Le Lycée Louis-le-Grand

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Copyright by Librairie Gallimard, 1939. 1
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LE
COLLEGE
DE
CLERMONT
ou
COLLEGIUM
CLARAMONTANUM
SOCIETATIS
JESU
La plupart des jeunes gens qui, à l'heure
actuelle, suivent les classes du Lycée Louisle-Grand, n'imaginent pas la noirceur et la
vétusté des bâtiments qui s'élevaient en
ces mêmes lieux, il y a un peu plus d'un
demi-siècle.
Du mois d'octobre 1873 au mois d'août
1877, j'ai passé dans ce vieux lycée quatre
années de ma jeunesse scolaire, entre les
vieilles et hautes murailles percées de fe-
nêtres grillagées. En les voyant si noires,
si vieilles, je pensais bien qu'elles avaient
un passé; mais quel? Nous étions sur ce
point, mes camarades et moi, d'une grande
ignorance et, hélas! d'une grande incuriosité. Et, d'ailleurs, où aurions-nous puisé
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des renseignements? Ce n'est que bien des
années après, en 1921, que M. Gustave Dupont-Ferrier, professeur honoraire au Ly-
cée, professeur à l'Ecole nationale des
Chartes fit paraître son bel ouvrage, si documenté, si complet, Du Collège de Clermonl au Lycée Louis-le-Grand; mais, du
temps que j'étais écolier, dans les bibliothèques des quartiers, c'est ainsi qu'on appelait nos salles d'étude, on eût cherché en
vain le livre que M. Gustave Emond, ancien censeur, avait écrit en 1845 et qui racontait la vie du vieux collège depuis ses
origines jusqu'à M. Émond. Durant les
quatre années que j'ai passées à Louis-leGrand, à aucun moment, un professeur de
Lettres ou d'Histoire, ne nous a raconté
l'histoire de ces vieux murs entre lesquels
nous étions. enfermés. Les aurions-nous
trouvés moins sombres,
moins tristes?
Peut-être un peu d'histoire leur eût donné
la vie, et mon savant confrère, M. Du-
pont-Ferrier a eu la plus heureuse inspiration lorsqu'un jour, présidant la distribution solennelle des prix, dans un bien
joli discours dont les lecteurs trouveront
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DE
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un extrait à la fin de ce petit livre, pour les
jeunes élèves et pour leurs parents, aussi
pour les professeurs assemblés sur l'es-
trade, pour leur plaisir et pour leur instruction et avec les plus pittoresques détails,
il a « situé » le berceau du vieux Louis-le-
Grand. Mais, de mon temps, une telle leçon
n'était point dans les programmes et je ne
sache pas que, depuis, elle y ait été introduite. Pourtant, cela aurait pu intéresser
non pas les tout petits, mais de jeunes garçons entre quatorze et quinze ans, qui auraient eu ainsi une idée des transformations
matérielles, politiques et pédagogiques par
lesquelles avait passé le célèbre établissement de la rue Saint-Jacques, depuis
le Collegium Socielatis Jesu, dans lequel
avaient été transportés environ 1563,
quelques religieux de l'ordre récemment
fondé par Ignace de Loyola et quelques
« pauvres escholiers » destinés à être prêtres et que Guillaume du Prat, évêque de
Clermont, hospitalisait auparavant dans
son hôtel épiscopal, rue de la Harpe.
L'hôtel dont on avait fait l'acquisition
en 1563 pour y transporter ces quelques
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religieux et « pauvres escholiers était l'hôtel de Langres, grande maison à deux corps
de logis avec cour, puits et jardin, sis rue
Saint-Jacques, dans le pays latin qui comprenait toute la portion de la rive gauche,
renfermée entre le fleuve et le mur de Phi-
lippe Auguste, pays latin où s'élevaient de
nombreux collèges, où le latin était une
langue vivante.
Le plus ancien de ces collèges avait été
créé vers 1256 par Robert de Sorbon, cha-
pelain de Saint-Louis à qui le roi avait
donné ad opus scolarium une maison et des
écuries situées rue de Coupe-Gueule, en
face du palais des Thermes. Depuis, ces
fondations de « collèges et maisons d'estude» s'étaient multipliées; entre le xine
et le xive siècle, la création d'un collège
avait été, pour.maint grand seigneur, une
œuvre à la mode, voire un moyen,d'assurer
son salut dans l'autre monde. On fondait
alors une bourse dans un collège comme
aujourd'hui on fonde un lit dans un hospice. Une bourse représentait la dépense
annuelle occasionnée par un écolier, soit
dix livres du temps de Robert de Sorbon.
