Les auteurs Régulation des gènes de virulence par la phase de

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Régulation des gènes de virulence par la phase de croissance
chez les bactéries à Gram négatif
Thomas Lautier et William Nasser
Unité de Microbiologie et Génétique composante INSA, UMR CNRS-INSA-UCB 5122
Domaine scientifique de la Doua
Bâtiment A. Lwoff
10 rue R. Dubois, 69622 Villeurbanne cedex
Les auteurs
Thomas Lautier, 25 ans, est en première de thèse à l’INSA de Lyon. Son travail porte sur le contrôle de l’expression de gènes de virulence par la phase de croissance chez la bactérie phytopathogène Erwinia chrysanthemi. Cette thèse est réalisée sous la direction de William Nasser au sein de l’équipe « Fonctions de virulence, le cas de la bactérie phytopathogène Erwinia chrysanthemi » dirigée par Nicole
Hugouvieux-Cotte-Pattat et appartenant à l’Unité de Microbiologie et Génétique composante INSA, UMR
CNRS-INSA-UCB 5122 dirigée par Raymond Portalier.
William Nasser, est directeur de recherche au CNRS. Après une thèse de doctorat à l’Université de Strasbourg I portant sur la caractérisation biochimique et fonctionnelle des protéines de défense du maïs, il s’est
intéressé durant un stage post-doctoral à l’étude de pectinases (enzyme dégradant la paroi des cellules végétales) chez les bactéries Bacillus subtilis et Erwinia chrysanthemi. Depuis son recrutement par le CNRS en
1993, il s’intéresse à l’étude de la régulation de la synthèse des facteurs de virulence chez Erwinia chrysanthemi.
Introduction
Robert Koch établit en 1890 un postulat définissant les caractéristiques
d’une bactérie pathogène. Elle doit pouvoir survivre dans l’hôte, s’y multiplier et
y causer des dommages. Pour ce faire,
elle doit être compétitive vis-à-vis des
bactéries commensales, neutraliser les
mécanismes de défense de l’hôte et y
assurer sa propagation. Une partie de ces
propriétés est conférée par les facteurs de
virulence. Définir les gènes codant ces
facteurs est un problème non encore totalement clarifié (figure 1) (Wassenaar and
Gaastra, 2001). Dans cet article, le terme
de gène de virulence sera utilisé pour les
gènes codant des facteurs indispensables
à la colonisation de l’hôte par le pathogène.
Les pathogènes ont mis en place des
systèmes de contrôles fins de la synthèse
de leurs facteurs de virulence de manière
à pouvoir infecter efficacement leur hôte.
L’infection est un processus où le passage à l’étape suivante est globalement
régi par la phase de croissance (figure 2).
La première étape est l’adhésion du
pathogène à l’hôte et débute durant la
phase de latence, qui est un temps
d’adaptation à ce nouvel environnement.
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En conditions favorables, la croissance
bactérienne devient exponentielle,
conduisant au deuxième niveau de l’infection appelé phase de multiplication.
Lorsqu’elles sont en quantité suffisamment importante pour arriver à conduire
une attaque brusque et forte des cellules
de l’hôte, les bactéries synthétisent massivement leurs facteurs de virulence tardifs permettant une invasion de l’hôte.
Cette étape a lieu généralement lorsque
le pathogène est en phase exponentielle
avancée ou en phase stationnaire de
croissance, durant laquelle la bactérie est
plus résistante à un environnement défavorable. L’avancement dans le processus
infectieux en fonction de la phase de
croissance est régulé essentiellement par
trois mécanismes. Le premier implique le
facteur de transcription sigma S (σS) qui
modifie le transcriptome lors de l’entrée
en phase stationnaire de croissance.
Parmi les gènes du régulon σS, se trouvent des gènes de virulence. Le
deuxième mécanisme fait intervenir la
perception de la densité cellulaire, appelée le « quorum sensing ». Il permet d’assujettir la synthèse des facteurs de virulence tardifs à une densité cellulaire
élevée, ce qui est généralement rencontré
durant les phases exponentielles avancées de croissance. Enfin, les bactéries
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possèdent des protéines nommées « histone-like » qui sont fixées au nucléoïde ;
elles ont un rôle régulateur notamment
dans l’expression de certains gènes de
virulence en fonction des stimuli extérieurs et de la phase de croissance.
L’objectif de cette mini-revue est de
faire une présentation succincte des
connaissances actuelles, chez les bactéries à Gram négatif, sur ces trois modes
de contrôle de l’expression des gènes de
virulence par la phase de croissance.
Nous verrons que ces trois mécanismes
fonctionnent de manière intégrée et tenterons d’en présenter les avantages pour
le pathogène.
I. Le facteur de transcription
sigma S
Les conditions de vie relativement
stressantes de la phase stationnaire
nécessitent une modification de la physiologie et de la morphologie de la bactérie. Ces changements sont effectués
essentiellement par un facteur de transcription: le facteur σS. Comment l’action
de ce facteur de transcription est-elle
ciblée à la phase stationnaire et quels
types de gènes contrôle t-il ?
