SEQUENCE I, TEXTE 1 – LUCRECE De natura rerum

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SEQUENCE II, TEXTE 2 – Virgile Les Géorgiques
Commentaire
Introduction
Entrée en
matière
Le terme « géorgique » vient du grec et signifie travailleur de la terre. C’est le titre d’un
long poème didactique en hexamètres dactyliques qu’a écrit Virgile entre 36 et 29 av. J.C, un ouvrage commandé par Mécène.
Contenu et
portée de
l’œuvre
Il s’agit donc d’un traité sur l’agriculture abordant les différentes techniques agricoles
(champs, vignes, arboriculture, apiculture…) mais aussi des thèmes plus vastes (guerre,
paix, mort…). A l’époque de l’avènement d’Auguste, symbole de retour à des valeurs
traditionnelles, nous avons affaire à une véritable célébration de la vie paysanne.
Problématique et
nnonce du plan
Dans cet extrait, Virgile décrit les évènements qui découlent du passage d’une comète,
peu après la mort de César. Il sera donc intéressant d’analyser quelle est la portée de ce
phénomène et comment il peut être interprété voire récupéré. Nous verrons donc d’abord
ce qu’implique cette comète, puis ce qu’elle entraîne pour réfléchir enfin à ce qu’elle
peut symboliquement représenter.
I- La comète
1. Un phénomène marquant
> Le terme comète apparaît à la toute fin du texte « cometae » dans le vers 26. Il s’agit d’un mot issu de
l’expression grecque aster cométès qui signifie littéralement « astre chevelu » par référence à la queue de la
comète. Il s’agit donc avant tout d’un phénomène visuellement marquant pour les hommes.
> Peu de civilisations sont restées insensibles aux comètes. Les Chaldéens et les Mésopotamiens les vénéraient et
leur offraient de l’encens. Au Mexique et au Pérou, elles étaient considérées comme le signe annonciateur d’une
catastrophe, et, en Egypte, leur pouvoir prophétique était si fort que certains astrologues pensaient que prières et
sacrifices étaient vains pour conjurer le sort qu’elles venaient tracer dans le ciel. Les civilisations grecques et
romaines leur accordaient aussi une attention toute particulière. Elles pouvaient être associées à des victoires,
comme la comète de 344 av. J.C. que Timoléon de Corinthe considéra comme un présage du succès de son
expédition contre la Sicile, ou encore comme une autre comète qui surgit avant la prise de Carthage par Scipion au
IIIème siècle avant notre ère. Virgile, Homère et Pline, entre autres, les associaient à des troubles. La comète de 64
plongea Néron dans une telle inquiétude qu’il chercha à infléchir le funeste présage qu’il voyait en elle en
exécutant certains membres de son entourage et en poussant au suicide Sénèque et Lucain. Il se suicida lui même
en 66. On dit toutefois que l’empereur Vespasien (69-79) refusa de sombrer à son tour dans la psychose : « Cette
étoile chevelue ne me regarde pas, elle menace plutôt le roi des Partes, il est chevelu et je suis chauve ».
2. Le symbole de César
> L’une des comètes les plus marquantes de l’Antiquité fut associée à la mort de Jules César car elle serait apparue
le jour où Octave-Auguste célébrait des jeux funèbres en l’honneur de son père adoptif. Le phénomène
astronomique combiné à l’évènement historique qu’a été l’assassinat de César a
marqué les esprits. Virgile évoque donc la mort de César avec l’ablatif absolu
« exstincto Caesare » au vers 4. Cette comète apparaît donc comme un signe de la
montée au ciel de César et on fit frapper des monnaies portant une étoile : César a
rejoint les étoiles. La récupération de ce phénomène va cependant plus loin encore
comme nous le verrons dans la troisième partie.
> La concomitance entre la mort de César et les effets qui s’en suivent est donc grande. Virgile énumère une série
de prodiges qui se produisirent à la même époque, en introduisant chaque groupe de prodiges par des locutions
temporelles comme « tempore illo » (v.7) ou « tempore eodem » (v.21) qui créent une impression de simultanéité
entre l’ensemble de ces prodiges et l’assassinat du dictateur.
