Risques routiers et personnes âgées

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La deuxième journée scientifique du CFMT
Risques routiers et personnes âgées :
quels conseils donner aux médecins ?
Denis Durand de Bousingen
Souvent accusées par l’opinion publique de constituer un danger
pour la sécurité routière, les personnes âgées causent, au
contraire, bien moins d’accidents graves que les conducteurs plus
jeunes. Toutefois, les troubles cognitifs dont souffrent certaines
d’entre elles peuvent constituer un vrai risque au volant, surtout
si ces troubles sont méconnus, voire niés, par les conducteurs
concernés. Face à ces défis, la tâche des médecins se révèle parfois
très délicate.
Pour sa seconde journée scientifique, tenue le 19 mars dans les locaux de la MACSF à Paris,
le Collège Français de Médecine du Trafic s’est penché sur « le risque routier et les
personnes âgées », avec une série de six interventions entrecoupées de débats. Première
constatation, rappelée par Sylviane Lafont, chercheuse à l’IFSTTAR de Lyon, les plus de 75
ans représentent 9 % de la population, mais ne sont impliqués que dans 4,5 % des accidents
corporels. Les deux tiers de ces accidentés sont des automobilistes, 30 % sont des piétons et
4 % des cyclistes. Les accidents qu’ils occasionnent sont en général moins graves que ceux
causés par des conducteurs plus jeunes, notamment parce que l’alcool et la vitesse sont
rarement associés. Toutefois, en raison de la fragilité liée à leur âge, les conducteurs âgés
décèdent plus souvent de leurs blessures que les autres conducteurs : s’ils perdent plus
d’années de vie, ils en font perdre moins aux autres impliqués.
Catherine Gabaude, elle aussi chercheuse à l’IFSTTAR, s’est intéressée à la manière dont les
conducteurs compensent le déclin de leurs capacités à conduire. S’il est relativement facile
de s’adapter au déclin visuel, par exemple en ne conduisant plus la nuit, il est beaucoup plus
difficile de compenser les déclins fonctionnels et cognitifs. L’IFSTTAR a développé un certain
nombre de tests pour évaluer les performances cognitives des conducteurs, qui peuvent
ensuite être réalisés sur simulateur ou en présence d’un moniteur d’auto-école. Mais une
prise en compte du vieillissement des conducteurs implique aussi, selon elle, une réflexion
sur les politiques de déplacement et les infrastructures routières.
Au cours des échanges qui suivirent ces présentations, le Pr René Amalberti, président du
CFMT, a souhaité que ces réalités soient mieux connues du public et des médias, qui pensent
trop souvent qu’il suffirait d’interdire la conduite aux conducteurs âgés, ou de les soumettre
à des examens médicaux obligatoires, pour diminuer le nombre des victimes d’accidents. En
réalité, de telles mesures n’auraient qu’un effet négligeable sur la sécurité routière, mais au
prix de lourdes contraintes tant pour les professionnels chargés de les mettre en place que
pour les personnes âgées elles-mêmes. Actuellement, il n’est pas possible d’empêcher une
personne de conduire pour raison de santé, sauf s’il s’agit d’un professionnel, ou si elle a fait
l’objet d’une sanction impliquant le passage devant une commission de médecins agréés du
permis du conduire.
Les personnes âgées au volant : une réalité sociologique à ne pas négliger
Pour les personnes âgées, beaucoup plus nombreuses qu’autrefois à prendre le volant,
devoir renoncer à la conduite peut représenter une véritable « mort sociale », surtout dans
les zones périurbaines et rurales ne disposant pas, contrairement aux grandes villes, de
réseaux de transports publics performants. La sociologue Catherine Espinasse n’hésite pas à
parler de « deuil de l’objet voiture » et relève que les séniors qui décident d’arrêter de
conduire, quelle qu’en soit la raison, ne « revendent pas leur voiture au premier venu mais
l’offrent très symboliquement à un proche, un peu comme un legs ».
Mais les constructeurs automobiles savent aussi s’adapter aux spécificités des personnes
âgées souhaitant continuer à conduire, comme l’a montré le Pr Jean-Yves Le Coz (Renault),
en présentant différentes initiatives de son groupe pour permettre, par exemple, à des
personnes souffrant de troubles musculaires ou osseux de monter plus facilement en voiture
et de s’y attacher plus aisément. A moyen terme, des véhicules sinon « autonomes », du
moins fortement connectés, pourront simplifier la vie de leurs utilisateurs les plus âgés. Par
contre, ces véhicules devront être abordables, mais aussi attractifs et modernes, en tenant
compte du fait que les personnes âgées ne veulent surtout pas conduire une « voiture de
papi-mami ».
