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philosophes l’ont trouvé ainsi. Dans l’Antiquité Platon, Aristote, Plotin, parmi
d’autres, et à l’époque moderne Descartes, qui le pose pour garantir la vérité
des idées claires et distinctes que fabrique le Je, le moi pensant ; Spinoza, pour
qui le monde est un tout constitué des idées de Dieu ; Kant, qui le pose pour
fonder l’édifice de la morale, objet de la raison pratique. Mais ce Dieu, hérité
sans doute de leur culture chrétienne, avec laquelle d’ailleurs ces penseurs
n’avaient pas rompu officiellement toute relation (et cela est vrai même pour
Spinoza), est-il autre chose qu’un principe d’ordre ou de sens pour la pensée et
pour l’action ? Certes, cela n’est pas rien, c’est même beaucoup. Mais pourquoi
l’Occident aime-t-il tellement l’ordre et le sens ? Pourquoi aime-t-il aussi
tellement le dépassement de soi, le dépassement des instincts que la nature
dépose en nous, au point qu’un des plus grands ennemis de la religion
chrétienne et de toute religion, Nietzsche, finit sa vie active en enseignant,
dans sa théorie du Surhomme, que l’homme doit « être dépassé ». Ce qui
revient à lui demander à se faire « dieu » par ses propres forces, ce qui
demande un effort démesuré, dont il a peut-être été victime lui-même.
Bergson, au contraire, devenu un catholique à la fin de sa vie, a écrit dans son
dernier livre, que le monde est « une machine à faire des dieux ».
En fait, la philosophie occidentale, jusqu’au 20e siècle, a été dans une grande
proportion, une philosophie non seulement théiste, mais chrétienne ; en tout
cas, conciliable avec la religion chrétienne. Mais les choses changent quand
arrive le 20e siècle, et surtout sa deuxième moitié. Se pourrait-il qu’on ne
puisse plus être un philosophe chrétien dorénavant ? Je ne le pense pas, car il
est devenu de plus en plus évident qu’il existe une multitude de philosophies.
Ou encore, que celle-ci est comme un arbre : un tronc peut-être grec, avec une
multitude de branches qui partent dans toutes les directions et qui ne se
rejoignent pas. Pour éviter la division de l’esprit, sa parcellisation en entités
rivales, qui ne se comprennent pas, voire ne se parlent pas, il faut se demander
où se trouvent plantées les racines de cet arbre.
La réponse est facile : dans la religion, ou encore dans la mythologie et la
pensée symbolique qui a dominé l’humanité pendant des dizaines et peut-être
des centaines de milliers d’années, avant que les hommes ne se mettent à
balbutier philosophiquement.
Cependant, l’arrivée de Socrate est un grand moment dans cette préhistoire de
la philosophie et celle de son grand disciple, Platon, espèce de « saint Paul »
pour Socrate. Or l’arrivée de Jésus de Nazareth est comparable pour ce qui en