Petit manuel de philosophie pratique

publicité
François Bacalou
Petit manuel
de philosophie pratique
Une lecture personnelle et appliquée
d’un peu de philosophie
1
Des concepts et principes universels
2
2
Préambule général
Une réelle prise de conscience
2
3
42
Je me réveille en sursaut…
Je suis là, seul, seul face à la nuit.
Pas encore conscient de ce qui m’arrive, de ce que je
suis en train de vivre, de ce qui me tenaille et me garde
éveillé.
J’ai cependant déjà une certitude, je ne me rendormirai
pas, je ne dormirai plus jamais comme avant.
Et voilà, c’est le grand défilé, un peu confus.
Les images fusent dans ma tête. Elles se bousculent,
s’entrechoquent, se mélangent et je dois dire que j’ai du mal à
les mettre dans l’ordre, à trouver le sens, à y trouver un sens.
C’est peut-être bien le mot, ça y est j’y suis, je suis à la
recherche de sens !
J’ai une belle cinquantaine, une vie professionnelle
animée, une famille que je crois heureuse, des loisirs qui me
permettent pendant mes moments de tranquillité de
maintenir un rythme de vie frénétique.
J’ai une vie qui ressemble certainement à celle de
beaucoup d’autres, je me fonds dans la masse, ma vie se
passe.
2
5
Je m’abstiens de me poser des questions.
Plus justement, des questions, je m’en pose. Je m’en
pose même beaucoup, mais peut-être pas les bonnes. En
effet, la question que je n’aborde pas, celle que j’oublie ou
qu’inconsciemment je reporte, celle qui est la question des
questions, c’est la question du sens.
J’entends déjà les premières interpellations sur ce
point !
Comment définit-on le sens ?
La vie a-t-elle un sens ou du sens ?
En-a-t-on besoin ?
Pourquoi en chercher un et ne pas simplement vivre ?
Devrais-je donc immédiatement m’arrêter sur ce
postulat et deviser pendant des pages pour savoir ce que le
sens évoque au plus profond de moi-même ?
Je vous propose une autre option. Je ne vais pas
interrompre si tôt mon rêve éveillé.
Je vais continuer sur ma lancée et tout simplement
insérer un encart sur ce que j’aimerais faire de ma vie pour
qu’elle soit, à mon « sens » vraiment porteuse de sens.
62
Une définition de « mon » sens de la vie
Celui pour lequel et selon lequel je souhaiterais être « condamné à vivre »
Certainement très fortement inspiré de Rousseau, mais aussi de Nietzsche.
Mais pas jusqu’au bout.
« Mon » sens, c’est une réelle prise de conscience que je
ne suis pas là pour juger la vie mais pour la vivre. Que je ne
suis pas là pour rêver d’un autre monde mais pour agir sur
celui qui est le mien.
« Mon » sens, c’est ma capacité à favoriser mon
instinct, à respecter, à aimer et à défendre ma vie propre et
ma seule vraie réalité qui est celle du monde dans lequel je
vis.
« Mon » sens, c’est ma capacité à retrouver ma force
créatrice qui m’empêchera toujours de me satisfaire de mon
confort et de ma tranquillité.
« Mon » sens, c’est ma capacité à m’affranchir de la
morale, de l’habitude et des règles existantes pour définir
mon éthique propre et mes lois selon ma nature. C’est ma
capacité à continuellement les réinventer au fil des
évènements de ma vie.
« Mon » sens, c’est un esprit libre, une volonté, une
activité incessante pour continuer de chercher mon idéal et
d’encenser le côté évanescent et passager des choses
précaires.
« Mon » sens, ce n’est pas celui de Socrate ou le fait de
rêver d’un ensemble de valeurs absolues, éternelles et
inaccessibles telles que le beau ou le vrai.
« Mon » sens, ce n’est pas celui de Platon, repris ensuite
par la morale judéo-chrétienne. Celui de la séparation du
corps et de l’âme, du sacrifice du corps et de ses désirs au
profit de l’immortalité de l’âme et du paradis comme ultime
2
7
horizon.
« Mon » sens, ce n’est pas celui de la technoscience.
Celui de la réinvention d’un monde idéal par la domination
de la nature. Celui de l’utopie de modèles sociaux
prédéterminés assurant une parfaite harmonie qui
ressemblerait au paradis sur terre.
« Mon » sens, ce n’est pas celui de la recherche du seul
équilibre, de l’unique jouissance du confort établi et de la
sécurité d’une vie seulement conforme.
Mon test pour évaluer si ma vie a véritablement du sens
sera inspiré des deux questions suivantes :
1/Est-ce que je suis prêt à favoriser l’indétermination
ou l’inconnu de l’avenir par rapport à la sécurité du
présent ?
