n° 1 - 2005
REGARD sur la BIOCHIMIE
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Introduction
Robert Koch établit en 1890 un pos-
tulat définissant les caractéristiques
d’une bactérie pathogène. Elle doit pou-
voir survivre dans l’hôte, s’y multiplier et
y causer des dommages. Pour ce faire,
elle doit être compétitive vis-à-vis des
bactéries commensales, neutraliser les
mécanismes de défense de l’hôte et y
assurer sa propagation. Une partie de ces
propriétés est conférée par les facteurs de
virulence. Définir les gènes codant ces
facteurs est un problème non encore tota-
lement clarifié (figure 1) (Wassenaar and
Gaastra, 2001). Dans cet article, le terme
de gène de virulence sera utilisé pour les
gènes codant des facteurs indispensables
à la colonisation de l’hôte par le patho-
gène.
Les pathogènes ont mis en place des
systèmes de contrôles fins de la synthèse
de leurs facteurs de virulence de manière
à pouvoir infecter efficacement leur hôte.
L’infection est un processus où le pas-
sage à l’étape suivante est globalement
régi par la phase de croissance (figure 2).
La première étape est l’adhésion du
pathogène à l’hôte et débute durant la
phase de latence, qui est un temps
d’adaptation à ce nouvel environnement.
En conditions favorables, la croissance
bactérienne devient exponentielle,
conduisant au deuxième niveau de l’in-
fection appelé phase de multiplication.
Lorsqu’elles sont en quantité suffisam-
ment importante pour arriver à conduire
une attaque brusque et forte des cellules
de l’hôte, les bactéries synthétisent mas-
sivement leurs facteurs de virulence tar-
difs permettant une invasion de l’hôte.
Cette étape a lieu généralement lorsque
le pathogène est en phase exponentielle
avancée ou en phase stationnaire de
croissance, durant laquelle la bactérie est
plus résistante à un environnement défa-
vorable. L’avancement dans le processus
infectieux en fonction de la phase de
croissance est régulé essentiellement par
trois mécanismes. Le premier implique le
facteur de transcription sigma S (σS) qui
modifie le transcriptome lors de l’entrée
en phase stationnaire de croissance.
Parmi les gènes du régulon σS, se trou-
vent des gènes de virulence. Le
deuxième mécanisme fait intervenir la
perception de la densité cellulaire, appe-
lée le « quorum sensing ». Il permet d’as-
sujettir la synthèse des facteurs de viru-
lence tardifs à une densité cellulaire
élevée, ce qui est généralement rencontré
durant les phases exponentielles avan-
cées de croissance. Enfin, les bactéries
possèdent des protéines nommées « his-
tone-like» qui sont fixées au nucléoïde ;
elles ont un rôle régulateur notamment
dans l’expression de certains gènes de
virulence en fonction des stimuli exté-
rieurs et de la phase de croissance.
L’objectif de cette mini-revue est de
faire une présentation succincte des
connaissances actuelles, chez les bacté-
ries à Gram négatif, sur ces trois modes
de contrôle de l’expression des gènes de
virulence par la phase de croissance.
Nous verrons que ces trois mécanismes
fonctionnent de manière intégrée et ten-
terons d’en présenter les avantages pour
le pathogène.
I. Le facteur de transcription
sigma S
Les conditions de vie relativement
stressantes de la phase stationnaire
nécessitent une modification de la phy-
siologie et de la morphologie de la bacté-
rie. Ces changements sont effectués
essentiellement par un facteur de trans-
cription: le facteur σS. Comment l’action
de ce facteur de transcription est-elle
ciblée à la phase stationnaire et quels
types de gènes contrôle t-il ?
Les auteurs
Thomas Lautier, 25 ans, est en première de thèse à l’INSA de Lyon. Son travail porte sur le contrôle de l’ex-
pression de gènes de virulence par la phase de croissance chez la bactérie phytopathogène Erwinia chrysan-
themi. Cette thèse est réalisée sous la direction de William Nasser au sein de l’équipe « Fonctions de viru-
lence, le cas de la bactérie phytopathogène Erwinia chrysanthemi » dirigée par Nicole
Hugouvieux-Cotte-Pattat et appartenant à l’Unité de Microbiologie et Génétique composante INSA, UMR
CNRS-INSA-UCB 5122 dirigée par Raymond Portalier.
