Histoire et Culture Juives

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ORT FRANCE
Histoire et Culture Juives
Doc-H30
Professeur
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CLASSES CONCERNÉES
5ème
LES JUIFS DANS LE MONDE MUSULMAN
DU VIIème au XVème SIECLE
Pour aller plus loin
Source : Gilles BERNHEIM (grand rabbin de la synagogue Victoire à Paris) - Libération - 22 mai 2002
Juifs, musulmans, quel dialogue ?
[La thèse du Grand Rabbin Bernheim a deux mérites : elle sort des sentiers battus et contribue à
rapprocher des hommes qui ont tendance à se diaboliser les uns les autres.]
Malgré les apparences, l’islam ne serait-il pas plus proche du judaïsme que ne l’est le
christianisme ?
On a généralement la mauvaise habitude d’aborder le thème de l’entente entre juifs et musulmans
sous deux angles : celui de l’histoire et celui de la politique, qui ne peuvent donner lieu qu’à un rapport
malsain de violence et d’incompréhension. La rencontre d’Ariel Sharon et de Yasser Arafat n’a que des
rapports anecdotiques avec la rencontre d’un talmudiste et d’un imam. Leurs origines religieuses ne
pèsent pas lourd dans la balance bien qu’elles servent à alimenter la polémique. Au cours de l’histoire,
ce qui s’est passé entre les Almohades et les juifs d’Espagne ou du Maroc me paraît tout à fait loin des
enjeux métaphysiques qui unissent ou séparent les deux religions. Malgré les apparences, l’islam ne
serait-il pas plus voisin du judaïsme que le christianisme ?
Leur proximité tient d’abord au fait que, pour les deux religions, le poids des Mitsvot - pour dire comme
les juifs - est considérable. Les historiens s’accordent à dire qu’il a toujours été assez facile de devenir
musulman. On demande surtout des gestes. La confession de la foi, les cinq prières, l’aumône légale, le
pèlerinage et le jeûne du Ramadan suffisent. Le fait d’être musulman donnait autrefois un statut
privilégié dans l’Empire arabo-musulman ; ce statut, ainsi que la facilité à embrasser la religion
expliquent en grande partie tant la survie de l’islam que son rayonnement. Bien qu’il ne soit pas aussi
facile de se convertir au judaïsme - ni socialement aussi avantageux ! -, un juif n’est pas seulement
quelqu’un qui pense, c’est aussi quelqu’un qui fait. Il observe le shabbat, il mange cacher, il donne la
charité, il jeûne à Kippour et il s’abstient de Hametz à Pessah. La foi, en hébreu se dit emouna, ce qui
veut dire persévérance, fidélité dans les gestes, pas dans les convictions. C’est à cela que l’on reconnaît
un juif, ainsi qu’à la circoncision qui existe aussi chez les musulmans.
Nous sommes ici sur un terrain où l’intellectuel occidental moderne est perdu. L’idée que l’identité
puisse être portée par des gestes répugne à l’Occident et ne lui évoque que fanatisme, intégrisme,
secte ou tyrannie... tout ce qui est de l’ordre de la contrainte pratique lui apparaissant comme le
contraire de la foi. Un musulman comprend mieux ce qu’est une boucherie cachère qu’un catholique,
les exigences d’une synagogue, connaissant celles d’une mosquée. Plus que sur le monothéisme qui,
pour être commun aux trois grandes religions révélées, n’en est pas moins pensé et vécu par chacune
de façon différente, c’est sur cette commune exigence d’une pratique religieuse qu’il convient de mettre
l’accent dans les relations entre juifs et musulmans, si on veut arriver à une cohabitation sereine.
Le deuxième point commun aux juifs et aux musulmans est l’absence de clergé. Assertion qu’il faut
immédiatement tempérer, en précisant que le chiisme, héritier de Darius et des hiérarchies perses, a
fabriqué les ayatollahs. Le sunnisme, quant à lui, se passe de clergé. Il a les oulémas qui sont des
savants, les imams qui prêchent, les qâdîs qui jugent ; ce sont des fonctionnaires de la communauté,
mais, comme le dit noblement un texte traditionnel, chaque sunnite nanti de sa théière, de son Coran
et de son tapis de prière est partout chez lui. Il en est de même du judaïsme qui n’a pas de clergé.
