeurs spirituelles et morales des différentes confessions religieuses non chrétiennes » et avec elles à « promouvoir et défendre les idéaux que nous pouvons avoir en commun dans le domaine de la liberté religieuse, de la fraternité humaine, de la saine culture, de la 3
bienfaisance sociale et de l’ordre civil ». En décembre 1964, Paul VI se rend en Inde et s’entretient avec des représentants des différentes religions de l’Inde, allant 4
jusqu’à utiliser pour prier une parole tirée de livres sacrés hindous . Comme le reconnaît Paul VI lui‐même dans ses discours prononcés à propos de l’ouverture du secrétariat pour les non‐chrétiens, il y a, à cette période, une saine émulation entre ces 5
différents actes pontificaux et la réflexion des pères conciliaires . Finalement, les religions non chrétiennes sont évoquées plusieurs fois dans les textes du concile, principalement dans la déclaration Nostra Aetate sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, mais aussi dans la constitution sur l’Église, Lumen Gentium, ainsi que dans le décret sur l’activité missionnaire de l’Église, Ad gentes. Des expressions de ces documents sont également reprises dans Gaudium et Spes. Trois étapes dans la rédaction ‐ En 1961, Jean XXIII, qui avait été, lors de son ministère au Vicariat Apostolique d’Istanbul, spécialement sensible à la tragédie du peuple juif pendant la seconde guerre mondiale, demande au Cardinal Bea de préparer un bref Decretum de Judaeis qui serait ajouté au décret sur l’œcuménisme, en vue d’instaurer un nouveau climat de confiance entre chrétiens et juifs. ‐ La présentation de ce texte en novembre 63 amène beaucoup de questions, tant sur le regard porté par l’Église sur les juifs, que sur l’opportunité politique d’un tel document, au moment où les tensions ne cessent de s’accroître entre l’État d’Israël et les pays arabes6. Les évêques du monde arabe font remarquer qu’un tel décret doit être séparé du document sur 1
Message de Pâques radiodiffusé au Monde, Insegnamenti 1964 II, p. 282 Gi 192.
Lettre Apostolique Progrediente Concilio du 19 mai 1964 : « Le déroulement du deuxième concile du Vatican a
montré l’utilité de créer un organisme spécial ou secrétariat dont la tâche serait d’atteindre pour leur bien ceux
qui sont étrangers à la religion chrétienne (…). Cette ardeur de la divine charité doit presser l’Église qui
poursuit l’œuvre du Christ, principalement à notre époque où s’établissent de multiples relations entre les
hommes de toute race, de toute langue et de toute religion ».
3
Ecclesiam Suam n°112 (1964), Gi 134.
4
« Rarement, cette attente de Dieu a été exprimée avec des paroles aussi pleines de l’esprit de l’Avent que celles
écrites dans vos livres sacrés, de nombreux siècles avant le Christ : « De l’irréel, conduis-moi au réel ; de
l’obscurité, conduis-moi à la lumière ; de la mort, conduis-moi à l’immortalité » » in Insegnamenti II 1964, p.
965, Gi n°199.
5
Lettre Apostolique Progrediente Concilio du 19 mai 1964 ; Allocution aux fidèles en la solennité de la
Pentecôte le 17 mai 1964, Insegnamenti II 1964, p.481-482, Gi 194-195 ; Discours au Collège Cardinalice du 23
juin 1964, Insegnamenti II 1964, p.577, Gi 196.
