Le trouble de l’adaptation avec anxiété S. Roy*, S. Grau*, P. Lascar* L e trouble de l’adaptation, sous ce libellé, est une catégorie diagnostique apparue récemment dans les classifications internationales, DSM-III (1) et CIM-10 (2). Dans le DSM-IV (3), il est l’un des rares troubles auxquels on reconnaît une composante pathogénique, à savoir un trouble directement consécutif à un/des stresseur(s) repérable(s) et clairement défini(s). Parmi les sous-types répertoriés dans le DSM-IV (3), le trouble de l’adaptation avec anxiété (TAA), autrefois appelé “anxiété réactionnelle”, présente une prévalence élevée si l’on en croit les différentes sources épidémiologiques. Pourtant, cette pathologie, comparée aux autres troubles (troubles anxieux, de l’humeur, etc.), semble moins intéresser les cliniciens et les chercheurs si l’on se réfère au nombre de publications qui lui sont consacrées. Le concept d’“événement de vie” désorganisant, venant rompre l’équilibre psychologique, est au cœur du TAA. Mais c’est encore plus la réaction du sujet et les stratégies adaptatives que celui-ci va mettre en place pour retrouver un état antérieur à l’impact du/des stresseurs qui vont entraîner la survenue ou non d’un TAA. Des techniques psychothérapiques existent et ont montré par des méthodes scientifiques leur efficacité. Dans cet article, nous développerons l’étroite interaction qui existe entre le concept de stress, les stratégies d’ajustement (coping) et le TAA. Un dernier point sera consacré aux méthodes com- * Centre Montaigne, Garches. portementales et cognitives pour le traitement de ce trouble. Le stress Le concept de stress est difficile à appréhender. On l’utilise à la fois pour désigner des menaces ou des défis, mais aussi pour décrire nos réactions physiologiques, comportementales et émotionnelles. On parle plus volontiers de “facteurs de stress” comme le stress de la vie quotidienne, et de “réaction de stress” comme la colère, la dépression, etc. Le stress est le produit de ces deux facteurs. Le syndrome général d’adaptation C’est Hans Selye qui le premier étudia de façon approfondie le phénomène de stress. En cherchant à découvrir une nouvelle hormone sexuelle, Selye injecta à des rats un extrait d’hormone ovarienne. Il détecta trois effets : un élargissement du cortex surrénalien, une diminution du thymus et des ulcères perforés. Pensant être sur la trace d’une nouvelle hormone, Selye injecta d’autres extraits corporels aux rats. Quel désespoir en observant exactement les mêmes symptômes ! En soumettant des animaux à d’autres facteurs de stress (chocs électriques, lésions chirurgicales, etc.), il constata qu’il s’agissait en fait d’une réponse adaptative du corps au stress commune à tous les individus. Selye qualifia la réponse de l’organisme aux agressions auxquelles il est soumis sous le terme de “syndrome général d’adaptation” (SGA). Le SGA se divise en trois phases : – une phase d’alarme ou d’alerte au cours de laquelle l’organisme mobilise ses ressources pour faire face à un environnement nouveau et source d’agressions. Cette phase est caractérisée par une libération de catécholamines et de glucocorticoïdes, et une baisse momentanée de la résistance de l’organisme. Durant cette phase, le rythme cardiaque s’emballe, le sang est détourné vers les muscles squelettiques ; – une deuxième phase de résistance au cours de laquelle les défenses de l’organisme sont augmentées vis-à-vis de l’agent agresseur en cause, mais diminuées vis-à-vis d’autres agressions. Cette phase repose essentiellement sur l’activation de l’axe corticotrope. Température, pression sanguine et rythme respiratoire demeurent élevés. Si le stress persiste, l’organisme s’habitue et réagit de moins en moins ; – enfin, une troisième phase d’épuisement qui correspond à la défaillance des capacités d’adaptation, et qui traduit l’épuisement des surrénales en glucocorticoïdes. Cette dernière phase signe l’échec de l’organisme à s’adapter aux différents stimuli auxquels il est soumis. Elle peut conduire à de nombreuses variétés de maladie, voire à la mort. Souvent discuté, très peu contesté, le principe fondamental du SGA a largement contribué à l’intérêt porté par les psychologues aux facteurs psychiques liés au stress. Ces facteurs ont un rôle très important, car ils sont impliqués aussi bien dans les causes et les mécanismes de déclenchement que dans les conséquences du stress. Le stress s’exprime par toute une variété de symptômes psychologiques comme l’anxiété, la tristesse, l’irritabilité, l’humeur dépressive, l’inquiétude, etc., et la liste est encore longue. Si le mot “stress” est couramment employé de façon négative, il est pourtant nécessaire d’en éprouver un minimum, afin de rester vigilant et de s’adapter aux facteurs environnementaux. Ce n’est pas le stress qui est néfaste à notre santé physique et psychologique, mais son excès. 