2/Est-ce que j’aime ma vie et ce que j’en fais au point
d’accepter d’être condamné à la revivre éternellement sans
la volonté ou le pouvoir d’y changer quoi que ce soit ?
Je m’intéresse à la météo. Je suis assidument les
championnats sportifs de toutes les “Navarres”. Je reste
passionné par la prochaine stratégie pour accompagner les
performances de mon entreprise. Je partage des barbecues
entre amis. Je suis interpellé par l’évolution du monde et j’en
parle. Je parle de tout mais aujourd’hui j’en suis sûr, je parle
surtout de rien.
Alors maintenant, à cet instant, en ce milieu de nuit de
pleine lune, plus d’échappatoire. Je me suis rattrapé. Je suis
en train de m’imposer le temps nécessaire pour me poser
toutes les vraies questions. Je sais que je n’accepterai plus de
réponses rapides. Plus d’analyses passe-partout. Plus de
stratagèmes qui jusque-là m’ont permis de simplement
passer à la suite et de remettre à demain cette nécessaire,
82
indispensable, vitale réflexion.
Enfin j’y suis, il faut maintenant que je fasse l’inventaire
de ma vie, de mon expérience, de mon existence.
Il faut que je passe au peigne fin toutes les raisons pour
lesquelles je suis arrivé là où je suis aujourd’hui.
Qu’est-ce que j’y fais ? Est-ce que cela m’apporte ce
dont je rêve depuis tout petit ?
Est-ce-que c’est de cela dont j’ai envie de me souvenir
lors de mes derniers instants ?
Est-ce cette image que je souhaite proposer à ceux qui
me connaissent, m’entourent, m’aiment ?
Et surtout, est-ce que c’est comme cela que j’ai envie de
continuer à vivre dès demain matin ?
Inconsciemment, j’avais toujours cherché à me
rassurer, à me convaincre que ce que je faisais était bien.
Que je pouvais continuer de me regarder dans la glace et me
dire ‘ce n’est relativement pas mal’. J’avais tout simplement
ignoré de solliciter ce « spectateur impartial » présenté par
Adam Smith dans La théorie des sentiments moraux. Smith
nous propose tout simplement de sortir de nous-mêmes et
de regarder notre vie. De scruter nos actions. D’analyser nos
comportements quotidiens à travers l’œil d’un observateur
neutre qui porterait un jugement juste et sans biais sur notre
réalité. Il considère que c’est la seule façon de vraiment se
connaître et de pouvoir ainsi se proposer de vraies pistes
pour l’avenir.
Je suis bien sûr pris dans la dynamique incroyable de
nos sociétés modernes.
J’ai des tas d’idées sur comment je voudrais que le
2
9
monde idéal fonctionne, sur le rôle du politique, sur les
grandes orientations qui pourraient ou devraient être prises.
En même temps, je laisse ma citoyenneté en jachère. Je reste
inactif. Je me laisse dépasser par mon quotidien, par ma
petite vie, par mes tracas personnels, par mon confort
matériel.
En un mot, je ne suis pas vraiment capable de payer de
ma personne, pas toujours en position de m’influencer moimême avant peut-être d’envisager d’autres horizons. Mais
jusqu’alors, j’avais de bonnes excuses pour tout cela. Je me
rassurais en me disant que c’est la vie d’aujourd’hui, que nos
origines tribales sont loin, que les lignes ont bougé, que la
solidarité de groupe a vécu.
Il est certainement acceptable que chacun se démène
pour tenter d’assurer sa propre existence. Il est tout aussi
accepté que chacun laisse à la science, à la technique et aux
systèmes proposés par nos grands dirigeants la
responsabilité de fixer les orientations, de définir les règles
et de s’assurer que l’ensemble fonctionne.
Mais là, c’en est trop. Ce sentiment teinté à la fois
d’égoïsme et d’impuissance, de réflexion sans action, de
satisfaction inachevée m’empêche de trouver le sommeil. Et
c’est à cet instant que je me dis que tout commence au plus
profond de chacun de nous. Chacun devrait gérer son
développement spirituel et intellectuel, identifier ses valeurs
siennes, définir les principes qui y sont associés, construire
son éthique et décider de sa discipline propre. Comme l’a si
bien exprimé Henry David Thoreau au moment de sa
retraite à Walden, la seule vraie réforme est intérieure,
personnelle et absolument individuelle.
10
2
Personne ne devrait plus se cacher derrière une morale
collective.
J’anticipe un peu en plagiant Nietzsche, qui l’appelait
‘moraline’, et qui proposait au contraire de favoriser un
accès de bonne « mauvaise conscience » de manière à fuir et
remettre en cause ce confort trop facile.
Si nous ne nous contentions plus de nous conformer
aux lois de la République en déployant une énergie énorme
pour en trouver les failles dans un intérêt exclusivement
personnel, matériel et court-termiste.
