Biologie au quotidien Ann Biol Clin 2013 ; 71 (3) : 349-51 Hépatite E autochtone, une pathologie émergente : à propos d’un cas Autochtonous hepatitis E, an emerging infection: case report Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Laetitia Mais1 Patrick Gerome2 Sylvie Tesse3 Edmond Vincent1 1 Service d’hépato gastroentérologie, HIA Desgenettes, Lyon, France <[email protected]> 2 Fédération de biologie clinique, HIA Desgenettes, Lyon, France 3 CNR Hépatite E Hôpital du Val de Grâce, Paris, France Article reçu le 19 juillet 2012, accepté le 15 octobre 2012 Résumé. L’hépatite E est une infection rare en France mais sa fréquence croissante en fait une infection émergente. Les formes autochtones prédominent, concernent essentiellement l’adulte de plus de 40 ans et sont dues majoritairement au génotype 3f. Face à une hépatite aiguë, ce diagnostic doit être évoqué, y compris en l’absence de voyage récent en pays endémique. Il repose sur l’association de la sérologie (IgM et IgG anti-VHE, et dans certains cas l’index d’avidité des IgG) et de la RT-PCR (sur selles ou sérum) devant être pratiquée précocement et probablement en première intention sur un terrain à risque. Mots clés : hépatite E, sérologie Abstract. Hepatitis E is rare in France but its increasing frequency makes it an emerging infection. Autochtonous hepatitis E is prevalent, largely confined to older men and currently caused by gentotype 3f. Patients with unexplained hepatitis should be tested by hepatitis E, even in the absence of travel from endemic areas. The diagnosis is based on serological testing (including detection of specific antibodies IgM and IgG, and sometimes by determination of antibody avidity) and nucleic acid amplification techniques which might used first. Key words: hepatitis, serology Dans les pays industrialisés, devant un tableau d’hépatite aiguë, l’hypothèse d’hépatite E devrait être systématiquement évoquée devant la négativité d’un bilan sérologique initial bien conduit (principaux virus responsables d’hépatite aiguë), y compris en l’absence de facteurs favorisant cette infection. L’observation rapportée en est une illustration. doi:10.1684/abc.2013.0822 L’observation Nous rapportons le cas d’un homme de 82 ans, caucasien, militaire à la retraite, hospitalisé dans notre service pour ictère. Le patient avait pour antécédent une cardiopathie ischémique, une hypertension artérielle, une dyslipidémie, une bronchite chronique post-tabagique, une insuffisance rénale et un carcinome urothélial non infiltrant non traité. Il n’avait pas d’habitudes toxiques, notamment pas d’alcoolisme chronique, et n’avait pas introduit de nouveaux médicaments. Le vaccin anti-hépatite B était à jour. Le patient n’a rapporté aucun voyage récent à l’étranger, ne rapporte pas de modification des habitudes alimentaires, ne vit pas en présence d’animaux domestiques et ne pratique pas la chasse. Il n’a pas bénéficié de transfusion sanguine dans les trois mois précédant l’apparition des symptômes. Il a présenté un ictère cutanéo-muqueux apparu quelques jours avant l’hospitalisation, sans signes associés notamment en l’absence de fièvre. L’examen clinique n’a pas retrouvé de signes d’hépatopathie chronique. Le bilan biologique a mis en évidence une cytolyse hépatique (ASAT : 5 N et ALAT : 6 N), un ictère cholestatique à bilirubine conjuguée à 230 mol/L sans syndrome inflammatoire et sans insuffisance hépatique (TP à 88 %). L’échographie hépatique normale orientait vers une hépatite aiguë. Les hépatites alcoolique et médicamenteuse ont été éliminées par l’interrogatoire fiable du patient. Le bilan complémentaire a permis d’écarter une étiologie virale commune (absence d’argument biologique en faveur d’une infection par les virus des hépatites A, B, C, par le virus d’Epstein Barr et le cytomégalovirus) et auto-immune. La recherche d’une infection par le virus de l’hépatite E en deuxième intention révélait la présence d’IgM et d’IgG anti-VHE ; la recherche d’ARN du VHE sur plasma confirmait le diagnostic et permettait d’identifier un virus de génotype Pour citer cet article : Mais L, Gerome P, Tesse S, Vincent E. Hépatite E autochtone, une pathologie émergente : à propos d’un cas. Ann Biol Clin 2013 ; 71(3) : 349-51 doi:10.1684/abc.2013.0822 349 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Biologie au quotidien 3f. Le patient a bénéficié d’un traitement symptomatique excluant les traitements hépatotoxiques et d’une surveillance biologique des paramètres hépatiques jusqu’à normalisation de ceux-ci. L’évolution a été spontanément favorable ; le patient a quitté le service au trentième jour après normalisation