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différentes protéines, appelées « histonelike », pour former le nucléoïde ; certaines
de ces protéines, notamment H-NS (histone-like nucleoid structuring) et Fis (factor for inversion stimulation), interviennent également dans la spécificité des
facteurs sigma (Arnqvist et al., 1994 ;
Hengge-Aronis, 1999). En fait, l’ARN
polymérase ne reconnaît pas des
séquences sur un ADN linéaire mais plutôt une structure nucléoprotéique complexe dans laquelle l’accessibilité à
l’ADN est modulée par les protéines « histone-like ». La sélection des promoteurs
par l’ARN polymérase σ70 ou l’ARN
polymérase σS serait donc liée à la relative
disponibilité des deux facteurs s et à l’action de certaines protéines « histone-like ».
Cet exemple met en évidence l’existence
d’une connexion entre les protéines « histone-like » et σS (voir partie III).
I-2) La régulation du niveau
cellulaire de σS
Figure 1 : Classification des gènes impliqués dans la virulence (Wassenaar, 2001).
Le nombre de gènes de virulence et de gènes associés à la virulence est représenté par des cercles concentriques. La limite entre les cercles n’est pas toujours bien établie.
I-1) Le facteur sigma S
La transcription est réalisée par
l’ARN polymérase (ou holoenzyme) qui
est constituée de l’enzyme core et d’un
facteur de transcription σ. L’enzyme core
porte l’activité catalytique alors que le
facteur σ est responsable de la spécificité
de reconnaissance des séquences promotrices sur les gènes à transcrire. Il existe
différents facteurs σ qui permettent à
l’ARN polymérase de reconnaître différents groupes de promoteurs. Le facteur
de transcription majeur, σ70, permet la
transcription des gènes de ménage et est
présent constitutivement dans le microorganisme (Borukhov and Nudler, 2003).
Par contre la synthèse du facteur σS est
fortement stimulée lors de l’entrée en
phase stationnaire de croissance et par
divers stress environnementaux (HenggeAronis, 2000b). Cette protéine, codée par
le gène rpoS, a un poids moléculaire d’environ 38 kDa. Les facteurs σS et σ70 peuvent reconnaître un même promoteur avec
la même efficacité in vitro (Ding et al.,
1995 ; Jishage et al., 1996). Pourtant ils
contrôlent l’expression de gènes différents
puisqu’une inactivation de rpoS réduit for-
tement ou élimine l’expression des gènes
cibles de σS. Comment est assurée la spécificité de σS pour ses séquences promotrices ? L’augmentation de la concentration cellulaire de σS dans les conditions où
il est requis pourrait favoriser la fixation
de ce facteur de transcription sur les promoteurs de ses gènes cibles au détriment
de σ70. Par ailleurs, il faut noter que
l’ADN génomique est associé in vivo à
En plus de la phase de croissance, il a
été observé que la concentration cellulaire de σS est régulée par différents stimuli tels que : une forte osmolarité, une
température faible, un pH acide…
(Figure 3). La régulation de la synthèse
de σS s’avère donc très complexe.
La transcription du gène rpoS se fait
via un promoteur majeur de type σ70.
Durant la phase exponentielle de croissance, chez E. coli, le gène rpoS est
significativement transcrit et le niveau de
transcription augmente d’un facteur trois
lors de l’entrée en phase stationnaire
(Takayanagi et al., 1994). Ce contrôle
transcriptionnel implique essentiellement
des métabolites s’accumulant en phase
stationnaire (le guanosine-3’ 5’bispyrophosphate (ppGpp), l’adénosine mono-
Figure 2 : Etapes du processus infectieux en fonction de la phase de croissance.
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stress plutôt qu’un régulateur spécifique
de la phase stationnaire de croissance. La
régulation du niveau cellulaire de σS est
donc essentiellement régie par des
contrôles post-transcriptionnels chez E.
coli et transcriptionnels chez les Pseudomonas. Cette différence de contrôle
pourrait être lié au fait que σS a un rôle
relativement limité dans la réponse générale au stress chez Pseudomonas. Notons
que le contrôle post-transcriptionnel permet d’ajuster plus rapidement la concentration cellulaire de σS.
I-3) Le régulon du facteur σS
Figure 3 : Régulation du niveau cellulaire de σs en fonction des stimuli extérieurs chez la bactérie Escherichia coli (Hengge-Aronis, 2000).
Stimulus extérieur activateur
Stimulus extérieur répresseur
phosphate cyclique (AMPc) et le polyphosphate). Les mécanismes d’actions de
ces métabolites demeurent non élucidés.
Toutefois, la régulation transcriptionnelle
influe peu sur la concentration cellulaire
de σS chez E. coli ; c’est par contre le
niveau de régulation principal dans le
genre Pseudomonas où la transcription
du gène rpoS est fortement activée en
phase stationnaire de croissance (Fujita
et al., 1994).
