La période de guerre Rapport Final - 35
Partie 2
La période de guerre
2.1 La conception générale de l’appareil de
spoliation allemand
2.1.1 La population juive en Belgique
La première ordonnance allemande (28 octobre 1940) instaurant le “statut
des Juifs” en Belgique occupée déterminait les critères relatifs à l’inscription
obligatoire. Elle permit de dénombrer un total de 55.671 personnes (voir
Tableau 2). On remarquera la faible proportion de Juifs de nationalité belge.
Tableau 2 : inscription obligatoire de la population juive en Belgique
Composition de la population juive en Belgique Nombre %
Nationalité belge 3.680 6,6 %
Etrangers 51.991 93,4 %
Total 55.671 100 %
Aux Pays-Bas, la population juive était plus homogène qu’en Belgi-
que et en France. La plupart des Juifs possédaient la nationalité néerlan-
daise et étaient intégrés (Tableau 3). En comparaison avec la Belgique et la
France, le nombre d’immigrés juifs y était plutôt limité. La Communauté
juive se concentrait à Amsterdam (60 %) et à La Haye (10 %).1
Tableau 3 : la population juive aux Pays-Bas
Composition de la population juive aux Pays-Bas Nombre %
Nationalité néerlandaise 120.000 80 %
Etrangers 20.000 20 %
Total 140.000 100 %
La France a également enregistré un nombre important
d’immigrants juifs (44 %), mais l’effet de cette immigration sur la Commu-
nauté juive française a été moins important qu’en Belgique.
36 – La commission d’étude des biens juifs
Tableau 4 : la population juive en France
Composition de la population juive en France Nombre %
Nationalité française 145.008 56%
Etrangers 114.709 44%
Total 259.717 100%
2.1.2 Le judéocide en Belgique, aux Pays-Bas et en
France
Les chiffres relatifs aux déportations de Juifs dans l’Europe de l’Ouest pré-
sentent des variations étonnantes, et les explications à ce sujet sont très di-
vergentes.2 La Belgique se positionne entre les Pays-Bas et la France (Ta-
bleau 5). Mais en Belgique même, il y eut des différences notables d’une
ville à l’autre : à Anvers, la déportation toucha 67 % de la Communauté
juive, contre 37 % à Bruxelles.3 Par conséquent, les statistiques relatives aux
déportations au départ d’Anvers se rapprochent plus de celles des Pays-Bas,
tandis que Bruxelles a connu une situation plus comparable à celle de la
France. Dans une étude, Maxime Steinberg cherche à expliquer ces faits non
par une différence entre les divers régimes d’occupation, mais bien par une
différence au niveau du rapport de force entre le pouvoir occupant et les
autorités du pays occupé.4
Tableau 5 : la déportation en Europe occidentale5
Pays Population juive Nombre de déportés %
France 300.000 75.721 25,2 %
Pays-Bas 140.000 117.000 83,6 %
Belgique env. 65.000 24.906 + 5.034 646 %
2.1.3 Les conséquences de l’occupation allemande en
Belgique : les victimes de guerre
Quelles ont été les conséquences de l’occupation allemande pour la popula-
tion belge ? En 1941, la Belgique comptait près de 8,3 millions d’habitants,
dont 0,78 % de Juifs. Quelle a été la proportion des victimes de guerre juives
par rapport aux victimes non juives ?7 Il ressort du Tableau 6 que la morta-
lité a été beaucoup plus élevée chez les victimes juives que dans les autres
groupes, et que ces victimes représentent 59,3 % du nombre total de victi-
mes de guerre décédées en Belgique.
Tableau 6 : la mortalité des victimes de la guerre en Belgique
Victimes de guerre Arrêtées en Belgique % Décédées %
Travailleurs forcés 46.755 41,4 % 2.592 6,3 %
Prisonniers politiques841.257 36,5 % 13.958 34,3 %
Juifs déportés (Malines) 24.906 22 % 24.140 59,3%
Total 112.914 100% 40.690 100%
La période de guerre Rapport Final - 37
2.1.4 Le régime militaire allemand en Belgique : objec-
tifs et motivations
En Belgique, contrairement à ce qui s’est passé en France et aux Pays-Bas,
l’occupant allemand opta pour une puissance d’occupation restreinte, pla-
cée sous la direction d’un commandant militaire (le général Alexander von
Falkenhausen) qui devait faire rapport à l’Oberkommando des Heeres (OKH) à
Berlin. En Belgique, l’occupant souhaitait exploiter les structures de pouvoir
en place pour continuer à faire tourner l’économie au bénéfice du Reich.
