G régory A im ar

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Préface
Je ne sais pas si ma rencontre avec ce nouveau terrien,
avec ce μ (mu), a été le fruit du hasard. Je ne sais pas non
plus pourquoi il m’a offert le journal qu’il a tenu au moment
de sa renaissance – de sa mue – et pendant les mois qui ont
suivi. Mais cette rencontre et ce journal ont eu une influence
décisive sur ma vision du monde et sur ma propre vie.
J’ai une chance inouïe d’avoir rencontré un
représentant de cette nouvelle espèce et il m’apparaît
maintenant évident de devoir partager cette chance avec
d’autres. Il m’apparaît aussi évident de devoir proposer, à
travers ce livre, un dialogue autour des idées qui y sont
développées : j’aimerais que chaque lecteur puisse écrire sur
le sujet de son choix, qu’il se permette de donner son point
de vue, qu’il s’autorise à prendre position et à s’exprimer.
Ces écrits seront ensuite publiés et accompagnés d’une
réponse de l’auteur, créant ainsi des dialogues
philosophiques d’où émergeront peut-être – je l’espère – des
solutions aux innombrables difficultés que nous
rencontrons tous aujourd’hui. Pour partager vos réflexions
et poser vos questions, vous pouvez utiliser l’adresse
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suivante : [email protected], je
transmettrai vos écrits à l’auteur du Journal μ, qui vous
répondra.
J’ai reçu ce journal en 2008 et si certaines références
concernent des événements survenus il y a quelques années
maintenant, les réflexions que l’auteur propose ici n’en sont
pas moins d’actualité. Terriblement d’actualité même, je
dirais. Une preuve de la clairvoyance de cette nouvelle
espèce μ. Il est plus que jamais temps de regarder notre
réalité en face, de se poser les bonnes questions et d’y
apporter des réponses.
J’ai tenté de retranscrire le contenu de ce journal aussi
fidèlement que possible. J’ai ajouté, à la suite du journal, des
commentaires personnels qui m’ont paru utiles pour une
compréhension approfondie de ce qui est à l’œuvre
actuellement au sein de l’humanité.
L’espèce humaine μ est la prochaine espèce sociale. Elle
représente un nouveau mode de pensée. Les μ sont les
nouveaux terriens.
Grégory Aimar
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Le Journal
Jour 1 [Naissance]
Je suis arrivé sur Terre aujourd’hui. J’ai 29 ans. Je ne
sais pas vraiment d’où je viens, mais je me sens bien. J’ai
l’impression d’être reposé. Pas d’avoir dormi non, mais
d’être ressourcé, régénéré… Rempli.
Les services sociaux m’ont ramassé à l’aube,
inconscient et nu, devant un supermarché de banlieue. Ils
m’ont emmené dans un bâtiment en préfabriqué où
beaucoup de personnes semblaient avoir perdu quelque
chose, ainsi que l’envie de retrouver ce quelque chose.
Douché, ou plutôt devrais-je dire « karchérisé » de la tête
aux pieds, habillé de vêtements quasiment neufs, je bois une
gorgée du café que l’on me tend. Je la recrache aussitôt, saisi
par son amertume. J’attrape un journal, puis vais m’asseoir
sur un banc à l’extérieur du centre d’accueil.
C’est un matin de printemps. Les rayons du soleil
matinal, déjà chauds, et la brise tiède qui me caresse la nuque
et les bras me réconfortent de ce réveil brutal. J’échange un
sourire avec un vieillard assis sur le banc d’à côté.
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« Ça y est, les beaux jours reviennent ! On va enfin
pouvoir redormir dehors… Pas trop tôt ! » me dit-il,
concluant d’un rire éraillé et mécanique. Je lui souris à
nouveau, refoulant ma compassion afin de ne pas lui
renvoyer sa pauvreté à la face. Et une pensée me frappe
soudain : comment puis-je comprendre sa situation ?
Comment puis-je ressentir sa détresse ? Je ne suis sur Terre
que depuis quelques heures et je suis pourtant capable
d’appréhender les concepts de pauvreté, de détresse, de
pudeur, de solidarité… D’où me viennent ces sentiments ? Je
repense tout à coup au journal que j’ai emprunté à l’intérieur
du centre. Je l’attrape et en tourne les pages nerveusement.
Guerre, faillite, procès, meurtre, trafic d’armes, maladie,
insécurité, chômage, corruption, terrorisme, abus, dictature,
accident, catastrophe naturelle, menace nucléaire, menace
génétique, menace… Mort… Peur… Je ressens tout cela. Je
participe à chacun de ces évènements.