II- L’effet papillon
1. Des manifestations physiques bien réelles…
> Virgile lie à cet évènement de nombreuses manifestions qui peuvent être à la fois très concrètes et complètement
fantaisistes. Il se produit une sorte d’effet papillon qui touche un grand nombre de domaines. On peut donc relever
dans un premier temps des manifestions bien réelles mais qui sont largement poétisées. Il y a d’abord la présence
du soleil voilé par le passage de la comète : ce-dernier a recouvert la tête de César d’un bleu sombre « obscura
ferrugine » (v.5) annonciateur de mauvais présages « caecos tumultus » (v.2). La présence de cet astre, important
pour les Romains sert comme argument d’autorité à Virgile pour appuyer son propos. La première phrase du texte
est donc une question oratoire à laquelle tout homme antique ne pourrait pas répondre. Le terme « audeat » est
donc rejeté seul au début du deuxième vers pour renforcer cette impossibilité à répondre à la question et le côté
inéluctable des évènements.
> L’Etna, volcan régulièrement en activité, est aussi décrit. Il est qualifié de bouillonnant « undantem Aetnam »
(v.10) et il est particulièrement virulent comme le signalent les verbes « ruptis » (v.10), « effervere » (v.9),
« volvere » (v.11). Une métaphore vient décrire une coulée de lave représentée par des boules de feu « flammarum
globos » (v.11) et de la roche liquide « liquefacta saxa » (v.11). Il est aussi fait référence aux Alpes qui tremblent
sous l’effet d’un mouvement inhabituel comme l’indique l’ablatif : « insolitis motibus » (v.13). Enfin Virgile décrit
une inondation « proluit » (v.19) du Pô, présenté ici sous son nom antique et hyperbolisé « rex Eridanus » (v.20).
Il est donc intéressant de remarquer que Virgile fait ici appel à trois grands types de catastrophes naturelles : les
éruptions volcaniques, les tremblements de terre et les inondations. Chaque catastrophe s’appuie sur un exemple
bien précis bien connu des Romains à savoir l’Etna, les Alpes et le Pô.
2. …et aussi des prodiges
> D’autres phénomènes, en revanche, appartiennent au registre habituel des prodiges : les voix entendues dans les
forêts, « vox ingens » (v.14-15) ; les fantômes, « simulacra modis pallentia miris » (v.15) ; les animaux qui parlent
« pecudes locutae » (v.16) ; le bronze qui sue, « aeraque sudant » (v.18) ou le sang dans les puits, « puteis manare
cruor » (v.23). La terre entière semble déréglée, au-delà des catastrophes naturelles. La nature, les animaux, les
villes, les statues, la religion : tout semble soumis à des forces surnaturelles et donc inexpliquées.
> Ces prodiges sont caractéristiques de la propension de l’homme à fantasmer sur des choses qu’il ne
maîtrise pas totalement. Ainsi Sénèque écrit dans ses Questions Naturelles : « S’il apparaît ce corps de
flamme d’une forme rare et insolite, chacun peut voir ce que c’est : on oublie tout le reste pour s’enquérir
du nouveau venu, on ne sait s’il faut admirer ou trembler, car on ne manque pas de gens qui sèment la
peur, qui tirent de là de graves pronostiques ». Or Virgile semble insister au-delà du concret et c’est peutêtre parce qu’il a, dans ce texte, une visée dépassant le simple cadre didactique des Géorgiques.
III- L’annonce d’un monde nouveau ?
1. L’exagération épique
> Fort d’un texte écrit en hexamètre dactylique, Virgile use de l’exagération épique caractéristique de l’épopée.