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Les premiers collèges étaient moins des établissements d'instruction que des asiles où
les pauvres écoliers trouvaient le vivre et
le couvert. Ainsi ils échappaient à la rapacité des propriétaires qui louaient fort cher
aux autres étudiants des réduits sordides;
ainsi ils n'étaient pas exposés aux dangers de la rue, aux tentations nombreuses
dans ce pays latin où des matrones décidées, merelrices publicse entraînaient chez
elles quasi par force les étudiants, clericos
lranscunles quasi per violenliam perlrahe-
bant, tentations qui guettaient les externes
libres qu'on appelait martinets pour ce
que cette sorte d'hirondelle « vole toujours
sans s'arrêter et ne se perche que sur son
nid ». A l'origine, le principal du collège
conduisait ses élèves aux leçons que donnaient chez eux les maîtres es arts autori-
sés par l'Université, mais ces sorties continuelles étaient une perte de temps et une
occasion de désordre. Vers le milieu du
xve siècle, les maîtres vinrent professer
dans les collèges.
L'hôtel de Langres jouxtait trois de ces
collèges qui étaient les Collèges des Cho-
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lets, du Mans et de Marmoutier et ce dernier se trouvait mitoyen avec le Collège du
Plessis.
Quand les Jésuites se furent installés
dans l'hôtel de Langres qui, par arrêté du
Parlement, prit le nom de Collège de Clermont, il n'y eut donc pas moins de cinq
collèges sur l'emplacement alors circonscrit par les rues Saint-Jacques, SaintÉtienne-des-Grès (aujourd'hui Cujas), des
Chollets, de Reims, du cimetière Saint-Benoist et de Froment.l, sur la pente de la
Montagne Sainte-Geneviève. Et dès que le
Collège de Clermont fut fondé, le but que
poursuivirent les nouveaux occupants, ce
fut d'achever «le pré carré », à l'instar des
rois de France, de s'agrandir aux dépens
des collèges voisins, de s'adjoindre leurs
locaux. Cela, on le pense bien, ne se fit pas
en un jour.
Le nouvel établissement eut dès l'origine,
deux puissants ennemis l'Université et le
Parlement. Collège de Clermont avait décidé
ce dernier
mais les Jésuites avaient écrit
au-dessus de la grande porte d'entrée, rue
Saint-Jacques
Collegium Societatis Jesu.
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Malgré l'appellation qu'il lui avait donnée lui-même, le Parlement ne considérait
pas le Collège de Clermont comme une
maison scolaire, mais comme une compagnie de religieux.
Cependant, outre les quelques pauvres
escholiers destinés à la prêtrise, ils eurent
bientôt des élèves, ces religieux, et l'Université, « fille aînée de nos rois », prit ombrage de ce nouveau corps enseignant qui
offrait gratuitement son enseignement. Les
affaires de cette Université de Paris al-
laient déjà fort mal à cause de la quantité
d'universités et de collèges qui s'étaient
fondés dans les provinces; les anciens collèges parisiens n'avaient presque plus d'élèves et les quelques établissements où persistait le plein exercice de l'enseignement,
(ils étaient au nombre de dix,) on les appelaits Grands collèges ou collèges de plein
exercice.
C'était un temps où, catholiques et protestants, les Français ne s'aimaient pas.
On accusait les Pères de s'opposer à l'Église
gallicane, de s'appuyer exclusivement sur
le pape; on les disait ultramontains, Ro-
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LOUIS-LE.-GRAND
mains, Espagnols; on prétendait que pour
eux le véritable roi de la chrétienté n'était
pas le roi de
Philippe II,
chait pas à
protestants,
France, mais le roi d'Espagne
à cause que ce dernier ne tâarbitrer entre catholiques et
comme le faisaient nos rois,
mais combattait ouvertement et durement
les réformés, hérétiques, huguenots et parpaillots.
On leur avait d'abord demandé, à ces
Pères, en latin naturellement
Qui êtesvous ? Religieux ou séculiers? Et ils avaient
répondu
Tales quales, (nous sommes ce
que nous sommes). Ce Tales quales avait
eu un succès énorme; on en parla dans le
pays latin, on en fît des gorges chaudes le
long des pentes de la Montagne Sainte-Geneviève et aussi en d'autres lieux. Car, en
dehors de l'Université et du Parlement, les
Pères avaient de nombreux ennemis pour
lesquels toutes les armes étaient bonnes.