250 Mise au point Mise au point Le concept d’adaptation Comme nous avons pu le voir dans le paragraphe précédent, la notion de stress est étroitement liée à celle d’adaptation. D’un point de vue biologique, l’adaptation est l’ensemble des ajustements réalisés par un organisme pour survivre et perpétuer son espèce dans un environnement écophysique donné. S’inspirant de cette définition, les psychologues définissent l’adaptation comme un ensemble de modifications des conduites visant à assurer l’équilibre des relations entre l’organisme et ses milieux de vie, et qui sont sous-tendues par des mécanismes et des processus. Ces processus d’adaptation sont mis en œuvre chaque fois qu’une situation comporte un ou plusieurs éléments nouveaux, inconnus ou simplement non familiers. Pour faire face à ces éléments, l’individu fait intervenir entre lui et l’événement perçu un certain nombre de stratégies d’ajustement ou de coping (de l’anglais to cope with : faire face à). Ces stratégies ayant valeur de contrôle psychologique et physiologique face à l’action, elles permettent à la fois de réduire le degré de stress et de maîtriser les représentations psychoaffectives liées à l’impact de l’événement. Le modèle proposé par Lazarus et Folkman (4) distingue deux grandes catégories de stratégies (tableau I) : ◗ la première correspond à la résolution de problèmes par un ensemble de plans d’action dirigés vers une modification, un évitement ou une minimalisation de l’impact du stresseur : les activités cognitives permettent de penser que le stresseur peut être contrôlé ; ◗ la deuxième catégorie correspond à la capacité qu’a un individu d’éliminer les émotions négatives engendrées par le stresseur, en utilisant des mécanismes de défense comme le déni, la répression, ou l’inhibition des émotions par exemple. Tableau I. Réponses psychologiques au stress, d’après Lazarus et Folkman (4). Réaction Au problème Aux émotions comportementale cognitive comportementale cognitive Essai de contrôle Résolution du problème Recherche du problème Affrontement du problème Redéfinition de la situation Restructuration Réinterprétation positive Recherche de soutien social Recherche d’informations Expression des émotions Évitement Fuite Réaction passive Idéalisation de la réalité Distanciation Auto-blâme Déplacement Distraction Évitement de l’information Inhibition des émotions Répression Refus Des travaux en psychologie (5) ont permis de mettre en évidence, parmi ces stratégies d’ajustement, plusieurs attitudes et réponses mises en œuvre par le sujet en fonction du type d’attribution causale conférée à l’événement rencontré. Par définition, nous expliquons généralement le comportement d’autrui en l’attribuant à des dispositions soit internes soit externes. Face à un stresseur, un individu adoptera soit un contrôle externe sur l’événement par des attitudes actives de maîtrise de la réalité, de recherche de soutien social, soit un contrôle interne marqué par la maîtrise des émotions et des pensées. L’absence de contrôle se caractérise par l’évitement, la fuite et la passivité. L’impact du stress peut s’expliquer en partie par le fait que certains individus auront plutôt tendance à s’attribuer la responsabilité de ce qui leur arrive, considérant l’événement comme définitif et s’étendant à tous les domaines de la vie du sujet. Critère diagnostique du trouble de l’adaptation Les critères diagnostiques du trouble de l’adaptation retenus par la classification américaine des troubles mentaux : DSM-IV (3) sont décrits dans le tableau II. Tableau II. Critères diagnostiques du trouble de l’adaptation selon le DSM-IV (3). 1. Le développement de symptômes dans les registres émotionnels et comportementaux, en réaction à un ou plusieurs facteur(s) de stress identifiable(s), au cours des trois mois suivant la survenue de celui-ci (ceux-ci). 