Septembre-Octobre 2000 • 29
La demande de lieux de culte
Un constat
Pendant longtemps, la pratique religieuse
des musulmans est restée « entre paren-
thèses ». La fixation puis l’enracinement des
musulmans dans notre pays a conduit à une
demande de pratique normale et régulière.
Actuellement, le nombre de lieux de culte,
même si ce nombre est en croissance, ne per-
met une pratique régulière publique qu’à un
petit pourcentage de musulmans.
L’origine des demandes provient des asso-
ciations locales soucieuses d’organiser la
transmission de la foi aux jeunes, des re-
groupements par origine géographique
(Marocains, Turcs, Algériens, Africains,
etc.), des associations plus vastes visant à
« réislamiser » les milieux désislamisés,
comme le Tabligh, des confréries de piété
dorigine africaine (mourides) ou autre
(Alaouiya).
Difficultés :
Légalement aucune : toute liberté pour
former une association de type 1901 ou
1905 et louer ou construire un local. Le
ministère de lIntérieur encourage même
les collectivités locales à proposer des baux
emphytéotiques [NDLR : droit réel de jouis-
sance sur le bien-fonds dautrui, accordé
par un bail de longue durée moyennant
paiement dune redevance modique] aux
communautés musulmanes gênées financiè-
rement (à terme, les lieux de culte musul-
man seraient ainsi intégrés dans le statut
commun défini par la loi de 1905).
Pratiquement beaucoup :
Les autorités locales usent parfois de leur
droit de préemption pour empêcher achats ou
locations, pour ne pas perdre des électeurs.
La population est souvent affolée par lamal-
game que lon fait couramment entre «pratique
religieuse », «intégrisme » et «terrorisme ».
Une des vingt fiches pastorales (voir encadré
p. 12) préparées par le Secrétariat pour les
relations avec l’islam (SRI) traite explicitement
des demandes de lieux de cultes faites par les
communautés musulmanes en France.
Nous présentons l’essentiel de cette fiche
(Fiche IV) avec l’intégralité de la Déclaration
des représentants des cultes reconnus d’Alsace
et de Moselle à l’égard de la construction
d’une mosquée centrale à Strasbourg.
Aujourd’hui, seulement un petit pourcentage des
musulmans vivant en France ont la possibilité de
pratiquer leur foi publiquement et de manière régulière.
Conscientes de cette réalité et soucieuses de garantir
la transmission de la foi aux jeunes, de nombreuses
associations musulmanes demandent des lieux de culte.
En principe ces demandes, conformes à la loi,
ne devraient pas poser de problèmes, mais elles
rencontrent très souvent beaucoup de résistance.
Tout en reconnaissant la nécessité d’étudier le sens
de chacune de ces demandes, l’Église reconnaît que
le droit à la liberté religieuse s’applique aux croyants
de toutes les religions et comprend le droit à la
profession de foi publique. (La fiche se termine par une
liste détaillée d’orientations qui expriment comment
l’Église peut se situer par rapport aux demandes.)
Cette fiche donne les éléments nécessaires à une
réflexion sur la question évoquée par les évêques dans
leur document fondamental sur le dialogue avec lislam
(voir plus haut p. 14, le paragraphe intitulé « Dans
lespace social »). Le texte des représentants des cultes
reconnus dAlsace et de Moselle montre comment des
croyants non musulmans peuvent accueillir la demande
dun lieu de culte faite par des communautés
musulmanes.
L’ensemble des fiches pastorales a été publié dans Documents
épiscopat, n°6-7, avril 1999 (prix : 35 FF). La Déclaration des
représentants des cultes reconnus dAlsace et de Moselle a été
publiée dans le Bulletin dinformation protestante du 3 juin 1998.
Voir aussi DC, 1998, n°2187, p. 746.
RÉSUMÉ
PERSPECTIVES
FICHE DE LECTURE
La mosquée : lieu
de culte des musulmans
Selon le Ministère de lIntérieur, il existe en France
1 536 mosquées et salles de prière :
13 lieux de culte accueillent plus de 1 000 fidèles
(six dentre elles les « Grandes Mosquées » ont
été construites spécialement à cette fin : à Évry
[Essone], Lyon, Mantes-la-Jolie [Yvelines], Montpellier,
Paris et St-Denis à la Réunion; les sept autres
« mosquées » ont été aménagées dans un site existant :
à Lille, Marseille, Paris [2], Roubaix et Strasbourg [2]);
34 lieux de culte accueillent de 500 à 1 000
fidèles;
300 lieux de culte accueillent de 150 à 500 fidèles;
Plus des 2/3 des lieux de cultes accueillent moins
de 150 fidèles.