On disait que leur maison de la rue SaintJacques, Collegium Societatis Jesu était
un repaire de la Ligue, qu'ils avaient des
intelligences dans le Conseil des Seize. Bien
plus, on les accusait d'encourager le régi-
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cide dans leurs discours et par leurs écrits.
Ce Jean Chatel qui avait tenté d'assassiner
Henri IV n'avait-il pas été leur élève et
par conséquent formé par eux? Et l'on accusait les Pères d'avoir mis eux-mêmes le
poignard dans la main de leur disciple, ce
poignard qui, il est vrai, n'avait cassé
qu'une dent dans la bouche du Vert Galant. Et s'ils avaient ainsi armé la main
d'un Jean Chatel, n'étaieht-ils pas capables d'avoir été, quelques années auparavant, les instigateurs du crime de Jacques
Clément qui, lui, n'avait pas manqué son
coup et avait, bel et bien, mis fin aux
jours du roi Henri III.
Calomnies assurément, mais la calomnie Tout cela fit qu'en 1595, les Jésuites
durent partir pour l'exil; le Collège de Clermont fut fermé. Les Pères se remuèrent
pour y rentrer. Le roi n'était pas opposé à
ce qu'ils reprissent leur enseignement, mais
l'Université, elle, s'y opposait, malgré le
roi, jusque-là qu'un jour, le Recteur provoqua ses rivaux « à mettre leurs pourpoints
bas », pour en venir aux mains sur quelque
pré du pays latin. Les Pères ne se rendi-
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LOUIS-LE-GRAND
rent pas à l'invitation du Recteur, ils ne
« tombèrent » point le pourpoint, et le Pré
aux Clercs ne fut pas témoin de scènes•
tragi-comiques.
Cependant, en 1618, le collège fut rouvert l'établissement prit un nouvel essor
et acquit bientôt une importance sans
égale. Il était réputé pour l'éducation et
l'instruction qui y étaient données et, malgré l'hostilité de l'Université qui ne désarmait pas et du Parlement qui continuait
de la soutenir, le Collège de Clermont était
en train de devenir le « collège chic », comme
nous dirions aujourd'hui. La plus haute
noblesse y envoyait ses enfants qui se
trouvaient mêlés avec ceux de la bour-
geoisie aisée, cossue. C'est ainsi que le
jeune J.-B. Poquelin, fils d'un maître tapissier, valet de chambre du roi Louis XIII
et que son père destinait à lui succéder
dans sa profession et dans sa charge, fut
élève au Collège de Clermont. Ce bon bourgeois, cet honorable marchand de Paris
avait décidé que son fils qui désirait de
s'instruire et qui, si nous en croyons Grimarest, « ne restait qu'avec chagrin dans la
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boutique paternelle », entrerait chez les Jésuites pour faire ses humanités.
On admet que c'est en 1636 que le jeune
Poquelin, alors âgé de quatorze ans, commença de suivre, en qualité d'externe, les
classes du Collège de Clermont. Il y avait
alors au collège deux mille externes (Scolaslici) et trois cents internes (Conviclores)
dont trois princes
Armand, prince de
Conti, Henri de Savoie, fils du duc de Ne-
mours et Henri de Lorraine, fils du prince
d'Elbeuf.
Le fils du maître tapissier observait ces
choses. On l'imagine, cejeune Poquelin,
franchissant la grande porte du collège audessus de laquelle sont toujours inscrits ces
mots Collegium Socielalis Jesu. Dès qu'il
a franchi le seuil de la grande porte, défense de parler français; même entre eux
les externes ne doivent parler que latin. Il
traverse la grande cour de Langres; le
voilà en classe, dans quelque salle située
au rez-de-chaussée des bâtiments; salle
carrelée; aux murs quelques images de
sainteté; salle bien petite pour y loger cent
cinquante à deux cents élèves, assis, serrés,
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pressés sur des gradins, sans tables, forcés
d'écrire sur leurs genoux, les externes d'un
côté, les internes de l'autre. Le voilà en
classe, « écolier sous Louis XIII », comme
nous les montre une gravure d'Abraham
Bosse, cheveux longs sur le dos, blanche et
large collerette, bouffantes culottes et, les
jours où il pleut, couvertes de cette boue de
Paris qui, d'après l'analyse des savants du
temps, contenait du soufre et du sulfate et,
partant brûlait le drap, car le soufre est de
feu, comme chacun le sait, boue caractéris-
tique de la cité et du pays latin on disait
que Lutèce venait de lulus.
