XX cas complexes en implantologie 16 Esthétique et déficits osseux multiples Philippe Russe 1. Radiographie panoramique initiale du patient 184 Présentation Monsieur H…., âgé de 65 ans lors de sa consultation initiale, se présente pour une réhabilitation fixée de ses deux arcades. La radiographie panoramique initiale objective plusieurs problèmes (fig 1). Situation initiale - Secteur 1 : 16 et 17 sont absentes, le sinus ne semble pas pathologique, mais la hauteur osseuse sous-sinusienne est limitée - Secteur 2 : le bridge 23-28 est mobile, la 23 présente une lésion péri-radiculaire et le soutien parodontal de 28 est très limité. La présence d’un septum de Underwood en avant de la 28 est probable. - Secteur 3 : un bridge mixte de 33 à 38 est mobile, la perte osseuse autour de trois implants posés 14 ans auparavant est majeure, la hauteur d’os résiduelle supra-canalaire réduite à quelques millimètres. Le pilier naturel distal (38) est condamné, mais la 33 semble conservable. - Secteur 4 : le bridge céramo-métallique 4347 est en place depuis plusieurs années, non mobile et asymptomatique, malgré une lésion endodontique suspectée en distal de 47. Anamnèse : le patient est en bonne santé générale, non-fumeur, et ne présente pas de contre-indication générale à la chirurgie buccale. Examen clinique : l’examen exo-buccal fait suspecter une perte modérée de la dimension verticale d’occlusion. La ligne du sourire est basse, la lèvre affleurant les papilles des incisives maxillaires lors du sourire forcé. L’examen endo-buccal objective une abrasion importante des groupes incisivo-canins maxillaire et mandibulaire et une occlusion en bout à bout, ayant pour corollaire une absence de guidage antérieur. Thérapeutique initiale : un détartrage surfaçage est pratiqué, le bridge 33-38 est sectionné en distal de 33, l’extraction de 23, 28, 38 et des trois implants réalisée, les alvéoles soigneusement curetées, permettant la mise en place de deux prothèses amovibles de temporisation (fig. 2). Examens complémentaires : après huit mois de cicatrisation, le patient reformulant son désir de retrouver des prothèses fixées, Chirurgie avancée 3. Coupe scanner radiale dans le secteur 2 2. Panoramique après cicatrisation des extractions 185 un scanner maxillaire et mandibulaire est prescrit. Sa lecture permet de constater : - Secteur 1 : le sinus maxillaire est sain, il n’existe pas d’épaississement de la membrane de Schneider et la hauteur sous-sinusienne au niveau de 16 et 17 varie de 3 à 5 mm. La largeur de la crête oscille entre 6 et 8 millimètres. - Secteur 2 : dans le secteur 23, 24 et 25, l’infection sur la 23 et l’ancienneté de l’édentement laissent une crète fine, de 2 à 4 millimètres de largeur ne permettant pas la mise en place d’implants sans reconstruction transversale préalable (fig. 3). De 25 à 27, un problème de hauteur osseuse sous-sinusienne compromet aussi la mise en place d’implants. Au niveau intra-sinusien, le scanner confirme la présence d’un septum transversal de 6 mm de hauteur dans sa partie centrale. - Secteur 3 : la cicatrisation osseuse laisse une crête large mais une hauteur supra-canalaire limitée, de 6 mm dans le secteur de 34 et 35 (fig. 4). - Secteur 4 : l’examen tomodensitométrique montre la présence d’un apex résiduel de 34 sous le bridge et infirme l’existence d’une lésion endodontique sur 47. 4. Reconstruction 3D du secteur 3 C’est un cas complexe… • Etude des moulages : 1. Le montage sur articulateur confirme le problème, dans le sens vestibulo-palatin, de la résorption de crête dans le secteur 2. La crête est fine mais aussi décalée en palatin par rapport à la crête mandibulaire. 2.Il n’y a pas en revanche de déficit transversal important dans le secteur de 16 et 17. • Discussion : 1. La difficulté du cas réside dans la faiblesse des volumes osseux implantables dans trois des quatre secteurs postérieurs. Aux défauts de hauteur implantables dans les secteurs 1, 2 et 3 viennent s’ajouter le déficit horizontal et le décalage transverse du secteur 23-25. 2.La perte de dimension verticale et de guidage antérieur complique encore le cas car elle impose une reconstruction des dents antérieures naturelles. XX cas complexes en implantologie Les différentes options thérapeutiques 186 Alternatives Les solutions thérapeutiques comportent donc toutes la reconstruction du guidage antérieur maxillaire par des couronnes prothétiques. Les secteurs postérieurs peuvent être restaurés par des prothèses amovibles mais cette solution, évaluée pendant la période de temporisation, est catégoriquement écartée par le patient Au maxillaire, un bridge n’est pas une solution envisageable car le pilier le plus postérieur en secteur 2 est l’incisive latérale. Seules des reconstructions