ACTUALITÉS
JSB-
10 décembre 2015 - n°1160 6
Pouvez-vous rappeler
ce qu’est la COP21?
Deborah Brosnan : La
conférence des parties qui
s’est réunie à Paris est un
rendez-vous de 190 nations,
pour alerter sur les consé-
quences négatives du chan-
gement climatique. C’était
leur 21e rendez-vous, présidé
par Laurent Fabius, le minis-
tre des affaires étrangères de
la France. Les pays partici-
pants se sont efforcés de par-
venir à un accord pour limi-
ter à 2°C l’élévation de la
température de la planète,
par rapport à l’ère préindus-
trielle. Ces 2°C représentent
une valeur au-delà de
laquelle les scientifiques esti-
ment qu’elle aura pour
conséquences des catas-
trophes météorologiques -
ouragans, sécheresses, inon-
dations, plus fréquentes et
plus sévères. Mais aussi une
hausse du niveau de la mer,
entre autres changements à
l’échelle de la planète, qui
peuvent avoir des effets
désastreux sur nos sociétés.
La réduction des gaz à effet
de serre (qui augmentent le
changement climatique,
ndlr.) apparaît comme la
solution.
Qu’adviendra-t-il si
la hausse de la température
dépasse les 2°C ?
Notre planète va continuer de
tourner, mais l’humanité en
sera affectée. Par exemple, la
santé, les affaires et le com-
merce, les rendements agri-
coles, sont menacés. De nom-
breux gouvernements sont de
plus en plus préoccupés par
ces risques, qui menacent la
croissance économique et la
sécurité de leurs pays. Tout
aussi préoccupées sont de
nombreuses compagnies, en
particulier celles dont la
chaîne d’approvisionnement
est internationale, ou qui
dépendent de ressources, ou
dont les usines sont situées
dans les zones les plus expo-
sées au changement clima-
tique. Ces zones sont souvent
parmi les pays émergents ou
encore sous-développés, et
bien souvent en même temps
les moins stables sur le plan
politique. Selon les scénarios
qui ont cours, dans certaines
zones tropicales, les pêches
pourrait reculer de 40 à 60%.
Les rendements de blé, à
l’échelle de la planète, ris-
quent de diminuer au rythme
de 2% par décennie, à cause
des bouleversements dans les
précipitations et les tempéra-
tures. Tandis que certaines
régions vont bénéficier de ces
changements, à l’instar de
l’Islande, où la température
s’est déjà élevée ces 20 der-
nières années. Et où les cul-
tures forestières et agricoles
ont augmenté. Un des enjeux
pour les pays développés est
que nous dépendons désor-
mais des ressources, des
matières premières, des den-
rées alimentaires produites ou
extraites de régions qui
connaissent maintenant des
bouleversements majeurs
dans leur production.
Y-a-t-il un consensus
sur cet objectif des 2°C ?
Non. Certains pays, en parti-
culiers les pays insulaires,
estiment qu’une hausse de
2°C, c’est déjà trop. Et que
l’objectif devrait être délimi-
ter la hausse à 1,5°C. Durant
le sommet des chefs d’Etats
lors de cette COP21, plu-
sieurs dirigeants de pays insu-
laires ont imploré leurs homo-
logues dirigeants de prévenir
la destruction de leurs patries.
Ce fut par exemple le cas de
Perry Christie, le premier
ministre des PM Bahamas.
«L’objectif des 2°C dont
beaucoup se satisfont va
conduire à la perte de pays
entiers», a-t-il alerté. «Cet
objectif de 1,5°C n’est pas
seulement souhaitable, il est
aussi réaliste et atteignable»,
a-t-il affirmé. D’ailleurs, cet
objectif de limiter la hausse à
1,5°C a été soutenu par l’Or-
ganisation caribéenne du tou-
risme (CTO).
Quel rôle ont joué les petites
îles lors de la COP21 ?
La plupart des discussions
relèvent des pays développés.
Ceux qui produisent le plus
d’émissions carbonées. Les
pays insulaires sont rarement
d’importants émetteurs de
carbone. Mais ils sont ceux
qui vont souffrir le plus de
ces émissions. Leurs gouver-
nements sont les plus désar-
més et les plus inquiets. Des
îles de l’Océan Indien, ou du
Pacifique, comme les îles
Marshall, subissent déjà les
effets désastreux de la hausse
du niveau de la mer. Aux
Maldives, on envisage déjà
devoir déplacer les popula-
tions de certaines îles ou
construire des barrages
autour. Dans la Caraïbe, le
risque majeur est que cette
hausse du niveau de la mer
augmente les inondations et
l’érosion des plages, la séche-
resse à cause de pluies plus
rares, mais plus violentes,
avec des dégâts de plus en
plus importants infligés par
ces événements climatiques.
Saint-Barth dépend-elle de
ce qui se joue à la COP21 ?
Les enjeux de la COP21
concernent toutes les nations.
Mais les îles comme Saint-
Barth peuvent envisager
beaucoup de moyens pour
s’adapter et prendre les
devants face au changement
climatique et ses consé-
quences.
Notre île nécessite-t-elle
un plan spécifique face au
changement climatique ?