William Nasser, est directeur de recherche au CNRS. Après une thèse de doctorat à l’Université de Stras-
bourg I portant sur la caractérisation biochimique et fonctionnelle des protéines de défense du maïs, il s’est
intéressé durant un stage post-doctoral à l’étude de pectinases (enzyme dégradant la paroi des cellules végé-
tales) chez les bactéries Bacillus subtilis et Erwinia chrysanthemi. Depuis son recrutement par le CNRS en
1993, il s’intéresse à l’étude de la régulation de la synthèse des facteurs de virulence chez Erwinia chrysan-
themi.
Régulation des gènes de virulence par la phase de croissance
chez les bactéries à Gram négatif
Thomas Lautier et William Nasser
Unité de Microbiologie et Génétique composante INSA, UMR CNRS-INSA-UCB 5122
Domaine scientifique de la Doua
Bâtiment A. Lwoff
10 rue R. Dubois, 69622 Villeurbanne cedex
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I-1) Le facteur sigma S
La transcription est réalisée par
l’ARN polymérase (ou holoenzyme) qui
est constituée de l’enzyme core et d’un
facteur de transcription σ. L’enzyme core
porte l’activité catalytique alors que le
facteur σest responsable de la spécificité
de reconnaissance des séquences promo-
trices sur les gènes à transcrire. Il existe
différents facteurs σqui permettent à
l’ARN polymérase de reconnaître diffé-
rents groupes de promoteurs. Le facteur
de transcription majeur, σ70, permet la
transcription des gènes de ménage et est
présent constitutivement dans le micro-
organisme (Borukhov and Nudler, 2003).
Par contre la synthèse du facteur σSest
fortement stimulée lors de l’entrée en
phase stationnaire de croissance et par
divers stress environnementaux (Hengge-
Aronis, 2000b). Cette protéine, codée par
le gène rpoS, a un poids moléculaire d’en-
viron 38 kDa. Les facteurs σSet σ70 peu-
vent reconnaître un même promoteur avec
la même efficacité in vitro (Ding et al.,
1995 ; Jishage et al., 1996). Pourtant ils
contrôlent l’expression de gènes différents
puisqu’une inactivation de rpoS réduit for-
tement ou élimine l’expression des gènes
cibles de σS. Comment est assurée la spé-
cificité de σSpour ses séquences promo-
trices ? L’augmentation de la concentra-
tion cellulaire de σSdans les conditions où
il est requis pourrait favoriser la fixation
de ce facteur de transcription sur les pro-
moteurs de ses gènes cibles au détriment
de σ70. Par ailleurs, il faut noter que
l’ADN génomique est associé in vivo à
différentes protéines, appelées «histone-
like», pour former le nucléoïde ; certaines
de ces protéines, notamment H-NS (his-
tone-like nucleoid structuring) et Fis (fac-
tor for inversion stimulation), intervien-
nent également dans la spécificité des
facteurs sigma (Arnqvist et al., 1994 ;
Hengge-Aronis, 1999). En fait, l’ARN
polymérase ne reconnaît pas des
séquences sur un ADN linéaire mais plu-
tôt une structure nucléoprotéique com-
plexe dans laquelle l’accessibilité à
l’ADN est modulée par les protéines «his-
tone-like». La sélection des promoteurs
par l’ARN polymérase σ70 ou l’ARN
polymérase σSserait donc liée à la relative
disponibilité des deux facteurs s et à l’ac-
tion de certaines protéines «histone-like».
Cet exemple met en évidence l’existence
d’une connexion entre les protéines «his-
tone-like» et σS(voir partie III).
I-2) La régulation du niveau
cellulaire de σS
En plus de la phase de croissance, il a
été observé que la concentration cellu-
laire de σSest régulée par différents sti-
muli tels que : une forte osmolarité, une
température faible, un pH acide…
(Figure 3). La régulation de la synthèse
de σSs’avère donc très complexe.