Chez E. coli, la quasi absence du facteur σS durant la phase exponentielle de
croissance, malgré l’existence d’une
transcription effective du gène rpoS, laissait présager une régulation post-transcriptionnelle. L’utilisation de différentes
approches expérimentales (fusions
transcriptionnelles et traductionnelles
rpoS::lacZ, quantification des transcrits de
rpoS et de la protéine σS) a montré que la
traduction des transcrits rpoS est activée
par les divers stimuli qui modulent la
concentration cellulaire de σS (Figure 3)
(Lange and Hengge-Aronis, 1994). L’augmentation de l’efficacité de la traduction
implique une interaction entre les ARNms
rpoS et différentes protéines régulatrices
d’ARNs (Hfq, RprA, DsrA, la protéine
« histone-like » HU), rendant leurs
séquences de Shine et Dalgarno plus
accessibles aux ARNs ribosomaux. Les
régulateurs DsrA et RprA seraient impliqués dans l’induction de la traduction de
rpoS par le froid et le stress osmotique,
respectivement (Majdalani et al., 2002 ;
Repoila and Gottesman, 2001). En plus de
ces systèmes d’activation, deux systèmes
de répression impliquant la protéine « histone-like » H-NS et le régulateur OxyS
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ont également été mis en évidence ; H-NS
et OxyS antagonisent l’action de HU et
Hfq, respectivement (Hengge-Aronis,
2000b).
Le facteur σS est soumis à une forte
protéolyse lors de la phase exponentielle
de croissance. Cette dégradation requiert
deux partenaires : la protéase ClpXP et le
régulateur RssB (Muffler et al., 1996 ;
Schweder et al., 1996). Un modèle du
fonctionnement de la protéolyse a été
proposé par Hengge-Aronis (HenggeAronis, 2000b) : sous sa forme phosphorylée, RssB se lie à σS, le complexe est
reconnu par ClpXP et σS est dégradé. Les
mécanismes de signalisation contrôlant
la phosphorylation de RssB sont inconnus.
Il apparaît donc que σS est un facteur
de transcription de la réponse générale au
Le fait que la synthèse de σS soit
régulée par différents signaux de stress a
soulevé la question d’une implication de
ce facteur dans l’adaptation de la bactérie
à son environnement. L’utilisation de différentes approches expérimentales a permis de définir le régulon σS. Il est composé d’une centaine de gènes dont
certains confèrent une tolérance au
stress, modifient la morphologie cellulaire et réorientent le métabolisme
(tableau 1) (Loewen et al., 1998).
Depuis peu, la régulation de gènes de
virulence par σS a été mise en évidence.
Dans cet article, nous nous limiterons
aux gènes de résistances aux stress et aux
gènes de virulence.
I-3-1) Les gènes conférant une
résistance au stress
Un stress oxydatif, une augmentation forte de la température ou de l’osmolarité sont létaux pour un mutant
rpoS d’E. coli. Ainsi les gènes katG et
katE, codant deux catalases impliquées
dans la résistance au stress oxydatif
chez E. coli, sont sous la dépendance de
Rôle
Gènes ou opérons
Fonction
Physiologie générale
ftsQ, ftsZ, ficA
topA
division cellulaire
topoisomérase I
Métabolisme
galEKT
lacZ
glgAS
catabolisme du galactose
catabolisme du lactose
anabolisme du glycogène
Réponse générale au stress
katG, katE
otsBA
aidB
catalases
tréhalase
méthylation de l’ADN
Virulence
esp
csgAbCDEF
adhésion
fimbrae curli
Tableau 1 : Exemple de gènes ou d’opérons contrôlés positivement par le facteur σs chez Escherichia coli
(Loewen et al., 1998).
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σS (Loewen et al., 1998). Par ailleurs,
σS active la transcription de l’opéron
otsBA dont les produits synthétisent du
tréhalose. Cet osmoprotectant assure le
maintien de la pression osmotique intracellulaire à un niveau adéquat (Kaasen
et al., 1992). De même, les mutants
rpoS des bactéries Pseudomonas aeruginosa (pathogène opportuniste de
l’homme), et Erwinia carotovora (phytopathogène) sont plus sensibles aux
stress oxydatif et osmotique que les
souches parentales correspondantes
(Suh et al., 1999). Il apparaît donc clairement que σS joue un rôle déterminant
dans l’adaptation de la bactérie à différentes conditions de stress.
I-3-2) Les gènes de virulence
L’environnement rencontré par la
bactérie dans l’hôte est en général très
hostile. Ainsi chez l’animal, les bactéries pénétrant par la voie intestinale doivent traverser l’estomac, où le pH est
voisin de 2. La mise en place de la
réponse générale au stress permet à la
bactérie de s’adapter aux conditions
rencontrées dans l’hôte. Par la suite, la
bactérie va induire la synthèse des facteurs de virulence précoces qui vont lui
permettre de s’établir; la synthèse de
certains de ces facteurs est sous le
contrôle de σS.
Les facteurs de virulence exprimés au
début de l’infection sont généralement
les systèmes d’adhésion de la bactérie à
son hôte. Ainsi chez les souches pathogènes entérohémorrhagiques (EHEC)
d’E. coli, le mécanisme d’adhésion aux
cellules de l’épithélium intestinal nécessite un système de sécrétion de type III,
codé par les gènes du locus LEE dont
l’expression est activée par σS (Beltrametti et al., 1999). L’implication de σS
dans le contrôle de la virulence est
encore plus marquée chez des bactéries
comme Salmonella thyphimurium. En
effet, des mutants rpoS de cette bactérie
sont totalement avirulents sur des
modèles
murins
(Hengge-Aronis,
2000a). Ce phénotype résulterait de l’absence de la mise en place de la réponse
générale au stress ainsi que d’une régulation inappropriée des gènes de virulence.
