3. Impacts attendus des changements climatiques sur la vigne et possibilités d’adaptation Les volumes et les caractéristiques des récoltes dépendront par ailleurs directement de l’augmentation des teneurs atmosphériques en CO2 qui aura, d’une part, des effets directs sur la photosynthèse et sur l’efficience d’utilisation de l’eau, mais également sur le métabolisme, en particulier secondaire, des baies. Si l’objectif de l’adaptation est de maintenir la productivité des vignes et la typicité des vins, il faudra envisager une évolution des modes de conduite, l’utilisation de nouvelles combinaisons porte-greffe/ greffon, voire l’exploration de nouvelles zones géographiques. On peut envisager les stratégies d’adaptation selon plusieurs axes : > maintenir le niveau de production, avant tout en évitant des stress hydriques excessifs, > assurer une maturation des raisins dans des conditions “fraîches”, > tendre à maintenir les caractéristiques des raisins et des vins même pour des maturations sous fortes températures. L’évitement de contraintes hydriques pourra globalement difficilement se faire par la mise en place de systèmes d’irrigation. La tension sur les ressources en eau devrait augmenter à l’avenir et l’utilisation de l’eau pour une culture non vivrière risque d’être mal perçue. Les solutions à envisager doivent concerner avant tout, d’une part, le choix des combinaisons porte-greffe/greffon les plus efficientes pour l’utilisation de l’eau et, d’autre part, les modes de conduite économes en eau, avec une réduction des surfaces foliaires. Les travaux actuellement en cours visent à identifier, aussi bien chez les porte-greffes que chez les greffons, des gènes participant à la tolérance à la sécheresse. L’objectif est de disposer d’outils permettant de créer de nouvelles variétés de porte-greffes ou de greffons adaptées à des conditions d’alimentation en eau réduite. En ce qui concerne les modes de conduite, les outils modernes de modélisation permettent de tester in silico différentes solutions avant de les étudier sur le terrain. Maintenir des conditions de maturation “fraîches” peut s’envisager en changeant de zones de production. Il peut y avoir une exploration de territoires à des latitudes ou des altitudes plus élevées, mais aussi une valorisation de terroirs actuellement inadaptés à la culture de la vigne tels que des fonds de vallées ou des coteaux exposés au nord. Les modes de conduite peuvent également contribuer à atténuer les effets du réchauffement climatique. Au lieu de chercher à augmenter l’exposition des raisins, comme cela a été le cas au cours des décennies passées, il faudrait imaginer des modes de conduite favorisant l’ombrage des raisins. Un changement de matériel végétal, privilégiant les variétés tardives, est une solution intuitive. On peut cependant montrer que plus les températures augmentent, plus les températures pendant la maturation des raisins sont proches entre une variété précoce et une variété tardive. Il est par conséquent nécessaire de concentrer les recherches sur la capacité des cépages à produire des raisins d’une qualité la plus stable possible en fonction des températures pendant la maturation. Le changement climatique va amener à reconsidérer les systèmes de production viticoles actuels, tant du point de vue du matériel végétal que des modes de conduite. Il faudra rechercher à l’avenir des systèmes cherchant à minimiser la consommation en eau tout en maintenant les grappes à l’ombre. Le réchauffement climatique va également redessiner les cartes d’adaptation des cépages, et de nouvelles opportunités vont apparaître pour les vignobles septentrionaux. Les outils modernes de génétique devraient faciliter la création de nouveaux génotypes, plus tolérants aux fortes températures ou au manque d’eau. L’adaptation des vignobles dans un contexte mouvant est cependant un défi, dans lequel il faudra privilégier les solutions les plus robustes qui préservent néanmoins les identités régionales. Le réchauffement climatique a déjà commencé à faire sentir ses effets et tout indique qu’il va continuer à modifier le comportement de la vigne et les caractéristiques des vins produits au cours des décennies à venir. Le premier effet déjà observé est une avance des stades de développement. Les modèles de prévision de ces stades, utilisant les températures de l’air, permettent d’anticiper les évolutions attendues en utilisant des données simulées pour les conditions climatiques du futur. Une avance des dates de véraison de l’ordre de deux à trois semaines par rapport aux conditions actuelles est ainsi prévue d’ici à la fin du XXème siècle. Par conséquent, la période de maturation des raisins va se dérouler sous des températures plus élevées, d’une part, car la véraison sera avancée vers les périodes chaudes de l’été et, d’autre part, car à une même date, la température sera plus élevée dans le futur qu’aujourd’hui (Figure 1). CAHIER TECHNIQUE SPÉCIAL CONGRÈS Par Éric Duchêne Unité Mixte de Recherche Santé de la Vigne et Qualité du Vin – INRA – Université de Strasbourg Figure 1 : Évolution des températures maximales en été et maturation du gewurztraminer. Les bandes de couleur représentent les 35 jours qui suivent la véraison. Il y a un double effet du réchauffement climatique : une augmentation des températures pour une date donnée et un décalage de la maturation vers les périodes les plus chaudes de l’été. (données météo INRA-Agroclim, scénario A1B-TT, modèle de prévision de la date de véraison INRA Colmar). Une augmentation à date égale du rapport sucres/acides des raisins est déjà constatée actuellement et elle devrait se poursuivre car la dégradation de l’acide malique est d’autant plus rapide que la température est élevée. Les fortes températures ont un effet négatif sur la teneur en anthocyanes des raisins mais leurs effets sur la composition en arômes des raisins sont moins connus. Il est en général admis que les températures fraîches sont favorables à l’expression des arômes, mais les données expérimentales permettant de quantifier des effets sont quasiment inexistantes. Les conséquences des changements climatiques sur le potentiel de production sont également difficiles à évaluer. Le rendement potentiel d’un pied de vigne dépend du nombre de fleurs, du taux de nouaison et du poids d’une baie. La formation des inflorescences et des fleurs est en grande partie déterminée par les conditions d’alimentation en eau. L’évolution dans le futur du nombre de fleurs par cep est difficile à anticiper, d’une part, car il y a beaucoup d’incertitudes sur la satisfaction future des besoins en eau, d’autre part, car les relations entre l’alimentation en eau et la formation des inflorescences et des fleurs sont mal connues. Le taux de nouaison ne devrait pas être affecté mais le poids d’une baie, dépendant beaucoup de l’alimentation en eau, pourrait diminuer. r e v u e f r a n ç a i s e d ’ œ n o l o g i e Référence : Duchêne, E., F. Huard, and P. Pieri. Grapevine and climate change: what adaptations of plant material and training systems should we anticipate? Journal International des Sciences de la Vigne et du Vin, 2014 , Spécial Laccave, 59-67. 8 m a i / j u i n 2 0 1 4 n ° 2 6 4