Sociologie
Comptes rendus
Aaron Panofsky, Misbehaving Science. Controversy
and the Development of Behavior Genetics (University
of Chicago Press, 2014)
Julien Larregue
Édition électronique
URL : http://sociologie.revues.org/3165
ISSN : 2108-6915
Éditeur
Presses universitaires de France
Référence électronique
Julien Larregue, « Aaron Panofsky, Misbehaving Science. Controversy and the Development of Behavior
Genetics (University of Chicago Press, 2014) », Sociologie [En ligne], Comptes rendus, 2017, mis en
ligne le 22 février 2017, consulté le 22 février 2017. URL : http://sociologie.revues.org/3165
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Aaron Panofsky, Misbehaving Science.
Controversy and the Development of
Behavior Genetics (University of
Chicago Press, 2014)
Julien Larregue
RENCE
Aaron Panofsky, Misbehaving Science. Controversy and the Development of Behavior Genetics,
Chicago, University of Chicago Press, 2014, 320 p.
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Aaron Panofsky, Misbehaving Science. Controversy and the Development of Behav...
Sociologie , Comptes rendus
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1 En 1994, le psychologue de Harvard,
Richard Herrnstein et le politiste Charles
Murray publient The Bell Curve, un livre de
plus de 800 pages sur les inégalités sociales
et économiques entre groupes raciaux. Cet
ouvrage soutenait que ces inégalités
étaient dues à des différences
d’intelligence – mesurée par le QI –
d’origine génétique, qui expliqueraient
dans une large mesure que les Afro-
Américains et les Latinos aient plus de
difficultés que les Blancs ou les Asiatiques.
Il allait donner lieu à une controverse
majeure, tant dans le monde acamique
qu’à l’extérieur. Face à cette crise, « les
réponses collectives du champ [de la
génétique comportementale] étaient assez
inattendues1 » (p. 3). Si un petit groupe de
chercheurs en génétique animale prit
position publiquement et s’attaqua aux
arguments de R. Herrnstein et C. Murray, la
réponse principale des ticiens du comportement fut d’adhérer à ces arguments (p. 4).
2 C’est par cet épisode que le sociologue Aaron Panofsky, Associate Professor à l’Institute for
Society and Genetics de UCLA, entame Misbehaving Science. L’épisode de The Bell Curve est
selon lui symptomatique de l’inaptitude du champ de la génétique comportementale à
réguler et à normaliser les controverses qui éclatent. D’où l’idée de misbehaving science,
c’est-à-dire d’une science qui se conduit mal et qui se montre incapable d’apporter une
solution aux crises : « si la science est comme une machine pour résoudre les
controverses, dans la misbehaving science cette machine est cassée » (p. 9).
3 Nous commencerons par synthétiser le contenu de l’ouvrage de Panofsky, qui propose
une analyse particulièrement fine du développement et de la structure de la génétique
comportementale. Mais ce n’est pas là le seul apport de Misbehaving Science : ce livre
pourra susciter l’intérêt des sociologues des sciences et des chercheurs en sciences
sociales de façon plus générale.
La génétique comportementale, cette science
controversée
4 Retraçant l’histoire du champ de la génétique comportementale depuis les années 1950
jusqu’à nos jours, A. Panofsky montre « comment les controverses ont façonné le
veloppement de latique comportementale » (p. 11). Pour ce faire, l’auteur mobilise
la théorie du champ de Pierre Bourdieu (chapitre 1). Aaron Panofsky présente son
approche comme étant à la croisée de deux traditions de la sociologie des sciences :
l’analyse des controverses, d’une part, et l’étude institutionnelle des spécialités
scientifiques, d’autre part (p. 22-25). Il tient cependant à souligner qu’il s’en démarque à
certains égards. Premièrement, alors que les sociologues des sciences s’intéressent
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généralement à la résolution et la normalisation des controverses scientifiques, c’est-à-
dire au processus qui fait que l’une des parties devient victorieuse, A. Panofsky approche
ces épisodes comme des « moments de restructuration » le bat scientifique est
« entremêlé avec la réorganisation des luttes et des forces qui constituent le champ »
(p. 23). Ensuite, tandis que la sociologie des sciences tend à voir dans les scialités
scientifiques des communautés qui partagent des valeurs et des gles professionnelles,
A. Panofsky souligne que « la tique comportementale n’est pas une communauen
ce sens » (p. 24). La définition même de la gétique comportementale étant l’enjeu d’une
lutte entre chercheurs, il faut parler de génétiques comportementales au pluriel.
5 Si le champ est initialement construit dans les années 1950 avec la volonté arrêtée
d’éviter toute controverse et de tenir à distance les questions politisées telles que la race
(chapitre 2), cette tranquilliest rapidement mise à mal lorsque le psychologue Arthur
Jensen soutient dans un article publié en 1969 que les différences intellectuelles entre
Blancs et Noirs sont génétiquement détermies (chapitre 3). Préfigurant la controverse
qui éclatera dans les années 1990 autour de The Bell Curve, les généticiens du
comportement sont attaqués de toutes parts et assimilés aux travaux de A. Jensen, si bien
qu’ils n’ont d’autre choix que de prendre sa défense. Non pas en raison de motivations
racistes ou de l’état du savoir disponible, mais pour fendre leur champ et « préserver
une marge de manœuvre scientifique, politique et sociale » (p. 101). Le rite de
A. Panofsky est d’être parvenu à proposer un regard dépassion sur un domaine de
recherche particulièrement controversé. Le sociologue montre qu’il n’est pas nécessaire
de recourir à des interprétations politiques ou morales pour comprendre l’absence de
sanction collective à l’égard de chercheurs tels que A. Jensen ou R. Herrnstein. Pour
fendre leur champ, les généticiens se sont parfois retrouvés contraints de défendre les
recherches menées sur des sujets politiquement sensibles ou, à tout le moins, de
s’abstenir de les critiquer publiquement.