Seule la période des Temples a connu un clergé doté de fonctions rigoureusement spirituelles, jouant
un rôle important dans le cérémonial symbolique, mais n’exerçant aucune autorité, ni politique, ni
stratégique, ni économique dans la vie de la cité. Lorsque musulmans et juifs sont face à face et qu’ils
dialoguent, tout le judaïsme est présent dans le juif, tout l’islam est présent chez le musulman. La
différence réside dans le degré de connaissance, de pénétration de leur tradition, mais tout deux
représentent légitimement leur tradition tout entière.
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LES JUIFS DANS LE MONDE MUSULMAN
DU VIIème au XVème SIECLE
Musulmans et juifs ont encore en commun de ne pas avoir peur de la matière : le respect d’une
cachrout de la viande en est un signe irrécusable. Tuer un animal pour le manger est un acte violent ; il
y a là quelque chose de criminel. Juifs et musulmans savent faire cela comme Dieu l’a voulu. La vie
sexuelle, la vie familiale, la vie des affaires peuvent être accomplies dans la plus parfaite pureté. Le juif
dit tous les matins : « l’âme que tu m’as donnée est pure », le musulman dit quelque chose
d’analogue : son âme est toujours menacée par l’animalité qui n’est jamais absente de sa constitution,
mais il peut la vaincre à tout moment. Le juif partage cette approche.
Judaïsme et islam ont enfin en commun de penser que la vie de la cité est sanctifiable. Il n’y a pas,
pour ces deux religions, d’incompatibilité entre politique et morale, et l’on ne trouve nulle part dans
l’islam l’idée de donner à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César. Tout est à la fois à Dieu
et aux hommes. Le personnage central de la vie musulmane n’est pas le prêtre mais le juge, le qâdî :
celui qui va faire la paix en écoutant les plaignants, en sanctionnant les transgresseurs des lois de la
cité. Ce n’est pas un hasard si le grand manuel d’islamologie paru en langue française, sous la
signature de Louis Gardet, s’appelle la Cité musulmane.
A cet égard d’ailleurs, l’islam est plus adapté au monde dans lequel nous vivons que le judaïsme. Parce
qu’il est universaliste, préoccupé d’amener en tout point de l’univers la volonté de Dieu jusque dans les
plus petits détails matériels. Les musulmans ont été et restent prosélytes, et, en cela, pareils aux
chrétiens de la conquête. Volonté de pouvoir contraire à la vocation du judaïsme. L’islam se veut
majorité absolue, le judaïsme est une élection, que chacun doit mériter.
Les juifs ont édicté la loi de la cité sur une terre où il y avait un gouvernement de juifs et un Temple.
En l’absence de Temple et lorsqu’ils n’ont plus de terre à eux, ils étudient comment cela serait si les
choses étaient comme elles devraient être. Mais ils n’en tirent aucune conséquence pratique pour la vie
de la cité parce qu’ils vivent dans la cité des autres, cité qu’ils fécondent d’ailleurs de leurs apports.
Même en Israël, la loi foncière est toujours ottomane, la loi pénale britannique et la loi civile
vaguement romaine. La seule loi juive est celle qui régit le droit personnel, ce qui ne va pas sans poser
des problèmes de cohabitation avec des personnes qui ne sont pas toutes de religion juive ou pas
croyants.
Proches dans ces grands traits, judaïsme et islam différent pourtant sensiblement. Un point m’apparaît
tout à fait fondamental : le musulman est soumis à la volonté divine, et sa perfection consiste en la
perfection à cette soumission. Le juif se ressent plutôt au service d’un projet d’histoire, le messianisme
n’étant vécu que comme le stade supérieur de cette histoire et non comme sa fin. Notion très peu
présente dans le sunnisme, quelque peu dans le chiisme mais sous la forme assez vague de l’attente
du retour du Prophète.
Dans le dialogue judéo-musulman, l’accent doit donc porter sur ce que nous avons de commun et qui
relève de l’ordre de la pratique de vie et non pas des principes métaphysiques ; là, nos accords restent
superficiels et nos désaccords stériles
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