6
Cf. Ricardo BURIGANA et Giovanni TURBANTI, in Giuseppe ALBERIGO, Histoire du concile Vatican II, vol. IV :
2
2
l’œcuménisme et que si on aborde une religion non‐chrétienne, il faut toutes les aborder, notamment l’islam. ‐ Ce n’est qu’à la quatrième session du concile, en 1964, que la déclaration, dans sa forme actuelle, s’est élaborée, avec 7
l’aide des experts sur les religions non chrétiennes . Au même moment, la constitution Lumen Gentium sur l’Église était promulguée (21 novembre) et le décret Ad Gentes sur l’Activité missionnaire était bien avancé. Il n’est donc pas étonnant qu’il y ait une profonde unité entre les § 16 et 17 de Lumen Gentium sur les non‐chrétiens et le caractère missionnaire de l’Église, les quelques affirmations de Ad Gentes sur les religions non chrétiennes (aux §3.9.11) et la déclaration Nostra Aetate. Lumen Gentium et Ad Gentes ne consacrant que peu de lignes aux religions non chrétiennes, n’ont pas cherché à caractériser les différentes religions (Lumen Gentium cite le judaïsme et l’islam de manière très rapide et regroupe en une phrase les autres religions). La perspective était triple : ‐
‐
‐
8
réaffirmer la possibilité de salut des personnes se situant en dehors de l’Église , souligner les valeurs authentiques qui existent chez les non‐chrétiens et dans leur tradition religieuse ; et bien sûr, donner une appréciation de ces valeurs par l’Église. Quant à Nostra Aetate, la perspective des pères n’était pas d’élaborer une réflexion dogmatique sur les religions, mais de faire une déclaration, dans une perspective volontairement positive, pour « favoriser et faire grandir la paix, l’unité et la 9
concorde entre les hommes et les nations » . L’accent est volontairement mis sur « ce que les hommes ont en commun et qui les pousse à vivre ensemble leur destinée » (§1) et non sur ce qui divise. En jouant sur les mots, on peut dire qu’il y a une attention théologique dans l’élaboration et la rédaction de la déclaration, mais il n’y a pas l’intention théologique d’élaborer une doctrine complète sur les liens qui existent entre la foi chrétienne et les autres religions. D’autres documents conciliaires font aussi allusion aux religions non chrétiennes de manière implicite (DH 2‐4, GS 22,5.73.75) ou explicite (DV 25, AA 27). Les débats théologiques discutés pendant le concile à propos de NA :
Considérations générales
‐
‐
‐
La plupart des débats de fond à propos de la déclaration n’étaient pas théologiques, mais portaient davantage sur l’opportunité de
nommer certaines religions plutôt que d’autres ou sur la manière d’évoquer la responsabilité des juifs dans la mort du Christ...
Néanmoins, des opposants irréductibles à la déclaration l’ont fait savoir jusqu’au bout : d’une part des évêques opposés à toute
ouverture de l’Église à des religions non chrétiennes (en particulier le judaïsme), d’autre part des évêques orientaux qui
considéraient que le texte pouvait être interprété comme une position pro-israélienne, enfin quelques évêques qui n’avaient pas
accepté que l’on retire du texte la mention de la culpabilité du peuple juif dans la mort de Jésus et la notion de déicide.
Trois jours avant le vote final, un groupe d’évêques a fait passer un document invitant à condamner sans appel la déclaration10, à
cause d’une opposition aux présupposés mêmes du schéma : l’idée d’un dialogue avec les religions non chrétiennes s’oppose,
selon eux, au devoir « d’annoncer le vérité du Christ ». La recherche d’un « dénominateur commun » ou d’un « terrain
d’entente » est théologiquement injustifiable : comment peut-on laisser sous-entendre qu’il y aurait des éléments communs entre
la Trinité et des « éléments de la mythologie hindouiste » ? Finalement, pour ce groupe d’évêques, « la déclaration atténue les
différences entre le christianisme et les autres religions, ce qui d’une part retarde la conversion des peuples et d’autre part éteint
et affaiblit l’élan vers les vocations missionnaires »11 .
L’Église en tant que communion, ch. 7 : La dernière intersession, Cerf, Paris, 2003, pp. 664-680.
7
Cf. G.M.-M. COTTIER, « L’historique de la déclaration » in A.-M. HENRY (dir), Les relations de l’Église avec
les religions non chrétiennes, coll. Unam Sanctam n°61, Cerf, Paris, 1966, pp. 37-78., voir aussi la chronologie
pp. 285-286. Voir également Maurice BORRMANS, « L’émergence de la déclaration Nostra Aetate au Concile
Vatican II », Islamochristiana n°32, Pisai, Roma, 2006, pp. 9-28.
8 Lumen Gentium 16 considère que dans l’ensemble des religions, « ceux qui cherchent pourtant Dieu d’un cœur sincère et s’efforcent, sous l’influence de sa grâce, d’agir de façon à accomplir sa volonté telle que leur conscience la leur révèle et la leur dicte, ceux‐là peuvent arriver au salut éternel ». De même, ceux qui « sans faute de leur part, ne sont pas encore parvenus à une connaissance expresse de Dieu, mais travaillent, non sans la grâce divine, à avoir une vie droite, la divine Providence ne refuse pas les secours nécessaires à leur salut ». Dieu, par sa grâce peut leur donner le salut en les associant au mystère pascal « d’une façon que Dieu connaît » (GS 22,5) 9
C’est en ces termes que le Cardinal Bea, chargé d’élaborer le texte, invite les pères à accepter sa proposition de
supprimer dans la déclaration la mention du déicide. Cf. G.M.-M. COTTIER, « L’historique de la déclaration » op.
cit. P 77.
