CHOSES VUES EN JANVIER 1813
AU CONCORDAT DE FONTAINEBLEAU
par Jacques de Pange, chambellan de l'empereur Napoléon
par M.
l'Abbé
Antoine SUTTER, membre correspondant
Les visiteurs que notre Président reçoit dans son bureau, peuvent y
admirer deux tableaux du peintre Cariiez (1) dont l'un, côté fenêtre, repré-
sente le marquis Jacques de Pange en costume bleu de pair de France sous
la Restauration. Quelques années plust ce Lorrain portait un autre uni-
forme - rouge celui-là - de chambellan de l'empereur Napoléon 1er.
Au hasard de recherches dans les archives de l'actuel marquis de
Pange (2), j'ai trouvé, écrit de la main de son ancêtre, un mémoire concer-
nant le Concordat (3) signé en janvier 1813 par l'Empereur et le Pape Pie
VII et que ce dernier, comme l'on sait, rétracta trois mois plus tard.
Comme il n'existe pas beaucoup de témoins directs ayant écrit sur cette
affaire (4), l'intérêt du texte m'a semblé évident et je veux vous en faire
communication ce soir.
I.
Qui était Jacques de Pange ?
Marie-Jacques Thomas de Pange était né en 1770 comme fils cadet de
François Thomas, 2e marquis de Pange. En 1789 il était capitaine aux hus-
sards de Berchény, émigra presque aussitôt et ne rentra en France qu'en
1799.
Après ces dix années d'absence, il se retrouva seul, ses deux frères
aînés Louis et François étant tous deux décédés. Il se fixa d'abord sur une
terre maternelle en Champagne puis reprit pied à Pange. Le 9 floréal an XI
(29 avril 1803) par la grâce de Colchen, premier préfet de la Moselle (dont
un frère était curé de Pange), il est nommé conseiller général. En 1809, il
devient chambellan de l'empereur Napoléon. En 1810, il est nommé comte
(1) Cariiez (Eléonore-Auguste), peintre à Paris, né à Rouen. Débuta au Salon de 1868. Socié-
taire des Artistes français en 1883. A surtout peint des scènes de guerre, des architectures
et des épisodes légendaires.
(2) Nous remercions vivement M. le marquis Jean de Pange d'avoir bien voulu nous commu-
niquer cette pièce. La famille Thomas fut anoblie en 1626 par le duc Charles IV de Lor-
raine. Elle
s'établit
à Pange (près de Metz) en 1720. Ses terres furent élevées au rang de
marquisat par édit du roi Stanislas en 1766.
(3) Le mot «concordat» a le sens générique d'accord, de transaction. En droit canonique, il a
le sens précis d'entente entre l'autorité ecclésiastique et le pouvoir civil dans le but d'orga-
niser les rapports entre l'Eglise et
l'Etat
relativement à certains objets qui les intéressent
tous deux.
(4) V. Constant, l'Eglise sous le Consulat et l'Empire, p. 320 : «Aucun témoignage ne sub-
siste.
La légende y a suppléé».
de l'Empire. En 1812, il amène l'impératrice Marie-Louise à Pange. En
1813 - au moment des revers, après le Concordat dont nous allons parler - il
est colonel du 2e régiment des Gardes d'honneur formé à Metz, se bat à
Leipzig et à Hanau, est enfermé dans Mayence. Pendant les Cent-jours, il
ne s'engage pas. Sous la Restauration, il est nommé général de brigade,
commande successivement les départements de l'Ardèche, de la Lozère, du
Gard et de la Meurthe. En 1819, il est nommé pair de France, couronne-
ment de sa carrière. Il décède en 1850 et repose au cimetière de Pange.
Enfin M. le Président a eu l'obligeance de me signaler qu'il avait été mem-
bre titulaire de notre Compagnie en 1837.
II.