Reeder, qui dirigeait l’administration militaire proprement dite, mena une
politique qui, en apparence, respectait les lois internationales (convention
de La Haye), mais ne perdait pas de vue les objectifs du Reich. Il espérait
ainsi obtenir la collaboration des instances belges.9 La façon dont le pouvoir
militaire essaya d’atteindre ses objectifs entraîna à plusieurs reprises des
conflits avec les services politiques de Berlin, qui tentèrent de s’immiscer
dans l’élaboration de la politique à suivre dans les territoires occupés.
Schéma 1 : l’organisation de l’occupation en Belgique
Lors de la déportation des Juifs et des spoliations de leurs avoirs en
Belgique, il fut tenu compte, dans la mesure du possible, de la résistance
que ces mesures allaient susciter parmi la population belge. Le régime mi-
litaire essaya d’adapter les directives de Berlin à la situation belge.
2.1.5 L’appareil administratif belge sous l’occupation :
objectifs et motivations
Avant même que la guerre n’éclate, les autorités belges s’étaient prononcées
en faveur d’une politique de présence. Sous l’occupation, l’appareil admi-
nistratif belge devait rester opérationnel pour préserver les intérêts de la
population belge. Aux termes de la convention de La Haye, les dirigeants
BERLIN
OBERKOMMANDO des
HEERES
MILITARBEFEHLSHABER
(Général Alexander von Falkenhausen)
Administration militaire
allemande
VERWALTUNGSSTAB
(Eggert Reeder)
KOMMANDOSTAB
GROUPE 12
Département de l ‘Economie
38 – La commission d’étude des biens juifs
locaux pouvaient continuer à exercer leur fonction. Le 10 mai 1940, avant
son départ pour la France, le Gouvernement belge fit passer un arrêté-loi
destiné à limiter l’influence de l’occupant et à maintenir le fonctionnement
de l’administration belge. C’est notamment pour cela qu’en Belgique,
contrairement aux Pays-Bas, des autorités civiles ne furent pas mises en
place par l’occupant avant le 18 juillet 1944. L’arrêté-loi conférait certaines
compétences gouvernementales aux hauts fonctionnaires des Ministères, à
savoir les secrétaires généraux. Les compétences dont ceux-ci pouvaient
disposer n’étaient pas clairement précisées. Au départ, ils décidèrent eux-
mêmes qu’il ne pouvait être question de compétences législatives et optè-
rent pour une politique du “moindre mal”. Il n’empêche que les diverses
instances administratives devaient collaborer avec l’occupant, ce qui eut
également des répercussions sur l’exécution pratique des ordonnances rela-
tives aux Juifs.
Reeder fit observer au collège des secrétaires généraux que les auto-
rités militaires pouvaient disposer de pouvoirs législatifs en vertu de la
convention de La Haye, mais préféra néanmoins déléguer ces compétences
aux secrétaires généraux.10 Dès le moment où les secrétaires généraux furent
confrontés à la proclamation des premières ordonnances contre la Commu-
nauté juive, ils formulèrent des objections de nature juridique. Cependant,
le collège des secrétaires généraux n’exprima aucune réprobation ou pro-
testation contre les mesures anti-juives. Dans la pratique, c’est souvent la
collaboration généralement passive des communes à l’inscription obliga-
toire des Juifs qui allait avoir de lourdes conséquences pour les intéressés.
2.1.6 La spoliation économique des Juifs et la proclama-
tion des ordonnances
Les autorités berlinoises manifestaient beaucoup d’intérêt pour les biens
juifs des territoires occupés. Par le ‘désenjuivement’ de l’économie belge,
Berlin poursuivait deux objectifs. La confiscation des avoirs juifs entrait
dans le cadre de l’identification et de l’isolement progressifs de la Commu-
nauté juive. Par ailleurs, le produit du ‘désenjuivement’ servait à soutenir
l’économie allemande.