Le processus infectieux se poursuit
par l’expression des facteurs de virulence tardifs qui vont généralement permettre la propagation du pathogène. σS
est également impliqué dans la régulation de la synthèse de certains facteurs
tardifs. Ainsi, un mutant rpoS de P. aeru-
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ginosa produit moins d’exotoxine A,
facteur de virulence majeur (Suh et al.,
1999). σS est également impliqué dans la
régulation de la virulence chez des bactéries phytopathogènes comme Erwinia
carotovora. Chez cette bactérie, σS
contrôle négativement la synthèse d’enzymes extracellulaires, responsables de
la dégradation de la paroi des cellules
végétales et considérées comme un facteur de virulence essentiel (Andersson et
al., 1999). Un mutant rpoS d’E. carotovora a une capacité macératrice augmentée in planta par rapport à celle de la
souche parentale mais est incapable de
croître à de fortes densités et d’entrer en
compétition avec la souche parentale
aussi bien in vitro qu’in planta. Ce
défaut de croissance in vivo du mutant
rpoS serait lié à une plus grande sensibilité aux stress oxydatif et osmotique. Cet
exemple suggère qu’un gène rpoS fonctionnel est requis pour la survie de la
bactérie dans un environnement compétitif et dans des conditions stressantes.
Ceci met en évidence l’importance du
couplage du contrôle de la réponse au
stress et de l’expression des gènes de
virulence.
Enfin, le facteur σS contrôle également d’autres systèmes de régulation
des facteurs de virulence comme le
régulateur SpvR, activateur spécifique
d’un système d’adhésion de Salmonella
typhimurium, ou les régulateurs du
« quorum sensing » chez P. aeruginosa
(voir partie II).
II. Le « quorum sensing »
II-1) La communication
entre bactéries
Une communication entre bactéries a
été mise en évidence pour la première fois
chez Vibrio fischeri, bactérie symbiote entre
autre du poisson Eurprymna scolopes. Ce
microorganisme peut vivre soit sous forme
planctonique, c’est-à-dire libre dans les
océans, soit dans un environnement confiné
lors de l’association symbiotique avec E.
scolopes. V. fischeri a la propriété de synthétiser un composé luminescent dans des
conditions de forte densité cellulaire, rencontrées naturellement lorsque la bactérie
est engagée dans une association symbiotique. L’expression des gènes responsables
de la bioluminescence est donc liée à la densité cellulaire chez V. fischeri. Le phénomène est nommé «quorum sensing»; il permet de coupler le contrôle d’un mécanisme
avec la densité cellulaire bactérienne en vue
d’une action concertée (Fuqua et al., 1994).
Ainsi, la bioluminescence n’est activée que
si le nombre de bactéries dépasse un seuil.
Cette production de lumière est déterminante pour le maintien de la relation symbiotique (Lupp et al., 2003). En effet, elle
permet au symbiote d’être lumineux de nuit
ce qui compense l’ombre créée par la lune.
A la surface, il devient indétectable par ses
prédateurs situés en profondeur. En contrepartie, les bactéries trouvent un environnement propice à leur développement.
Le principe du « quorum sensing »
repose sur la production d’une molécule
signal ou autoinducteur diffusible dans le
milieu extérieur (figure 4) (Kaplan and
Greenberg, 1985). Chez V. fischeri, comme
chez de nombreuses bactéries à Gram
négatif, la molécule signal appartient à la
famille des N-acyl homosérine lactone
(HSL) (Eberhard et al., 1981). Chez V.
fischeri, l’HSL est synthétisée par le produit du gène luxI (Engebrecht and Silverman, 1984). En raison du caractère diffusible de l’HSL, les concentrations intra et
extra cellulaires sont équivalentes. De ce
fait, la concentration d’HSL augmente
proportionnellement à la densité cellulaire.
Lorsque la concentration d’HSL atteint
une valeur seuil, ces HSLs interagissent
avec le régulateur de transcription LuxR
qui va activer l’expression des gènes responsables de la bioluminescence.
II-2) Implication du « quorum sensing » dans la régulation des gènes
de virulence
Des systèmes de « quorum sensing »
utilisant des mécanismes proches du
couple LuxI/LuxR ont été mis en évidence chez de nombreuses bactéries à
Gram négatif pathogènes parmi lesquelles P. aeruginosa, E. carotovora ou
E. coli. Ces bactéries utilisent le « quorum sensing » pour la régulation de la
virulence. Ainsi, les facteurs de virulence
sont produits massivement lorsque la
densité bactérienne est suffisamment
forte pour conduire une attaque efficace.
Selon les espèces bactériennes, les HSLs
diffèrent (tableau 2) (Miller and Bassler,
2001) ; ceci permet une communication
intraspécifique tout en n’excluant pas
certaines communications interspécifiques.
Le cas de la bactérie pathogène
opportuniste pour l’homme, P. aeruginosa, a été particulièrement étudié. Ce
microorganisme possède trois systèmes
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Figure 4 : Mode d’action de la régulation de l’expression de gènes par le « quorum sensing ». Les gènes de
l’opéron luxCDABEG codent la machinerie nécessaire pour la production de la bioluminescence. L’expression de ces gènes est contrôlée par le système de « quorum sensing » LuxR/LuxI.