Une fois en classe, était-il, ce jeune Poquelin, infer dignilales, senatores, equifes,
legati, c'est-à-dire parmi les dignitaires, les
sénateurs, les chevaliers,. les lieutenants?
Ou bien était-il parmi ceux de la dixième
décurie, decima decuria? Car les bons Pères
ne craignaient pas la distinction entre les
élèves, ni l'émulation.
D'ordinaire, dans une classe de cent cin-
quante à deux cents élèves, le professeur
s'occupe des premiers; le reste suit comme
il peut. Mais les Pères entendaient que
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l'élève moyen eût l'impression qu'il n'était
pas perdu dans la masse et que le cancre
même, l'ignorant ne se crût pas ignoré. A
cet effet, ils avaient imaginé de faire des
meilleurs sujets les collaborateurs en quelque sorte des professeurs. M. Dupont-Ferrier nous explique admirablement ce mécanisme pédagogique.
« Au Collège de Paris, dit-il, il y avait
deux camps dans la classe ici, le camp romain par exemple, là le camp carthaginois.
Dans ces deux camps, la place de chaque
élève dépendait de ses succès et, chaque
mois, pouvait être changée. Le premier de
chaque camp avait le titre de consul et le
premier du camp vainqueur avait le titre
d'imperator, le second celui de censeur ou
de prêleur; le troisième celui de tribun. Il
y avait parfois plusieurs censeurs et un
vice-censeur. Parmi ceux qui suivaient, les
meilleurs étaient qualifiés de sénateurs.
Tous ces magistrats, magistrales avaient
un siège à part. Le reste de la classe était
partagé en groupes de dix élèves ou décu-
ries. La première décurieétait plus forte
que la seconde, la seconde que la troi-
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sième, etc. Dans la dernière étaient les
élèves les plus faibles. Toute la décurie
était assise sur un même banc, dans la
dépendance d'un décurion qui occupait un
banc, à part, avec ou sans prodécurion. Il
surveillait sa petite troupe, signalait les
absences, faisait réciter les leçons, marquait les notes, recueillait les copies et
les brouillons, constatait si les devoirs
étaient
gnés
achevés
et
matériellement soi-
il exigeait le silence et l'attention
des dix écoliers
de sa
décurie.
Il
de-
vait être lui-même irréprochable, zélé,
modeste, exact, incorruptible; le grand
décurion le surveillait, au besoin le professeur.
Chaque élève d'une décurie avait un
émule dans la décurie correspondante du
camp opposé. Ces émules surveillaient mutuellement leur travail et leurs réponses;
de même les tribuns, les préteurs, les censeurs guettaient les uns chez les autres les
mêmes défaillances. »
Les Pères encourageaient donc entre les
élèves non seulement l'émulation, mais
aussi la surveillance. Cette émulation ils la
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cultivaient sous toutes ses formes; ils
avaient établi entre les élèves de la même
classe des discussions, des controverses, de
véritables joutes oratoires. Ils avaient com-
pris de quelle importance est le « bien dire»
dans bien des circonstances de la vie. Euxmêmes excellaient dans la discussion et la
controverse. Ils savaient que la meilleure
cause peut être perdue par un honnête
homme mais qui parle lourdement, cherche ses mots et ne les trouve pas, tandis
que la cause la plus scélérate peut être gagnée par un homme de mauvaise foi mais
qui plaide, ore rotondo. Ils voulaient que,
plus tard, les hommes formés par eux fussent à l'aise dans un salon ou dans une As-
semblée, dans la conversation ou le dis-
cours. Aussi, dès l'âge le plus tendre, ils
entraînaient leurs élèves à exprimer leurs
idées sur un sujet choisi d'une façon claire
et élégante. Sans doute, l'élève Poquelin,
devenu l'auteur-acteur-directeur Molière
avait profité de leurs leçons lorsque, avant
ou après la représentation, dans les provinces ou à Paris, il faisait l'orateur et, le
bonnet à la main, venait haranguer le pu-
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