2. Ces symptômes ou comportements sont cliniquement significatifs et se traduisent par l’une des deux manifestations suivantes : – une souffrance marquée, plus importante qu’il n’était attendu en réaction à ce facteur de stress, – une altération significative du fonctionnement social ou professionnel (scolaire). 3. La perturbation liée au stress ne répond pas aux critères d’un autre trouble spécifique, ni l’exacerbation d’un trouble préexistant. 4. Les symptômes ne sont pas l’expression d’un deuil. Le trouble de l’adaptation avec anxiété (TAA) Lorsque l’individu, épuisé, surmené, n’est plus apte à s’adapter, le stress peut se traduire alors par une incapacité à réagir, aboutissant le plus souvent à des complications d’ordre psychiatrique. Le TAA en est un exemple. Act. Méd. Int. - Psychiatrie (21), n° 9/10, novembre/décembre 2004 5. Une fois que le facteur de stress (et ses conséquences) a disparu, les symptômes ne persistent pas au-delà de 6 mois. Le trouble est dit “aigu” si la perturbation persiste moins de 6 mois et “chronique” si la perturbation persiste 6 mois ou plus. Le trouble de l’adaptation peut être caractérisé par des symptômes prédominants tels que l’humeur dépressive, l’anxiété, voire les deux, et/ou la perturbation des conduites. 251 Mise au point Mise au point L’irruption d’un stresseur dans la vie du sujet va dépendre, outre de la capacité du sujet à y faire face, de la nature de l’événement. C’est-à-dire de son intensité, de son imprévisibilité et de sa répétitivité (employé de banque victime de plusieurs hold-up) ou chronicité (harcèlement moral sur le lieu de travail). L’échelle de sévérité des facteurs de stress psychosociaux de l’axe IV du DSM-IV (3) permet d’évaluer l’intensité de la réaction au stress et de prendre en compte tous les facteurs favorisant ou aggravant le trouble (tableau III). Épidémiologie du TAA Bien que considérée comme une entité diagnostique marginale en raison de son manque de pertinence clinique suffisante pour être intégré dans les grandes études épidémiologiques menées dans le monde, le trouble de l’adaptation présente une prévalence en consultation psychiatrique variant de 5 à 20 % selon les études. Une étude récente menée par Hergueta et al. (6) montre une prévalence du TAA chez les consultants en médecine générale de 1 %, et de 4,5 % chez ceux ayant une plainte d’ordre psychologique. Les patients présentant un TAA étaient, dans 66,7 % des cas, des femmes. Ces chiffres sont retrouvés dans des études antérieures (7). Dans leurs études, Samuelian et al. (8) retrouvent un nombre important d’associations comorbides au TAA, principalement des troubles de la personnalité (évitante, dépendante, antisociale, passive-agressive, etc.), et addictifs. Selon Kenesi et al. (9), parmi les événements de vie stressants survenus dans les trois mois précédant l’apparition du trouble, 68 % des patients ont eu à faire face à un conflit conjugal (particulièrement les femmes) ou à des difficultés professionnelles chez les hommes. Enfin, ces mêmes auteurs montrent que 72 % des patients présentant un TAA n’ont pas d’antécédent psychiatrique, mais plutôt des antécédents familiaux sévères : – de troubles dépressifs ou anxieux (20 % chez le père et 30 % chez la mère) ; – d’alcoolisme (16 % chez le père et 5 % chez la mère) ; – de troubles du comportement ou de Tableau III. Facteurs de stress psychosociaux d’après l’échelle de sévérité de l’axe IV du DSM-IV (3). Code Terme Exemple chez l’adulte Exemple chez l’enfant ou l’adolescent 1 Aucun Absence de facteur de stress apparent Absence de facteur de stress apparent 2 Minime Délit mineur, petit emprunt à la banque Vacances en famille 3 Léger Dispute avec un voisin, changement d’horaire de travail Changement de professeur à l’école, rentrée des classes 4 Moyen Nouvelle carrière, décès d’un ami proche, grossesse Disputes répétées avec les parents, changement d’école, maladie d’un parent proche, naissance d’un frère ou d’une sœur 5 Sévère Maladie grave du sujet ou d’un parent, perte d’argent importante, séparation conjugale, naissance d’un enfant Mort d’un camarade, divorce des parents, arrestation, hospitalisation, discipline parentale sévère en permanence 6 Extrême Mort d’un parent proche, divorce Mort d’un parent, d’un frère ou d’une sœur, traumatismes sexuels