REGARD sur la BIOCHIMIE
n° 1 - 2005 27
σS(Loewen et al., 1998). Par ailleurs,
σSactive la transcription de l’opéron
otsBA dont les produits synthétisent du
tréhalose. Cet osmoprotectant assure le
maintien de la pression osmotique intra-
cellulaire à un niveau adéquat (Kaasen
et al., 1992). De même, les mutants
rpoS des bactéries Pseudomonas aeru-
ginosa (pathogène opportuniste de
l’homme), et Erwinia carotovora (phy-
topathogène) sont plus sensibles aux
stress oxydatif et osmotique que les
souches parentales correspondantes
(Suh et al., 1999). Il apparaît donc clai-
rement que σSjoue un rôle déterminant
dans l’adaptation de la bactérie à diffé-
rentes conditions de stress.
I-3-2) Les gènes de virulence
L’environnement rencontré par la
bactérie dans l’hôte est en général très
hostile. Ainsi chez l’animal, les bacté-
ries pénétrant par la voie intestinale doi-
vent traverser l’estomac, où le pH est
voisin de 2. La mise en place de la
réponse générale au stress permet à la
bactérie de s’adapter aux conditions
rencontrées dans l’hôte. Par la suite, la
bactérie va induire la synthèse des fac-
teurs de virulence précoces qui vont lui
permettre de s’établir; la synthèse de
certains de ces facteurs est sous le
contrôle de σS.
Les facteurs de virulence exprimés au
début de l’infection sont généralement
les systèmes d’adhésion de la bactérie à
son hôte. Ainsi chez les souches patho-
gènes entérohémorrhagiques (EHEC)
d’E. coli, le mécanisme d’adhésion aux
cellules de l’épithélium intestinal néces-
site un système de sécrétion de type III,
codé par les gènes du locus LEE dont
l’expression est activée par σS(Beltra-
metti et al., 1999). L’implication de σS
dans le contrôle de la virulence est
encore plus marquée chez des bactéries
comme Salmonella thyphimurium. En
effet, des mutants rpoS de cette bactérie
sont totalement avirulents sur des
modèles murins (Hengge-Aronis,
2000a). Ce phénotype résulterait de l’ab-
sence de la mise en place de la réponse
générale au stress ainsi que d’une régula-
tion inappropriée des gènes de virulence.
Le processus infectieux se poursuit
par l’expression des facteurs de viru-
lence tardifs qui vont généralement per-
mettre la propagation du pathogène. σS
est également impliqué dans la régula-
tion de la synthèse de certains facteurs
tardifs. Ainsi, un mutant rpoS de P. aeru-
ginosa produit moins d’exotoxine A,
facteur de virulence majeur (Suh et al.,
1999). σSest également impliqué dans la
régulation de la virulence chez des bac-
téries phytopathogènes comme Erwinia
carotovora. Chez cette bactérie, σS
contrôle négativement la synthèse d’en-
zymes extracellulaires, responsables de
la dégradation de la paroi des cellules
végétales et considérées comme un fac-
teur de virulence essentiel (Andersson et
al., 1999). Un mutant rpoS d’E. caroto-
vora a une capacité macératrice augmen-
tée in planta par rapport à celle de la
souche parentale mais est incapable de
croître à de fortes densités et d’entrer en
compétition avec la souche parentale
aussi bien in vitro qu’in planta. Ce
défaut de croissance in vivo du mutant
rpoS serait lié à une plus grande sensibi-
lité aux stress oxydatif et osmotique. Cet
exemple suggère qu’un gène rpoS fonc-
tionnel est requis pour la survie de la
bactérie dans un environnement compé-
titif et dans des conditions stressantes.
Ceci met en évidence l’importance du
couplage du contrôle de la réponse au
stress et de l’expression des gènes de
virulence.
Enfin, le facteur σScontrôle égale-
ment d’autres systèmes de régulation
des facteurs de virulence comme le
régulateur SpvR, activateur spécifique
d’un système d’adhésion de Salmonella
typhimurium, ou les régulateurs du
« quorum sensing » chez P. aeruginosa
(voir partie II).
II. Le « quorum sensing »
II-1) La communication
entre bactéries
Une communication entre bactéries a
été mise en évidence pour la première fois
chez Vibrio fischeri, bactérie symbiote entre
autre du poisson Eurprymna scolopes. Ce
microorganisme peut vivre soit sous forme
planctonique, c’est-à-dire libre dans les
océans, soit dans un environnement confiné
lors de l’association symbiotique avec E.
scolopes. V. fischeri a la propriété de syn-
thétiser un composé luminescent dans des
conditions de forte densité cellulaire, ren-
contrées naturellement lorsque la bactérie
est engagée dans une association symbio-
tique. L’expression des gènes responsables
de la bioluminescence est donc liée à la den-
sité cellulaire chez V. fischeri. Le phéno-
mène est nommé «quorum sensing»; il per-
met de coupler le contrôle d’un mécanisme
avec la densité cellulaire bactérienne en vue
d’une action concertée (Fuqua et al., 1994).
Ainsi, la bioluminescence n’est activée que
si le nombre de bactéries dépasse un seuil.
Cette production de lumière est détermi-
nante pour le maintien de la relation sym-
biotique (Lupp et al., 2003). En effet, elle
permet au symbiote d’être lumineux de nuit
ce qui compense l’ombre créée par la lune.
A la surface, il devient indétectable par ses
prédateurs situés en profondeur. En contre-
partie, les bactéries trouvent un environne-
ment propice à leur développement.
Le principe du « quorum sensing »
repose sur la production d’une molécule
signal ou autoinducteur diffusible dans le
milieu extérieur (figure 4) (Kaplan and
Greenberg, 1985). Chez V. fischeri, comme
chez de nombreuses bactéries à Gram
négatif, la molécule signal appartient à la
famille des N-acyl homosérine lactone
(HSL) (Eberhard et al., 1981). Chez V.
fischeri, l’HSL est synthétisée par le pro-
duit du gène luxI (Engebrecht and Silver-
man, 1984). En raison du caractère diffu-
sible de l’HSL, les concentrations intra et
extra cellulaires sont équivalentes. De ce
fait, la concentration d’HSL augmente
proportionnellement à la densité cellulaire.
Lorsque la concentration d’HSL atteint
une valeur seuil, ces HSLs interagissent
avec le régulateur de transcription LuxR
qui va activer l’expression des gènes res-
ponsables de la bioluminescence.
II-2) Implication du « quorum sen-
sing » dans la régulation des gènes
de virulence
Des systèmes de « quorum sensing »
utilisant des mécanismes proches du
couple LuxI/LuxR ont été mis en évi-
dence chez de nombreuses bactéries à
Gram négatif pathogènes parmi les-
quelles P. aeruginosa,E. carotovora ou
E. coli. Ces bactéries utilisent le « quo-
rum sensing » pour la régulation de la
virulence. Ainsi, les facteurs de virulence
sont produits massivement lorsque la
densité bactérienne est suffisamment
forte pour conduire une attaque efficace.
Selon les espèces bactériennes, les HSLs
diffèrent (tableau 2) (Miller and Bassler,
2001) ; ceci permet une communication
intraspécifique tout en n’excluant pas
certaines communications interspéci-
fiques.
Le cas de la bactérie pathogène
opportuniste pour l’homme, P. aerugi-
nosa, a été particulièrement étudié. Ce
microorganisme possède trois systèmes
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