us et abus des antibiotiques 3

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Formation l Endodontie
Us et abus des antibiotiques
en endodontie
(3/3)
Cécilia Bourguignon
CPEA Rubrique du Cercle Parisien d’Endodontologie Appliquée dirigée par Pierre Machtou et Dominique Martin
Dans la partie I de cet article (18 mars 2015),
nous avons vu qu’un grand nombre
de maladies infectieuses actuelles ne répond
plus aux traitements antibiotiques du fait
de l’apparition de résistances bactériennes.
Ce phénomène inquiétant est hautement
lié à l’utilisation abusive des antibiotiques.
Nous avons aussi vu pourquoi la prescription
antibiotique est souvent inefficace
en endodontie.Dans la partie II (1er avril 2015),
nous avons vu que le traitement local
est primordial pour combattre l’infection
endodontique. Nous avons vu que,
à l’exception de quelques rares cas spécifiques,
dans la plupart des situations cliniques,
la prescription des antibiotiques adjuvants
est injustifiée.
2
Indications prophylactiques
(antibioprophylaxie)
L’antibiothérapie prophylactique consiste en l’administration d’un antibiotique dans l’objectif de prévenir
le développement d’une infection locale, générale ou à
distance. Elle consiste en l’administration par voie systémique d’une dose unique d’antibiotique dans l’heure
qui précède l’acte invasif. En cas d’oubli, l’antibiotique
pourra être administré jusqu’à 2 heures après l’acte.
L’AFSSAPS, devenue ANSM (Agence nationale de
sécurité du médicament et des produits de santé), distingue trois catégories de patients : la population générale, les patients immunodéprimés et les patients à haut
risque d’endocardite infectieuse. Quel que soit le niveau
de risque infectieux du patient, l’antibiothérapie prophylactique n’est pas indiquée pour la réalisation d’actes
non invasifs. Un acte est considéré comme invasif s’il est
susceptible d’induire une infection locale, à distance ou
générale.
L’INFORMATION DENTAIRE n° 14 - 8 avril 2015
Us et abus des antibiotiques
1. Dent 46. Radiographie préopératoire. Infection d’origine
endodontique persistante avec douleurs et gonflements
épisodiques depuis plusieurs années. Radioclartés au niveau
de la furcation et de la racine mésiale. Pas de sondage
parodontal.
2. Radiographie postopératoire immédiate. Le traitement
local visant à éliminer la source de l’infection a consisté
en la reprise du traitement endodontique de 46. Une racine
supra-numéraire courte, placée entre la racine mésiale
et distale, a été détectée et soignée. Aucun antibiotique
adjuvant n’a été prescrit à la patiente durant la reprise
du traitement endodontique.
Dans les contextes de pathologie générale, en particulier
d’immunodépression, de cardiopathie, la question d’une
prescription antibiotique prophylactique peut se poser
[1]. En accord avec les recommandations de l’American
Academy of Orthopaedic Surgeons (AAOS) et de l’American
Academy of Oral Medicine (AAOM), l’AFSSAPS précise
que l’antibiothérapie prophylactique n’est plus indiquée
pour les soins bucco-dentaires s’agissant des patients
porteurs d’une prothèse articulaire.
Quel que soit le niveau de risque infectieux du patient,
en présence d’une infection accompagnée de fièvre, trismus, adénopathie ou œdème persistant ou progressif,
l’antibiothérapie curative sera toujours indiquée en complément du traitement local adéquat. L’antibiothérapie
curative ne devra ni différer, ni se substituer au
traitement étiologique non médicamenteux, en
particulier chirurgical, du foyer infectieux [1].
Antibiotiques : utiles dans
la prévention des flambées
(« flare-ups ») ?
3. Radiographie de contrôle postopératoire à 13 ans.
Excellente guérison des foyers infectieux endodontiques.
Les radioclartés ont disparu peu de temps après le début
de la reprise du traitement endodontique et le traitement
de la racine supra numéraire. La patiente est asymptomatique
et le résultat est stable.
Le terme « flare-up » désigne une situation clinique
où le patient vient à éprouver des douleurs postopératoires accompagnées ou non de signes infectieux et
L’INFORMATION DENTAIRE n° 14 - 8 avril 2015
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qui requièrent une consultation en urgence chez le
chirurgien-dentiste.
