FICHE DE LECTURE La mosquée : lieu de culte des musulmans U ne des vingt fiches pastorales (voir encadré p. 12) préparées par le Secrétariat pour les relations avec l’islam (SRI) traite explicitement des demandes de lieux de cultes faites par les communautés musulmanes en France. Nous présentons l’essentiel de cette fiche (Fiche IV) avec l’intégralité de la Déclaration des représentants des cultes reconnus d’Alsace et de Moselle à l’égard de la construction d’une mosquée centrale à Strasbourg. RÉSUMÉ A ujourd’hui, seulement un petit pourcentage des musulmans vivant en France ont la possibilité de pratiquer leur foi publiquement et de manière régulière. Conscientes de cette réalité et soucieuses de garantir la transmission de la foi aux jeunes, de nombreuses associations musulmanes demandent des lieux de culte. En principe ces demandes, conformes à la loi, ne devraient pas poser de problèmes, mais elles rencontrent très souvent beaucoup de résistance. Tout en reconnaissant la nécessité d’étudier le sens de chacune de ces demandes, l’Église reconnaît que le droit à la liberté religieuse s’applique aux croyants de toutes les religions et comprend le droit à la profession de foi publique. (La fiche se termine par une liste détaillée d’orientations qui expriment comment l’Église peut se situer par rapport aux demandes.) PERSPECTIVES C ette fiche donne les éléments nécessaires à une réflexion sur la question évoquée par les évêques dans leur document fondamental sur le dialogue avec l’islam (voir plus haut p. 14, le paragraphe intitulé « Dans l’espace social »). Le texte des représentants des cultes reconnus d’Alsace et de Moselle montre comment des croyants non musulmans peuvent accueillir la demande d’un lieu de culte faite par des communautés musulmanes. L’ensemble des fiches pastorales a été publié dans Documents épiscopat, n° 6-7, avril 1999 (prix : 35 FF). La Déclaration des représentants des cultes reconnus d’Alsace et de Moselle a été publiée dans le Bulletin d’information protestante du 3 juin 1998. Voir aussi DC, 1998, n° 2187, p. 746. La demande de lieux de culte Un constat Pendant longtemps, la pratique religieuse des musulmans est restée « entre parenthèses ». La fixation puis l’enracinement des musulmans dans notre pays a conduit à une demande de pratique normale et régulière. Actuellement, le nombre de lieux de culte, même si ce nombre est en croissance, ne permet une pratique régulière publique qu’à un petit pourcentage de musulmans. L’origine des demandes provient des associations locales soucieuses d’organiser la transmission de la foi aux jeunes, des regroupements par origine géographique (Marocains, Turcs, Algériens, Africains, etc.), des associations plus vastes visant à « réislamiser » les milieux désislamisés, comme le Tabligh, des confréries de piété d’origine africaine (mourides) ou autre (Alaouiya). Difficultés : Légalement aucune : toute liberté pour former une association de type 1901 ou 1905 et louer ou construire un local. Le ministère de l’Intérieur encourage même les collectivités locales à proposer des baux emphytéotiques [NDLR : droit réel de jouissance sur le bien-fonds d’autrui, accordé par un bail de longue durée moyennant paiement d’une redevance modique] aux communautés musulmanes gênées financièrement (à terme, les lieux de culte musulman seraient ainsi intégrés dans le statut commun défini par la loi de 1905). Pratiquement beaucoup : – Les autorités locales usent parfois de leur droit de préemption pour empêcher achats ou locations, pour ne pas perdre des électeurs. – La population est souvent affolée par l’amalgame que l’on fait couramment entre « pratique religieuse », « intégrisme » et « terrorisme ». Septembre-Octobre 2000 • 29 – Certains groupements organisent des campagnes pour empêcher la construction de mosquées au nom de la préservation de la culture et de l’identité française. Privés de lieux de culte convenables, beaucoup de musulmans se sentent refoulés dans une pratique semi clandestine, un « islam des caves ». Des questions Quelle est