Le Monde, dans son édition du 24 mai 2000, a publié une carte exhausti-
ve de ces 1 536 lieux de culte musulman avec une explication du cadre ju-
ridique de ces implantations et un commentaire sur les projets de
construction de deux grandes mosquées à Strasbourg.
LIEUX DE CULTE MUSULMAN EN FRANCE
30 Questions actuelles
Certains groupements organisent des cam-
pagnes pour empêcher la construction de
mosquées au nom de la préservation de la
culture et de lidentité française.
Privés de lieux de culte convenables, beau-
coup de musulmans se sentent refoulés dans
une pratique semi clandestine, un «islam
des caves ».
Des questions
Quelle est la nature des lieux de culte?
Lieux de prière? Lieux de rencontre de la
communauté? Lieux de formation doctrinale?
Lieux de conscientisation politique?
Sinterroger sur la qualité des demandeurs :
à quelle association, à quel courant appartien-
nent-ils? Sont-ils représentatifs de la popula-
tion musulmane locale ou seulement dun
segment de celle-ci? Cependant, étant sauf
lordre public, chaque courant na-t-il pas le
droit de se donner un lieu de culte?
Quel est le projet? Grande ou petite mos-
quée? Simple lieu de culte ou centre culturel
avec dispensaire, librairie, école coranique, etc.
Comment gérer la symbolique de la mos-
quée dans lespace public ? Quel avenir
voulons-nous construire ? Le lieu de culte
sera-t-il le symbole dun accueil amical ou
celui dune «victoire à larraché» remportée
par lislam sur une population hostile?
Des convictions
Il faut savoir que, même si la pratique reli-
gieuse pour lislam ne recouvre pas exacte-
ment le sens quelle a pour un chrétien, elle
garde un caractère dobligation (en particulier
la prière du vendredi).
Le droit à la liberté religieuse s’étend non
seulement à ladhésion privée, mais aussi à la
profession de foi publique. Ce droit, l’Église
le reconnaît aussi pour les autres croyants,
même si les mentalités ont encore beaucoup
à évoluer dans ce domaine.
Des orientations
Importance de lenjeu pour la crédibilité de
l’Église : être capable de défendre le droit de
lautre, même quand elle nen tire pas profit.
Aider la communauté chrétienne à com-
prendre que la présence dune autre religion
nest pas une offense à Dieu et que toute reli-
gion a le droit de sorganiser étant sauf le res-
pect de lordre républicain.
Éviter de déclencher une guerre des sym-
boles (clocher contre minaret). Notamment ne
pas transformer une église inutilisée en mos-
quée car on touche à une symbolique identi-
taire dont le retentissement nous échappe :
blessure à lidentité locale «chrétienne » ou
non, perspective dun islam dont la vocation
serait de remplacer le christianisme à plus ou
moins long terme. Même le prêt provisoire
dune salle ou dune édifice nest pas sans
conséquences négatives possibles. Dans lhy-
pothèse dun accord, certaines garanties sont
nécessaires. Dans tous les cas, consulter
l’évêque du lieu.
Possibilité dutiliser cette demande de lieux
de culte pour organiser des rencontres entre
communautés musulmane et chrétienne afin
de mieux comprendre les demandeurs, leurs
buts et leurs plans, et offrir des suggestions
pour une meilleure intégration «dans le pay-
sage » (minaret ou non, etc).
Ne pas oublier que limam est rémunéré
par une association dont le président est le vé-
ritable représentant de la communauté locale.
En solidarité avec les communautés chré-
tiennes qui vivent en pays majoritairement
musulman, amorcer une dynamique de la
réciprocitépositive en précisant bien quil
ne sagit pas de monnaie d’échange, mais de
droits de lhomme.
7. Une telle mosquée devrait s’établir en un
lieu visible et facile daccès. Il ne serait cepen-
dant pas souhaitable quelle soit pour autant si-
tuée en un endroit dont la charge symbolique
pourrait être associée à une seule religion au
détriment du nécessaire pluralisme.