L’exécution des mesures prises contre la Communauté juive fit clai-
rement apparaître des oppositions entre l’administration militaire et les ser-
vices politiques du NSDAP à Berlin. Berlin, qui insistait pour que le ‘pro-
blème juif’ soit rapidement réglé, somma Reeder de proclamer les mesures
nécessaires. Initialement, ladministration militaire ne voulut pas prendre de
mesures d’exception économiques contre la population juive par crainte des
réactions négatives de la population.11 Dans les premiers temps de
l’occupation, le Militärverwaltungschef Reeder était persuadé de pouvoir
procéder au ‘désenjuivement’ sans ordonnances allemandes. Mais les se-
crétaires généraux refusèrent de proclamer les premiers arrêtés anti-juifs du
28 octobre 1940. En effet, la Constitution belge nautorise aucune discrimi-
nation fondée sur la race ou la religion. Par conséquent, l’administration
La période de guerre Rapport Final - 39
militaire dut proclamer elle-même toutes les mesures antisémites par le
biais d’ordonnances allemandes.
L’administration militaire continua à insister auprès de l’OKH pour
que le ‘désenjuivement’ ne soit pas réalisé par des ordonnances générales,
mais bien par l’intervention d’administrateurs-commissaires qui auraient
été responsables de la liquidation des patrimoines juifs. L’OKH approuva
cette méthode de travail.12 Cependant, pas moins de 18 ordonnances furent
décrétées entre le 23 octobre 1940 et le 21 septembre 1942; elles entraînèrent
l’identification et l’isolement de la population juive de Belgique.13
La première ordonnance anti-juive du 28 octobre 1940 rendait obli-
gatoires l’inscription des Juifs au registre des Juifs et la déclaration des en-
treprises juives auprès de l’Office de déclaration de la propriété juive. Ce
service faisait partie du Groupe 12 (du département de l’Economie) de
l’administration militaire. L’administration belge fut chargée d’ouvrir un
registre des Juifs dans chaque commune. En outre, la création de
l’Association des Juifs en Belgique, le 25 novembre 1941, aida à mieux cer-
ner la Communauté juive.14 Loccupant enregistra finalement de 55.671 ins-
criptions identifiant la population juive de Belgique.
La deuxième ordonnance (28 octobre 1940) disposait que les Juifs
devaient être écartés des postes de la Fonction publique. Le 31 mai 1941,
l’administration militaire publia deux ordonnances complémentaires. Il
s’agissait dun amendement à l’ordonnance du 28 octobre 1940 qui, sur le
fond, correspondait à l’ordonnance publiée par l’OKH le 16 novem-
bre 1940.15 Ces ordonnances constituèrent le point d’orgue des mesures éco-
nomiques prises à l’encontre de la population juive : elles imposaient la dé-
claration des entreprises et biens immobiliers juifs à l’Office de déclaration
de la propriété juive. Les Juifs et les entreprises juives durent déposer leurs
titres et leurs liquidités auprès de banques de devises. Une deuxième phase
vit le démantèlement forcé ou le placement sous gestion allemande des en-
treprises juives ainsi que la vente forcée ou confiscation des diamants. En-
suite, les comptes juifs furent centralisés auprès de la Société française de
Banque et de Dépôts, une institution financière sous le contrôle de
l’occupant. Cette banque recueillit également le produit de la vente des
fonds de commerce, propriétés immobilières et autres biens juifs.
Au début du mois de janvier 1942, Hitler ordonna la confiscation des
meubles appartenant aux Juifs déportés (“Möbelaktion”). La mesure visant la
saisie du mobilier entra en vigueur le 25 mars 1942. Les Feldkommandanturen
(FK) constatèrent que les Juifs qui devaient se faire inscrire pour la déporta-
tion à partir de l’été 1942, commençaient à vendre les biens de leur ménage.
Pour les en empêcher, l’administration militaire publia le 21 septembre 1942
une ordonnance interdisant la vente du mobilier juif. Afin d’éviter au
maximum d’éveiller les soupçons, Reeder ne promulgua cette décision
qu’après les grandes razzias sur les Juifs.16
Cependant, les ordonnances antisémites ne s’appliquaient pas à tous
les Juifs vivant en Belgique sous l’occupation. L’administration militaire
opéra une distinction entre la déclaration des biens ‘ennemis’ et celle des
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