Addictions n° 10, juin 2005

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Dossier
Vulnérabilité génétique et conduites d’addiction
L’alcool est-il inscr
Par Mathias Wohl (*, **), DES, Philip Gorwood (*, **), PU-PH.
C’est de famille,
entend-on souvent à
propos d’un cas
d’alcoolisme réputé
inéluctable. La fatalité
serait-elle inscrite dans
les gènes ?
Encore faut-il préciser
la nature des éléments
transmis.
L
’hétérogénéité
des manifestations de l’alcoolo-dépendance
constitue à la fois
un obstacle et une richesse
dans la recherche de ses
déterminants. L'épidémiologie génétique, comme la biologie moléculaire, offrent des
chances de repérer des facteurs susceptibles d'expliquer
en partie cette pathologie
complexe.
Epidémiologie
génétique
de l’alcoolisme
Les études familiales ont
permis de repérer l’existence
d’une composante génétique
dans l’alcoolisme : si la pré* C.H.U Louis Mourier, service
de psychiatrie du Professeur
Adès, 178 rue des Renouillers,
92701 Colombes Cedex.
** INSERM U675, 16 rue Henri
Huchard 75018 Paris.
valence de l'alcoolisme
est évaluée dans une
fourchette de 2% à 5 %
en population générale,
dans la fratrie d'un
malade alcoolique elle
atteint des niveaux
situés entre 10% et 50 %.
Cette implication familiale est d’autant plus
forte que le degré de
proximité familiale est
important, et concerne
essentiellement les
sujets masculins.
Les études de jumeaux, qui
comparent les "vrais"
jumeaux (monozygotes, disposant du même patrimoine
génétique) et les "faux" (dizygotes, n’ayant en commun
que la moitié de leurs gènes)
mettent aussi en évidence une
influence des gènes, significative mais partielle, dans les
modalités de consommation
d’alcool. Une dizaine de ces
études montrent un taux
moyen de concordance pour
l’alcoolisme de 50% chez les
jumeaux monozygotes et de
35% chez les dizygotes.
Quant aux études d'adoption
(enfants d’alcooliques adoptés
par des parents en principe
non alcooliques), elles complètent et confirment ces données
et concluent à la priorité des
facteurs génétiques par rapport
aux facteurs d’éducation.
Tous ces arguments plaident
en faveur d’une transmission
au moins partiellement génétique de la vulnérabilité à l’al-
coolo-dépendance, mais ne
permettent qu’une estimation
indirecte du poids des facteurs
génétiques impliqués (entre
30% et 60%).
Type 1, type 2
Est-il possible, dans une
population porteuse d’un
marqueur d’alcoolodépendance, ou présentant des
traits cliniques caractéristiques, de repérer des sujets
plus "génétiquement déterminés", chez lesquels les facteurs génétiques seraient plus
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Addictions
importants (ou plus simples à
révéler) ? Encore faut-il préciser la nature des éléments
transmis : incapacité à résister
à l’envie de boire, traits de
caractère particuliers, résistance exceptionnelle aux
effets de l’alcool…
Certaines manifestations cliniques laissent supposer une
composante génétique de la
maladie alcoolique. Ainsi,
l’héritabilité génétique apparaît plus élevée dans les cas
de conduites alcooliques
ayant commencé précocement (avant 20 ans ou 25 ans),
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crit dans les gène s ?
Interview
Philip Gorwood
C.H.U. Louis Mourier, service de psychiatrie (Pr Adès), INSERM U 675
Etudes
familiales,
études de
jumeaux et
études
d’adoption
révèlent
certaines
transmissions
génétiques
et quand les modalités de
consommation restent stables
au cours du temps. Pour Cloninger, un psychiatre américain, ce n'est pas l'alcoolisme
en tant que tel qui est transmis, mais plutôt un type particulier de consommation
(début précoce et abus sévère), auquel certains facteurs
(sexe masculin, conduite antisociale) sont associés. Il distingue ainsi deux sous-types
d'alcoolisme.
● Le type I, ou abus "dépendant du milieu", qui existe
chez l'homme et chez la
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Lors de vos recherches,
vous situez-vous plutôt
comme généticien ou
comme alcoologue ?
La recherche en
psychiatrie génétique est
clairement à l'interface
de la clinique (quel est le
trouble considéré, c'està-dire le phénotype) et
de la génétique (qu'est-ce
qui est transmis, c'est-àdire le génotype). C'est
d'ailleurs ce qui fait
toute la richesse de cette
approche qui se nourrit
de la diversité de la
clinique (chaque patient
venant mettre à mal
toute classification
globaliste) et se
confronte à la rigueur de
la génétique (chaque
polymorphisme devant
être analysé dans son
implication sur un trait
et un seul).
