ORT FRANCE
Histoire et Culture Juives
CLASSES CONCERNÉES
5ème
LES JUIFS DANS LE MONDE MUSULMAN
DU VIIème au XVème SIECLE
Juifs, musulmans, quel dialogue ?
[La thèse du Grand Rabbin Bernheim a deux mérites : elle sort des sentiers battus et contribue à
rapprocher des hommes qui ont tendance à se diaboliser les uns les autres.]
Malgré les apparences, l’islam ne serait-il pas plus proche du judaïsme que ne l’est le
christianisme ?
On a généralement la mauvaise habitude d’aborder le thème de l’entente entre juifs et musulmans
sous deux angles : celui de l’histoire et celui de la politique, qui ne peuvent donner lieu qu’à un rapport
malsain de violence et d’incompréhension. La rencontre d’Ariel Sharon et de Yasser Arafat n’a que des
rapports anecdotiques avec la rencontre d’un talmudiste et d’un imam. Leurs origines religieuses ne
pèsent pas lourd dans la balance bien qu’elles servent à alimenter la polémique. Au cours de l’histoire,
ce qui s’est passé entre les Almohades et les juifs d’Espagne ou du Maroc me paraît tout à fait loin des
enjeux métaphysiques qui unissent ou séparent les deux religions. Malgré les apparences, l’islam ne
serait-il pas plus voisin du judaïsme que le christianisme ?
Leur proximité tient d’abord au fait que, pour les deux religions, le poids des Mitsvot - pour dire comme
les juifs - est considérable. Les historiens s’accordent à dire qu’il a toujours été assez facile de devenir
musulman. On demande surtout des gestes. La confession de la foi, les cinq prières, l’aumône légale, le
pèlerinage et le jeûne du Ramadan suffisent. Le fait d’être musulman donnait autrefois un statut
privilégié dans l’Empire arabo-musulman ; ce statut, ainsi que la facilité à embrasser la religion
expliquent en grande partie tant la survie de l’islam que son rayonnement. Bien qu’il ne soit pas aussi
facile de se convertir au judaïsme - ni socialement aussi avantageux ! -, un juif n’est pas seulement
quelqu’un qui pense, c’est aussi quelqu’un qui fait. Il observe le shabbat, il mange cacher, il donne la
charité, il jeûne à Kippour et il s’abstient de Hametz à Pessah. La foi, en hébreu se dit emouna, ce qui
veut dire persévérance, fidélité dans les gestes, pas dans les convictions. C’est à cela que l’on reconnaît
un juif, ainsi qu’à la circoncision qui existe aussi chez les musulmans.
Nous sommes ici sur un terrain où l’intellectuel occidental moderne est perdu. L’idée que l’identité
puisse être portée par des gestes répugne à l’Occident et ne lui évoque que fanatisme, intégrisme,
secte ou tyrannie... tout ce qui est de l’ordre de la contrainte pratique lui apparaissant comme le
contraire de la foi. Un musulman comprend mieux ce qu’est une boucherie cachère qu’un catholique,
les exigences d’une synagogue, connaissant celles d’une mosquée. Plus que sur le monothéisme qui,
pour être commun aux trois grandes religions révélées, n’en est pas moins pensé et vécu par chacune
de façon différente, c’est sur cette commune exigence d’une pratique religieuse qu’il convient de mettre
l’accent dans les relations entre juifs et musulmans, si on veut arriver à une cohabitation sereine.
Le deuxième point commun aux juifs et aux musulmans est l’absence de clergé. Assertion qu’il faut
immédiatement tempérer, en précisant que le chiisme, héritier de Darius et des hiérarchies perses, a
fabriqué les ayatollahs. Le sunnisme, quant à lui, se passe de clergé. Il a les oulémas qui sont des
savants, les imams qui prêchent, les qâdîs qui jugent ; ce sont des fonctionnaires de la communauté,
mais, comme le dit noblement un texte traditionnel, chaque sunnite nanti de sa théière, de son Coran
et de son tapis de prière est partout chez lui. Il en est de même du judaïsme qui n’a pas de clergé.
Seule la période des Temples a connu un clergé doté de fonctions rigoureusement spirituelles, jouant
un rôle important dans le cérémonial symbolique, mais n’exerçant aucune autorité, ni politique, ni
stratégique, ni économique dans la vie de la cité. Lorsque musulmans et juifs sont face à face et qu’ils
dialoguent, tout le judaïsme est présent dans le juif, tout l’islam est présent chez le musulman. La
différence réside dans le degré de connaissance, de pénétration de leur tradition, mais tout deux
représentent légitimement leur tradition tout entière.
Doc-H30
Professeur
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Pour aller plus loin
Source : Gilles BERNHEIM (grand rabbin de la synagogue Victoire à Paris) - Libération - 22 mai 2002