Acylhomoserine lactone
N-butanoyl-homoserine lactone
(C4-HSL)
de « quorum sensing » dont deux,
LasI/LasR et RhlI/RhlR, ont été bien
caractérisés (Rumbaugh et al., 1999).
LasI et RhlI sont des HSL-synthases qui
catalysent respectivement la production
de 3-oxo-C10-HSL et C4-HSL (tableau
2). Les deux systèmes de « quorum sensing » agissent en tandem pour contrôler
séquentiellement la production des facteurs de virulence. A forte densité cellulaire, le complexe LasR-(3-oxo-C10HSL) va activer l’expression des gènes
codant les facteurs extracellulaires nécessaires pour initier la destruction des tissus de l’hôte infecté : l’élastase LasB, la
protéase LasA, l’exotoxine A et la phosphatase alcaline AprA. Le complexe
LasR-(3-oxo-C10-HSL) active également
l’expression du second système de « quorum sensing » RhlI/RhlR. Le complexe
RhlR-(C4-HSL) active alors la transcription des gènes codant les facteurs requis
pour l’invasion de l’hôte : la cytotoxine
Organismes
Homologues
de LuxI/LuxR
Phénotypes
régulés
Pseudomonas aeruginosa
RhlI/RhlR
Aeromonas hydrophila
AhyI/AhyR
toxine (lecA),
exoprotéases,
élastase (lasB),
synthèse des
rhamnolipides
Protéase à sérine
et métalloprotéase
Vibrio fischeri
LuxI/LuxR
Bioluminescence
Erwinia chrysanthemi
ExpI/ExpR
Pectinases
Erwinia carotovora
a) ExpI/ExpR
Exoenzymes
b) ExpI/CarR
Carbapénème
CerI/CerR
Facteur
d’agglutination
N-(3-oxohexanoyl)-homoserine lactone
Rhodobacter sphaeroides
N-(3-hydroxy-7-cis-tetradecenoyl)homoserine lactone
N-(3-oxododécanoyl)homoserine lactone
(3-oxo-C10-HSL)
Pseudomonas aeruginosa
LasI/LasR
élastase (lasB),
protéase (lasA),
exotoxine A,
phosphatase
alcaline AprA
Tableau 2 : Exemple de la diversité des autoinducteurs de type acylhomosérine lactones et des phénotypes régulés par les systèmes de « quorum sensing » de type
LuxI/LuxR (Miller and Bassler, 2001).
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sensing » sont soumis à une régulation
complexe. Nous nous limiterons à la description de la régulation des acteurs du
« quorum sensing » chez P. aeruginosa
qui est l’un des systèmes le mieux caractérisé.
Figure 5 : Réseau de régulation des trois systèmes de « quorum sensing » chez Pseudomonas aeruginosa
(Diggle et al., 2003).
: Activation
: Répression
Lors de l’entrée en phase stationnaire de croissance, les systèmes LasRI et PQS activent la synthèse de RhlR.
De plus, LasR induit sa propre synthèse ainsi que la production de l’autoinducteur PQS. Ces trois systèmes
sont responsables de l’activation de la transcription de plusieurs gènes de virulence. Par un contrôle transcriptionnel, le régulateur Vfr active la synthèse du système LasRI alors que GacA active simultanément
LasRI et RhlRI. Il est intéressant de noter que RsmA, dont la synthèse est activée par σs durant la phase stationnaire, permet d’éviter une amplification exacerbée de la réponse du « quorum sensing ».
LecA et un système d’acquisition du fer.
La connexion entre les deux systèmes de
« quorum sensing » permet d’établir une
chronologie dans la synthèse des facteurs
de virulence requis aux différents stades
de l’infection (Nicas and Iglewski, 1985 ;
Whooley et al., 1983). Des tests d’infection murine ont montré que l’inactivation
de l’un ou l’autre de ces deux systèmes
de « quorum sensing » entraîne une diminution de la virulence de P. aeruginosa
(Smith et al., 2002). Toutefois, les
mutants ne sont pas totalement avirulents, ce qui indique que la régulation de
la virulence implique d’autres mécanismes. Par ailleurs, la 3-oxo-C10-HSL
pourrait désorganiser la réponse immunitaire de l’hôte, facilitant ainsi l’infection.
Récemment un troisième autoinducteur,
le 2-heptyl-3-hydroxy-4(1H)-quinolone
(PQS), a été mis en évidence (Pesci et
al., 1999). La synthèse de cet autoinducteur est dirigée par l’opéron PQS, constitué de 8 gènes dont l’expression serait
modulée par le régulateur PqsR
(McGrath et al., 2004). Ce système
active la production d’élastase en fin de
phase stationnaire par un mécanisme non
totalement élucidé, le régulateur transcriptionnel médiant l’action de PQS
n’étant pas encore identifié. Les trois
systèmes Las, Rhl et PQS sont donc des
régulateurs de la virulence organisés sous
forme d’un réseau (figure 5) dont la
modélisation mathématique est en cours
(Viretta and Fussenegger, 2004).
