ferrugine » (v.5) annonciateur de mauvais présages « caecos tumultus » (v.2). La présence de cet astre, important
pour les Romains sert comme argument d’autorité à Virgile pour appuyer son propos. La première phrase du texte
est donc une question oratoire à laquelle tout homme antique ne pourrait pas répondre. Le terme « audeat » est
donc rejeté seul au début du deuxième vers pour renforcer cette impossibilité à répondre à la question et le côté
inéluctable des évènements.
> L’Etna, volcan régulièrement en activité, est aussi décrit. Il est qualifié de bouillonnant « undantem Aetnam »
(v.10) et il est particulièrement virulent comme le signalent les verbes « ruptis » (v.10), « effervere » (v.9),
« volvere » (v.11). Une métaphore vient décrire une coulée de lave représentée par des boules de feu « flammarum
globos » (v.11) et de la roche liquide « liquefacta saxa » (v.11). Il est aussi fait référence aux Alpes qui tremblent
sous l’effet d’un mouvement inhabituel comme l’indique l’ablatif : « insolitis motibus » (v.13). Enfin Virgile décrit
une inondation « proluit » (v.19) du Pô, présenté ici sous son nom antique et hyperbolisé « rex Eridanus » (v.20).
Il est donc intéressant de remarquer que Virgile fait ici appel à trois grands types de catastrophes naturelles : les
éruptions volcaniques, les tremblements de terre et les inondations. Chaque catastrophe s’appuie sur un exemple
bien précis bien connu des Romains à savoir l’Etna, les Alpes et le Pô.
2. …et aussi des prodiges
> D’autres phénomènes, en revanche, appartiennent au registre habituel des prodiges : les voix entendues dans les
forêts, « vox ingens » (v.14-15) ; les fantômes, « simulacra modis pallentia miris » (v.15) ; les animaux qui parlent
« pecudes locutae » (v.16) ; le bronze qui sue, « aeraque sudant » (v.18) ou le sang dans les puits, « puteis manare
cruor » (v.23). La terre entière semble déréglée, au-delà des catastrophes naturelles. La nature, les animaux, les
villes, les statues, la religion : tout semble soumis à des forces surnaturelles et donc inexpliquées.
> Ces prodiges sont caractéristiques de la propension de l’homme à fantasmer sur des choses qu’il ne
maîtrise pas totalement. Ainsi Sénèque écrit dans ses Questions Naturelles : « S’il apparaît ce corps de
flamme d’une forme rare et insolite, chacun peut voir ce que c’est : on oublie tout le reste pour s’enquérir
du nouveau venu, on ne sait s’il faut admirer ou trembler, car on ne manque pas de gens qui sèment la
peur, qui tirent de là de graves pronostiques ». Or Virgile semble insister au-delà du concret et c’est peut-
être parce qu’il a, dans ce texte, une visée dépassant le simple cadre didactique des Géorgiques.
III- L’annonce d’un monde nouveau ?
1. L’exagération épique
> Fort d’un texte écrit en hexamètre dactylique, Virgile use de l’exagération épique caractéristique de l’épopée.
L’éruption de l’Etna ou les crues du Pô, en représentent un bon exemple. Dans le premier cas, l’exclamatif
« quotiens » (v.9) suggère une fréquence inhabituelle de ces éruptions, et l’ensemble du passage illustre l’extrême
violence du phénomène comme nous l’avons vu plus haut. Nous pouvons aussi noter que ce ne sont pas les coulées
de lave décrites qui sont les plus meurtrières en cas d’éruption ; elles sont en revanche visuellement très
marquantes. Le second passage met également l’accent sur cette violence extrême du fleuve, qui emporte tout sur
son passage : un tourbillon dément « insano vertice » (v.19) emporte à la fois les bâtiments et ce qu’il y a à
l’intérieur « cum stabulis armenta tulit » (v.21).
> Cette exagération est aussi marquée dans le style par l’emploi de nombreuses hyperboles : on relève ainsi des
adjectifs et des adverbes de nombre ou d’intensité : « per omnis » (v.20), « plura fulgura » (v.25-26), « totiens »
(v.26). La confusion décrite se retrouve grâce aux champs lexicaux de la vue et de l’ouïe. Toutes ces exagérations
sont appuyés par le style de Virgile qui s’attache à impliquer son lecteur dans le texte : nous avons vu la question
oratoire qui ouvre le texte et l’exclamatif « quoties » (v.9) mais nous pouvons aussi relever l’emploi de la deuxième
personne du pluriel qui réunit auteur et lecteur. Virgile, par cette exagération épique, n’est pas crédible : il ne vise
pas le concret absolu. Son propos vise donc à mettre en valeur autre chose.
2. Auguste, le nouveau César
> Il faut replacer l’œuvre dans son contexte historique. Commande de Mécène, généreux esthète, proche de
l’empereur, les Géorgiques avaient pour but de revenir à des valeurs perdues. Le siècle précédant l’arrivée
d’Auguste au pouvoir ayant été particulièrement corrompu et violent, les artistes ont aidé le pouvoir à amorcer ce
changement. Cette vision du passage de la comète représente donc une sorte de châtiment comme le signale le vers
6 : « impiaque aeternam timuerunt saecula noctem ». La perte de l’être d’exception qu’est César ne peut
qu’entraîner ce genre de catastrophes.
> Seul un nouveau César peut rétablir une sorte d’équilibre : il s’agit d’Auguste. Le lecteur de Virgile vit dans un
empire stabilisé et apaisé. Il ne peut que comparer et apprécier la métaphore entre un passé obscur mais révolu et
un présent qui tente de rétablir un ordre social. Pour l’aider, Auguste se revendique lui-même de César puisqu’il est
aussi son fils adoptif. Plus intéressant encore, il reprend à son compte l’image de la comète. Nous pouvons citer
Virgile dans l’Enéide, VIII, v.678-681 :