Selon les auteurs, à la suite d’une procédure endodontique, des douleurs modérées à intenses, avec ou sans
œdème, sont survenues dans 1 % à 24 % des cas. Ces
flambées, généralement nommées « flare-ups », sont
le résultat d’activations de pathologies périradiculaire
après le début ou la conclusion d’un traitement radiculaire. Les causes peuvent être liées à des projections périapicales de débris contaminés ou à l’effet irritant d’une
surinstrumentation ou autre manœuvre iatrogène.
L’étude prospective, randomisée, en double aveugle,
contrôlée par placebo de Pickenpaugh en 2001 sur dents
nécrosées initialement asymptomatiques conclut qu’une
dose préopératoire d’amoxycilline avant le traitement
endodontique n’a pas d’effet significatif sur la prévention
des flambées qui, au demeurant, restent rares [2].
Les patients ayant des douleurs préopératoires sont
généralement plus susceptibles aux « flare-ups » entre
les séances [3, 4, 5, 6]. Cependant, si l’efficacité du traitement local a été clairement démontrée sur les symptômes, une prescription d’antibiotique ne semble pas
apporter d’amélioration supplémentaire ni prévenir la
survenue des « flare-ups » [3, 6, 7].
Historiquement, Morse en 1987 montrait que l’utilisation
d’antibiotiques (érythromycine) en phase préopératoire
du traitement de dents nécrosées diminuait l’incidence
des « flare-ups » [8]. Une étude de Torabinejad en 1988
montrait que les antibiotiques étaient moins efficaces
que les antalgiques sur la réduction du nombre de
rendez-vous interséances en urgence [4].
L’étude prospective de Walton conclut que « la prescription de pénicilline (une drogue potentiellement dangereuse) en préopératoire n’a aucun effet sur l’incidence ou
le degré de douleurs postopératoires ou « flare-ups » et
n’est pas recommandée dans les cas de nécrose pulpaire
et de pathologie périapicale asymptomatique » [6].
Les antibiotiques sont donc contre-indiqués en tant que
mesure préventive, bien qu’ils soient fréquemment utilisés [9] dans le faux espoir qu’ils éviteraient des symptômes postopératoires indésirables.
La prise d’antibiotiques n’est ni utile
ni justifiée dans le but de prévenir
les flambées infectieuses ou douleurs
postopératoires en endodontie.
Rôle du chirurgien-dentiste
dans la prescription antibiotique
La British Society for Antimicrobial Chemotherapy a publié
une étude examinant au Royaume-Uni le rôle des prescriptions d’antibiotiques en odontologie en regard de
l’apparition de résistances des bactéries de la flore orale
et concluait que la prescription inappropriée par les
chirurgiens-dentistes était un facteur contribuant à l’apparition de souches bactériennes résistantes.
Antibioprophylaxie pour traitements dentaires (dose unique à administrer de 30 à 60 minutes
avant l’acte dentaire)
Situation
Antibiotique
Adultes
Enfants
Patient capable de prendre
médication orale
Amoxicilline
2 g
50 mg/kg
Patient incapable de prendre
médication orale
Ampicilline
Cefazolin
2 g IM ou IV
1g IM ou IV
50 mg/kg IM ou IV
50 mg/kg IM ou IV
Patient allergique à la pénicilline
ou ampicilline
Clindamycine
Azithromycine ou
clarithromycine
600 mg
500 mg
20 mg/kg
15 mg/kg
Patient allergique à la pénicilline
ou ampicilline et incapable
de prendre médication orale
Clindamycine
600 mg IM ou IV
20 mg/kg IM ou IV
IM Intramusculaire; IV Intraveineux.
Source : Adapté de Wilson W et al, 2007. Prevention of infective endocarditis : Guidelines from the American Heart Association.
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L’INFORMATION DENTAIRE n° 14 - 8 avril 2015
Us et abus des antibiotiques
Au Canada, une enquête de l’American Dental Association
en novembre 2000, menée auprès de tous les praticiens
en fonction, montrait clairement des habitudes de prescription confuses et inappropriées, aussi bien au niveau
du dosage que de la durée, pouvant contribuer au développement de résistances.