Quelques mots sur le rôle d'un chambellan à la Cour de Napoléon 1er
Portant un habit de soie écarlate orné sur le côté droit d'un nœud de
ruban vert où figure une clef d'or, le chambellan de service - homme des
portes, des couloirs et des salons - entre en fonction le matin quelques ins-
tants avant neuf heures. Après avoir vérifié si chaque chose est à sa place, si
chacun est à son poste, il va gratter à la porte de la chambre à coucher de
l'Empereur, entre et remet la liste des personnes qui vont assister au lever.
Napoléon sort et le chambellan l'introduit dans son salon où il reçoit
d'abord le service de sa Maison, auquel il distribue ses ordres. Puis ce sont
les grandes entrées où paraissent la Famille impériale, les plus hauts digni-
taires et fonctionnaires de l'Etat et aussi des personnes ayant manifesté le
désir de parler au souverain.
Napoléon se retire ensuite pour travailler. Mais, tout au long du jour,
le chambellan, comme les autres officiers de la Maison, reste au Palais
pour servir à toute heure de cortège à l'Empereur s'il désire sortir, intro-
duire les personnalités favorisées d'une audience et recevoir des ordres à
tout moment.
Le soir, le chambellan assiste au cercle et, vers dix heures, remet à
nouveau la liste des personnes que l'Empereur va voir avant de se coucher.
Cette fois ce sont d'abord les grandes entrées puis le service de la Maison
où Napoléon donne à nouveau ses consignes.
Cette fonction de chambellan avait, sous l'Empire, toutes les faveurs
chez la noblesse ralliée. On la préférait même à celles de préfet ou de géné-
ral car on y était en contact permanent avec les souverains et ainsi on pou-
vait être, au sommet, le témoin de beaucoup de choses.
III.
Bref rappel des événements qui précédèrent le Concordat
Dans l'esprit de Napoléon, le Concordat de Fontainebleau devait met-
tre un terme à la lutte qui l'opposait depuis des années au Pape Pie VII au
sujet des Etats que les pontifes romains possédaient en Italie depuis 754,
JACQUES DE PANGE
Colonel-major
du 2e régiment des Gardes d'honneur
en 1813
date à laquelle Pépin-le-Bref établit le pape Etienne III comme «patricius
romanus», défenseur de Rome contre les Lombards.
Déjà le Directoire en 1797, par la paix de Tolentino, avait amputé ces
Etats,
de Bologne, de Ferrare et de la Romagne. Mais ensuite les choses en
étaient restées.
A l'automne de 1805, Napoléon se trouva engagé contre une coali-
tion qui comprenait l'Autriche, la Russie et l'Angleterre et qui allait se ter-
miner par la victoire d'Austerlitz et la paix de Presbourg. Pendant la cam-
pagne, l'existence des Etats pontificaux posa à l'Empereur quelques pro-
blèmes. Des navires pouvaient y accoster à tout moment, des espions s'y
répandre. Un débarquement anglo-russe ayant été annoncé sur la côte
adriatique, il fit occuper le port pontifical d'Ancóne. Le Pape protesta.
Napoléon rétorqua : «Les Anglais sont des hérétiques. De plus si Votre
Sainteté est souveraine de Rome, j'en suis l'Empereur. Tous mes ennemis
doivent être les siens. Le Pape répondit qu'il ne le considérait pas
comme l'empereur de Rome. Pour le Quirinal en effet (le Pape n'habitait
pas alors le Vatican), il s'agissait d'abord d'une question de principe : il fal-
lait défendre son bien comme dans la Bible, au livre des Rois, Naboth avait
défendu sa vigne jusqu'à la mort contre le roi Achab. De plus, Pie VII ne
pouvait pas, lui semblait-il, permettre des empiétements sans devenir fina-
lement le vassal de Napoléon et y perdre toute indépendance même spiri-
tuelle. Les points de vue étaient évidemment inconciliables.
Au cours des années suivantes, ce fut l'escalade et, pour terminer, le
17 mai 1809, l'Empereur réunit par décret les Etats pontificaux à l'Empire
français. Pie VII signa alors une bulle d'excommunication «contre les usur-
pateurs». Dans la nuit du 5 au 6 juillet suivants, il fut enlevé du Quirinal
par le général de gendarmerie Radet et emmené en captivité à Savone près
de Gênes. Quant aux cardinaux, ils furent transférés à Paris avec les archi-
ves pontificales.