10
Cf. Mauro VELATTI, in Giuseppe ALBERIGO, Histoire du concile Vatican II, vol. V: Concile de Transition, ch.
2 : L’achèvement de l’ordre du jour conciliaire, Cerf, Paris, 2005, pp. 264-274. Le document intitulé
Suggestiones circa suffragationes mox faciendas de Schemate : « De ecclesiae habitudine ad religiones non
christianas », était précédée d’une lettre d’accompagnement signée de trois évêques : G. de Provença Sigaud, M.
Lefebvre et L.M. Carli.
11
Ibid. p. 267.
3
Considérations particulières :
La manière de parler des différentes religions a souvent été également l’occasion de désaccords qui laissent apparaître des
divergences de fond sur le regard que les chrétiens doivent porter sur les autres religions. Robert Caspar note ainsi que le
groupe des théologiens chargés d’élaborer les textes sur l’islam12 révèle deux tendances dans la manière de situer l’islam dans
l’histoire du salut. Ces deux tendances se retrouvent, selon lui, de manière plus globale, au niveau de la théologie des
religions non chrétiennes :
‐
‐
« Certains sont plus sensibles aux éléments communs et font de l’Islam un rameau de la tradition biblique. On parlera alors de
l’Islam comme un schisme pré-biblique, d’une hérésie abrahamique, d’une hérésie du judaïsme post-christique ou même d’une
hérésie chrétienne.
D’autres, plus sensibles aux différences et à l’originalité de la lignée biblique, admettent difficilement que l’islam en soit une
dérivation. Il se serait constitué de l’extérieur, en contact certes avec le judaïsme et le christianisme, en leur empruntant de
nombreux traits, mais sans y être vraiment insérés. L’islam serait le fruit d’un effort humain, avec ou sans la grâce divine ; il
serait une « religion naturelle » ou une secte du genre des sectes judéo-chrétiennes des premiers siècles ».
Le texte de Nostra Aetate
Le préambule de Nostra Aetate (NA1)
•L’unité du genre humain Ce point de départ de la réflexion sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes est dit d’une autre manière par Lumen Gentium 16 : « Dieu lui‐même n’est pas loin d’eux non plus, puisqu’il donne à tous la vie, le souffle et toutes choses et que le sauveur veut le salut de tous les hommes. » Cette unité se retrouve également mentionnée au terme de la déclaration Nostra Aetate qui invite à construire une fraternité universelle. C’est donc un élément essentiel dans le regard que porte l’Église sur la démarche religieuse des 13
membres d’autres religions •La tâche de l’Eglise: promotion de l’unité et de la charité entre tous les hommes •Regarder ce que les hommes ont en commun pour vivre ensemble •La base de ces relations: l’unité de la communauté humaine et les questions existentielles communes Les diverses religions non chrétiennes (NA2) Le fait d’aborder nommément les religions a été assez discuté durant le concile14. Cependant, une fois que cela était décidé, les critères de choix pour savoir de quelle religion il fallait explicitement parler et de quelle manière on pouvait le faire n’étaient pas évidents. Le schéma adopté pour Nostra Aetate15 fonctionne par cercles concentriques inverses de ceux de Lumen Gentium 16 : il part d’un cercle large qui englobe l’ensemble des religions, distingue ensuite les religions « liées aux progrès de la culture », c’est‐à‐dire les religions qui ont une littérature religieuse et qui disent quelque chose d’elles‐mêmes. Sont citées parmi ces religions : l’hindouisme et le bouddhisme. La déclaration consacre ensuite un paragraphe à l’islam, puis un paragraphe plus long au judaïsme. Cela signifie que ce qui est dit dans le premier cercle à propos de l’attitude religieuse des religions non chrétiennes en général concerne aussi les cercles plus restreints. Le schéma n’est évidemment pas sans ambiguïté, car il sous‐entend un rapport de proximité avec le Christianisme qui va grandissant depuis les religions traditionnelles jusqu’au judaïsme, ce qui est assez discutable et qui a été d’ailleurs 12
Essentiellement des Pères Blancs de l’Institut Pontifical d’Études Orientales de Tunisie (depuis transféré à
Rome) et des dominicains de l’Institut Dominicain d’Études Orientales du Caire. Cf. R. CASPAR, « La religion
musulmane », op. cit., p. 214.