du bilan hépatique. Le patient n’a pas été revu en consultation, celui-ci vivant à présent en institution médicalisée. La reprise de l’interrogatoire a posteriori révélait une consommation de figatelles crues et de produits à base de porc apparaissant comme le vecteur de contamination le plus probable. Cependant, en l’absence d’échantillons alimentaires, cette hypothèse ne peut être confirmée. Discussion Le virus de l’hépatite E (VHE) est connu depuis 1978. Il s’agit d’un virus du genre Hepevirus, de la famille des Hepeviridae. Il existe cinq génotypes dont un génotype aviaire [1]. Il sévit selon deux modes épidémiologiques. L’expression sur un mode épidémique concerne les pays émergents où l’hépatite E est avant tout une maladie du péril oro-fécal. Cette contamination est responsable de cas sporadiques d’importation dans les pays industrialisés. Les génotypes principalement retrouvés sont les génotypes 1 (Asie et Afrique), 2 (Mexique) et 4 (Chine, Taïwan au Japon, Vietnam) qui sont responsables de formes graves, principalement chez les femmes enceintes. Les génotypes 1 et 2 sont retrouvés exclusivement chez l’homme contrairement aux génotypes 3 et 4 qui ont une prévalence humaine et animale. L’expression sur un mode endémo-sporadique concerne les pays industrialisés (Europe, Japon, Amérique du Nord). Le génotype 3 est en général impliqué dans ces formes autochtones (principalement le génotype 3f en Europe) qui représentent la majorité des cas décrits dans ces zones (plus de 85 %). La transmission est indirecte, le plus souvent par voie orofécale. Les vecteurs de contamination sont soit la consommation d’eau, soit l’exposition au réservoir animal via les suidés par consommation de viandes crues ou insuffisamment cuites (salaisons, jambon, saucisses crues type figatelles) [2]. De rares cas de transmission par transfusion sanguine ont été rapportés dans ces zones endémiques [3]. L’origine de la contamination demeure cependant inconnue dans un tiers des cas d’hépatites E autochtones. Les cas autochtones d’hépatite E aiguë sont de plus en plus rencontrés dans les pays comme la France où leur incidence est en augmentation (19 cas rapportés en 2005, 145 en 2008, 200 cas en 2010) [4]. La séroprévalence des anticorps anti-VHE de type IgG dans les pays non endémiques est hétérogène selon les zones géographiques et les populations étudiées (13,5 % chez les transplantés) [5]. En 350 France, un gradient nord-sud de cette prévalence est décrit, il passe de 3,2 % en région parisienne à 16,6 % en région toulousaine. Ces résultats sont en accord avec la répartition des cas autochtones qui sont majoritairement décrits en région Paca, Languedoc Roussillon et Midi-Pyrénées (plus de 50 % des cas). La région Rhône-Alpes en a recensé 3,5 % de cas en 2008 [1]. L’âge moyen des patients est supérieur à 55 ans. La plupart du temps, l’infection est asymptomatique ou pauci symptomatique (environ 50 % des cas). Lorsque l’infection se manifeste, le tableau clinique est celui d’une hépatite aiguë virale classique associant une phase pré-ictérique d’une durée d’un à dix jours avec des symptômes digestifs de type nausées, vomissements et douleurs abdominales suivie d’une phase ictérique inconstante. La guérison est obtenue le plus souvent en 1 mois sans séquelles. Des formes chroniques susceptibles d’évoluer vers une cirrhose et ses complications sont rapportées. Elles ne surviennent que chez les patients à risques : patients porteurs d’hépatopathie chronique, immunodéprimés et patients transplantés pour lesquels la mortalité atteint 8 à 12 %. Par contre, les formes d’hépatite fulminante paraissent exceptionnelles dans les pays industrialisés. Ceci est à opposer aux formes graves décrites chez la femme enceinte dans les pays à haut niveau d’endémicité (20 % de décès au 3e trimestre de grossesse). Cette différence pourrait s’expliquer par le génotype en cause ou par l’âge de l’infection. Le diagnostic de certitude de l’infection par le virus de l’hépatite E est biologique. Il repose sur la détection du virus par RT-PCR dans le sang et/ou dans les selles et sur les analyses sérologiques. Le prélèvement est contributif s’il est fait dans les 5 jours précédant l’ictère ou dans les 28 jours qui suivent son apparition. La RT-PCR est plus sensible que la sérologie pour le diagnostic d’infection à VHE chez les patients immunodéprimés. L’analyse du fragment du génome viral mis en évidence permet de déterminer le génotype de la souche impliquée. Cette information est importante pour la recherche du vecteur de contamination et les études épidémiologiques [4]. La détection des anticorps spécifiques du VHE (IgG et