Le ratio risque/bénéfice doit toujours être pesé avant
la prescription d’antibiotiques. Les antibiotiques systémiques sont utiles pour certains patients ciblés. L’usage
restreint et conservateur des antibiotiques est hautement recommandé en endodontie. L’utilisation indiscriminée des antibiotiques est contraire à un exercice
sain de la profession et peut provoquer une sélection et
un développement incontrôlé de souches bactériennes
intrinsèquement résistantes. Cela prédispose le patient
aux infections secondaires ainsi qu’aux super-infections
(super-bugs) et peut rendre les antibiotiques inefficaces
contre des maladies infectieuses potentiellement fatales.
Les antibiotiques sont parmi les rares
catégories de médicaments qui affectent
non pas un seul individu, mais une
population entière par le biais de leurs effets
collectifs sur l’écologie microbienne.
Ainsi, la responsabilité du chirurgien-dentiste ne se
limite pas à ses seuls patients : elle s’étend à un monde de
patients. « Act locally, think globally. »
Le rôle du chirurgien-dentiste, qui se sent souvent en
dehors de ces préoccupations médicales, est donc beaucoup plus significatif qu’il ne le pense.
Conclusion
Face à notre préoccupation de soulager les patients, les
antibiotiques se révèlent généralement inefficaces et
injustifiés.
• L’indication raisonnée pour la prise d’antibiotiques
systémiques est excessivement rare en endodontie.
• C’est l’acte local qui est essentiel pour éliminer le
réservoir infectieux endodontique. Le plus souvent, la
prescription antibiotique n’est pas nécessaire : « Kill the
bugs without the drugs. »
• Dans les cas d’infection localisée, l’utilisation d’antibiotiques adjuvants au traitement local n’est pas justifiée.
• En endodontie, la prescription d’antibiotiques adjuvants en complément du traitement local est restreinte :
- au cas d’infections diffuses et sévères qui tendent à se
propager ;
- e n antibioprophylaxie pour les actes invasifs sur
patients à risque.
• Le chirurgien-dentiste ne doit pas minimiser sa responsabilité en tant que prescripteur, ni son rôle en santé
publique dans le développement de résistances bactériennes : « Act locally, think globally. »
• Éduquons nos patients afin qu’ils remettent en question des habitudes potentiellement dangereuses dont
ils sont souvent demandeurs voire auto-prescripteurs.
« Les antibiotiques, utilisés à tort, ils deviendront
moins forts. » (Assurance Maladie).
bibliographie
1. AFSSAPS. Prescription des antibiotiques en pratique bucco-dentaire. Recommandations de bonne pratique de l’ANSM (Agence
Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé.
Juillet 2011. www.ansm.sante.fr
2. Pickenpaugh L, Reader A, Beck M, Peterson LJ. Effect of prophylactic amoxicillin on endodontic flare-up in asymptomatic,
necrotic teeth. J Endod 2001 ; 27 (1) : 53-56.
3. Imura L, Zuolo ML. Factors associated with endodontic flareups : a prospective study. Int Endod J 1995 ; 28 : 261-265.
4. Torabinejad M, Kettering JD, McGraw JC et al. Factors associated
with endodontic interappointment emergencies of teeth with
necrotic pulps. J Endod 1988 ; 14 : 261-266.
5. Torabinejad M et al. Effectiveness of various medications on
postoperative pain following complete instrumentation. J Endod
1994 ; 20 : 427-431.
6. Walton R, Chiappenelli J. Prophylactic penicillin : effect on
posttreatment symptoms following root canal treatment of
asymptomatic periapical pathosis. J Endod 1993 ; 19 : 466-470.
7. Walton R. Interappointment flare-ups : incidence, related factors, prevention, and management. Endodontic Topics 2002 ; 3 :
67-76.
8. Morse DR, Furst ML, Belott RM et al. Infectious flare-ups and
serious sequelae following endodontic treatment : a prospective
randomized trial on efficacy of antibiotic prophylaxis in cases
of asymptomatic pulpal-perapical lesion. Oral Surg 1987 ; 64 :
96-109.
9. Yingling N, Byrne B, Hartwell G. Antibiotic use by members of
the American Association of Endodontists in the year 2000:
report of a national survey. J Endod. 2002 ; 28 : 396-404.
L’auteur ne déclare aucun lien d’intérêt.
[email protected]
L’INFORMATION DENTAIRE n° 14 - 8 avril 2015
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