UNE VULNÉRABILITÉ CROISSANTE ÉCUEILS À L’HORIZON Des centaines de millions de personnes risquent de perdre leur habitation, leur terre et parfois même leur pays en raison de la montée du niveau de la mer, l’une des conséquences du changement climatique. Nous en discutons avec le professeur Jean-Pascal van Ypersele, vice-président du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), et avec Matthew MacKinnon, rédacteur en chef du Climate Vulnerability Monitor. les mouvements des plaques tectoniques qui sont le déclencheur. Quoi qu’il en soit, le niveau de la mer s’élève et continuera à le faire. Les conséquences seront loin d’être négligeables. Pour le Bangladesh, une élévation de 50 cm mettra sous eau 5 à 10 % du territoire, ce qui est énorme pour un pays avec une telle densité de population ! Autre exemple : l’Égypte. Selon les chiffres enregistrés il y a une décennie, 10 millions d’Égyptiens vivent à moins d’un mètre audessus du niveau de la Méditerranée, peutêtre plus encore aujourd’hui…” © Photo_Anatmavada La montée du niveau de la mer touchera plus durement les pays en développement. Le Sud envisage des solutions écologiques comme la protection ou la plantation de mangroves D ’après les observations satellites, le niveau de la mer s’est élevé annuellement de quelque 3 millimètres ces 10 dernières années. Si ce rythme devait se maintenir, l’élévation sera de 30 cm en moyenne d’ici 2100. De plus en plus de scientifiques estiment néanmoins que le rythme s’accélère. Le risque est bien réel de connaître une élévation de 50 cm d’ici 2100, avec d’énormes répercussions pour une multitude de régions”, prévient JeanPascal van Ypersele, vice-président du GIEC et professeur de climatologie et de sciences de l’environnement à l’Université catholique de Louvain (UCL). Impact humain Selon M. van Ypersele, la montée du niveau de la mer qui nous attend probablement ne fait que commencer. Du point de vue scientifique, la prudence s’impose dès lors © AP “ Le gouvernement des Maldives a tenu une réunion ministérielle sous l’eau afin d’attirer l’attention sur les effets du réchauffement climatique. quant à identifier l’origine des problèmes qui peuvent la provoquer. “Les courants océaniques et le vent, entre autres, jouent un rôle, tout comme le puisage d’eau souterraine, qui provoque l’affaissement du sol. Dans le cas de certaines îles, ce sont 18 SEPTEMBRE-OCTOBRE 2013 I dimension 3 Et les communautés côtières pauvres ? Matthew MacKinnon est rédacteur en chef du Climate Vulnerability Monitor, lancé par le Climate Vulnerable Forum (groupement de pays se sentant déjà concrètement menacés par le changement climatique) et l’ONG DARA, qui examine l’impact de l’aide humanitaire. Il énumère des conséquences de la montée du niveau de la mer : “Tout d’abord, elle est responsable de la salinisation de l’eau à proximité de la côte, qui affecte également les terres et entraîne la baisse des rendements agricoles. De plus, en raison de l’érosion, la dégradation, la disparition ou de la mise sous eau de ces terres, la superficie des terres où l’homme peut travailler ou habiter est réduite. La biodiversité faiblit aussi en raison de l’altération des caractéristiques environnementales. Il existe d’autres conséquences encore, comme le risque d’inondation, des problèmes pour les pêcheurs, avec la salinisation de l’eau des rivières, etc. C’est essentiellement le secteur primaire – agriculture, pêche… – qui est durement touché alors que ce secteur est bien plus important dans les pays en développement que dans les pays riches. Les communautés côtières à très faibles revenus seront les premières à affronter de graves EAU écluses et l’érection d’un barrage antitempête à Nieuwpoort. Le coût d’une telle opération est difficile à chiffrer, car les travaux s’étendent sur un siècle. Le plan de base pour la défense de la zone côtière, élément crucial du dispositif, est déjà évalué à 300 millions d’euros. M. MacKinnon avance un autre exemple, le Viêt Nam. “Une province du delta du Mékong a établi un plan triennal pour l’aménagement d’une infrastructure de protection contre une élévation moyenne du niveau de la mer d’ici 2050, autrement dit selon un scéCoûts énormes nario ni pessimiste, ni optimiste. Il requiert Les mesures requises pour se préparer plus de 100 millions de dollars. Quand on à la montée du niveau de la mer nécessait que le delta du Mékong comprend sitent beaucoup d’argent. M. van Ypersele seulement six provinces, cite