Entre-temps, le Pape avait commencé à user d'une arme un peu plus
redoutable. Il avait refusé d'instituer de nouveaux évêques aux sièges deve-
nus vacants si bien que le fonctionnement de l'Eglise fut bientôt arrêté dans
presque un tiers des diocèses. Les catholiques devinrent mécontents et
l'Empereur s'en rendit compte. Il mit alors sur pied des comités, envoya
des députations d'évêques à Savone pour tenter de raisonner le Pape. Pie
VII resta intransigeant : il ne nommerait pas de nouveaux évêques tant
qu'il serait prisonnier. Finalement Napoléon réunit un concile à Paris où il
fut décidé que si le Pape n'avait pas donné l'investiture aux évêques nom-
s par l'Empereur dans les six mois, ce serait le métropolitain (l'archevê-
que) qui la donnerait. Cependant le Concile subordonna cette décision à
l'approbation du Pape. Rien n'était donc arrangé.
Nous sommes en 1811. Au moment de quitter la France pour la cam-
pagne de Russie en mai 1812, l'Empereur donna l'ordre de transférer Pie
VII de Savone à Fontainebleau. Ce fut un voyage cruel et éprouvant pour
ce fragile vieillard atteint de strangurie. Il arriva à destination le 6 juin pres-
que mourant. On sait la suite : le désastre de Russie, la conspiration de
Malet, la rentrée précipitée de Napoléon à Paris en décembre 1812. C'est le
mois suivant, en janvier 1813, qu'il se rendit subitement auprès du Pape.
En effet, il était hanté par cette affaire et décidé d'en obtenir la solution :
les Mémoires de Caulaincourt en témoignent suffisamment.
IV. Circonstances du voyage de l'Empereur à Fontainebleau
La visite se fit à la suite d'une chasse à Grosbois, commune de
Boissy-Saint-Léger dans le Val-de-Marne. Cette résidence appartenait alors
au maréchal Berthier, prince de Neufchâtel, duc de Wagram, militaire n° 1
du régime et grand-veneur impérial qui y possédait la première chasse de
l'Empire, en 1812, on venait d'abattre plus de 10.000 pièces de gibier
(5).
C'est de Grosbois que l'Empereur et sa suite se rendirent aussitôt par
Melun à Fontainebleau. Le palais où le Pape était relégué (aujourd'hui
Musée national), paraissait alors aux Italiens assez monstrueux et ridicule
(6).
Mais, ils admettaient qu'aucun autre au monde n'avait été, pendant
des siècles, le séjour de plus de monarques, de grands hommes et le théâtre
d'événements plus remarquables. Dans cette cage historique et dorée, Pie
VII occupait les anciens appartements des Reines mères (7).
V. Personnes présentes à Fontainebleau citées par Jacques de Pange
Avant de vous lire le mémoire de Jacques de Pange (qui d'ailleurs est
bref),
pour sa meilleure compréhension et parce que c'est un de ses côtés
intéressants, je vous nommerai les personnes qui y sont citées :
1.
D'abord en personnalités laïques accompagnant l'Empereur et
l'impératrice Marie-Louise, Jacques de Pange nomme 17 personnes :
(5) Grosbois appartient depuis 1962 à la Société d'encouragement du cheval français, pro-
priétaire du champ de courses de Vincennes.
(6) De fait, le château de Fontainebleau est un immense assemblage de corps de logis d'épo-
ques diverses qui justifie son appellation de «rendez-vous de châteaux».
(7) Le Pape occupait personnellement des pièces assez exiguës des «entresols Louis XV» don-
nant sur la cour de la Fontaine. On conserve à Fontainebleau peu de souvenirs : le lit-
bateau où dormait Pie VII, une de ses calottes et aussi une réplique de son portrait peint
par David en 1804.
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