La transcription du gène rpoS se fait
via un promoteur majeur de type σ70.
Durant la phase exponentielle de crois-
sance, chez E. coli, le gène rpoS est
significativement transcrit et le niveau de
transcription augmente d’un facteur trois
lors de l’entrée en phase stationnaire
(Takayanagi et al., 1994). Ce contrôle
transcriptionnel implique essentiellement
des métabolites s’accumulant en phase
stationnaire (le guanosine-3’ 5’bispyro-
phosphate (ppGpp), l’adénosine mono-
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Figure 2 : Etapes du processus infectieux en fonction de la phase de croissance.
Figure 1 : Classification des gènes impliqués dans la virulence (Wassenaar, 2001).
Le nombre de gènes de virulence et de gènes associés à la virulence est représenté par des cercles concen-
triques. La limite entre les cercles n’est pas toujours bien établie.
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Figure 3 : Régulation du niveau cellulaire de σs en fonction des stimuli extérieurs chez la bactérie Escheri-
chia coli (Hengge-Aronis, 2000).
Stimulus extérieur activateur
Stimulus extérieur répresseur
Rôle Gènes ou opérons Fonction
Physiologie générale ftsQ, ftsZ, ficA
topA
division cellulaire
topoisomérase I
Métabolisme galEKT
lacZ
glgAS
catabolisme du galactose
catabolisme du lactose
anabolisme du glycogène
Réponse générale au stress katG, katE
otsBA
aidB
catalases
tréhalase
méthylation de l’ADN
Virulence esp
csgAbCDEF
adhésion
fimbrae curli
Tableau 1 : Exemple de gènes ou d’opérons contrôlés positivement par le facteur σs chez Escherichia coli
(Loewen et al., 1998).
phosphate cyclique (AMPc) et le poly-
phosphate). Les mécanismes d’actions de
ces métabolites demeurent non élucidés.
Toutefois, la régulation transcriptionnelle
influe peu sur la concentration cellulaire
de σSchez E. coli ; c’est par contre le
niveau de régulation principal dans le
genre Pseudomonas où la transcription
du gène rpoS est fortement activée en
phase stationnaire de croissance (Fujita
et al., 1994).
Chez E. coli, la quasi absence du fac-
teur σSdurant la phase exponentielle de
croissance, malgré l’existence d’une
transcription effective du gène rpoS, lais-
sait présager une régulation post-trans-
criptionnelle. L’utilisation de différentes
approches expérimentales (fusions
transcriptionnelles et traductionnelles
rpoS::lacZ, quantification des transcrits de
rpoS et de la protéine σS) a montré que la
traduction des transcrits rpoS est activée
par les divers stimuli qui modulent la
concentration cellulaire de σS(Figure 3)
(Lange and Hengge-Aronis, 1994). L’aug-
mentation de l’efficacité de la traduction
implique une interaction entre les ARNms
rpoS et différentes protéines régulatrices
d’ARNs (Hfq, RprA, DsrA, la protéine
« histone-like » HU), rendant leurs
séquences de Shine et Dalgarno plus
accessibles aux ARNs ribosomaux. Les
régulateurs DsrA et RprA seraient impli-
qués dans l’induction de la traduction de
rpoS par le froid et le stress osmotique,
respectivement (Majdalani et al., 2002 ;
Repoila and Gottesman, 2001). En plus de
ces systèmes d’activation, deux systèmes
de répression impliquant la protéine «his-
tone-like » H-NS et le régulateur OxyS
ont également été mis en évidence; H-NS
et OxyS antagonisent l’action de HU et
Hfq, respectivement (Hengge-Aronis,
2000b).
Le facteur σSest soumis à une forte
protéolyse lors de la phase exponentielle
de croissance. Cette dégradation requiert
deux partenaires : la protéase ClpXP et le
régulateur RssB (Muffler et al., 1996 ;
Schweder et al., 1996). Un modèle du
fonctionnement de la protéolyse a été
proposé par Hengge-Aronis (Hengge-
Aronis, 2000b) : sous sa forme phospho-
rylée, RssB se lie à σS, le complexe est
reconnu par ClpXP et σSest dégradé. Les
mécanismes de signalisation contrôlant
la phosphorylation de RssB sont incon-
nus.