La recherche en
génétique peut-elle
avoir un impact sur la
clinique en alcoologie ?
Les deux approches sont
effectivement très
intriquées. Du fait de
mes recherches en
génétique, j'ai été
sollicité à plusieurs
reprises par des patients.
L’un d’eux par exemple
m’a expliqué qu'il était
Addictions
alcoolo-dépendant et
que son père, son frère et
son grand-père paternel
étaient ou avaient été
aussi dépendants. Sa
demande portait sur le
risque qui pesait sur ses
enfants à venir. Fallait-il
le rassurer à tout prix en
lui disant : "C'est vous
qui faites votre vie", "rien
n'est inéluctable", "les
connaissances en
recherche sont trop
insuffisantes pour
pouvoir faire un
pronostic". .. ? Toutes ces
réponses sont exactes,
mais on passe à côté de
l'essentiel. A partir du
moment on l'on décide
de consulter, cela vaut
largement le coup (je
trouve) de parler
vraiment de génétique.
Oui, il existe bien une
vulnérabilité génétique,
oui ses enfants seront
plus à risque que
d'autres, oui la
concentration familiale
témoigne d'une
vulnérabilité plus
importante. Bien sûr, ces
réalités risquent de
réveiller des fantasmes et
de susciter l'angoisse du
sujet, il reste donc à faire
l'essentiel, reprendre
différents concepts clés
avec le patient : (1) la
vulnérabilité génétique
(être vulnérable n'est pas
être malade), (2) la
génétique des
pathologies
polyfactorielles (la
génétique n'explique
qu'une part de ce qui est
en jeu, l'éducation, la vie
menée font grandement
varier ce risque), (3) la
pénétrance incomplète
(même les vrais jumeaux
de sujets malades ne
sont pas tous atteints),
(4) l'augmentation du
risque familial (avoir
trois fois plus de risque
que la population
générale [3 x 5%] laisse
une majorité de chances
de ne rien avoir [15%
<50%], …Avec ce type
d’explications, la
relation avec le patient
devient ainsi plus
partenaire, moins
infantilisante.
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Dossier
Vulnérabilité génétique et conduites d’addiction
Hyperactivité,
troubles de conduite
Les facteurs héréditaires pourraient aussi se manifester
dans les liens existant entre
l'alcoolo-dépendance et
d'autres pathologies psychiatriques. Une comorbidité spécifique est souvent repérée
chez les alcooliques adultes,
en l’occurrence le déficit
attentionnel avec hyperactivité, trouble particulier du comportement apparaissant dès
l’enfance. Une étude récente
s’est intéressée à 220 sujets
suivis pendant une vingtaine
d'années. Elle a permis de
Une forte comorbidité alcoolisme-toxicomanie.
montrer que l'hyperactivité
augmentait de 8 fois le risque
de trouble de conduite. La
présence d'un trouble de
conduite amène très souvent,
quant à elle, à l'accomplissement d'actes illégaux (vols,
fugues ou brutalités) (risque
multiplié par 12). Actes illégaux apparaissant précocement qui sont à leur tour asso-
❝Le déficit
attentionnel
avec
hyperactivité,
un trouble qui
apparaît dès
l’enfance.
❝
femme, et se caractérise par
un abus peu sévère, un début
à l’âge adulte, sans histoire de
criminalité chez les parents
biologiques.
● Le type II, ou abus "dépendant du sexe", qui à l’inverse
se caractérise par un début
dans l'enfance, un abus sévère, un fort taux de criminalité
chez les parents biologiques et
une forte composante génétique, les facteurs postnataux
jouant un rôle minime.
Pour Cloninger , ces sousgroupes ont hérité de mécanismes neuroadaptatifs qui se
reflètent dans leur comportements. Ainsi, le type II se distingue par une forte recherche
de nouveauté, peu d'évitement de la douleur, et une
faible dépendance à la récompense. Par exemple, ces sujets
sont peu capables de différer
un comportement (prise de
boisson) lors d'une situation
de stress, personnelle, familiale ou sociale.
Le coefficient d'héritabilité de
la conduite alcoolique, situé
entre 21 et 88%, varierait ainsi
en fonction du type, I ou II,
auquel le malade se rattache.
ciés à un risque accru (13 fois
plus élevé) de personnalité
psychopathique à l'âge adulte.
Enfin, la personnalité psychopathique est chez l'adulte le
trouble le plus fortement
associé à un risque de dépendance, qu’elle augmente de 21
fois. Cet enchaînement :
hyperactivité de l'enfance trouble des conduites - comportements délictueux - personnalité psychopathique développement d'une dépendance, s’il n’est pas inéluctable, est suffisamment observé pour offrir des pistes de
recherche intéressantes dans
la compréhension des mécanismes impliqués dans la
dépendance.