IgM) a des limites. La détection des IgM spécifiques est en faveur d’une infection récente, avec une spécificité supérieure à 95 % et une sensibilité de 85 % qui diminue chez les immunodéprimés [6]. Les IgG spécifiques du VHE sont produits précocement et persistent plus de 10 ans après l’infection. Le taux protecteur d’IgG n’a pas encore été établi [7]. Un test d’avidité des IgG peut être utilisé, notamment lorsque la RT-PCR est négative, afin de distinguer une infection récente d’une infection ancienne selon la force de liaison des antigènes-anticorps mais n’est disponible qu’en laboratoire spécialisé. En cas d’hépatite chez un patient à risque, et particulièrement chez les immunodéprimés, la recherche d’une Ann Biol Clin, vol. 71, n◦ 3, mai-juin 2013 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Un cas d’hépatite E autochtone infection par le VHE pourrait être évoquée d’emblée devant le risque de complication. La RT-PCR sera l’examen indiqué. Une recherche d’anticorps anti-VHE chez ces sujets pourrait diminuer la mortalité induite par le virus. Chez le patient autochtone immunocompétent avec un tableau clinique et biologique d’hépatite aiguë, compte tenu des données épidémiologiques actuelles, cette hypothèse relève par contre d’une deuxième intention. Le traitement de l’hépatite E autochtone est symptomatique chez les patients sans signe de gravité. Dans les formes chroniques, un traitement par ribavirine de 3 mois en monothérapie est à l’essai chez des patients transplantés rénaux. De même, l’introduction de ribavirine sur une courte période (10 jours) chez deux patients immunocompétents a permis une régression rapide de la charge virale. Chez les patients avec une hépatopathie chronique préexistante développant une défaillance hépatique sévère, la transplantation hépatique doit être évoquée [7]. Devant la recrudescence des cas, un vaccin recombinant est en cours d’étude de phase 3 en Asie [8]. Un réseau de surveillance a été mis en place en 2009 par l’Institut de veille sanitaire et le CNR aux vues des données épidémiologiques du virus de l’hépatite E. La déclaration n’est pas obligatoire mais les laboratoires font des démarches volontaires auprès des Centres nationaux de référence [9]. Ce cas clinique permet de rappeler un certain nombre de points. L’hépatite E est une infection rare en France, mais sa fréquence croissante pose le problème de son caractère émergent. Les formes autochtones prédominent et concernent essentiellement l’adulte de plus de 40 ans. Le diagnostic repose sur des analyses sérologiques et la recherche de l’ARN viral dans le sang et les selles devant être réalisées précocement. Le diagnostic de l’hépatite E doit être évoqué dans le cas d’un voyage en zone endémique pour les cas importés. Il doit également être évoqué en l’absence de voyage si le patient déclare avoir été en Ann Biol Clin, vol. 71, n◦ 3, mai-juin 2013 contact avec des animaux ou avoir consommé de la viande de suidé crue ou peu cuite. En effet, le tropisme du virus de l’hépatite E n’est pas limité à l’espèce humaine, l’hépatite E étant classée parmi les zoonoses. Tous les vecteurs de contamination ne sont pas clairement identifiés, le diagnostic doit donc être évoqué après exclusion des autres hépatites virales. Liens d’intérêts : aucun. Références 1. Couturier E. L’hépatite E : synthèse de l’épidémiologie humaine. BEH 2010 ; Hors-série, septembre : 18-9. 2. Colson P, Borentain P, Queyriaux B, Kaba M, Moal V, Gallian P, et al. Pig liver sausage as a source of hepatitis E virus transmission to humans. J Infect Dis 2010 ; 202 : 825-34. 3. Khuroo MS. Discovery of hepatitis E : the epidemic non A, non B hepatitis 30 years down the memory lane. Virus Res 2011 ; 161 : 3-14. 4. Renou C, Nicand E, Pariente A, Cadranel JF, Pavio N. How to detect and diagnose an autochthonous hepatitis E ? Gastroenterol Clin Biol 2009 ; 33 (Suppl.) : F27-35. 5. Coton T, Delpy R, Hance P, Carre D, Guisset M. Autochthonous hepatitis E virus in Southeastern France. 2 cases. Presse Med 2005 ; 34 : 651-4. 6. Peron JM. Hépatite aiguë E autochtone : une maladie émergente. Post’U 2011 : 225-30. 7. Dalton HR, Bendall R, Ijaz S, Banks M. Hepatitis E : an emerging infection in developed countries. Lancet Infect Dis 2008 ; 8 : 698-709. 8. Zhu FC, Zhang J, Zhang XF, Zhou C, Wang ZZ, Huang SJ, et al. Efficacy and safety of a recombinant hepatitis E vaccine in healthy adults : a large-scale, randomised, double-blind placebo-controlled, phase 3 trial. Lancet 2010 ; 376 : 895-902. 9. Nicand E, Bigaillon C, Tesse S. Hépatite E en France : données de surveillance des cas humains, 2006-2008. BEH 2009 ; 31-32 : 337-41. 351