la nature des lieux de culte ? Lieux de prière ? Lieux de rencontre de la communauté ? Lieux de formation doctrinale ? Lieux de conscientisation politique ? S’interroger sur la qualité des demandeurs : à quelle association, à quel courant appartiennent-ils ? Sont-ils représentatifs de la population musulmane locale ou seulement d’un segment de celle-ci ? Cependant, étant sauf l’ordre public, chaque courant n’a-t-il pas le droit de se donner un lieu de culte ? Quel est le projet ? Grande ou petite mosquée ? Simple lieu de culte ou centre culturel avec dispensaire, librairie, école coranique, etc. Comment gérer la symbolique de la mosquée dans l’espace public ? Quel avenir voulons-nous construire ? Le lieu de culte sera-t-il le symbole d’un accueil amical ou celui d’une « victoire à l’arraché » remportée par l’islam sur une population hostile ? LIEUX DE CULTE MUSULMAN EN FRANCE Selon le Ministère de l’Intérieur, il existe en France 1 536 mosquées et salles de prière : – 13 lieux de culte accueillent plus de 1 000 fidèles (six d’entre elles – les « Grandes Mosquées » – ont été construites spécialement à cette fin : à Évry [Essone], Lyon, Mantes-la-Jolie [Yvelines], Montpellier, Paris et St-Denis à la Réunion ; les sept autres « mosquées » ont été aménagées dans un site existant : à Lille, Marseille, Paris [2], Roubaix et Strasbourg [2]) ; – 34 lieux de culte accueillent de 500 à 1 000 fidèles ; – 300 lieux de culte accueillent de 150 à 500 fidèles ; – Plus des 2/3 des lieux de cultes accueillent moins de 150 fidèles. Le Monde, dans son édition du 24 mai 2000, a publié une carte exhaustive de ces 1 536 lieux de culte musulman avec une explication du cadre juridique de ces implantations et un commentaire sur les projets de construction de deux grandes mosquées à Strasbourg. 30 • Questions actuelles Des convictions Il faut savoir que, même si la pratique religieuse pour l’islam ne recouvre pas exactement le sens qu’elle a pour un chrétien, elle garde un caractère d’obligation (en particulier la prière du vendredi). Le droit à la liberté religieuse s’étend non seulement à l’adhésion privée, mais aussi à la profession de foi publique. Ce droit, l’Église le reconnaît aussi pour les autres croyants, même si les mentalités ont encore beaucoup à évoluer dans ce domaine. Des orientations Importance de l’enjeu pour la crédibilité de l’Église : être capable de défendre le droit de l’autre, même quand elle n’en tire pas profit. Aider la communauté chrétienne à comprendre que la présence d’une autre religion n’est pas une offense à Dieu et que toute religion a le droit de s’organiser étant sauf le respect de l’ordre républicain. Éviter de déclencher une guerre des symboles (clocher contre minaret). Notamment ne pas transformer une église inutilisée en mosquée car on touche à une symbolique identitaire dont le retentissement nous échappe : blessure à l’identité locale « chrétienne » ou non, perspective d’un islam dont la vocation serait de remplacer le christianisme à plus ou moins long terme. Même le prêt provisoire d’une salle ou d’une édifice n’est pas sans conséquences négatives possibles. Dans l’hypothèse d’un accord, certaines garanties sont nécessaires. Dans tous les cas, consulter l’évêque du lieu. Possibilité d’utiliser cette demande de lieux de culte pour organiser des rencontres entre communautés musulmane et chrétienne afin de mieux comprendre les demandeurs, leurs buts et leurs plans, et offrir des suggestions pour une meilleure intégration « dans le paysage » (minaret ou non, etc). Ne pas oublier que l’imam est rémunéré par une association dont le président est le véritable représentant de la communauté locale. En solidarité avec les communautés chrétiennes qui vivent en pays majoritairement musulman, amorcer une dynamique de la réciprocité positive en précisant bien qu’il ne s’agit pas de monnaie d’échange, mais de droits de l’homme. ■ Déclaration des représentants des cultes reconnus d’Alsace et de Moselle (•) 1. Notre attention a été attirée depuis un certain temps déjà sur la situation de l’islam dans notre région. Notre avis est sollicité sur le projet de construction d’une mosquée centrale à Strasbourg. 