Il apparaît donc que σSest un facteur
de transcription de la réponse générale au
stress plutôt qu’un régulateur spécifique
de la phase stationnaire de croissance. La
régulation du niveau cellulaire de σSest
donc essentiellement régie par des
contrôles post-transcriptionnels chez E.
coli et transcriptionnels chez les Pseudo-
monas. Cette différence de contrôle
pourrait être lié au fait que σSa un rôle
relativement limité dans la réponse géné-
rale au stress chez Pseudomonas. Notons
que le contrôle post-transcriptionnel per-
met d’ajuster plus rapidement la concen-
tration cellulaire de σS.
I-3) Le régulon du facteur σS
Le fait que la synthèse de σSsoit
régulée par différents signaux de stress a
soulevé la question d’une implication de
ce facteur dans l’adaptation de la bactérie
à son environnement. L’utilisation de dif-
férentes approches expérimentales a per-
mis de définir le régulon σS. Il est com-
posé d’une centaine de gènes dont
certains confèrent une tolérance au
stress, modifient la morphologie cellu-
laire et réorientent le métabolisme
(tableau 1) (Loewen et al., 1998).
Depuis peu, la régulation de gènes de
virulence par σSa été mise en évidence.
Dans cet article, nous nous limiterons
aux gènes de résistances aux stress et aux
gènes de virulence.
I-3-1) Les gènes conférant une
résistance au stress
Un stress oxydatif, une augmenta-
tion forte de la température ou de l’os-
molarité sont létaux pour un mutant
rpoS d’E. coli. Ainsi les gènes katG et
katE, codant deux catalases impliquées
dans la résistance au stress oxydatif
chez E. coli, sont sous la dépendance de
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σS(Loewen et al., 1998). Par ailleurs,
σSactive la transcription de l’opéron
otsBA dont les produits synthétisent du
tréhalose. Cet osmoprotectant assure le
maintien de la pression osmotique intra-
cellulaire à un niveau adéquat (Kaasen
et al., 1992). De même, les mutants
rpoS des bactéries Pseudomonas aeru-
ginosa (pathogène opportuniste de
l’homme), et Erwinia carotovora (phy-
topathogène) sont plus sensibles aux
stress oxydatif et osmotique que les
souches parentales correspondantes
(Suh et al., 1999). Il apparaît donc clai-
rement que σSjoue un rôle déterminant
dans l’adaptation de la bactérie à diffé-
rentes conditions de stress.
I-3-2) Les gènes de virulence
L’environnement rencontré par la
bactérie dans l’hôte est en général très
hostile. Ainsi chez l’animal, les bacté-
ries pénétrant par la voie intestinale doi-
vent traverser l’estomac, où le pH est
voisin de 2. La mise en place de la
réponse générale au stress permet à la
bactérie de s’adapter aux conditions
rencontrées dans l’hôte. Par la suite, la
bactérie va induire la synthèse des fac-
teurs de virulence précoces qui vont lui
permettre de s’établir; la synthèse de
certains de ces facteurs est sous le
contrôle de σS.
Les facteurs de virulence exprimés au
début de l’infection sont généralement
les systèmes d’adhésion de la bactérie à
son hôte. Ainsi chez les souches patho-
gènes entérohémorrhagiques (EHEC)
d’E. coli, le mécanisme d’adhésion aux
cellules de l’épithélium intestinal néces-
site un système de sécrétion de type III,
codé par les gènes du locus LEE dont
l’expression est activée par σS(Beltra-
metti et al., 1999). L’implication de σS
dans le contrôle de la virulence est
encore plus marquée chez des bactéries
comme Salmonella thyphimurium. En
effet, des mutants rpoS de cette bactérie
sont totalement avirulents sur des
modèles murins (Hengge-Aronis,
2000a). Ce phénotype résulterait de l’ab-
sence de la mise en place de la réponse
générale au stress ainsi que d’une régula-
tion inappropriée des gènes de virulence.
