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trouver des arguments, dégager les hypothèses permettant de défendre ces thèses, voire même
formuler des positions qui n’étaient pas valables seulement pour eux, mais pour tout homme qui
voudrait bien examiner avec eux le problème qui était le leur. Autrement dit, s’il faut d’abord être
curieux par rapport aux philosophes du passé, il faut aussi les prendre au sérieux, ie. admettre qu’ils
ont cherché à établir des vérités. Une fois qu’on les a replacés dans leur temps et dans leur contexte,
il faut donc les lire, sinon totalement, du moins autant que possible, comme si ils étaient nos
contemporains.
On peut récapituler ce qui vient d’être dit sous forme de deux idées :
— Si on ne contextualise rien et qu’on fait comme si les auteurs du passé étaient nos
contemporains, alors on rencontre un problème de fait : que faire, en pratique, des éléments d’une
œuvre qui nous paraissent extra-philosophiques, ou dénués de fondement rationnel ? Problème de
droit tout aussi bien : pourquoi se tourner vers les textes du passé, puisqu’on n’y retrouvera jamais
que ce qu’on trouverait tout aussi bien chez un philosophe d’aujourd’hui ?
— Si on contextualise tout et qu’on fait comme si les auteurs du passé n’avaient vraiment rien
à voir avec nous, pensaient d’une manière toute autre que la nôtre, alors quel intérêt autre qu’une
curiosité semblable à celle d’un antiquaire ou d’un anthropologue pourrions-nous avoir pour ces
textes ? et, contrairement à l’antiquaire ou à l’anthropologue, sans doute ne pourrions-nous même
pas prétendre comprendre ces auteurs, puisque leur pensée fut si radicalement différente de la
nôtre.
Comme souvent, il faut tenir les deux bouts — on doit à la fois contextualiser une thèse pour
ne pas attribuer à l’auteur qu’on étudie des problèmes qui n’étaient pas les siens et pour pouvoir
évaluer sa singularité par rapport à ses contemporains, et faire comme si l’auteur était notre
collègue, parce que, sans cela, on ne procède pas à une discussion philosophique de la thèse qui
était la sienne — pour citer un texte de Descartes qui sera bientôt commenté, « nous ne deviendrons
jamais philosophes, si nous avons lu tous les raisonnements de Platon et d’Aristote, et que nous
sommes incapables de porter un jugement assuré sur les sujets qu’on nous propose ; dans ce cas, en
effet, ce ne sont point des sciences que nous aurions apprises, semble-t-il, mais de l’histoire ».
Exemple : démonstration de l’existence de Dieu chez Descartes.
C’est quelque chose qui paraît à la plupart d’entre nous étrange, non seulement parce qu’un
certain nombre d’entre nous sont athées, mais surtout parce que, pour nous, athées et croyants
confondus, les convictions religieuses relèvent de la croyance privée, et ne trouvent pas à
s’exprimer dans des propositions qu’on pourrait démontrer comme on démontre que 2+2 = 4. Selon
nous donc, il y a deux domaines : le domaine du savoir objectif, rationnel, démontrable ; le domaine