Les praticiens face aux conducteurs âgés
Au-delà des chiffres et des études, les praticiens sont souvent désarmés face aux conseils à
donner à certains conducteurs âgés. Comme le précisait toutefois le Dr Philippe Lauwick,
président de l’ACMF, ce sont rarement les conducteurs, mais très souvent leur famille, qui
interpellent les médecins à ce sujet. Par ailleurs, au-delà d’un certain stade, les patients
atteints de démences ou d’Alzheimer arrêtent de conduire car ils n’en sont tout simplement
plus capables.
Rappelant lui aussi que de nombreux conducteurs âgés se disent « prêts à se flinguer » si on
les prive de volant, le Pr Régis Gonthier, (CHU de Saint Etienne) souligne que le médecin doit
« conseiller sans ordonner », tout en gardant à l’esprit la forte symbolique de la conduite et
l’importance du déplacement pour la liberté et l’autonomie. Inciter trop tôt un conducteur à
arrêter, risque d’avoir des effets contraires au but recherché : cela peut accroître son
isolement et à terme sa dépendance, mais aussi le mettre lui-même en danger, car un piéton
âgé est plus vulnérable qu’un conducteur. Sauf en présence de risques cognitifs avérés, le
médecin a donc plutôt intérêt à donner des conseils « de bon sens » au patient : ne plus
conduire la nuit, éviter les parcours inconnus, surtout dans les grandes villes, ainsi que les
jours d’intempéries, et faire des pauses et des trajets courts sur des itinéraires familiers.
Certains pays, dont l’Allemagne ou l’Autriche, proposent des « recyclages gratuits » aux
conducteurs âgés qui le souhaitent, une initiative jugée très positivement par les intéressés.
Ailleurs, l’Etat de Floride (Etats-Unis), a institué un dépistage visuel obligatoire pour les plus
de 80 ans, une mesure qui semble d’ailleurs efficace pour réduire les accidents. Au Japon, les
conducteurs de plus de 80 ans sont tenus, quant à eux, d’apposer un autocollant indiquant
leur âge sur leur voiture.
Il est vrai que même un vieillissement parfaitement normal se traduit par une baisse de
certaines capacités cognitives, en premier lieu un « décodage » plus lent de l’information.
C’est pour cela que certaines situations, comme par exemple tourner à gauche dans un
carrefour ou traverser une chaussée sont plus « difficiles », passé un certain âge, que
d’effectuer un trajet sans intersection. Les conducteurs âgés devraient aussi s’abstenir de
tout ce qui peut les déconcentrer au volant… y compris les GPS trop complexes, le téléphone
et le tabac. La Sécurité Routière et l’ACMF, a rappelé le Pr Gonthier, ont mis au point des
documents et des affiches incitant les patients à parler de ces sujets à leur médecin, et il
importe de les diffuser plus largement auprès des personnes âgées.
Enfin, Colette Fabrigoule (CNRS, Bordeaux) a détaillé les mécanismes du vieillissement,
normal ou pathologique, de même que les phénomènes d’adaptation ou de compensation,
en soulignant que ce sont les routines et les automatismes qui résistent le mieux au déclin
cognitif et aux démences. Plusieurs tests d’évaluation des capacités cognitives ont été mis au
point par des équipes de chercheurs, et certains d’entre eux peuvent déjà être utilisés par
les médecins au cabinet… lesquels restent hélas beaucoup trop peu réceptifs à ces
documents. Dans quelques semaines, la Revue de Gériatrie proposera à tous les médecins un
test facilement utilisable. Mais avec ou sans tests, les médecins qui relèvent des déficits
cognitifs chez leurs patients devraient avant tout s’assurer que ceux-ci en sont conscients :
« ce sont les conducteurs inconscients de leurs déficits qui sont les plus dangereux, et c’est
eux qu’il faut accompagner par des conseils adaptés », a-t-elle rappelé en soulignant là
encore que « les faire arrêter de conduire trop tôt peut hâter leur entrée dans la dépendance,
par exemple en les privant de loisirs, pourtant fondamentaux pour prévenir la démence ».
Concluant la journée, le Dr Michèle Muhlmann-Weill, vice-présidente du CFMT, s’est félicitée
que celle-ci ait contribué à dissiper des fausses certitudes et se soit recentrée sur les vraies
priorités. Elle a rappelé que « les personnes âgées adorent la vie » et qu’aucun critère ne
justifie leur exclusion de la conduite. Pour elle, « les personnes âgées veulent continuer à
conduire, afin de rester des personnes, et non pas devenir personne ».
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