Le processus infectieux se poursuit
par l’expression des facteurs de viru-
lence tardifs qui vont généralement per-
mettre la propagation du pathogène. σS
est également impliqué dans la régula-
tion de la synthèse de certains facteurs
tardifs. Ainsi, un mutant rpoS de P. aeru-
ginosa produit moins d’exotoxine A,
facteur de virulence majeur (Suh et al.,
1999). σSest également impliqué dans la
régulation de la virulence chez des bac-
téries phytopathogènes comme Erwinia
carotovora. Chez cette bactérie, σS
contrôle négativement la synthèse d’en-
zymes extracellulaires, responsables de
la dégradation de la paroi des cellules
végétales et considérées comme un fac-
teur de virulence essentiel (Andersson et
al., 1999). Un mutant rpoS d’E. caroto-
vora a une capacité macératrice augmen-
tée in planta par rapport à celle de la
souche parentale mais est incapable de
croître à de fortes densités et d’entrer en
compétition avec la souche parentale
aussi bien in vitro qu’in planta. Ce
défaut de croissance in vivo du mutant
rpoS serait lié à une plus grande sensibi-
lité aux stress oxydatif et osmotique. Cet
exemple suggère qu’un gène rpoS fonc-
tionnel est requis pour la survie de la
bactérie dans un environnement compé-
titif et dans des conditions stressantes.
Ceci met en évidence l’importance du
couplage du contrôle de la réponse au
stress et de l’expression des gènes de
virulence.
Enfin, le facteur σScontrôle égale-
ment d’autres systèmes de régulation
des facteurs de virulence comme le
régulateur SpvR, activateur spécifique
d’un système d’adhésion de Salmonella
typhimurium, ou les régulateurs du
« quorum sensing » chez P. aeruginosa
(voir partie II).
II. Le « quorum sensing »
II-1) La communication
entre bactéries
Une communication entre bactéries a
été mise en évidence pour la première fois
chez Vibrio fischeri, bactérie symbiote entre
autre du poisson Eurprymna scolopes. Ce
microorganisme peut vivre soit sous forme
planctonique, c’est-à-dire libre dans les
océans, soit dans un environnement confiné
lors de l’association symbiotique avec E.
scolopes. V. fischeri a la propriété de syn-
thétiser un composé luminescent dans des
conditions de forte densité cellulaire, ren-
contrées naturellement lorsque la bactérie
est engagée dans une association symbio-
tique. L’expression des gènes responsables
de la bioluminescence est donc liée à la den-
sité cellulaire chez V. fischeri. Le phéno-
mène est nommé «quorum sensing»; il per-
met de coupler le contrôle d’un mécanisme
avec la densité cellulaire bactérienne en vue
d’une action concertée (Fuqua et al., 1994).
Ainsi, la bioluminescence n’est activée que
si le nombre de bactéries dépasse un seuil.
Cette production de lumière est détermi-
nante pour le maintien de la relation sym-
biotique (Lupp et al., 2003). En effet, elle
permet au symbiote d’être lumineux de nuit
ce qui compense l’ombre créée par la lune.
A la surface, il devient indétectable par ses
prédateurs situés en profondeur. En contre-
partie, les bactéries trouvent un environne-
ment propice à leur développement.
Le principe du « quorum sensing »
repose sur la production d’une molécule
signal ou autoinducteur diffusible dans le
milieu extérieur (figure 4) (Kaplan and
Greenberg, 1985). Chez V. fischeri, comme
chez de nombreuses bactéries à Gram
négatif, la molécule signal appartient à la
famille des N-acyl homosérine lactone
(HSL) (Eberhard et al., 1981). Chez V.
fischeri, l’HSL est synthétisée par le pro-
duit du gène luxI (Engebrecht and Silver-
man, 1984). En raison du caractère diffu-
sible de l’HSL, les concentrations intra et
extra cellulaires sont équivalentes. De ce
fait, la concentration d’HSL augmente
proportionnellement à la densité cellulaire.