Dans certains cas, le « quorum sensing » peut induire la synthèse de facteurs de virulence précoces. Par
exemple, chez les souches O157H7
EHEC d’E. coli, un autoinducteur, d’un
type nouveau (furanosyl borate diester), produit par la synthase LuxS,
contrôle l’expression des gènes esp
dont les produits sont impliqués dans
l’adhésion. En effet, l’expression de
fusions transcriptionnelles entre les
gènes esp et le gène rapporteur lacZ est
régulée par cet autoinducteur (Sperandio et al., 1999). Cependant, l’expression de ces fusions est induite même
lorsque la densité cellulaire de la
souche O157H7 est faible. Ce phénomène pourrait être dû au fait que les
souches pathogènes pourraient utiliser
l’autoinducteur des souches commensales d’E. coli pour induire les gènes
esp. Ainsi, la machinerie permettant
l’adhésion des bactéries à l’hôte serait
mise en place même à faible densité
cellulaire de la souche pathogène.
II-3) La régulation du « quorum
sensing »
Des études relativement récentes ont
montré que les systèmes de « quorum
Les trois systèmes, Las, Rhl et PQS
forment un réseau hiérarchisé (figure 5)
(Diggle et al., 2003). LasR active l’expression de RhlR et la synthèse de l’autoinducteur PQS. De même, ce dernier
active la production de RhlR. Les trois
systèmes sont par ailleurs soumis à de
multiples contrôles transcriptionnels
(GacA, Vfr, σS) (Medina et al., 2003;
Reimmann et al., 1997) et post-transcriptionnels (RsmA) (Pessi et al., 2001)
(figure 5). Il est intéressant de noter le
lien existant entre le facteur σS et les trois
systèmes de « quorum sensing ». Ainsi il
est envisageable que l’induction de la
synthèse du répresseur RsmA par σS,
après l’enclenchement des systèmes du
« quorum sensing », permettrait d’éviter
une amplification continuelle de ce système de contrôle.
III. Les protéines
« histone-like »
Les bactéries possèdent des protéines fonctionnellement similaires aux
histones des eucaryotes. Cette similarité n’est pas basée sur la séquence en
acides aminés. Elle est due à leur capacité à se lier à l’ADN, leur forte
concentration cellulaire, leur faible
poids moléculaire et leur charge électrostatique. De plus, ces protéines bactériennes semblent contribuer à l’organisation du nucléoïde, comme le font
les histones pour la chromatine. Ces
protéines, nommées « histone-like »,
sont également impliquées dans des
mécanismes plus spécifiques tels que la
recombinaison spécifique de site de
phages, la réplication de l’ADN, et
aussi la régulation de l’expression de
certains gènes. Les protéines « histonelike » les mieux caractérisées sont Fis,
H-NS et IHF. Mis à part H-NS, la
concentration cellulaire de ces protéines varie au cours de la phase de
croissance (figure 6). Ainsi Fis est fortement produite en début de phase
exponentielle et sa concentration cellulaire diminue rapidement au fur et à
mesure de la croissance bactérienne.
IHF, au contraire, devient plus abondante lors de l’entrée en phase stationnaire de croissance (Ali Azam et al.,
1999).
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Figure 6 : Concentrations cellulaires des protéines « histone like » H-NS, Fis et IHF au cours des différentes
phases de la croissance bactérienne.
III-1) H-NS
Le rôle de H-NS a été abondamment
décrit chez E. coli et les bactéries voisines
comme Shigella flexneri ou Salmonella
typhimurium. L’analyse du transcriptome,
en utilisant des puces à ADN, a montré que
H-NS est impliqué dans l’expression de
plus de 5% des gènes chez E. coli. H-NS
est donc un régulateur global qui contrôle
entre autres la régulation de l’expression
de gènes de virulence (Hommais et al.,
2001). H-NS agit essentiellement comme
répresseur et son mécanisme d’action a été
récemment caractérisé (Dame et al.,
2002). H-NS ne se fixe pas à l’ADN via
une séquence consensus mais par le biais
de régions d’ADN présentant une structure
courbe localisée en amont des promoteurs
à réprimer. La liaison de plusieurs protéines H-NS conduit à la formation d’une
boucle dans laquelle est piégée l’ARN
polymérase.
En général, H-NS régule indirectement l’expression des gènes de virulence. Par exemple chez les souches
EIEC d’E. coli, l’expression des gènes
permettant l’adhésion, la pénétration et la
dissémination intra et inter cellulaire est
activée par deux régulateurs transcriptionnels : VirF et VirB (Adler et al.,
1989). En réponse à différents stimuli
(température, pression osmotique, pH) il
y a une augmentation de la synthèse de
VirF qui va activer l’expression de VirB,
régulateur spécifique des gènes codant
les protéines IPA nécessaires à l’invasion
de la barrière intestinale (Sasakawa et al.,
1993). A température inférieure à 32°C,
H-NS réprime l’expression de virF en se
liant spécifiquement à une région présen-
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tant une structure courbée et localisée
dans la région promotrice de ce gène
(figure 7) (Falconi et al., 1998). A des
températures voisines de celle de l’hôte
(37°C), une modification topologique de
cette région s’oppose à la fixation de HNS, permettant une dérépression de l’expression de virF qui va conduire à une
forte production des protéines IPA et de
l’appareil de sécrétion. La courbure de
l’ADN, permettant la fixation de H-NS,
pourrait agir comme un senseur de la
température et disparaîtrait à plus de
32°C. Cet exemple met en évidence la
connexion entre la levée de la répression
exercée par H-NS et les conditions environnementales. Un mécanisme similaire
serait mis en œuvre en réponse à un
stress osmotique ou thermique. En effet,
ces différents stress modifient la topologie* de l’ADN (Dorman and Deighan,
2003).