Si notre cheminement personnel nous permettait de
prendre le recul nécessaire par rapport à notre vie.
Si nous cherchions seulement à profiter de chaque
instant, à nous épanouir au quotidien dans le respect de
l’impératif catégorique de Kant. Impératif qui nous impose
de garantir à tous et à chacun l’absolue opportunité
d’atteindre le même épanouissement.
Si nous pouvions et sachions trouver la raison, le temps
et l’énergie de cette remise en cause, alors nous aurions
certainement franchi un cap.
Notre existence aurait un tout nouveau contenu.
Nous oserions fixer l’avenir dans les yeux sans
détourner le regard.
Nous pourrions nous ouvrir sincèrement et sans
arrière-pensées à tous nos concitoyens et même à tous nos
contemporains.
Nous pourrions enfin et surtout parler avec fierté à nos
enfants de l’avenir que nous avons élaboré pour eux et de la
2
11
parcimonie avec laquelle nous avons consommé leur
planète.
Mais comment entreprendre ce grand chamboulement ?
Quel nouveau et radical changement de posture
devons-nous adopter ?
Devons-nous l’amorcer nous-mêmes ou attendre avec
patience et sage passivité une prise de conscience collective ?
Sur le thème de l’action individuelle ou tribale, d’une
réflexion sur les parties ou sur le tout, je me permets là aussi
de faire une pause immédiate et de simplement l’encadrer
pour ne pas perdre le fil.
L’individu versus l’ensemble. Où se situer et par où
commencer ?
Toutes les théories, qu’elles soient économiques,
politiques ou sociales rencontrent les mêmes difficultés
voire le même écueil. Elles sont, en effet, contraintes de
poser des postulats sur le comportement des parties et de
faire des hypothèses parfois incongrues et souvent
globalisantes sur le mode de fonctionnement des individus.
Individus qui, nous le savons et le souhaitons, sont par
essence et par bonheur différents, particuliers, uniques.
Je vais citer à titre d’exemple la théorie économique
néo-classique et l’ensemble des modèles économétriques
qui en ont découlé. En effet cette théorie qualifie l’individu
« d’homo-economicus » et le réduit à un grand calculateur
froid et seulement parfaitement rationnel. Celui-ci
prendrait toutes ses décisions dans le seul but de maximiser
son utilité et son bien-être individuel. Cette même théorie
pose des hypothèses sur le fonctionnement du marché qui
ne sont pas plus réalistes. Elle postule notamment une totale
12
2
transparence et le fait que chaque acteur possède l’ensemble
des informations nécessaires avant d’entreprendre une
quelconque transaction.
Je ne pense donc pas qu’il soit possible, ni même
souhaitable, de fixer voire de figer les comportements
humains. Il n’est pas non plus désirable de vouloir réduire la
nature à de simples lois physiques ou d’espérer représenter le
monde uniquement à l’aide de modèles mathématiques.
La vie humaine ne peut donc pas seulement se résumer à
un confort matériel fruit de la seule consommation. La
conquête du bonheur ne peut pas plus être confiée à la seule
science. De la même façon, il est aujourd’hui sans objet
d’envisager un individu qui pourrait prendre ses décisions ou
régler son comportement en ignorant la pression du monde
extérieur et l’influence de ses interactions avec ses pairs.
L’ambition est donc d’arriver à s’approprier et à vivre
pleinement notre vie au sein d’un système, en considérant nos
contextes culturel, social, politique ou encore économique.
Il est donc primordial pour chacun d’entre nous de
réfléchir par rapport à nous-mêmes et donc de tenter d’établir
notre propre cap, notre éthique, nos valeurs, notre baromètre
et notre processus de remise en cause permanent.
C’est le seul objet de ces quelques pages. Elaborer un
mode personnel de réflexion et d’analyse, proposer des
points d’accroche et des points de repère. Laisser chacun
d’entre nous s’épanouir et libérer sa créativité dans l’intérêt
supérieur de l’ensemble.
Alors et seulement alors, nous pourrions commencer à
rêver de modèles collectifs, à imaginer des modes de
fonctionnement d’ensemble délibérément dynamiques et
évolutifs car toujours dépendants et conditionnés par le
génie inventif de chacun.
2
13
En toute humilité, en mon for intérieur, sans volonté
d’en parler, je suis possiblement en train de vivre ce que
Vladimir Jankélévitch et par la suite Michel Onfray
appelleraient un hapax existentiel : « Un moment dans une
vie où tout bascule et autour duquel s’organise le restant de
l’existence ». La comparaison bien sûr s’arrêtera là. Ne nous
trompons pas sur le propos, mais tout de même profitons,
abusons, inspirons-nous de ce que nous ont légué tous ces
maîtres de la pensée. A titre illustratif, je vais citer quelques
grands philosophes qui ont connu ces moments
particuliers. En particulier, la conversion d’Augustin, la
chute de cheval de Montaigne, les trois rêves successifs de
Descartes, la « nuit du mémorial » de Pascal, la fièvre
chaude de La Mettrie à Fribourg, la lecture du Mercure de
France par Jean-Jacques Rousseau, ou pour finir l’état de
transe de Nietzsche au pied d’un rocher à Silvaplana.