Lorsque la concentration d’HSL atteint
une valeur seuil, ces HSLs interagissent
avec le régulateur de transcription LuxR
qui va activer l’expression des gènes res-
ponsables de la bioluminescence.
II-2) Implication du « quorum sen-
sing » dans la régulation des gènes
de virulence
Des systèmes de « quorum sensing »
utilisant des mécanismes proches du
couple LuxI/LuxR ont été mis en évi-
dence chez de nombreuses bactéries à
Gram négatif pathogènes parmi les-
quelles P. aeruginosa,E. carotovora ou
E. coli. Ces bactéries utilisent le « quo-
rum sensing » pour la régulation de la
virulence. Ainsi, les facteurs de virulence
sont produits massivement lorsque la
densité bactérienne est suffisamment
forte pour conduire une attaque efficace.
Selon les espèces bactériennes, les HSLs
diffèrent (tableau 2) (Miller and Bassler,
2001) ; ceci permet une communication
intraspécifique tout en n’excluant pas
certaines communications interspéci-
fiques.
Le cas de la bactérie pathogène
opportuniste pour l’homme, P. aerugi-
nosa, a été particulièrement étudié. Ce
microorganisme possède trois systèmes
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REGARD sur la BIOCHIMIE
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de « quorum sensing » dont deux,
LasI/LasR et RhlI/RhlR, ont été bien
caractérisés (Rumbaugh et al., 1999).
LasI et RhlI sont des HSL-synthases qui
catalysent respectivement la production
de 3-oxo-C10-HSL et C4-HSL (tableau
2). Les deux systèmes de « quorum sen-
sing » agissent en tandem pour contrôler
séquentiellement la production des fac-
teurs de virulence. A forte densité cellu-
laire, le complexe LasR-(3-oxo-C10-
HSL) va activer l’expression des gènes
codant les facteurs extracellulaires néces-
saires pour initier la destruction des tis-
sus de l’hôte infecté : l’élastase LasB, la
protéase LasA, l’exotoxine A et la phos-
phatase alcaline AprA. Le complexe
LasR-(3-oxo-C10-HSL) active également
l’expression du second système de «quo-
rum sensing » RhlI/RhlR. Le complexe
RhlR-(C4-HSL) active alors la transcrip-
tion des gènes codant les facteurs requis
pour l’invasion de l’hôte : la cytotoxine
Figure 4 : Mode d’action de la régulation de l’expression de gènes par le « quorum sensing ». Les gènes de
l’opéron luxCDABEG codent la machinerie nécessaire pour la production de la bioluminescence. L’expres-
sion de ces gènes est contrôlée par le système de « quorum sensing » LuxR/LuxI.
Tableau 2 : Exemple de la diversité des autoinducteurs de type acylhomosérine lactones et des phénotypes régulés par les systèmes de « quorum sensing » de type
LuxI/LuxR (Miller and Bassler, 2001).
Acylhomoserine lactone Organismes Homologues Phénotypes
de LuxI/LuxR régulés
Pseudomonas aeruginosa RhlI/RhlR toxine (lecA),
exoprotéases,
élastase (lasB),
synthèse des
rhamnolipides
Aeromonas hydrophila AhyI/AhyR Protéase à sérine
et métalloprotéase
Vibrio fischeri LuxI/LuxR Bioluminescence
Erwinia chrysanthemi ExpI/ExpR Pectinases
Erwinia carotovora a) ExpI/ExpR Exoenzymes
b) ExpI/CarR Carbapénème
Rhodobacter sphaeroides CerI/CerR Facteur
d’agglutination
Pseudomonas aeruginosa LasI/LasR
élastase (lasB),
protéase (lasA),
exotoxine A,
phosphatase
alcaline AprA
N-butanoyl-homoserine lactone
(C4-HSL)
N-(3-oxohexanoyl)-homoserine lactone
N-(3-hydroxy-7-cis-tetradecenoyl)-
homoserine lactone
N-(3-oxododécanoyl)-
homoserine lactone
(3-oxo-C10-HSL)
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