ou physiques répétés 7 Catastrophique Expérience de camp de concentration, catastrophe naturelle dévastatrice Multiples morts dans la famille 8 Non spécifique Absence d’information ou information inutilisable Absence d’information ou information inutilisable l’adaptation (17 % chez le père et 10 % chez la mère). Les différentes études mettent en avant une fréquence d’apparition non négligeable du TAA chez les consultants, d’où la nécessité d’un diagnostic précoce dans une perspective de prise en charge médicamenteuse et psychothérapique. Les facteurs de risque Le modèle biopsychosocial de la psychiatrie moderne a bien montré que nous n’étions pas tous égaux devant le stress, ni devant la capacité à le gérer. Les individus présentent une plus ou moins grande vulnérabilité face aux agents source de stress. Friedman et Rosenman (10) ont notablement contribué à l’étude du stress et du rôle joué par la personnalité dans son apparition. Ces auteurs ont décrit un mode de comportement pouvant être considéré comme responsable d’une hyperréactivité au stress : la personnalité de “type A”. Les comportements de type A se caractérisent par une célérité dans l’action se traduisant par l’impatience ; l’investissement professionnel marqué associé à une image de bon travailleur perfectionniste et consciencieux ; la compétitivité et la combativité. Les comportements de type A sont davantage sujets aux crises cardiaques parce qu’ils fument plus, dorment moins et consomment davantage de boissons à base de caféine. D’autre part, ils présentent un tempérament favorisant l’apparition de maladies cardiaques, leurs sécrétions hormonales, leur rythme cardiaque et leur pression artérielle s’élevant significativement plus que la moyenne lors de défis à relever ou en situation de perte de contrôle. À l’inverse, un autre type de comportement, pouvant lui aussi constituer un facteur de risque et de vulnérabilité dans l’apparition d’un trouble de l’adaptation, a été décrit. Il s’agit du comportement de “ type C ”. Ces sujets sont plutôt soumis, évitent les conflits, acceptent les contraintes du temps, inhibent leurs émotions, etc. Enfin, un dernier 252 Mise au point Mise au point type de profil comportemental, le “type B”, a été découvert chez des sujets cherchant à agir positivement sur les événements de vie pouvant leur arriver. Le type B, considéré comme un facteur de protection par sa capacité d’adaptation aux situations stressantes, est caractérisé par une maîtrise personnelle des événements stressants ; un sens des responsabilités et un sens de la cohérence à donner à sa vie dans ses engagements successifs ; une souplesse d’adaptation aux changements imprévus avec perception de l’événement comme une rupture inhérente à la vie plutôt que comme une menace. Stratégies d’intervention cognitives et comportementales dans le TAA De la même manière que les troubles anxieux (trouble panique, troubles phobiques, trouble obsessionnel compulsif, anxiété généralisée, états de stress posttraumatique) répertoriés dans le DSM-IV (3), le TAA connaît à son tour un intérêt croissant de la part des thérapeutes cognitivo-comportementalistes. Le modèle cognitivo-comportemental de l’anxiété Les thérapies comportementales et cognitives (TCC) reposent essentiellement sur le modèle du conditionnement. Globalement, elles sont fondées sur le principe selon lequel la réponse anxieuse a été apprise par les patients, et qu’il est donc possible de la désapprendre. Pour les comportementalistes, beaucoup de symptômes présents dans les troubles psychiatriques peuvent être causés ou maintenus par le biais de trois grandes familles de conditionnement. Le conditionnement classique ou pavlovien Les états de stress post-traumatique en sont un exemple : une patiente ayant été agressée par un homme a une crise d’an- goisse huit jours après, dans le métro, déclenchée par la présence d’un homme à côté d’elle ayant la même lotion d’après-rasage que son agresseur. L’intensité du choc est tellement grande dans le stress post-traumatique que ce type de phénomène est fréquemment observé : tous les stimuli présents au moment de l’agression peuvent ensuite être associés à l’état anxieux qui était présent au moment de l’agression. Il a, en effet, été montré que le conditionnement est dépendant de l’intensité du stimulus déclencheur. Des stimuli