ON EN PARLE Implants et appareils dentaires, prothèses auditives, orthèses articulaires… sont désormais conçus et fabriqués avec des solutions numériques et sur les mesures exactes des patients. Médical, de l’artisanat à la démarche industrielle E n quelques années les technologies industrielles ont fait leur apparition dans le monde médical, notamment pour la conception et la fabrication de prothèses : dentaires, auditives, articulaires, podologiques, etc. Trois éditeurs de logiciels de CFAO et un fabricant d’imprimantes 3D nous livrent leurs expériences et les directions que prend ce marché naissant. Un marché qui intéresse d’ailleurs de plus en plus d’industriels qui voient là un débouché parfait pour leurs solutions rodées aux exigences de la production mécanicienne. Et, comme le soulignait l’un des invités de cette table ronde : « Il suffit d’imaginer le déploiement au niveau mondial, ne serait-ce que des applications dentaires, aujourd’hui cantonnées à une partie seulement des professionnels de quelques pays industrialisés, pour évaluer le potentiel de ce secteur médical ». 64 • Dossier Manufacturing • Janvier-Février 2011 Le constat est clair, désormais, le process industriel remplace l’artisanat pour, semble-t-il, le plus grand bien des patients. En effet, les professionnels de la santé ne sont pas des modeleurs géométriques et n’ont pas le temps de se former à des outils complexes. L’éditeur Delcam, par exemple, n’a pas hésité à créer une division spécifique pour répondre aux besoins de ce secteur et notamment des prothésistes. La technologie est là. Elle peut couvrir numériquement la totalité du processus : depuis la prise d’information sur le patient (à l’aide d’une large panoplie d’imagerie 3D), jusqu’à l’implantation de la prothèse sur le patient, en passant par sa modélisation géométrique et sa fabrication directe en quelques heures… Objet, de son côté, équipe déjà des fabricants de prothèses auditives de ses solutions de fabrication additive. Sescoi et OpenMind, deux spécialistes de la CFAO, suivent le même chemin avec des offres spécifiquement packagées dans leur gamme de logiciels respectives. Des solutions adaptées à ces métiers, mais qui reprennent les fondamentaux que l’on retrouve dans tout logiciel de CFAO mécanique. Avec cependant une particularité majeure, la simplification des interfaces et l’automatisation des tâches de préparation de la fabrication. Alors, verra-t-on demain dans les centres hospitaliers, chez les orthopédistes, les dentistes, voire les fabricants de prothèses auditives, les technologies que proposent ces industriels réunis lors de cette table ronde ? C’est déjà d’actualité pour Delcam qui équipe directement les podologues pour fabriquer des semelles orthopédiques avec une solution spécifique. MÉDICAL « Les hôpitaux réfléchissent à la mise en œuvre de systèmes de scans intra-oral et de machines de fabrication rapide pour produire sur place des prothèses dentaires pour des urgences médicales » souligne Nicolas Le Moigne, directeur général de l’entreprise française. Laurent Journeau, responsable produit chez Sescoi, annonce, lui, que les projets foisonnent en la matière avec des partenaires fabricants de machines. « Les dentistes pourront utiliser directement les scans de leurs patients pour concevoir et usiner automatiquement à l’aide de logiciels de CFAO automatiques des prothèses simples mais très fréquentes dans leur pratique quotidienne ». Même sentiment pour Alain Sutter, directeur général d’Open Mind, « nous sommes d’ores et déjà en mesure d’équiper les centres hospitaliers de Nicolas Le Moigne Directeur de Delcam Votre offre « médicale » est-elle juste un « relooking » de vos logiciels de CFAO mécanique, ou intègre-t-elle des spécificités propres à cette activité ? Ce sont avant tout des logiciels métier. Leurs fonctionnalités sont donc directement liées aux métiers visés. La prothèse dentaire par exemple, la podologie, la réparation maxillo-faciale pour laquelle nous proposons également une offre dédiée, reposent sur le même moteur de calcul de trajectoire et sur le même modeleur que notre solution traditionnelle. Mais les outils et leurs mises en œuvre sont adaptés à la population à laquelle ils s’adressent. Quelles sont, selon vous, les avancées technologiques les plus spectaculaires en matière de fabrication de prothèses ? Ce qui est le plus remarquable aujourd’hui, c’est la possibilité de récupérer les données anatomiques du patient, ceci sans douleur et de manière extrêmement complète et précise. Pour une prothèse orthopédique, il suffit au patient de poser son pied quelques secondes sur une plaque de