le plan que la ville de on entrevoit l’énormité du New York a récemment défi qui attend les pays en proposé. “Un plan de 20 New York développement.” milliards de dollars. Pour consacrera la protection d’une seule 20 milliards ville. Imaginez la situation Réponse protéiforme dans laquelle se trouve de dollars aux M. MacKinnon explique un pays entier comme le préparatifs visant que la plupart des pays Bangladesh.” en développement voient La Belgique est une à faire face à davantage leur salut dans autre région occidentale l'élévation du une approche qui ne serait en pleine préparation, niveau de la mer. pas axée sur l’infrastrucavec le projet “Baies ture : “Ils envisagent par flamandes 2100”, qui exemple des solutions entend protéger notre zone côtière d’ici écologiques, comme la protection ou la 2100 contre une tempête qui survient en plantation de mangroves, ou la limitation du moyenne une fois tous les 1.000 ans, par puisage d’eaux souterraines afin de contrer l’accumulation de sédiments (principalel’affaissement des sols. Autre option : réduire ment du sable), la construction de retel’infrastructure fluviale, comme les digues, nues d’eau le long des quais portuaires, qui restreint malheureusement la sédimenla rénovation des digues, barrages et tation des deltas. On constate néanmoins difficultés : baisse des revenus, réduction des vivres, utilisation de plus en plus fréquente de l’eau saumâtre… Les pays aux moyens financiers supérieurs comme les nations occidentales seront confrontés à ces problèmes dans une moindre mesure ; ils opteront pour la dessalinisation de l’eau, l’acheminement d’eau en provenance de l’intérieur des terres, la protection de la qualité du sol au moyen d’engrais et de l’irrigation… et la protection de leurs côtes.” que le financement, surtout celui issu de l’aide au développement, est bien plus rapidement octroyé aux travaux d’infrastructure qu’à de telles mesures écologiques et stratégiques. Pour cette raison, de nombreuses régions doivent choisir les zones qu’elles protégeront et celles qu’elles laisseront de côté, étant donné qu’elles ne disposent pas de moyens financiers suffisants pour la protection de toutes les régions en danger. Les constructions entraînent dès lors la dégradation plus rapide encore des zones non protégées, entraînant des tensions entre groupes de population et le renforcement des inégalités.” Il constate par ailleurs que les pays riches auraient aussi tout intérêt à mettre en place un plus large éventail de réponses à la montée du niveau de la mer via des mesures tant stratégiques et infrastructurelles qu’écologiques, comme la dépoldérisation. Réfugiés M. van Ypersele indique aussi qu’une solution adaptée à une région précise ne conviendra pas nécessairement à une autre région : “Les spécificités géographiques locales sont essentielles. Il sera ainsi impossible de protéger le Bangladesh par des mesures identiques à celles prises aux Pays-Bas. La situation est complexe aussi pour les États insulaires menacés. Cela tient d’une part au fait que leurs moyens financiers sont moindres et d’autre part à des raisons techniques. Ces États prônent principalement une réduction plus rapide des émissions de gaz à effet de serre. Plusieurs tentent d’organiser le déplacement de leur population vers d’autres contrées. Les populations menacées acceptent cependant avec difficulté d’abandonner leur terre, leur île. Sans oublier que peu de nations semblent enclines à les accueillir.” © Agence européenne pour l’environnement Des décennies d’efforts… en vain ? Les Sundarbans sont gravement touchés par le changement climatique. Cette région située à l'embouchure du Gange au Bangladesh et au Bengale occidental en Inde fait partie du plus grand delta du monde. Le 19 juin, la Banque mondiale a publié le rapport Turn Down The Heat, indiquant que l’impact du changement climatique se traduira par de graves problèmes dans les régions qui sont déjà pauvres ou qui étaient actuellement en train de sortir de la pauvreté. Pour le président de la BM, Jim Yong Kim, le plus préoccupant est le fait qu’une augmentation de deux degrés – que nous pourrions déjà atteindre d’ici 2030 ou 2040 – empêcherait de réaliser l’objectif d’éradication de la pauvreté dans le monde et que des décennies d’aboutissements dans des projets de développement n’auraient dans ce cas servi à rien. Une perspective qui n’enchante personne… KOEN VANDEPOPULIERE dimension 3 I SEPTEMBRE-OCTOBRE 2013 19