DOSSIER
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Le cas de la Clinique Générale-Beaulieu est assez unique. La plu-
part des centres qui adoptent ce protocole sont des centres uni-
versitaires ou publics travaillant selon une certaine hiérarchie. Le
déploiement de protocoles se fait donc par des ordres de service. A
la Clinique, cela a été le contraire: le mouvement est parti sur une
base de volontariat participatif motivé.
ERAS est-il synonyme de révolution dans les soins?
Pas tout à fait. La plupart des recommandations majeures du pro-
gramme, comme l’utilisation récurrente des techniques minima-
lement invasives et la restriction au minimum des divers drains et
cathéters, s’inscrivent depuis longtemps dans notre pratique.
Ce programme orchestre plutôt une multitude de mini-révolu-
tions sur les plans nutritionnel, métabolique et physiologique qui
agissent en synergie et impactent de manière positive pour pro-
duire un résultat final nettement amélioré.
Cela dit, si l’on prend une photo d’un patient dans son fauteuil en
train de boire sa boisson protéinée après avoir fait un tour de la
salle de réveil à pied, deux heures après une intervention digestive
majeure qui a duré plusieurs heures, oui, on peut parler de révolu-
tion, du moins dans les mentalités!
A une époque pas si lointaine, le même patient ne sortait pas du
lit durant des jours, restait bardé de drains et de cathéters, était en
douleur et sous morphine, il ne buvait pas et restait à jeun pen-
dant des jours.
Donc les changements pour le patient sont considérables. Quels
sont-ils d’une manière générale?
D’abord, ce protocole met le patient au centre, il le responsabilise
et le fait participer au travail d’équipe qui se constitue autour de
lui.
L’information est la pierre angulaire. Dès le premier contact avec
son chirurgien, le patient reçoit des renseignements clairs qui lui
seront répétés par les autres membres de l’équipe tout au long de
son parcours chirurgical. Le fil conducteur étant le protocole ERAS,
toute l’équipe partage donc le même langage.
Le patient prend connaissance en détail de son parcours futur, il
est informé non seulement par son chirurgien et l’anesthésiste
qu’il rencontre longtemps à l’avance, mais aussi par l’infirmière
dédiée au programme ERAS qui lui explique comment se préparer
correctement pour le jour de l’intervention, à l’image d’un athlète
qui se prépare pour une compétition. L’infirmière supervisera et
accompagnera ensuite tout le parcours du patient jusqu’à son
retour à domicile après la chirurgie (ndr: voir aussi l’interview d’Eli-
sabeth Eugster, infirmière référente).
Quels sont les autres piliers du programme ERAS?
Le contrôle des douleurs sans le recours au morphinique, le réta-
blissement de la fonction intestinale pratiquement sans interrup-
tion et la mobilisation hors du lit le plus rapidement possible.
En plus de l’anesthésie générale, nous utilisons des moyens pour
bloquer la transmission des douleurs. Cela nous permet de mini-
miser l’utilisation des morphiniques pendant et après la chirurgie.
Le patient qui ne prend pas de morphine ne ressent pas les effets
secondaires de cette dernière, peut rapidement sortir du lit, mar-
cher, commencer ses exercices respiratoires et surtout boire, man-
ger et rétablir son transit intestinal (ndr: voir aussi l’interview du
Dr Vincent Baeriswyl, anesthésiste).
La mobilisation précoce est l’un des incontournables du pro-
gramme. Elle facilite le retour à la vie normale et diminue incon-
testablement les complications postopératoires.
Vous venez d’évoquer la nutrition et le métabolisme. Qu’est-ce
qui change pour le patient?
Bien que les principes ERAS peuvent s’appliquer à toute prise en
charge chirurgicale, le protocole ERAS est plus particulièrement
destiné à des chirurgies majeures. La plupart du temps, nos pa-
tients sont déjà fatigués, parfois dénutris avec une perte de poids
considérable. Dans ce contexte de faiblesse, l’agression supplé-
mentaire que constitue une chirurgie majeure peut se révéler
dévastatrice.
S’il ne s’agit pas d’une situation d’urgence, nous préférons pré-
parer nos patients pour leur opération en améliorant leur état
nutritionnel, la plupart du temps avec une immunonutrition et
en optimisant leur métabolisme. Nous leur proposons une mobi-
lisation douce mais régulière. S’ils fument, nous essayons de les
convaincre de cesser immédiatement.
ERAS: les patients lui disent merci!