Saint-Barth, comme toutes
les autres îles de la Caraïbe,
sera affectée par la hausse du
niveau de la mer et autres
bouleversements, comme des
perturbations dans les préci-
pitations. Mais nombre des
actions à entreprendre pour
faire face au changement cli-
matique et pour entretenir
l’activité sont les mêmes.
Quand bien même on refuse-
rait de prendre en compte le
changement climatique,
Saint-Barth fait face aux
enjeux d’une île moderne et
développée. A savoir une
demande sans cesse crois-
sante d’eau et d’énergie, dont
les prix augmentent, une
pression sur le foncier, la
nécessité de limiter l’érosion
des plages, de réduire l’im-
pact de l’activité sur l’envi-
ronnement. Les solutions à
ces problèmes sont souvent
les mêmes que celles qu’il
conviendrait d’adopter pour
limiter le changement clima-
tique. Plusieurs îles s’em-
ploient dès à présent à inté-
grer dans leurs projets la pré-
vention du changement cli-
matique de ces catastrophes.
Cela est judicieux.
Saint-Barth devrait-elle
faire de même?
Selon moi, un plan de déve-
loppement durable pour
Saint-Barth, avec la contribu-
tion et le soutien de sa popu-
lation, serait bienvenu. Ce
plan pourrait s’appuyer sur
les changements prévus à
l’échelle de la région. Par
exemple, quels seront les
besoins d’eau et d’énergie à
l’avenir ? Sachant que dans
le même temps, les énergies
renouvelables sont de plus en
plus accessibles, tout comme
les procédés pour réduire les
émissions de carbone.
La restauration des
écosystèmes peut-elle aider
à atténuer les effets du
changement climatique ?
La restauration des écosys-
tèmes tels que les coraux, les
plages, est déjà nécessaire
aujourd’hui et peut atténuer
les effets du changement cli-
matique. Ainsi, les récifs
coralliens jouent un rôle
majeur pour limiter l’érosion
des côtes et éviter de rogner
sur certaines propriétés. Ou
d’y infliger plus de dégâts,
en cas d’ouragan majeur. Les
étangs de l’île jouent un rôle
clé en tant que nurseries pour
certains poissons, mais aussi
pour absorber les nutriments
et polluants des bassins ver-
sants. Ils permettent égale-
ment de contenir les marées
de tempête en cas d’ouragan.
Devons-nous restaurer tout
ce qui est naturel ?
Restaurer les écosystèmes
n’est pas un engagement à
prendre à la légère. Ce n’est
pas facile et cela coûte beau-
coup d’argent que de remet-
tre en état un écosystème une
fois qu’il est dégradé. Et cela
demande de se poser beau-
coup de questions à l’avance,
sur les objectifs, les meil-
leurs moyens de les attein-
dre. Toutes ces informations
doivent être prises en compte
avant, afin de ne pas gaspil-
ler de temps et d’argent. Il y
a déjà, de par le monde,
beaucoup d’exemples de res-
tauration à succès. Mais il y
a aussi des expériences mal-
heureuses. Par exemple,
après le tsunami qui a ravagé
l’Asie du Sud-Est, en 2004,
il y a eu un effort considéra-
ble pour restaurer la man-
grove, susceptible d’atténuer
les effets d’un tel raz-de-
marée. Mais la mangrove a
été plantée dans des habitats
inadéquats, des espèces inap-
propriées ont été implantées.
En revanche, les restaura-
tions correctement planifiées,
et dont les buts sont clairs,
sont couronnées de succès.
Que répondre à ceux qui
pensent que Saint-Barth est
de taille trop petite pour que
les efforts ici servent à
quelque chose ?
En 1953, les Pays-Bas ont
subi des inondations dévasta-
trices. Ce pays y a répondu
en imaginant des protections
contre les flots. On aurait pu
dénigrer ces efforts en disant
que, de la part d’une petite
nation, ils étaient insigni-
fiants à l’échelle globale.
Mais ils ont sauvé leur pays.
Et en plus, ils ont exporté
leur technologie à travers le
monde. Aujourd’hui, ils
combinent des restaurations
écologiques et des solutions
innovantes pour combattre le
changement climatique. La
question est de savoir quelle
échelle compte. Si Saint-
Barth restaure ses propres
récifs et autres écosystèmes,
pour limiter l’impact du
réchauffement au bénéfice de
sa population, bien sûr que
cela compte. D’autant que
cela contribue au tourisme,
cela a des conséquences
bénéfiques sur l’économie,
sur la qualité de vie. Cela
limite les frais en cas d’oura-
gans. Saint-Barth ne peut
certes pas faire grand chose
pour sauver les récifs coral-
liens et autres écosystèmes à
l’échelle de la planète. Mais
elle peut sauver les siens. Si
tout le monde fait pareil, le
bénéfice est partout. C’est le
sens du principe : penser glo-
balement, agir localement.
«Penser globalement, agir localement»
Deborah Brosnan
Docteur en biologie marine, amoureuse de notre île,
Deborah Brosnan a notamment conduit une étude
sur les moyens de restaurer l’étang de Saint-Jean.
Elle détaille les enjeux de la COP21 et du change-
ment climatique, à Saint-Barth aussi.
«Saint-Barth, comme toutes les autres îles
de la Caraïbe, sera affectée.»