J’ai la sensation de ne rien connaître mais de tout
savoir. Je ne suis sur Terre que depuis quelques heures et j’ai
1000 ans. Je suis un vieillard avec les yeux d’un enfant de 5
ans. Et la première chose qui me frappe c’est que tout cela
n’est pas la réalité.
Réalité : (n.f.) Ce qui est réel, ce qui existe en fait par
opposition à ce qui est imaginé, rêvé, fictif. (1)
Ce journal cherche apparemment à décrire le monde,
mais c’est comme s’il n’en montrait que l’ombre. C’est
comme si l’on admirait l’ombre du Penseur de Rodin
projetée par le soleil sur le sol, en oubliant l’œuvre ellemême. En parcourant ces articles, je suis affecté par les
souffrances de ces gens, et en moi se renforcent
paradoxalement une joie, une légèreté, car je crois qu’au
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fond tout va bien. Je crois qu’il faut simplement lever les
yeux vers le Penseur. Ce n’est que parce que l’on regarde
l’ombre que l’on reproduit de l’ombre. Si l’artiste qui croit
s’inspirer de Rodin crée une ombre lui-même, ses propres
disciples créeront-ils alors l’ombre d’une ombre ?
Jour 2 [Éveil]
J’ai passé la journée d’hier avec les gens des secours
sociaux. Je les ai aidés à accueillir un flot ininterrompu de
citoyens qui ne semblaient plus vraiment appartenir à la
Cité. Devant la détermination des bénévoles à tenter
d’apaiser la misère, il me parut évident que mon aide ne
pourrait que les encourager. Les ressources de ces humains
sont fascinantes. À quoi pensent-ils ? Comment font-ils
pour mettre autant de cœur à leur œuvre inachevable ? J’ai
eu l’impression d’écoper le tonneau des Danaïdes.
La nature humaine est bien étrange. Elle est duelle.
C’est peut-être même le propre de l’Homme, cette dualité.
C’est à mon sens une prouesse de cautionner un système qui
répartit aussi mal ses richesses à la source, en produisant des
efforts aussi immenses que vains pour atténuer les effets
dévastateurs de cette mauvaise répartition. Une prouesse ou
une aberration, selon le point de vue.
Aberration : (n.f.) ASTRON. Écart entre la direction
apparente d’un astre et sa direction réelle, dû au mouvement
de la Terre. (1)
On ne retrouve cette dualité chez aucune autre espèce
animale. Aucun être vivant, à part l’Homme, ne dépense
autant d’énergie à essayer de réparer ce qu’il casse lui-même
de manière perpétuelle.
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Jour 3 [Une nouvelle pensée]
Pourquoi écrire un roman ?
C’est à ça qu’aurait dû ressembler mon journal : un
roman philosophique narrant les errances de mon
personnage dans une société proche de la nôtre. Le héros,
né sur Terre à 29 ans, devait servir de médium à mes propres
réflexions et être amené à les développer à l’occasion de telle
ou telle péripétie. Exercice qui aurait finalement très vite
ressemblé à de la pornographie philosophique, une sorte de
« pornosophie » : une suite de situations prétextes à
l’exhibition de paradigmes et à leur pénétration par des
arguments aussi disproportionnés qu’artificiels.
Pourquoi utiliser un personnage pour exprimer mes
propres pensées ? Pourquoi créer un décalage narratif qui
portera sans doute à encore davantage d’interprétations
qu’il n’y en aurait eues initialement ? Aurais-je été, malgré
moi, influencé par les méthodes outrancières de la
communication
contemporaine ?
« Pornalisme » ?
« Pornolitique » ? Il est difficile de prendre conscience que
ces méthodes obscènes s’appliquent à un tel point à la
politique et au journalisme qu’elles peuvent s’imprimer en
chacun de nous jusqu’à faire de nous des acteurs de notre
propre isolement émotionnel et intellectuel. Il est difficile
d’accepter l’idée que des gouvernements, ainsi que leurs
(prétendus) contre-pouvoirs, dégénèrent volontairement
nos capacités d’évolution spirituelle pour leur profit
matériel, pécuniaire, personnel et immédiat, protégé de
toute remise en cause concrète par un syndrome de
Stockholm collectif.
Je vais commencer par appliquer à moi-même l’un des
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fondements essentiels de mes nouvelles réflexions : la
recherche de la vérité, c’est-à-dire de l’authenticité, de la
sincérité et de la lucidité. La lucidité n’étant qu’une forme
de sincérité vis-à-vis de soi-même. L’exercice d’écriture
auquel je m’adonne ici est autant motivé par la mise à nu de
ma pensée que par mes réflexions elles-mêmes.