13
Ce sera d’ailleurs l’élément théologique déterminant pour justifier théologiquement ce qui s’est passé à la
rencontre d’Assise en 1986, lorsque les représentants des différentes religions étaient ensemble pour prier. Dans
le discours à la Curie du 22 décembre 1986, Jean-Paul II rappelait que « En cette Journée, en effet, et dans la
prière qui en était le motif et l’unique contenu, semblait s’exprimer pour un instant, même de manière visible,
l’unité cachée mais radicale que le Verbe divin, «dans lequel tout a été créé et dans lequel tout subsiste» (Col 1,
16; Jn 1, 3), a établie entre les hommes et les femmes de ce monde, ceux qui maintenant partagent ensemble les
angoisses et les joies de cette fin du XXe siècle, mais aussi ceux qui nous ont précédés et ceux qui prendront
notre place ‘jusqu’à ce que vienne le Seigneur’ ».
14
Les pères du Concile ont bien conscience des risques de nommer les différentes religions ; que ce soit le risque
de récupération politique dans la région du Moyen-Orient ou le risque d’une réduction essentialiste (d’une part,
la perception chrétienne de l’autre semble réductible à ce qu’on en dit, et d’autre part, les religions ne sont pas
prises en compte dans leur évolution permanente, dans leur interaction constante avec d’autres religions et
d’autres cultures).
15
Pour simplifier la compréhension, j’utilise le nom usuel par lequel on désigne la déclaration, à savoir les deux
premiers mots latins de la déclaration. En réalité, le nom et l’objet et le statut de la déclaration ont changé
plusieurs fois pendant le concile : « Decretum de judaeis ou pro judaeis », « Du rapport des catholiques aux nonchrétiens et principalement aux juifs » (qui était le ch IV du décret du l’œcuménisme) , « Déclaration sur les juifs
et les non-chrétiens », puis finalement : « Déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non
chrétiennes ».
4
contesté par plusieurs pères pendant le concile16. Le but visé n’est plus de donner des éléments qui permettent d’affirmer une possibilité de salut, mais de repérer les éléments qui dans ces religions peuvent favoriser une meilleure entente entre les membres des différentes religions et permettre un dialogue et une collaboration (§2). Ce sont donc volontairement des éléments positifs et analogues qui sont soulignés. Les diverses religions non chrétiennes (NA2)
Ce qui est dit dans le premier cercle concerne donc l’ensemble des religions non chrétiennes et vise notamment les religions traditionnelles17 : ‐ « une certaine sensibilité à cette force cachée qui est présente au cours des choses et aux événements de la vie humaine », ‐ « parfois une reconnaissance de la Divinité suprême, ou encore du Père », ‐ « un profond sens religieux ». Pour les religions « liées au progrès de la culture » il est dit de manière générale : ‐ « elles s’efforcent d’aller, de façons diverses, au‐devant de l’inquiétude du cœur humain en proposant des voies, c’est‐à‐dire des doctrines, des règles de vie et des rites sacrés ». Des précisions sont données pour l’hindouisme : ‐ « Les hommes scrutent le mystère divin et l’expriment par la fécondité inépuisable des mythes et par les efforts pénétrants de la philosophie ; ils cherchent la libération des angoisses de notre condition, soit par les formes ascétiques, soit par la méditation profonde, soit par le refuge en Dieu avec amour et confiance. » et pour le bouddhisme : ‐ « Selon ses formes variées, l’insuffisance radicale de ce monde changeant est reconnue et on enseigne une voie par laquelle les hommes, avec un cœur dévot et confiant, pourront acquérir l’état de libération parfaite, soit atteindre l’illumination suprême par leurs propres efforts ou par un secours venu d’en‐haut ». La religion musulmane (NA3)