8. Dans lesprit de notre propre recherche
dunité, nous souhaitons que la réalisation
dune mosquée centrale puisse permettre aux
différentes composantes de lislam présentes
à Strasbourg de se rapprocher encore davan-
tage les unes des autres.
9. Nous espérons quune telle réalisation
puisse contribuer pour sa part à lintégration
culturelle et politique, dans notre société, des
musulmans qui vivent parmi nous.
10. Lavancée dans cette direction présup-
pose : du côté musulman, le respect des lois
de la République et le refus de toute ingé-
rence étrangère, du côté de nos communau-
tés, la volonté daccueillir et de dialoguer.
Une mosquée pour Strasbourg
Déclaration des représentants des
cultes reconnus d’Alsace et de
Moselle (•)
1. Notre attention a été attirée depuis un
certain temps déjà sur la situation de lislam
dans notre région. Notre avis est sollicité sur
le projet de construction dune mosquée cen-
trale à Strasbourg.
2. Comme dautres religions, lislam
témoigne de laspiration humaine à la trans-
cendance et de laffirmation de la foi, telle
quelle sexprime à travers la tradition cora-
nique. Sans occulter les différences qui
séparent le judaïsme et le christianisme de
lislam, certaines racines communes nous
rapprochent de lui, en particulier laffirma-
tion du Dieu unique et transcendant et
la place dAbraham, père des croyants. Nous
reconnaissons là le fondement de notre
solidarité avec les croyants musulmans
qui cherchent à vivre leur foi au sein de
notre société.
3. Lexistence de locaux cultuels adéquats
est, de surcroît, une question de justice et de
dignité: il est légitime que des croyants qui
veulent se rassembler pour vivre leur religion
puissent le faire.
4. Dans cette perspective, nous souhaitons
vivement que les diverses communautés mu-
sulmanes de Strasbourg puissent disposer,
dans leurs quartiers, de lieux de culte adaptés
à leurs besoins, et puissent rencontrer lappui
nécessaire pour améliorer ceux qui existent
déjà ou en construire de nouveaux.
5. Étant donné limportance dune mos-
quée centrale dans la tradition musulmane,
et le souci légitime de visibilité des nom-
breux musulmans vivant à Strasbourg, la
présence dune telle mosquée nous paraît
justifiée.
6. Sans méconnaître le lien existant, dans
toutes les religions dailleurs, entre le culte et
la culture, nous estimons que cette mosquée
centrale devrait avoir en priorité une destina-
tion cultuelle. Elle serait avant tout un lieu de
prière et dinstruction religieuse pour les
fidèles. Les locaux pourraient toutefois être
aménagés de telle manière quils puissent
aussi servir à la transmission de la culture et
de la pensée musulmanes.
() Ce texte a
été signé par
Mgr Joseph Doré,
Archevêque de
Strasbourg,
M. René Gutmann,
Grand Rabin
du Bas-Rhin,
Professeur Marc
Lienhard,
Président
du Directoire
de l’Église de
la Confession
dAugsbourg
dAlsace et de
Lorraine, Pasteur
Antoine Pfeiffer,
Président du
Conseil synodal
de l’Église
réformée dAlsace
et de Lorraine.
Nous espérons qu’une telle
réalisation puisse contribuer
pour sa part à l’intégration
culturelle et politique, dans
notre société, des musulmans
qui vivent parmi nous.
Septembre-Octobre 2000 31
Voici quelques lectures suggérées dans la fiche
proposée par le SRI :
La Déclaration du Concile Vatican II sur La liberté
religieuse, 1965;
Le Message du Pape Jean-Paul II pour la célébration
de la Journée mondiale de la paix en 1989;
La France et lIslam, Bruno Étienne, Hachette, 1989,
p. 94-100;
Être musulman en France : Associations, militants,
mosquées, Jocelyne Cesari, Éditions Karthala, 1994
(chapitre IV à VIII : « De lislam des catacombes aux
mosquées cathédrales »);
Charte du culte musulman en France, Mosquée de
Paris, Éditions du Rocher, 1995;
« Les degrés du Minbar », par Michel Reeber, in Se
Comprendre, n°99/05, mai 1999 ou Migrations et
Société, vol. 4, n°21, p. 31-44.
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