généralement à la résolution et la normalisation des controverses scientifiques, c’est-à-
dire au processus qui fait que l’une des parties devient victorieuse, A. Panofsky approche
ces épisodes comme des « moments de restructuration » où le débat scientifique est
« entremêlé avec la réorganisation des luttes et des forces qui constituent le champ »
(p. 23). Ensuite, tandis que la sociologie des sciences tend à voir dans les spécialités
scientifiques des communautés qui partagent des valeurs et des règles professionnelles,
A. Panofsky souligne que « la génétique comportementale n’est pas une communauté en
ce sens » (p. 24). La définition même de la génétique comportementale étant l’enjeu d’une
lutte entre chercheurs, il faut parler de génétiques comportementales au pluriel.
5 Si le champ est initialement construit dans les années 1950 avec la volonté arrêtée
d’éviter toute controverse et de tenir à distance les questions politisées telles que la race
(chapitre 2), cette tranquillité est rapidement mise à mal lorsque le psychologue Arthur
Jensen soutient dans un article publié en 1969 que les différences intellectuelles entre
Blancs et Noirs sont génétiquement déterminées (chapitre 3). Préfigurant la controverse
qui éclatera dans les années 1990 autour de The Bell Curve, les généticiens du
comportement sont attaqués de toutes parts et assimilés aux travaux de A. Jensen, si bien
qu’ils n’ont d’autre choix que de prendre sa défense. Non pas en raison de motivations
racistes ou de l’état du savoir disponible, mais pour défendre leur champ et « préserver
une marge de manœuvre scientifique, politique et sociale » (p. 101). Le mérite de
A. Panofsky est d’être parvenu à proposer un regard dépassionné sur un domaine de
recherche particulièrement controversé. Le sociologue montre qu’il n’est pas nécessaire
de recourir à des interprétations politiques ou morales pour comprendre l’absence de
sanction collective à l’égard de chercheurs tels que A. Jensen ou R. Herrnstein. Pour
défendre leur champ, les généticiens se sont parfois retrouvés contraints de défendre les
recherches menées sur des sujets politiquement sensibles ou, à tout le moins, de
s’abstenir de les critiquer publiquement.
6 La question raciale n’a pas été la seule à mettre le champ en péril. Savoir s’il valait mieux
étudier les comportements humains en utilisant des animaux ou des humains a fait l’objet
d’une controverse majeure (chapitre 4). Les animaux peuvent être manipulés en milieu
expérimental, ce qui n’est pas le cas des humains. En même temps, relier les réactions
animales à ce que l’on peut attendre d’un humain n’est pas toujours facile. La réponse
apportée à cette controverse n’a pas été le résultat d’une pesée de leurs mérites respectifs
et « il n’y a pas eu d’expériences, par exemple, pour coordonner et comparer les systèmes
expérimentaux de la recherche humain et animale » (p. 135). Plutôt, A. Panofsky montre
comment la controverse sur les travaux d’A. Jensen a conduit à un réalignement
disciplinaire du champ, c’est-à-dire à une distanciation vis-à-vis des facultés de génétique
et de biologie et à un rapprochement de la psychologie. Ce réalignement, accompagné
d’une « bunkerisation » (p. 112) et d’un hermétisme aux critiques extérieures, a eu pour
effet de marginaliser les chercheurs en génétique animale, qui provenaient surtout de la
biologie et de la génétique, et de favoriser les chercheurs en génétique humaine issus des
sciences comportementales comme la psychologie. Ce champ fréquenté par des
chercheurs issus de différentes disciplines (psychiatrie, psychologie, neuroscience,
biologie moléculaire, génétique, etc.) – qu’A. Panofsky présente comme un « archipel »
(p. 33) – s’est ainsi trouvé dominé par les chercheurs en génétique humaine
principalement issus de facultés de psychologie et de psychiatrie. En même temps, et de
façon assez paradoxale, cette domination ne s’est pas traduite par une homogénéisation
des recherches produites. En effet, la vision des chercheurs en génétique humaine était
Aaron Panofsky, Misbehaving Science. Controversy and the Development of Behav...
Sociologie , Comptes rendus
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