J’ai réellement l’impression d’être né à 29 ans et de
naître tous les jours depuis, comme si l’amnésie qui me
frappait s’était dissipée pour laisser place au souvenir de mes
vraies origines, qui sont humaines mais pas terrestres. Ces
naissances quotidiennes ont pour première conséquence de
me faire porter un regard chaque jour renouvelé sur notre
société, sur notre humanité. Il y a tellement d’habitudes de
pensée chez tellement de gens, qui ont pour effet le plus
pervers de tuer leur capacité à réaliser qu’ils s’enferment
dans ces habitudes. Je ne juge évidemment personne en
disant cela, je ne fais qu’observer. Il ne faut pas confondre
observation et jugement, ce qui n’est finalement pas si
difficile si l’on garde en tête qu’un jugement entraîne une
condamnation. Une observation est au contraire un
premier pas vers la libération.
Je crois que, de toute éternité, le plus lourd handicap de
l’homme dans sa recherche d’épanouissement a été son
incapacité à penser par lui-même, en dehors des grands
penseurs qui donnent bonne conscience à la collectivité en
pensant pour les autres. On ne peut pas être en harmonie
avec nos propres pensées si l’on vit à travers celles des
autres, qui ne sont d’ailleurs souvent même pas les leurs. Ce
n’est pas l’agrégation des pensées qui apportera l’harmonie
aux sociétés mais l’adoption d’un processus constructif de
pensée, fondé sur l’empathie et l’introspection, et opposé au
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principe d’habitude. Une pensée dynamique, intuitive, non
intellectuelle.
Nos pensées, conscientes ou inconscientes, étant à la
base de nos émotions, on peut même aller jusqu’à dire que
l’on s’habitue à être frustré, en colère ou triste. Une habitude
relève d’un choix et par extension nos émotions dépendent
également de ce choix. Nous choisissons donc réellement la
qualité de notre vie… Mais par quel processus ?
Jour 7 [La pensée quantique]
Nous sommes, en permanence, potentiellement
heureux et malheureux à la fois : tout dépend de la manière
dont on va « mesurer » notre état. Les émotions sont en fait
de nature quantique, elles connaissent une superposition
d’états avant leur mesure.
La physique quantique est une branche de la physique
qui tente de décrire, via la mécanique quantique, le
comportement des particules atomiques et subatomiques
qui composent la matière : électrons, protons, neutrons ou
encore photons, parmi d’autres. « La mécanique quantique
comporte de profondes difficultés conceptuelles et son
interprétation physique ne fait pas l’unanimité dans la
communauté scientifique. Parmi ces concepts, on peut citer
la dualité onde-corpuscule, la superposition quantique,
l’intrication quantique ou encore la non-localité. (…) Le plus
important postulat de la mécanique quantique est
probablement le principe de superposition. » Ce principe
nous dit qu’à l’échelle subatomique, avant d’être observée
(ou mesurée), une particule peut se trouver dans plusieurs
états à la fois : une particule peut être blanche et noire en
même temps. Pour être encore plus précis, en réalité, cette
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particule n’est ni blanche ni noire, ni l’infinité de nuances
de gris qui existe entre les deux, elle n’est qu’un « potentiel »
de couleur et sa couleur « réelle » n’est déterminée qu’au
moment de son observation. Sa couleur n’est pas découverte
lors de son observation, mais déterminée. « Le point
important est qu’un état superposé n’est pas un état
traduisant une ignorance vis-à-vis de l’état réel du système,
mais bien une indétermination intrinsèque au système. » (2)
C’est l’observateur qui va déterminer, en l’observant, si la
particule est blanche, noire ou grise. La physique quantique
remet en question tout ce que nous croyions connaître de
notre univers et de ses lois. Non seulement les propriétés de
la matière que l’on découvre à l’échelle quantique ne
correspondent pas aux propriétés de cette même matière au
niveau macroscopique, mais elles ne correspondent même
à rien de ce qui est considéré aujourd’hui comme
« scientifique », c’est-à-dire mécaniste.
Mécanisme : (n.m.) PHILOS. Philosophie de la nature
qui s’efforce d’expliquer l’ensemble des phénomènes naturels
par les seules lois de cause à effet. (1)
Nous pouvons faire une analogie très simple entre la
mécanique quantique et notre mécanique émotionnelle :
nos émotions – étant une énergie – sont faites de particules
quantiques et leur système de mesure est constitué par nos
pensées. Ainsi, nos propres réflexions, qu’elles soient
conscientes ou inconscientes, constituent une mesure de
notre état émotionnel à un instant t. Nous sommes, quoi
qu’il arrive, potentiellement heureux et malheureux à la fois,
jusqu’à ce que nous en décidions. L’instrument (notre
pensée) que nous allons utiliser pour mesurer notre état
émotionnel (heureux ou malheureux) va déterminer cet état
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