En ce qui concerne l’islam, le concile développe davantage de points sur lesquels pourrait s’appuyer le dialogue : ‐ Le culte rendu au Dieu unique : « Ils adorent le Dieu un, vivant et subsistant, miséricordieux et tout‐puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes ». Le fait de reconnaître qu’il a parlé aux hommes distingue l’islam de tous les théismes. Il y a une révélation dans l’islam. Cette affirmation ne comporte aucun jugement de valeur, positif ou négatif, sur l’authenticité de cette déclaration, mais dit quelque chose de l’objet de foi dans l’islam : un Dieu qui se révèle18. ‐ L’attitude de remise de soi à Dieu : « Ils cherchent à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s’ils sont cachés, comme s’est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi islamique se réfère volontiers. » Abraham n’est pas cité ici avec l’idée de souligner une lignée commune, mais comme modèle de foi donné par les musulmans eux‐mêmes. 16
La question est de savoir quel est le critère de proximité : est-ce le fait de pouvoir nommer dans les autres
religions des éléments qui seraient analogues aux nôtres, est-ce le fait d’avoir des Écritures qui font références
aux mêmes prophètes, est-ce la capacité d’ouverture au christianisme ? Au moment des discussions pour savoir
quelles religions la déclaration devait nommément aborder, le cardinal Ruffini déclare : « Il faudrait signaler les
autres grandes religions non chrétiennes, en même temps que la religion musulmane, ou sinon parler de toutes
en général sans en nommer aucune, car les musulmans ne sont pas plus proches de nous que les hindous ou les
bouddhistes ». Mrg Gahamanyi estime que : « la Déclaration est trop louangeuse pour les juifs et les
musulmans. Le Judaïsme et l’Islam sont des doctrines fermées au Christianisme, bien qu’ils présentent avec lui
des éléments communs. Il y a d’autres éléments communs entre le christianisme et d’autres religions non
chrétiennes, parmi lesquelles l’Animisme, qui est plus ouvert au Christianisme que le Judaïsme ou l’Islam ».
(DC n°1435, col 1380.1389, cité par H. MAURIER, in A.-M. HENRY (dir), Les relations de l’Église avec les
religions non chrétiennes, op. cit., p. 125 en note.).
17
Le fait de les opposer aux « religions liées au progrès de la culture » (§2) n’est pas jugée très heureuse par les
chrétiens engagés auprès des religions traditionnelles asiatiques ou africaines, car d’une part la déclaration
semble opposer des manières radicalement différentes de vivre la démarche religieuse, ce qui n’est pas le cas (le
rapport à la transcendance, aux mythes et aux rites est tout aussi fort dans une religion traditionnelle) ; d’autre
part elle peut sous-entendre une minimisation des cultures orales et en déduire une sous-évolution de leurs
religions. Dans le commentaire de la déclaration (A.-M. HENRY (dir), Les relations de l’Eglise avec les religions
non chrétiennes, op. cit.), le P. Dournes, missionnaire auprès des Jörai en Asie, et le P. Maurier, missionnaire en
Afrique, vont tous les deux dans ce sens.
18
230 pères avaient proposé un modus pour LG 16 dans lequel était inséré « il a parlé aux hommes par des
prophètes », mais celui-ci a été refusé par la commission théologique, parce qu’il pouvait laisser croire que les
pères reconnaissait que Dieu avait parlé par Mohammed. (Cf. R CASPAR in (A.-M. HENRY (dir), Les relations de
l’Église avec les religions non chrétiennes, op. cit., p. 218).