osseuses pré-implantaires verticale et horizontale dans le secteur de 23 à 25 permettront la réalisation d’une prothèse fixée au maxillaire A la mandibule, le bridge dans le secteur 4 ne présente pas de défaut majeur, il est asymptomatique, correctement ajusté, non mobile et la courbe de Spee est bien reconstruite. Même si sa conception est discutable en raison de sa portée et du faible nombre de ses piliers, il peut être conservé en l’état. Le secteur 3 est le plus complexe à restaurer. Trois alternatives sont évoquées en 2008: - une reconstruction verticale visant à diminuer l’espace prothétique, soit par régénération osseuse guidée, soit par greffe d’apposition verticale; - l’utilisation d’implants courts, de 6 mm de longueur par exemple, a été envisagée. La perte osseuse verticale importante et l’espace prothétique mesuré sur les modèles auraient conduit à un rapport implant /couronne supérieur à 1:2 ce qui ne semblait pas un gage de sécurité et de fiabilité à long terme de cette reconstruction importante; - la dernière solution discutée est la réalisation d’une latéralisation (sans déplacement du foramen mentonnier) ou d’un repositionnement du nerf alvéolaire inférieur, autorisant la mise en place d’implant de 13 mm et ramenant donc le rapport implant/couronne à environ 1:1. La survenue d’une paresthésie labio-mentonnière est le risque majeur de cette dernière solution chirurgicale mais le risque de survenue de cette complication a diminué avec l’avènement des bistouris piezo-électriques. Plan de traitement retenu - Une première intervention, réalisée sous anesthésie générale, visera à corriger les insuffisances de volumes osseux : • Secteur 1 : une élévation sinusienne par voie latérale permettra secondairement la pose de deux implants en 16 et 17 ; • Secteur 2 : la même intervention, dans la zone postérieure sera complétée par une autogreffe d’apposition dans le secteur canine-prémolaires; • Secteur 3 : un repositionnement du nerf alvéolaire inférieur précèdera la mise en place d’implants en 34, 35, 36 et 37 dans le même temps opératoire. Après cicatrisation, des implants seront posés au maxillaire dans les zones reconstruites en 16, 17, 23, 24, 25, 26 et 27. Après mise en fonction, une reconstruction complète par prothèse fixée sera réalisée au maxillaire. A la mandibule, un bridge sur implants de 34 à 37 sera complété par des couronnes sur 32 à 42 et par le renouvellement de la couronne sur 33. Description du traitement Chirurgie 1 L’anesthésie générale est préférée car elle semble être un facteur positif (Russe, 2003) sur l’absence de paresthésie labio-mentonnière postopératoire suivant le repositionnement du nerf alvéolaire inférieur. Premier temps opératoire : l’intervention la plus délicate est réalisée en premier : Un volet osseux est taillé, en regard du nerf, dans la table externe mandibulaire à l’aide d’un bistouri piezoélectrique Mectron (insert OT 7). L’utilisation de cet instrument est aussi considéré comme un facteur décisif dans la diminution des lésions nerveuses au cours de la procédure chirurgicale (Metzger, 2006) (fig. 5). Une fois le volet osseux découpé et soulevé, le nerf est dégagé du spongieux à l’aide d’un exca- 5. Découpe supérieure du volet osseux dans le secteur de 36 (insert OT 7) Chirurgie avancée 6. Dégagement du trajet récurrent du nerf en arrière du foramen mentonnier 7. La branche terminale mentonnière est libérée, la branche incisive sectionnée vateur neuf et tranchant et du cortical avec l’insert OT 5 ultrasonore. Pour l’excavateur, il est exclusivement utilisé avec un mouvement de lingual en vestibulaire, à l’exclusion de tout autre mouvement en direction du nerf (fig. 6 et 7). Dans la technique du repositionnement, le nerf incisif est sectionné, pour permettre de vestibuler plus largement le nerf alvéolaire et sa branche terminale et ainsi permettre d’implanter le secteur prémolaire. Les implants sont ensuite mis en place de manière classique, à l’exception d’une manœuvre essentielle : le maintien, à distance des forets puis des implants, du nerf par un instrument métallique comme une spatule à bouche ou une sonde de Nabers (fig. 8-10). Une fois les implants vissés en place, le volet osseux, déposé en début d’intervention, est broyé et les copeaux osseux obtenus sont interposés entre les implants et le nerf, afin d’éviter l’effet irritatif des angles vifs des filets sur le nerf alvéolaire inférieur. Le lambeau est ensuite suturé classiquement et les implants mis en nourrice pour trois mois minimum (fig. 11). 