Le métier d’enseignant : entre les contraintes professionnelles et la
professionnalisation
C’est sans doute la thématique de la « professionnalisation » des enseignants qui occupe une place
centrale dans les recherches sociologiques pour des raisons tenant aussi bien aux transformations du
système scolaire – en particulier sa massification –, qu’à l’évolution de la population scolarisée, et ce,
dans un contexte global d’émergence de nouvelles attentes sociales, politiques et économiques vis-à-
vis de l’Ecole (Charlot, 1987). La « spécialisation fonctionnelle » des enseignants inscrite dans une
division du travail fortement poussée, la « reconnaissance symbolique du groupe professionnel »,
« l’investissement professionnel de la personne » et l’importance institutionnelle accordée à « la
formation et à la mobilisation des enseignants » (Lang, 2000), traduisent quelques unes des évolutions
du métier d’enseignant et plaident pour sa professionnalisation. Le travail enseignant devient alors à la
fois spécialisé – à travers l’importance de la discipline, sa maîtrise et l’expertise – et élargi puisqu’il
s’agit aussi de construire de nouvelles compétences en vue d’une gestion « efficace » de
l’hétérogénéité du public scolaire et des nouvelles attentes sociales. Essentiellement normatives, les
recherches sur la professionnalisation des enseignants apparaissent comme une « réponse » à des
préoccupations portées tant par l’institution scolaire que par les acteurs. Ainsi, et favorisée par la mise
en place de dispositifs de formation a finalité professionnelle tels que les IUFM, les nombreuses
recherches en sociologie de l’éducation visent à travailler « l’entrée dans le métier », les rapports
complexes entre théorie et pratique (Develay, 1998) et la construction de compétences nouvelles liées
à la spécificité du métier (Perrenoud, 1998). Mais depuis quelques années, une autre interrogation a vu
le jour : celle des « connaissances » des enseignants, avec pour finalité de saisir la manière dont ils
construisent leurs enseignements et dont ils gèrent les rapports complexes entre ceux-ci et les élèves.
On peut relever, au passage, qu’une telle orientation théorique est souvent pluridisciplinaire (Durand,
1996). Ainsi, M. Tardif et C. Lessard écrivent :
« Toute personne qui s’intéresse aujourd’hui à l’étude de l’enseignement ne peut être que frappée par
la profusion et l’éclatement des écrits portant sur la connaissance des enseignants. Alors qu’il y a une
quinzaine d’années à peine, cette question était à peu près négligée, elle est devenue entre temps un
véritable cheval de bataille enfourché par des chercheurs, des théoriciens et des pédagogues
appartenant à des courants théoriques très variés et étudiant, sous le terme commun de ‘‘savoir’’ ou de
‘‘connaissance’’, des objets multiples selon des perspectives très différentes » (1999, p. 360).
Mais la connaissance n’est pas le savoir. Plus exactement, la connaissance porte nécessairement sur
des contenus constitués, sur des faits incorporés et fortement normés. Tel n’est pas le cas du savoir
qui, lui, implique un travail de construction et d’appropriation de sens, une dimension doublement
affective et rationnelle (Rochex, 1999) et qui couvre l’ensemble de l’expérience sociale et subjective
de l’enseignant. C’est sans doute l’un des écueils des recherches sociologiques menées sur les
enseignants que de s’adosser à un regard totalisant, faisant souvent abstraction des singularités au
profit de ce que nous appellerons des « régularités professionnelles ». Le souci d’analyser
empiriquement le métier d’enseignant n’empêche pas des catégorisations générales du « rapport au
métier » et une surestimation des relations entre habitus social et modes d’implication et de
professionnalisation (Chapoulie, 1987). Or la rupture de l’unité du social (Dubar, 1991), comme la
distance grandissante entre l’acteur et le système (Dubet, 1994), soulignent, à l’évidence, que
l’exercice du métier ne peut-être sans un travail des sujets, sans « transactions identitaires » et,
finalement, sans construction socio-subjective d’un sens à son expérience professionnelle. Pour autant,
et sans doute est-ce lié à une tradition sociologique sur-estimant la socialisation et l’analyse de
catégories plutôt que l’étude de processus, les recherches portant sur le monde scolaire n’ont accordé
que peu d’attention au statut des savoirs et surtout, à la manière dont les acteurs – élèves, mais aussi
enseignants – construisent leur expérience à l’épreuve d’un mode d’appropriation desdits savoirs.
Les recherches sociologiques portant sur le métier d’enseignant se sont multipliées ces dernières
années, avec grosso modo deux entrées dominantes : la première, soucieuse de penser les contraintes
du métier, se focalise sur les difficultés à enseigner dans une société marquée par la crise des repères,
le déclin de la classe ouvrière et la diffusion de la culture de masse. Ainsi, l’école n’ayant plus le