5
‐ La place de Jésus et Marie dans l’islam : « Bien qu’ils ne reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent comme prophète ; ils honorent sa Mère virginale, Marie, et parfois même l’invoquent avec piété ». ‐ La dimension eschatologique de la foi musulmane : « De plus, ils attendent le jour du jugement, où Dieu rétribuera tous les hommes ressuscités ». ‐ La vie morale et le culte : « Aussi ont‐ils en estime la vie morale19 et rendent‐ils un culte à Dieu, surtout par la prière, l’aumône et le jeûne ». Lumen Gentium insiste sur les mêmes aspects, de manière moins développée : ils « reconnaissent le Créateur, » ils « professent avoir la foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, miséricordieux, futur juge des hommes au dernier jour » (LG 16). La religion juive (NA4)
Le projet initial qui a donné naissance à la déclaration était de faire mention du peuple juif. De plus, le judaïsme a une place toute spéciale par rapport à la foi chrétienne, puisque le Christianisme en est issu. C’est pour cela que Nostra Aetate lui consacre un long paragraphe, essentiellement construit, comme celui de Lumen Gentium, à partir de citations des lettres de Paul. ‐ L’Église reconnaît que les prémices de sa foi et de son élection se trouvent, selon le mystère divin du salut, dans les patriarches, Moïse et les prophètes. ‐ Elle confesse que tous les fidèles du Christ, fils d’Abraham selon la foi, sont inclus dans la vocation de ce patriarche (Cf. Gal 3, 7). ‐ Elle confesse que son salut est mystérieusement préfiguré dans la sortie du peuple élu hors de la terre de servitude. ‐ Elle ne peut oublier qu’elle a reçu la révélation de l’Ancien Testament par ce peuple avec lequel Dieu, dans sa miséricorde indicible, a daigné conclure l’antique Alliance. ‐ Elle confesse qu’elle se nourrit de la racine de l’olivier franc sur lequel ont été greffés les rameaux de l’olivier sauvage que sont les gentils (Cf. Rm 11, 17‐24). ‐ Elle n’oublie pas ce que Paul disait du peuple d’Israël « à qui appartiennent l’adoption filiale, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses et les patriarches, et de qui est né, selon la chair, le Christ » (Rm 9, 4‐5). ‐ Elle n’oublie pas que Jésus, comme sa mère, était juif. LG 16 évoque les mêmes aspects de manière plus succincte : « ce peuple qui reçut les alliances et les promesses, et dont le Christ est issu selon la chair (cf. Rm 9,4‐5), peuple très aimé du point de vue de l’élection, à cause des pères, car Dieu ne regrette rien de ses dons ni de son appel » (cf. Rm 11,28‐29). La fraternité universelle excluant toute discrimination NA5 :
•La relation de l’homme à Dieu le Père et la relation de l’homme à ses frères humains sont indissociables •La dignité humaine •Réprobation de toute discrimination et l’exhortation à vivre dans la paix. ‐ Le concile ne cherchait pas à définir un « regard chrétien » sur les autres religions, mais − En ce qui concerne Lumen Gentium, à donner quelques éléments sur lesquels on pouvait s’appuyer pour soutenir que des membres de religions non chrétiennes pouvaient recevoir le salut. − En ce qui concerne Nostra Aetate, à rappeler, dans le cadre d’une déclaration, des éléments communs entre le christianisme et les autres religions, susceptibles de favoriser une meilleure unité entre les hommes. Ces objectifs ont orienté le Concile à porter un regard volontairement positif sur les autres religions. Nostra Aetate appelle explicitement à une conversion du regard et des attitudes. Ad Gentes précise de manière plus explicite que Dieu peut se révéler dans le secret des âmes, mais aussi à travers des « initiatives religieuses » (AG 3) ; qu’il y a des éléments positifs « de vérité et de grâce » dans « des rites particuliers » et des pratiques de « civilisations particulières » (AG 9). Là encore, il ne s’agit pas d’un regard généralisable à l’ensemble des religions non chrétiennes, mais de la reconnaissance d’une possibilité que les religions non chrétiennes contiennent des éléments de grâce. 19
Un premier texte était plus explicite : « Ils s’efforcent aussi de mener, en obéissance à Dieu, une vie morale,
aussi bien individuelle que familiale et sociale ». Mais beaucoup de pères s’y sont opposés à cause de la licéité
de la polygamie et du code familial en vigueur dans beaucoup de pays musulmans. (Cf. R CASPAR ibid., p. 226227).