Dans certains cas, H-NS peut avoir
un rôle activateur de la synthèse des
gènes de virulence. Par exemple, chez la
bactérie phytopathogène Erwinia chrysanthemi, l’expression des gènes pel,
codant des enzymes extracellulaires, facteurs de virulence majeurs, est fortement
diminuée dans un mutant hns. Ce phénotype d’activateur est le résultat d’un
contrôle indirect mettant en jeu un
répresseur des gènes pel : PecT (Nasser
and Reverchon, 2002). Dans le mutant
hns, l’augmentation de la synthèse de
PecT conduit à une répression de l’expression des gènes pel. Le signal auquel
répond PecT n’est pas encore identifié.
Par ailleurs, H-NS est impliqué dans la
régulation par la phase de croissance via
le contrôle qu’il exerce sur la synthèse de
σS (paragraphe I-2-1).
III-2) Fis
Un des rôles essentiels de Fis est
d’activer la transcription de gènes codant
les ARN stables (ARN de transfert et
ribosomaux) en début de phase exponentielle de croissance. Fis est également
impliqué dans divers processus biologiques tel que l’intégration dans le chromosome du phage Mu. Fis se lie à l’ADN
via un consensus assez dégénéré et peut
jouer soit un rôle d’activateur soit de
répresseur. La répression par Fis s’effectue via une compétition avec l’ARN
polymérase ou des activateurs pour l’occupation d’une même région d’ADN.
Dans le cas d’une activation, la fixation
de Fis à l’ADN induit une modification
locale de la topologie de l’ADN, facilitant la fixation de l’ARN polymérase sur
les promoteurs (Muskhelishvili and Travers, 2003). Ainsi, Fis active le gène virF
Figure 7 : Mode d’action du répresseur H-NS et de l’activateur Fis en fonction de la température sur l’expression du gène virF chez les souches d’Escherichia coli entéroinvasives.
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Phase de latence
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Phase exponentielle
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Phase stationnaire
Figure 8 : Régulation des gènes de virulence en fonction de la croissance par le facteur σs, le « quorum sensing » et les protéines « histone-like » H-NS, Fis et IHF. L’existence d’interactions entre les protéines « histone-like » leur permet d’intervenir dans le contrôle de la virulence tout au long de la croissance.
d’E. coli une fois la répression par H-NS
levée (figure 7) (Falconi et al., 2001). Fis
permet donc l’expression des gènes d’adhésion et de colonisation de la bactérie.
De même, Fis active l’expression des
gènes de l’îlot de pathogénie SPI-1 chez
S. typhimurium. Les produits de ces
gènes permettent le franchissement de la
barrière intestinale de l’hôte (Wilson et
al., 2001). Récemment, l’analyse du
transcriptome de S. typhimurium a montré un rôle central de Fis dans la coordination de l’expression des gènes de
ménage et des gènes de virulence nécessaire à la survie de la bactérie dans les
poumons ou au cours d’une infection
systémique (Kelly et al., 2004). L’adhésion aux cellules épithéliales des souches
enteropathogéniques d’E. coli est médiée
par les bundle-forming pili (BFP). Ce
processus est activé par Fis (Goldberg et
al., 2001). Ainsi, Fis active la synthèse
des facteurs de virulence précoces (adhésion). Il existerait donc une bonne adéquation entre la forte concentration cellulaire de Fis en début de phase
exponentielle de croissance et la fonction
des gènes de virulence dont il active l’expression. Fis contrôle par ailleurs l’expression de H-NS (Falconi et al., 1996).
III-3) IHF
Contrairement à H-NS et Fis, IHF
reconnaît un consensus bien défini pour
sa fixation à l’ADN (Ali et al., 2001).
Chez S. flexneri, cette protéine permet
de maintenir l’expression du gène virB
pendant la phase stationnaire de croissance lorsque la quantité de protéines Fis
est minimale (Porter and Dorman,
1997). Ainsi le processus infectieux est
maintenu au cours du développement
bactérien. Dans la bactérie pathogène S.
typhimurirum, le facteur σS et le régulateur SpvR activent conjointement l’expression des gènes de virulence spv à
l’entrée de la phase stationnaire. L’expression de spvR est également activée
par IHF à forte densité cellulaire (Marshall et al., 1999). Afin d’exprimer les
gènes spv au moment opportun, la bactérie possède un double contrôle dans l’expression de ces gènes impliquant σS et
IHF qui sont présents durant la phase
stationnaire. IHF active par ailleurs l’expression de Fis en début de phase exponentielle de croissance (Pratt et al.,
1997).