de faible intensité doivent être répétés pour déclencher un phénomène de conditionnement, alors qu’un seul stimulus de grande intensité, comme une agression, peut suffire. Rappelons que le retentissement d’une situation stressante dépend de la nature de l’événement, qui se distingue par son intensité, son imprévisibilité, sa répétitivité ou sa chronicité. Le conditionnement opérant Il permet de rendre compte des conduites d’évitement rencontrées chez les phobiques. L’évitement de l’objet anxiogène permet une diminution de l’angoisse. Le comportement de fuite se trouve ainsi renforcé par les effets positifs qu’il produit, la diminution de l’angoisse. Ce comportement entraîne alors le patient dans un cercle vicieux dont il devient prisonnier, puisque, plus il fuit la situation angoissante, moins il est capable de l’affronter et plus son angoisse de la situation augmente. Les phobiques deviennent ainsi prisonniers de leurs propres conduites (refus de sortir, auto-enfermement, etc.). Le conditionnement social Il repose sur le principe selon lequel il est possible d’apprendre un comportement sans forcément l’avoir expérimenté par soi-même, sans en avoir testé ni les avantages ni les inconvénients, mais par la simple observation d’une personne ayant ce comportement. Les thérapies comportementales se sont Act. Méd. Int. - Psychiatrie (21), n° 9/10, novembre/décembre 2004 enrichies peu à peu de l’approche cognitive, en ne s’intéressant plus seulement aux comportements, mais aussi aux “cognitions” (les contenus de pensée). Cette approche repose sur la notion de traitement de l’information. En effet, lorsqu’un sujet reçoit une information, il ne la reçoit pas de manière passive mais il l’interprète, l’évalue, et la déforme. Dans une situation donnée, la conduite du sujet dépend autant de la manière dont il interprète la situation que de la situation elle-même. L’approche cognitive est dite “socratique” car elle ne cherche pas à convaincre le patient mais plutôt à l’amener, par questionnement, à découvrir par lui-même sa façon de percevoir le monde et à la relativiser. Les comportementalistes considèrent donc que l’anxiété, en tant que réponse de l’organisme à un agent stressant, va agir dans trois principaux domaines : – le domaine physiologique, par l’activation du système nerveux autonome ; – le domaine comportemental, par l’évitement, l’échappement, l’inhibition ou l’agression ; – le domaine cognitif, par des erreurs d’interprétation, des distorsions, etc. Les traitements cognitivo-comportementaux vont donc modifier ces trois axes. Les stratégies thérapeutiques Les principales stratégies thérapeutiques utilisées dans le traitement du TAA sont : la relaxation (modifications des réponses physiologiques), les thérapies d’exposition et l’entraînement aux compétences sociales (modification des réponses comportementales), et les thérapies cognitives (modification des réponses cognitives). La relaxation L’objectif principal de la relaxation est de permettre à la fois une diminution du rythme cardiaque, un ralentissement de la fréquence respiratoire et une baisse de la pression artérielle. Les méthodes de relaxation sont nombreuses 253 Mise au point Mise au point dans le traitement du TAA. Nous n’en retiendrons que deux types : – Le “training autogène” de Schultz est une méthode d’auto-induction hypnotique basée sur l’évocation mentale de sensations de lourdeur et de chaleur. Les exercices se pratiquent en position assise ou couchée. Les patients présentant un TAA se limitent au cycle inférieur, où ils font successivement l’expérience de la sensation de pesanteur (“mon bras est lourd”), de chaleur (“mon bras est chaud”), de contrôle du cœur et de la respiration, de régulation de la région abdominale et de fraîcheur du front. – La relaxation progressive de Jacobson repose sur la détente graduelle des groupes musculaires. Elle peut se pratiquer assis ou couché. L’objectif est de contracter successivement chacun des groupes musculaires pendant quelques secondes, puis de les décontracter, en restant le plus attentif possible au contraste entre la tension et la détente. L’apprentissage de la relaxation permet de rompre le cercle vicieux qui conduit l’anxiété à la tension musculaire, qui à son tour ne fait qu’augmenter l’anxiété. Benson, un des auteurs à avoir le plus étudié les différentes