verre instrumentée pour obtenir la géométrie de celui-ci en 3D. De la même manière, nous sommes capables de récupérer très simplement des informations issues d’un IRM pour ensuite générer les données nécessaires à l’usinage de la prothèse prévue. Ceci sur une machine d’usinage classique à enlèvement de copeaux, ou sur une imprimante 3D. Janvier-Février 2011 • Dossier Manufacturing • 65 nos solutions HyperMILL ou HyperDENT, pour modéliser et produire des prothèses orthopédiques ou dentaires. Le frein pour l’instant n’est pas technologique, mais uniquement financier. » Enfin, pour Bruno Bothier, directeur régional France de la société Objet, « cette tendance est évidente. Les besoins sont là. Les technologies sont aujourd’hui matures, la prothèse auditive est très avancée sur ce sujet par exemple. Il nous reste à progresser de notre côté sur l’aspect matériaux et sur la rapidité de fabrication des imprimantes 3D. » Laurent Journeau Responsable Produit chez Sescoi Que font vos clients du secteur médical avec vos solutions de CFAO ? Nous sommes présents depuis plusieurs années sur ce secteur. La caractéristique marquante est son évolution vers la fabrication de prothèses adaptées à la morphologie spécifique de chaque patient. Donc l’usinage de forme prend de plus en plus d’importance. WorkNC dispose d’une solution automatique d’usinage qui correspond directement aux besoins de ce secteur d’activité. Travaillez-vous avec des fabricants de machines-outils pour constituer des solutions complètes « dédiées médical » ? Nous travaillons avec beaucoup de fabricants de machines d’usinage à commande numérique et de fabrication additive. Avec les premiers, nous avons développé des process qui vont au-delà de la gestion des parcours d’outils notamment pour automatiser les étapes de palettisation afin de fournir une solution globale à nos clients. 66 • Dossier Manufacturing • Janvier-Février 2011 Alain Sutter Directeur Général d’Open Mind Quelles évolutions de l’usinage 5 axes bénéficient directement aux fabricants de prothèses qui utilisent vos produits ? Les stratégies 5 axes continus de notre solution HyperMILL permettent aux fabricants de prothèses d’aller plus loin dans l’usinage et d’obtenir une qualité réduisant le travail de polissage. Avec la finition par niveau Z en 5 axes par exemple, on peut balayer sans reprise la zone en contre-dépouille multi-directionnelle qui se trouve entre les deux branches du condyle d’une orthèse de genou. On peut également créer avec la stratégie 5 axes isoparamétrique sur plusieurs surfaces, un parcours hélicoïdal, donc sans raccord de changement de sens entre les passes. Bien sûr, on tient compte des limites angulaires de la machine et des collisions possibles. Le 5 axes en continu permet d’utiliser des outils plus courts, donc plus rigides. Ce qui est primordial pour usiner les matériaux durs employés dans le domaine médical, et pour obtenir l’état de surface requis. Un des autres aspects est la possibilité de mettre en œuvre sur des machines combinées des opérations de tournage dans la même gamme opératoire, ceci sans dépose de la pièce. Pour les laboratoires dentaires, HyperDENT offre aux prothésistes une interface métier qui s’appuie sur toute la palette des stratégies 3 et 5 axes en continu disponible au sein d’HyperMILL. Avec HyperDENT Expert, l’opérateur pourra très simplement organiser sa programmation en créant ses propres masques et fichiers de paramètres. Bruno Bothier Directeur Régional France d’Objet Pour quels types d’applications médicales les imprimantes 3D Objet sont-elles employées ? Dans ce domaine d’activité, nos solutions sont utilisées pour fabriquer non des prototypes, mais de réelles productions unitaires servant différentes spécialités. Le dentaire, par exemple, avec des guides de positionnement pour placer des facettes, des gouttières d’alignement dentaire, ou encore des guides pour préparer les interventions chirurgicales. Dans ce dernier cas, au lieu d’intervenir directement sur un patient pour ajuster une prothèse de crâne fracturé par exemple, le chirurgien pourra préparer le composant prothétique sur la reproduction exacte du crâne du patient, avant de l’implanter sur le patient réel. Les avantages de ces technologies pour les patients et les fabricants ? Trois avantages majeurs pour le patient : l’optimisation de la durée de l’intervention chirurgicale, une pénibilité réduite et des risques opératoires réduits. Si l’on prend l’exemple des prothésistes dentaires, les techniques numériques leur permettent d’agir positivement sur les trois axiomes traditionnels : coût, qualité et délais de production.