8. Le nerf alvéolaire est délicatement 9. Marquage des sites implantaire 10. Forage des sites implantaires 11. Copeaux osseux interposés entre vestibulé par la sonde de Nabers terminé au bistouri piezo-électrique (Insert OT 5) les implants et le nerf 187 XX cas complexes en implantologie 188 Deuxième temps opératoire : une double élévation sinusienne par voie latérale est réalisée en utilisant le bistouri piezo-électrique pour découper un volet osseux (fig. 12). Des membranes de PRF sont appliquées sur les membranes de Schneider et les espaces sous-membranaires sont comblés avec un substitut osseux allogénique (Puros, Zimmer) rehydraté par l’exsudat de PRF et additionné de métronidazole en poudre , sans excipient. Troisième temps opératoire : un prélèvement osseux latéro-mandibulaire est réalisé dans le secteur 4 à l’aide du bistouri piézo-électrique et de l’ insert OT 7. Le site de prélèvement est comblé avec du pangen et suturé. Quatrième temps opératoire : le greffon osseux cortical prélevé est mis en forme pour s’adapter au site receveur au niveau de 23, 24 et 25. Il est séparé en deux fragments pour épouser la courbure de la crête résiduelle. Cinq vis d’ostéosynthèse de diamètre 1,6 mm (Stoma) viennent immobiliser les deux greffons. Un petit fragment cortical taillé en coin vient combler un défaut de la crête au niveau de la 14 (fig. 13 et 14). Des copeaux d’os autogène mélangés avec le substitut osseux sont ensuite disposés autour des greffons et une membrane de collagène (Copios, Sulzer) vient recouvrir la fenêtre sinusienne. L’incision du périoste permet la fermeture sans tension du site augmenté. 12. Découpe du volet osseux en secteur 26-27. Insert OT 5 13. Vue vestibulaire des greffons ostéosynthésés 14. Vue occlusale de la reconstruction osseuse et du comblement sinusien Chirurgie avancée 15. Radiographie panoramique postopératoire 16. Scanner du sinus maxillaire greffé en coupe radiale A la sortie de la clinique, les prothèses amovibles de temporisation en résine sont retouchées pour éviter l’appui dans les zones greffées et implantées et une radiographie panoramique de contrôle est prise (fig. 15). 189 Les vis de cicatrisation sont mises en place à la mandibule après trois mois de cicatrisation. Un scanner est réalisé avant la pose des implants maxillaires cinq mois après la reconstruction osseuse. Il permet de constater l’absence de réaction inflammatoire au niveau des deux sinus maxillaires et l’apparente cicatrisation de la greffe autogène d’apposition (fig. 16 à 18). 17. Scanner du maxillaire en coupe axiale passant par les vis de fixation de la greffe d’apposition et les élévations sinusiennes. Les implants maxillaires sont posés après 5 mois de cicatrisation des greffes et après la dépose des vis d’ostéosynthèse 18. Contrôle radiographique après la pose des implants maxillaires (Dr J-F Griffart) XX cas complexes en implantologie 19. Empreinte maxillaire 190 20. Maître-modèle maxillaire La réouverture des implants maxillaires est réalisée après cinq nouveaux mois de cicatrisation. Une première empreinte permet la mise en place de bridges provisoires maxillaires et mandibulaires. La réévaluation de la dimension verticale d’occlusion est réalisée à cette occasion. Après validation du nouveau schéma occlusal et reprise des tailles, une deuxième empreinte est réalisée. Les piliers prothétiques utilisés n’ayant pas été retouchés, une empreinte avec des transferts clipsés sur les piliers implantaires est réalisée (fig. 19 à 25). 21. Restaurations céramiques sur le maître-modèle 22. Couronnes antérieures E-max (Vivadent) sur base pressée opaque ou transparente (Céramiste : Jacky Martineau) 23. Résultat clinique (Dr J-F Griffart) Chirurgie avancée 24. Le sourire large du patient ne découvre pas la ligne des collets maxillaires 25. Contrôle radiographique un an après la pose des couronnes 191 26. Cone-beam de l’implant en 37. Le foramen mentonnier est relocalisé en dehors 27. Reconstruction panoramique du cone-beam maxillaire La correction des insuffisances de volumes osseux dans trois des quatre secteurs a permis la mise en place d’implants et la suppression des prothèses partielles amovibles. La correction du décalage des collets au maxillaire n’a pas été nécessaire ni souhaitée par le patient en raison de la position de la ligne du sourire. Les suites opératoires de la latéralisation ont été classiques avec un retour de la sensibilité labiomentonnière progressive dans les deux mois suivant l’intervention. Deux ans après la fin du traitement, un cone-beam a permis de constater la cicatrisation des interventions initiales, avec en particulier la nouvelle position du foramen mentonnier, relocalisé au niveau de l’implant distal (fig. 26 et 27). La reconstruction panoramique permet de constater deux ans après l’augmentation le maintien en volume et la corticalisation des élévations sinusiennes ainsi que l’absence d’inflammation de la membrane de Schneider.