Ces moments d’égarement sont l’opportunité inespérée
de présenter le concept de l’hapax, cet instant unique, cette
opportunité d’une vie.
Ces moments d’égarement sont aussi l’occasion de
rendre un premier hommage à tous ces penseurs
d’exception dont je vais modestement reprendre quelques
idées fortes pour baliser ma quête.
Je continue donc, pour définir, en quelques lignes,
l’hapax. L’hapax est un concept structurant, une idée
libératrice, un processus émancipateur. Dès qu’on en a
conscience, il permet d’imaginer des ruptures, de fabriquer
des alternatives, d’accepter que les choses puissent changer
et donc de regarder notre vie avec un peu de détachement.
Nous sommes tous emplis de cet ailleurs, de cet autrement.
Nous les considérions inaccessibles.
14
2
Au moment de l’hapax, ils ne sont peut-être plus si loin.
Ils ne sont certainement plus réservés qu’aux autres et
encore moins à l’usage exclusif des grands esprits.
A chacun son hapax.
Reprenons le fil. Je ne cherche certainement pas un
mémento. Je ne recherche pas la recette d’une vie réussie
pour les nuls. Je ne veux pas des réponses toutes faites. Je
suis à la quête de points de repère, d’éléments de référence,
de sources de questionnement.
Alors une première piste se dessine. La philosophie !
Comment faire pour que toute cette “sagesse” puisse
être autre chose qu’un sujet de baccalauréat. Une matière
qui n’intéresse chacun d’entre nous que quatre heures dans
une vie ou pour les plus studieux, le temps d’une seule année
scolaire ?
Comment faire pour que la philosophie ne reste pas
une substance ésotérique ? Comment ne plus la considérer
comme une substance réservée à quelques rares affidés qui
passent leur existence à écrire des choses extraordinaires
mais qui malheureusement restent l’apanage de trop peu ?
Le Baron d’Holbach avait déjà fait des
recommandations dans ce sens dans La morale universelle
ou catéchisme de la nature. Il écrivait : « La philosophie,
pour être utile dans tous les âges et à tous les hommes, doit
être franche et sincère ; celle qui n’est intelligible que pour
un temps ou à quelques initiés devient une énigme
inexplicable pour la postérité ».
Il affirmait ainsi que toutes ces idées, ces concepts, ces
écoles de pensée se doivent d’être le terreau dans lequel
chacun de nous doit ensemencer sa vie. Terreau dans lequel
chacun d’entre nous doit édifier son existence. Construire
2
15
son projet. Vivre pleinement chacun de ses instants et
espérer laisser après lui une trace, des repères, des points
d’accroche. La philosophie, non pas comme une pensée
inaccessible, détachée du monde, mais comme une matière
malléable à la disposition de tous.
Et sans attendre je vais relire Marc-Aurèle, ce
philosophe stoïcien et empereur du IIème siècle de notre ère.
Dans son œuvre, Pensées pour moi-même, il proposait pour
l’homme : « Une seule et unique chose peut guider sa vie, la
philosophie. Elle permet que le génie qui est en nous reste
sans outrage et sans dommage… qu’il ne fasse rien au
hasard… et qu’il ne s’attache point à ce que les autres font
ou ne font pas ».
Cette première référence pose un principe important.
C’est bien au plus profond de lui-même que chacun d’entre
nous devra trouver le sens de sa vie. Le titre choisi par Marc
Aurèle est un fort signifiant. Ses pensées sont sur lui-même
et pour lui-même. Il continue en insistant sur son non
attachement à ce que les autres font ou ne font pas. Je
reviendrai sur ces points plus en détail. Retenons cependant
que notre vie dans ce monde, notre relation aux autres,
notre comportement à chaque instant, nos choix, nos
décisions, nos actions sont le résultat de ce génie qui est en
nous. Résultat de notre capacité à le protéger et à l’aider à se
construire et à grandir.
Tout aussitôt une nouvelle voie s’ouvre. Celle de ma vie,
celle de toutes ces activités où je me perds, où je m’engage,
où je m’enfuis. Un instant manager dans le monde
professionnel. Ensuite père de famille, coureur à pied, mari
amoureux. Parfois électeur mais trop rarement. Membre
d’une association de goûteurs d’eau, absorbeur
d’information, partageur d’opinion. Client dans une grande
16
2
Téléchargement