méthodes de relaxation, préconise, par ailleurs, un environnement calme à l’abri des sources de distraction, une position confortable dans laquelle les tensions musculaires sont réduites autant que possible, une attitude passive, et la focalisation de toute l’attention sur un stimulus déterminé (son, mot ou objet, par exemple). L’exposition Les stratégies d’exposition sont un peu le noyau dur des thérapies comportementales. Historiquement, elles ont été les premières à être utilisées, et restent particulièrement importantes pour les thérapeutes, car particulièrement efficaces pour les patients. Le principe de base de l’exposition est très simple, et s’applique surtout aux troubles anxieux : éviter ce qui fait peur accroît la peur et l’entretient. Au contraire, la confrontation à ce qui fait peur va diminuer la peur. Cette confrontation s’effectue selon certaines règles strictes. L’exposition doit être progressive, prolongée et complète. Il y a ainsi toute une graduation dans l’autonomisation du patient. Une exposition mal conduite peut en effet aggraver la réponse anxieuse. Différents types d’exposition sont proposés aux patients (tableau IV). L’affirmation de soi L’affirmation de soi ou l’entraînement aux compétences sociales est une autre stratégie comportementale classique. Cette stratégie vise à entraîner les patients à maîtriser les comportements relationnels, qu’ils soient verbaux ou non, adaptés aux interactions quotidiennes. Le jeu de rôle comportemental est le principal outil thérapeutique utilisé en affirmation de soi. Une situation cible très précise est choisie. Le patient joue son propre rôle. Le comportement du patient est ensuite critiqué de façon constructive : le regard, la voix, la fermeté dans la décision, l’autorité, etc. La vidéo peut parfois être utilisée. À partir des critiques, le patient recherche ce qui pourrait être amélioré, et le jeu reprend en tenant compte des changements à apporter pour avoir un comportement plus efficace. Cette technique a pour objectif d’apprendre au patient un certain comportement, qu’il pourra ensuite choisir d’utiliser quand il se trouvera confronté au même type de situation. Cette approche donne au patient les moyens d’adopter des comportements qui soient en phase avec ses envies ou ses pensées. En plus de ces séances, des exercices à faire dans la semaine sont prescrits, pour tester l’efficacité des séances et orienter le travail. Chez les patients présentant un TAA, divers exemples de compétences sociales peuvent être travaillés : exprimer une demande, un désaccord, faire face à l’agressivité, à l’hostilité, etc. Les thérapies cognitives Dans l’approche cognitive, trois niveaux d’intervention, identifiés par Beck (12), sont envisagés et travaillés : – les cognitions ou “événements cognitifs”, qui correspondent aux pensées automatiques survenant spontanément lorsque le patient est dans une situation anxiogène ; – les “processus cognitifs” ou distorsions cognitives, qui donnent au patient une lecture particulière, perturbée, de son environnement. Parmi ces distorsions, Tableau IV. Principales techniques d’exposition (11). 1. Désensibilisation systématique Le sujet relaxé suit une présentation hiérarchisée de stimuli imaginaires de plus en plus intenses. Il est invité à affronter dans la réalité les situations désensibilisées (ayant perdu leur caractère anxiogène). 2. Désensibilisation in vivo Le sujet relaxé affronte par étapes la situation redoutée en réalité. 3. Exposition graduée in vivo Le sujet qui n’est pas relaxé affronte par étapes la situation redoutée en réalité. 4. Modeling de participation Le thérapeute précède le sujet dans la situation réelle, il lui sert de modèle, puis le guide et le renforce dans son affrontement de la situation. 5. Implosion (flooding) Le sujet est confronté en imagination à la situation anxiogène au niveau maximum d’intensité jusqu’à ce que son angoisse s’éteigne. Durée : trois quarts d’heure au moins. 6. Immersion in vivo Le sujet est immergé en réalité dans la situation anxiogène au niveau maximum d’intensité jusqu’à ce que son angoisse s’éteigne. Durée : trois quarts d’heure au moins. 