6
Points forts et limites de Nostra Aetate
Points forts
Avant de souligner ses limites, il convient de rappeler son originalité et sa force, dans le contexte du concile : ‐
première déclaration d’un concile qui traite ouvertement des relations entre l’Église catholique et les autres religions ‐
Le point de départ est : o
Les religions ne sont pas d’abord vues sous l’angle de leurs lacunes par rapport à la foi chrétienne (comme des hérésies), mais sous l’angle de leur portée positive. o
Qu’un dialogue entre les religions est possible et fécond. o
Que les chrétiens doivent entrer dans une nouvelle ère de dialogue en oubliant les conflits du passé o
La conviction qu’il est possible de bâtir quelque chose en commun pour une vie fraternelle et pacifique o
Ceci n’est pas à détacher de deux convictions qui se trouvent dans d’autres constitutions : ƒ
il est possible aux personnes d’autres religions d’être sauvées ƒ
La liberté religieuse est à la base de la dignité de l’homme (Dignitatis Humane) ‐ NA a ouvert un champ de recherche dans lequel se sont engouffrés tous les théologiens post‐conciliaires et a eu d’énormes fécondités, y compris dans l’enseignement officiel de l’Église catholique. Ses limites :
Ce n’est pas une critique du texte en lui‐même, mais plutôt ce qui, quarante cinq ans après, semblerait des éléments indispensables si l’on voulait faire le point sur les relations entre l’Église catholique et les différentes religions. Limites internes
‐
Ce n’est pas un texte théologique : il ne cherche pas à développer le « comment », c’est à dire le rapport entre la foi des chrétiens et les autres religions. Le travail est laissé aux théologiens. De ce point de vue, la « vérité » et la « sainteté » des religions ne sont pas définies. D’où partent‐elles ? D’une notion abstraite ou des œuvres produites par ces religions ? ‐
C’est un texte volontairement limité : il cherche à voir les points communs et positifs (on n’aborde pas les points négatifs) qui pourraient servir de base à la construction d’une société fraternelle et pacifique et ne prétend pas faire un panorama complet des relations entre l’Église et les autres religions. ‐
Il y a tout ce qui n’est pas dit : ‐
o
On ne dit pas quelles sont ces valeurs positives présentes dans les autres religions, ces « rayons de la vérité ». Cela comporte un gros risque : y voir seulement une possibilité abstraite mais ne pas concrètement s’atteler à regarder positivement ce que l’autre vit dans sa foi. o
On ne dit pas que l’Église est débitrice de l’humanité dans ce qui la constitue o
On ne dit pas que l’Église doit continuer à recevoir de l’humanité en général et des autres religions en particulier des richesses qui continueront de la faire grandir Il y a deux tendances sous‐jacentes au regard des évêques et à leurs experts théologiens de l’époque : o
Une tendance, représentée en France par Jean Danielou et Henri de Lubac part du contenu de la foi et insiste davantage sur les valeurs positives des religions qui proviennent de l’alliance passée entre Dieu et Noé avec l’humanité et qui implicitement proviennent du Christ : ce sont des semences du Verbe, des rayons de la vérité… mais l’accent est ici trop exclusivement sur la foi comme un « énoncé dogmatique », contrairement à l’élargissement opéré par l’ensemble du concile sur le concept de foi. o
Une tendance représentée par l’Allemand Karl Rahner qui insiste davantage sur la démarche existentielle de foi commune à tout homme qui est une grâce donnée par Dieu, avec le risque d’une dissémination de la spécificité de la révélation faite en Jésus‐Christ. En fait ces deux tendances sont complémentaires et doivent permettre d’éviter à la fois la tentation de réduire l’autre à soi ou bien de tout relativiser. Mais à l’époque c’est encore trop neuf pour que la complémentarité porte tous ses fruits. 7
Limites externes
‐
Le point de vue extrêmement limité sur les religions abordées. ‐
Les religions sont abordées d’abord comme religions non chrétiennes et non pour ce qu’elles sont. Il faudra attendre 1988 pour que le « Secrétariat pour les non chrétiens » devienne le Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux ‐
Les religions ne sont pas abordées dans leur spécificité mais sous l’angle de leur point commun avec les chrétiens et avec une approche et un vocabulaire chrétien : ‐
o
par exemple aucune allusion n’est faite au Coran dans NA3 o
dans NA4, on utilise la terminologie Ancien/Nouveau Testament ce qui d’une part est légitime étant donné que c’est le vocabulaire usuel de la plupart des catholiques, mais d’autre part vient comme relativiser la reconnaissance du statut de la religion juive. Une ambigüité demeure sur la manière d’accueillir les références communes : faut‐il simplement constater et se réjouir de ces références communes, puis partir de là pour comprendre les autres ? Ou bien faut‐il partir de la diversité des interprétations pour reconnaître la spécificité des autres et enrichir notre patrimoine chrétien ? Par exemple, la référence aux patriarches et particulièrement à Abraham pour l’Islam et le judaïsme laisse une ambigüité sur l’utilisation de ses figures. Les chrétiens doivent‐ils prendre nécessairement comme référence de compréhension des autres la typologie chrétienne ou doivent‐ils au contraire, enrichir leur typologie des interprétations juives, puis musulmanes d’Abraham et des patriarches ? Henri de la Hougue Théologien, islamologue à l'Institut Catholique de Paris Intervention du 6 décembre 2009 – Savigny‐sur‐Orge (91) 
Téléchargement