Riva Kastoryano – Le nationalisme turc – Avril 1999
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De toute évidence le premier réflexe est d’attribuer la "faute" à "l’étranger", de l’intérieur
(Kurde) comme de l’extérieur notamment l’Europe qui juge la Turquie et la rejette. Par
ailleurs les analyses classiques se réfugient derrière la dichotomie banale entre globalisation
et nationalisme voire localisme. Mais ces résultats reflètent surtout l’angoisse identitaire que
ressent l'Etat-nation turc face aux forces internes qui le défient : l’islamisme dans un Etat laïc
qui remet en cause la séparation des sphères publiques et privées qu’il a voulu établir une
fois pour toutes, et le nationalisme kurde à l’intérieur de ses frontières qui menace son projet
d’unité culturelle, linguistique et territorial.
Par conséquent quoi de surprenant dans les résultats de ces élections législatives ? Le
nationalisme exprimé par le vote est en réalité le résultat d’un consensus social et politique,
le point de rencontre des décideurs et des électeurs. Tout s’est passé de façon si naturelle
que la surprise générale à l’annonce des résultats paraît en fin de compte artificielle. Le
nationalisme était partout : dans les rues, les drapeaux rouges et blancs des partis (celui du
parti du Mouvement National, celui du Parti de la Vertu et celui du Parti de la Juste Voie)
comme le drapeau de la nation turque, traversaient les fils électriques, parfois intercalés de
drapeaux jaunes (le partie de la Mère Patrie) et bleus (le parti de la gauche démocratique). Il
était aussi dans les discours avec toutes ses formes : nationalisme d’Atatürk, nationalisme
d’Etat, nationalisme d’Anatolie, à l’exception du HADEP - parti nationaliste kurde, et du
Fazilet implicitement "anti-nationaliste" mais "aimant sa patrie et son peuple sur son
territoire" et solidaire du monde musulman dans son ensemble.
Tout comme les frontières entre leurs drapeaux, leurs programmes n’étaient pas clairs non
plus. Ils étaient tous d’accord pour une Turquie "démocratique" et sensible "aux droits de
l’Homme". Ils blâmaient tous la corruption, attitude accordée au parti adversaire. Ils
promettaient tous une politique "juste" et une classe politique "honnête". Bref, il fallait d’après
chacun des candidats, gagner la confiance du peuple et surtout redéfinir une "culture
politique" à partir de nouvelles bases.
Le parti du Mouvement National, la grande surprise des élections, connu comme un parti
d’extrême droite avait comme idéal la constitution de la Grande Turquie, allant de l’Asie
centrale aux Balkans et regrouper les Turcs définis par leur appartenance ethnique,
linguistique et religieuse. Ses militants, dans la très grande majorité associés au mouvement
des Loups Gris actifs dans toutes les grandes villes d’Europe, et tous membres des "foyers
nationalistes", organe officiel du parti, ne sont pas des tendres. Le nouveau dirigeant du
MHP, Devlet Bahçeli, élu à la suite de la mort de son président charismatique, le colonel
Turkes, annonce un changement qui situe le parti davantage dans la lignée de la synthèse
turco-islamique créée dans les années 1970 par la fraction conservatrice des "foyers