254 Mise au point Mise au point on distingue : l’inférence arbitraire (tirer des conclusions sans preuve), l’abstraction sélective (ne retenir que certains éléments d’une situation), le raisonnement dichotomique (raisonner en “noir ou blanc”) ; – les schémas cognitifs, qui représentent l’ensemble des croyances profondes et qui donnent la véritable vision du monde du patient. Selon Beck (12), le patient doit : – prendre conscience de ses pensées automatiques ; – reconnaître le rapport entre ses pensées, ses émotions et son comportement ; – apprendre à questionner ses pensées automatiques et examiner leur validité par des épreuves de réalité ; – apprendre à remplacer ses pensées automatiques par des pensées plus rationnelles ; – identifier et modifier ses schémas dysfonctionnels. Spécificités de la prise en charge cognitivo-comportementale Les TCC regroupent un certain nombre de caractéristiques à la fois méthodologiques et relationnelles. Les caractéristiques méthodologiques Les TCC sont des thérapies limitées dans le temps, d’une vingtaine de séances pour le traitement du TAA. Ces thérapies se caractérisent par le fait qu’elles sont centrées sur l’“ici” et le “maintenant”. Autrement dit, elles n’utilisent pas le travail sur le passé comme levier thérapeutique majeur, même si elles en tiennent compte. Elles se concentrent beaucoup plus sur les aspects actuels des troubles. La volonté scientifique des TCC se traduit par un souci d’évaluer les résultats obtenus dans le but de faire évoluer les techniques existantes. Des résultats non satisfaisants font ainsi peu à peu abandonner certaines méthodes de soin. L’évaluation systématique des résultats permet des thérapies structurées et codifiées. Ainsi, dès le diagnostic de TAA posé, le thérapeute sait quelle stratégie adopter et quels résultats en attendre. Un style relationnel particulier Le thérapeute comportementaliste peut être qualifié à la fois d’actif et d’interactif car il participe beaucoup au déroulement de la thérapie. Il est également explicite et informatif, le début de la thérapie étant consacré à délivrer au patient des informations sur le trouble, les stratégies thérapeutiques employées, etc. La relation entre le patient et le thérapeute s’engage sur un mode collaboratif. Le patient, lui aussi, devra être autonome et volontaire à la participation des tâches assignées entre les séances. Conclusion Le trouble de l’adaptation, quel qu’en soit le sous-type, reste encore un trouble marginal. Il est d’ailleurs classé dans le DSM-IV (3) comme une catégorie résiduelle. Peu de recherches se sont intéressées spécifiquement au trouble de l’adaptation avec anxiété (TAA), et les données recueillies ne sont encore que trop partielles et insuffisantes. Pourtant, l’adaptation, au même titre que la respiration, la digestion, la reproduction et la fonction immunitaire, fait partie des grandes fonctions de l’organisme humain. Ce manque d’intérêt est probablement lié aux manifestations cliniques diffuses et hétérogènes selon les sujets et, par conséquent, à une description sémiologique manquant de spécificité dans les classifications internationales. Quoi qu’il en soit, l’aspect réactionnel du TAA ne minore en rien la gravité de ce trouble, d’autant plus qu’il peut être une première étape vers une pathologie psychiatrique plus sévère. En pratique, c’est au clinicien d’évaluer à la fois l’impact des stresseurs, la vulnérabilité du sujet (qu’elle soit psychologique, biologique, familiale ou socioéconomique) et les stratégies d’ajustement mises en œuvre par celui-ci. Act. Méd. Int. - Psychiatrie (21), n° 9/10, novembre/décembre 2004 Enfin, outre une prise en charge médicamenteuse, il semble nécessaire d’introduire plus systématiquement un suivi psychothérapique, certaines études montrant que seulement 15 % des sujets présentant un TAA en bénéficient (6). ■ Références 1. American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. 3rd ed, American Psychiatric Press, 1980, Washington DC. 2. World Health Organization. The ICD-10 Classification of Mental and Behavioural Disorders : Clinical Description and Diagnostic Guidelines. World Health Organization, 1992, Genève. 3. American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. 4th ed, American Psychiatric Press, 1994, Washington DC. 4. Lazarus RS, Folkman S. Stress, appraisal and coping. Springer Publishers, 1984, New York. 5. Rotter JB. Generalized expectancies for internal versus external control of reinforcement. 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