6 La question raciale n’a pas été la seule à mettre le champ en péril. Savoir s’il valait mieux
étudier les comportements humains en utilisant des animaux ou des humains a fait l’objet
d’une controverse majeure (chapitre 4). Les animaux peuvent être manipulés en milieu
expérimental, ce qui n’est pas le cas des humains. En me temps, relier les réactions
animales à ce que l’on peut attendre d’un humain n’est pas toujours facile. La réponse
apportée à cette controverse n’a pas été le résultat d’une pesée de leurs mérites respectifs
et « il n’y a pas eu d’expériences, par exemple, pour coordonner et comparer les systèmes
expérimentaux de la recherche humain et animale » (p. 135). Plutôt, A. Panofsky montre
comment la controverse sur les travaux d’A. Jensen a conduit à un réalignement
disciplinaire du champ, c’est-à-dire à une distanciation vis-à-vis des facultés de génétique
et de biologie et à un rapprochement de la psychologie. Ce réalignement, accompagné
d’une « bunkerisation » (p. 112) et d’un hermétisme aux critiques extérieures, a eu pour
effet de marginaliser les chercheurs en génétique animale, qui provenaient surtout de la
biologie et de la génétique, et de favoriser les chercheurs en génétique humaine issus des
sciences comportementales comme la psychologie. Ce champ fréquenté par des
chercheurs issus de différentes disciplines (psychiatrie, psychologie, neuroscience,
biologie moléculaire, génétique, etc.) – qu’A. Panofsky présente comme un « archipel »
(p. 33) – s’est ainsi trouvé dominé par les chercheurs en génétique humaine
principalement issus de facultés de psychologie et de psychiatrie. En même temps, et de
façon assez paradoxale, cette domination ne s’est pas traduite par une homogénéisation
des recherches produites. En effet, la vision des chercheurs en génétique humaine était
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celle d’un champ multidisciplinaire vo à produire des capitaux qui seraient ensuite
réimportés dans le champ d’origine respectif des participants (psychologie, psychiatrie,
etc.). Si bien que cette domination s’est traduite par une institutionnalisation de l’anomie,
ce qui signifie très conctement qu’aucun « standard scientifique parta» ne viendrait
gouverner la production du savoir dans le champ de la nétique comportementale
(p. 136).
7 Cette anomie a permis qu’une partie des généticiens du comportement adoptent une
position réductionniste et étudient l’effet de la génétique sur un large panel de
comportements humains : intelligence, crime, orientation sexuelle, divorce, religiosité ou
encore consommation de soda (chapitre 5). Panofsky montre qu’en développant une
approche déterministe, ces chercheurs, un peu à la manière des artistes d’avant-garde,
ont atti l’attention de leurs pairs, obtenu des financements, et se sont fait des alliés
(p. 162). Ce « pouvoir du réductionnisme » (p. 138) et la valorisation des productions
scientifiques controversées devient ainsi l’une des stratégies de faire-valoir des
généticiens et ce malgré les critiques séres qui leur sont adressées par les psychologues
qui mettent en avant les facteurs sociaux et environnementaux.
8 Dans les années 1990, l’arrie des technologies moléculaires – notamment par le
lancement du Human Genome Project augure une révolution scientifique de la génétique
comportementale, en promettant la résolution des controverses interminables en même
temps que la mise à disposition d’un outil supplémentaire pour les approches
terministes (chapitre 6). Selon A. Panofsky, « aucune des deux n’a eu lieu » (p. 16). Le
veloppement de la génétique moléculaire « s’est avéré être plus reproductif que
révolutionnaire pour la génétique comportementale » (p. 191). La structure du champ a
guidé la réception des méthodes moléculaires, et non l’inverse. D’ailleurs, la fin du Human
Genome Project en 2003 n’a pas mis un terme aux controverses. En particulier, certains
généticiens du comportement ont été accusés d’irresponsabilité dans la communication
publique de leurs recherches pour favoriser la génétisation des comportements humains
(chapitre 7). Approfondissant l’analyse du chapitre 5, A. Panofsky explique que la volonté
des chercheurs de se constituer un capital de notoriété – c’est-à-dire « la capacité
d’obtenir la reconnaissance de larges audiences » (p. 209) encourage les commentaires
provocateurs et les « pratiques irresponsables » vis-à-vis de la spre publique. Accusés
de biologiser les actions humaines et d’alimenter la fascination de la socpour l’ADN,
les généticiens du comportement négligent leur responsabilité sociale pour se concentrer
sur leur responsabiliscientifique et la défense de la liberté académique (p. 195).
Vers une systématisation de la théorie du champ
scientifique ?
9 La théorie du champ a longtemps été ignoe par les Science & Technology Studies (STS),
principalement pour des craintes relatives à la fermeture théorique et à la normativité de
la notion (Camic, 2011). Aaron Panofsky participe au mouvement actuel de redécouverte
par les STS de l’appareillage théorique et méthodologique de P. Bourdieu (Albert &
Kleinman, 2011 ; Camic, 2011 ; Foster et al., 2015 ; Hess, 2011 ; Larregue, 2017) et fournit
une excellente illustration de son potentiel heuristique en ce domaine.
10 L’analyse d’A. Panofsky apporte des éléments de réponse aux inquiétudes soulevées par la
façon dont P. Bourdieu a torisé le fonctionnement du milieu académique et la
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