2. Comme d’autres religions, l’islam témoigne de l’aspiration humaine à la transcendance et de l’affirmation de la foi, telle qu’elle s’exprime à travers la tradition coranique. Sans occulter les différences qui séparent le judaïsme et le christianisme de l’islam, certaines racines communes nous rapprochent de lui, en particulier l’affirmation du Dieu unique et transcendant et la place d’Abraham, père des croyants. Nous reconnaissons là le fondement de notre solidarité avec les croyants musulmans qui cherchent à vivre leur foi au sein de notre société. 3. L’existence de locaux cultuels adéquats est, de surcroît, une question de justice et de dignité : il est légitime que des croyants qui veulent se rassembler pour vivre leur religion puissent le faire. 4. Dans cette perspective, nous souhaitons vivement que les diverses communautés musulmanes de Strasbourg puissent disposer, dans leurs quartiers, de lieux de culte adaptés à leurs besoins, et puissent rencontrer l’appui nécessaire pour améliorer ceux qui existent déjà ou en construire de nouveaux. 5. Étant donné l’importance d’une mosquée centrale dans la tradition musulmane, et le souci légitime de visibilité des nombreux musulmans vivant à Strasbourg, la présence d’une telle mosquée nous paraît justifiée. 6. Sans méconnaître le lien existant, dans toutes les religions d’ailleurs, entre le culte et la culture, nous estimons que cette mosquée centrale devrait avoir en priorité une destination cultuelle. Elle serait avant tout un lieu de prière et d’instruction religieuse pour les fidèles. Les locaux pourraient toutefois être aménagés de telle manière qu’ils puissent aussi servir à la transmission de la culture et de la pensée musulmanes. Nous espérons qu’une telle réalisation puisse contribuer pour sa part à l’intégration culturelle et politique, dans notre société, des musulmans qui vivent parmi nous. 7. Une telle mosquée devrait s’établir en un lieu visible et facile d’accès. Il ne serait cependant pas souhaitable qu’elle soit pour autant située en un endroit dont la charge symbolique pourrait être associée à une seule religion au détriment du nécessaire pluralisme. 8. Dans l’esprit de notre propre recherche d’unité, nous souhaitons que la réalisation d’une mosquée centrale puisse permettre aux différentes composantes de l’islam présentes à Strasbourg de se rapprocher encore davantage les unes des autres. 9. Nous espérons qu’une telle réalisation puisse contribuer pour sa part à l’intégration culturelle et politique, dans notre société, des musulmans qui vivent parmi nous. 10. L’avancée dans cette direction présuppose : – du côté musulman, le respect des lois de la République et le refus de toute ingérence étrangère, – du côté de nos communautés, la volonté d’accueillir et de dialoguer. ■ P O U R A L L E R P L U S LO I N Une mosquée pour Strasbourg (•) Ce texte a été signé par Mgr Joseph Doré, Archevêque de Strasbourg, M. René Gutmann, Grand Rabin du Bas-Rhin, Professeur Marc Lienhard, Président du Directoire de l’Église de la Confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine, Pasteur Antoine Pfeiffer, Président du Conseil synodal de l’Église réformée d’Alsace et de Lorraine. Voici quelques lectures suggérées dans la fiche proposée par le SRI : • La Déclaration du Concile Vatican II sur La liberté religieuse, 1965 ; • Le Message du Pape Jean-Paul II pour la célébration de la Journée mondiale de la paix en 1989 ; • La France et l’Islam, Bruno Étienne, Hachette, 1989, p. 94-100 ; • Être musulman en France : Associations, militants, mosquées, Jocelyne Cesari, Éditions Karthala, 1994 (chapitre IV à VIII : « De l’islam des catacombes aux mosquées cathédrales ») ; • Charte du culte musulman en France, Mosquée de Paris, Éditions du Rocher, 1995 ; • « Les degrés du Minbar », par Michel Reeber, in Se Comprendre, n° 99/05, mai 1999 ou Migrations et Société, vol. 4, n° 21, p. 31-44. Septembre-Octobre 2000 • 31