L’éruption de l’Etna ou les crues du Pô, en représentent un bon exemple. Dans le premier cas, l’exclamatif
« quotiens » (v.9) suggère une fréquence inhabituelle de ces éruptions, et l’ensemble du passage illustre l’extrême
violence du phénomène comme nous l’avons vu plus haut. Nous pouvons aussi noter que ce ne sont pas les coulées
de lave décrites qui sont les plus meurtrières en cas d’éruption ; elles sont en revanche visuellement très
marquantes. Le second passage met également l’accent sur cette violence extrême du fleuve, qui emporte tout sur
son passage : un tourbillon dément « insano vertice » (v.19) emporte à la fois les bâtiments et ce qu’il y a à
l’intérieur « cum stabulis armenta tulit » (v.21).
> Cette exagération est aussi marquée dans le style par l’emploi de nombreuses hyperboles : on relève ainsi des
adjectifs et des adverbes de nombre ou d’intensité : « per omnis » (v.20), « plura fulgura » (v.25-26), « totiens »
(v.26). La confusion décrite se retrouve grâce aux champs lexicaux de la vue et de l’ouïe. Toutes ces exagérations
sont appuyés par le style de Virgile qui s’attache à impliquer son lecteur dans le texte : nous avons vu la question
oratoire qui ouvre le texte et l’exclamatif « quoties » (v.9) mais nous pouvons aussi relever l’emploi de la deuxième
personne du pluriel qui réunit auteur et lecteur. Virgile, par cette exagération épique, n’est pas crédible : il ne vise
pas le concret absolu. Son propos vise donc à mettre en valeur autre chose.
2. Auguste, le nouveau César
> Il faut replacer l’œuvre dans son contexte historique. Commande de Mécène, généreux esthète, proche de
l’empereur, les Géorgiques avaient pour but de revenir à des valeurs perdues. Le siècle précédant l’arrivée
d’Auguste au pouvoir ayant été particulièrement corrompu et violent, les artistes ont aidé le pouvoir à amorcer ce
changement. Cette vision du passage de la comète représente donc une sorte de châtiment comme le signale le vers
6 : « impiaque aeternam timuerunt saecula noctem ». La perte de l’être d’exception qu’est César ne peut
qu’entraîner ce genre de catastrophes.
> Seul un nouveau César peut rétablir une sorte d’équilibre : il s’agit d’Auguste. Le lecteur de Virgile vit dans un
empire stabilisé et apaisé. Il ne peut que comparer et apprécier la métaphore entre un passé obscur mais révolu et
un présent qui tente de rétablir un ordre social. Pour l’aider, Auguste se revendique lui-même de César puisqu’il est
aussi son fils adoptif. Plus intéressant encore, il reprend à son compte l’image de la comète. Nous pouvons citer
Virgile dans l’Enéide, VIII, v.678-681 :
Hinc Augustus agens Italos in proelia Caesar
cum patribus populoque, penatibus et magnis dis,
stans celsa in puppi; geminas cui tempora flammas
laeta uomunt patriumque aperitur uertice sidus.
D'un côté, menant les Italiens au combat, César
Auguste, entouré des pères et du peuple, avec les
pénates et les grands dieux, se dresse en haut de la
poupe ; de ses tempes bénies jaillissent deux
flammes, et l'étoile paternelle apparaît sur sa tête.
Le poète apparaît donc comme une sorte de prophète, annonciateur d’un avenir radieux.
Conclusion
Bilan du
commentaire
Ouverture
Ce texte a donc pour intérêt de mettre en avant tous les fantasmes que peuvent créer de
grands phénomènes naturels. Cependant son but n’est pas du tout d’être rigoureux. Bien au
contraire, l’hyperbole vient renforcer et nourrir l’imaginaire. Le texte ne sert donc pas ici à
instruire sur des pratiques agricoles ou sur les dangers de la nature : il sert l’intérêt politique, celui
de Rome et d’Auguste.
Virgile, avec l’Enéide, a la même visée politique. Cependant il n’est pas le seul à
« servir » le pouvoir. Ovide aussi chantera Rome en chantant l’amour (cf. le fameux anagramme
AMOR/ROMA) même si ses positions ne conviendront pas toujours à Auguste.
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