Conclusion
Pour développer une infection efficace, le pathogène doit coordonner l’expression de ses gènes de virulence de
manière à échapper aux réactions de
défense de l’hôte. La régulation par la
phase de croissance joue un rôle prépondérant dans la coordination de la
synthèse des facteurs de virulence. Chez
les bactéries à Gram négatif, elle
s’exerce essentiellement par le biais de
trois mécanismes : le facteur σS, le
« quorum sensing » et certaines protéines « histone-like ». Ces trois systèmes semblent fonctionner de manière
hiérarchisée (figure 8). En raison de
leur rôle architectural dans le nucléoïde
et de leur fonction de régulateurs globaux, les protéines « histone-like » pourraient établir un lien fort entre le réseau
de régulation global de la cellule et les
systèmes de régulation des gènes de
virulence. En dessous des protéines
« histone-like », le facteur σS établit une
connexion entre le système de réponse
générale aux stress et les mécanismes de
« quorum sensing ». Ce mode de fonctionnement intégré pourrait permettre à
la bactérie d’adapter rapidement et finement l’expression de ses gènes de virulence en fonction des conditions environnementales. Il est toutefois
regrettable que des études approfondies
sur les trois systèmes de régulation par
la phase de croissance n’aient pas été
réalisées sur un même organisme : σS et
les protéines « histone-like » ont été étudiés chez des souches d’E. coli alors
que le « quorum sensing » est mieux
caractérisé chez P. aeruginosa. La compréhension de la régulation des gènes de
virulence par la phase de croissance
devrait permettre à terme l’identification de nouvelles cibles pour la conception d’agents antimicrobiens. De nombreux travaux sont actuellement
entrepris pour tenter d’identifier des
composés susceptibles de perturber de
manière efficace les systèmes de « quorum sensing ». Cependant, la diversité
des autoinducteurs complique considérablement cette démarche (Hentzer and
Givskov, 2003). La recherche de nouvelles cibles pour le contrôle de la virulence paraît donc nécessaire.
Résumé
L’un des moyens couramment utilisé
par les pathogènes pour échapper aux
réactions de défense de l’hôte est de n’induire une synthèse massive de leurs facteurs de virulence susceptibles d’éveiller
les réactions de défense de l’hôte que
lorsqu’ils sont en quantité suffisamment
importante pour conduire une attaque
brusque et forte de l’hôte. Ce type de
contrôle communément appelé régulation par la phase de croissance s’exerce
sur les gènes de virulence chez les bactéries Gram négatif essentiellement via
trois mécanismes :
– Lors de conditions environnementales défavorables, le transcriptome est
modifié par un facteur global de transcription : le facteur Sigma S. Il met en
place la réponse générale au stress et
contrôle également des gènes de virulence. Sigma S permet de coupler le
déclenchement de la virulence avec la
réponse générale au stress.
– La plupart des bactéries à Gram
négatif synthétisent un type de molécule
diffusible, appelé autoinducteur dont la
concentration est le reflet de la densité
cellulaire ; la perception de la densité
cellulaire via les autoinducteurs est
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appelée « quorum sensing ». Ce système
initie une réponse concertée de la population bactérienne. Le « quorum
sensing » permet d’assujettir la synthèse
des facteurs de virulence à la densité
cellulaire.
– Enfin, les bactéries possèdent des
protéines « histone-like » impliquées
dans la structuration de l’ADN génomique. La plupart de ces protéines ont
une fonction de régulateur en plus de leur
rôle architectural dans le nucléoïde. L’expression de certains gènes de virulence
est également modulée par les protéines
« histone-like ».
Par ailleurs, il existe des connexions
entre les trois systèmes de régulation de
la virulence par la phase de croissance.
Ce mode d’organisation intégrée permet
au pathogène d’assurer une synthèse des
facteurs de virulence appropriée aux
différentes phases du processus infectieux.
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Descriptif des activités du
laboratoire
Les travaux de l’Unité de Microbiologie et Génétique, dirigée par le professeur Raymond Portalier, portent
d’une manière générale sur les stratégies adaptatives mises en œuvre par les
microorganismes en réponse aux variations de l’environnement. Le groupe
« Erwinia », auquel sont rattachés les
auteurs, s’intéresse plus particulièrement à la caractérisation génétique et
biochimique des facteurs de virulence
de la bactérie phytopathogène Erwinia
chrysanthemi, ainsi qu’à la régulation
de la synthèse de ces facteurs. Ce
groupe est dirigé par le docteur Nicole
Hugouvieux-Cotte-Pattat.
Coordonnées du laboratoire
Domaine scientifique de la Doua
Bâtiment A. Lwoff
10 rue R. Dubois
69622 Villeurbanne cedex
tel : 04.72.43.15.53
fax : 04.72.43.15.84
e-mails : [email protected],
[email protected]
Liste des abréviations
ADN : Acide désoxyribonucléique
EHEC : Escherichia coli entérohémorragique
EIEC : Escherichia coli entéroinvasive
Fis :
Factor for inversion stimulation
H-NS : Histone-like nucleoid structuring
HSL : Homosérine lactone
IHF :
Integration host factor
IPA :
Invasion plasmid antigens
LEE : Locus of enterocyte effacement
Unité de Microbiologie et Génétique
composante INSA, UMR CNRS-INSAUCBL 5122
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REGARD sur la BIOCHIMIE
n° 1 - 2005
33
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