Les études de jumeaux ont
également permis d’identifier
des facteurs génétiques communs entre hyperactivité et
trouble des conduites (87%),
et entre trouble des conduites
et dépendance à l’alcool (71 à
76%). Certaines caractéristiques cognitives spécifiques à
ces troubles prémorbides,
elles-mêmes probablement
génétiques, pourraient soustendre cette vulnérabilité
commune.
Alcoolisme
et toxicomanie
Il existe par ailleurs une
convergence d’éléments laissant supposer un déterminisme génétique des dépendances, indépendamment de
la nature de la substance
consommée, que confirme la
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Addictions
forte comorbidité alcoolismetoxicomanie, révélée tant par
les études familiales sur la
toxicomanie que les études
d’adoption, qui ont montré
que les parents biologiques
d’enfants toxicomanes sont
plus souvent dépendants que
les parents adoptifs, et ce quel
que soit le toxique.
Les recherches sur les lignées
de rat et de souris confortent
ces données. Par croisement
de lignées, on peut obtenir
des souris et des rats " préférant l'alcool " (contrairement
à la plupart de leurs congénères), capables d’absorber en
alcool jusqu'à 30 % de leur
consommation hydrique quotidienne. Or la préférence
pour l'alcool d’une lignée est
fréquemment corrélée à une
forte consommation de dérivés opiacés et de cocaïne,
révélant une préférence croisée des rongeurs aux différents psychotropes.
Des gènes
de vulnérabilité à
l’alcoolo-dépendance
De nombreux marqueurs
génétiques ont été testés dans
la maladie alcoolique. Ils
concernent principalement
les gènes correspondant aux
récepteurs de certains neuromédiateurs (voir encadré) :
sérotonine, dopamine, GABA en
particulier, impliqués dans les
phénomènes d’appétence, de
dépendance et de tolérance.
➜Dopamine
Les récepteurs qui ont fait
l’objet du plus grand nombre
de recherches dans le domaine de l’alcoolisme sont ceux
de la dopamine, en particulier
son récepteur D2. La dopamine est le neuromodulateur qui
ancre la sensation de récom-
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pense potentielle pour les stimuli environnementaux (tels
l'alimentation, les rapports
sexuels…). On l'a souvent intitulée (à tort) la molécule du
plaisir, alors qu'en fait elle ne
fait que signaler (au sens
propre) de manière anticipatoire l'arrivée d'une récompense à venir. L'alcool a la
particularité de faire se libérer
directement de la dopamine.
L'ensemble des études castémoins portant sur plus de
1300 malades et 1 300 témoins
montrent une association
significative entre l'allèle A1 du
récepteur D2 et l'alcoolisme.
Le risque relatif d'alcoolisme
est trois fois plus élevé pour les
porteurs de cet allèle A1. Il est
vraisemblable que l'allèle A1
joue un rôle dans plusieurs
pathologies évoquant l’alcoolo-dépendance, dans la mesure où il est retrouvé dans les
toxicomanies comorbides.
De nombreuses données suggèrent par ailleurs l’implication du gène du récepteur D2
de la dopamine dans les systèmes de récompense et la
vulnérabilité aux addictions. A
petites doses, l'éthanol a un
effet excitant sur les neurones
dopaminergiques de l'aire tegmentale ventrale (région du
cerveau associée au plaisir),
générant ainsi une "récompense pharmacologique" qui
renforce à son tour un comportement de recherche d'alcool. Noble et al. (1991) a
montré que l’allèle A1 est
fortement associé à une hyposensibilité (baisse de l’affinité)
des récepteurs D2 à la dopamine. Les sujets souffrant d’alcoolo-dépendance seraient
donc particulièrement peu
sensibles aux effets de récompense liés à la dopamine, en
partie du fait de leur consommation d’alcool, et en partie du
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De nombreux marqueurs génétiques ont été testés dans la
maladie alcoolique.
fait de l’existence dans leur
génome de l’allèle A1 du D2.
Ces données sont compatibles avec une étude de
cohorte portant sur des
enfants à haut risque d’alcoolisme qui montre que le facteur le plus prédisposant est
leur tolérance initiale à l’alcool, aptitude qui, en termes
biologiques, se traduit par
une hyposensibilité des
récepteurs D2.
Par ailleurs, des données
convergentes suggèrent le rôle
d’un gène de la dopamine
dans les accidents de sevrage
d’alcool (crises convulsives de
sevrage et de delirium tremens). Ce qui tendrait à montrer que indépendamment du
phénomène de la dépendance
à l’alcool, certains facteurs
génétiques peuvent aussi augmenter les complications liées à
la maladie.
➜ Sérotonine
Autre neuromédiateur clef
dans la régulation des comportements, la sérotonine,
impliquée dans l’impulsivité
et les passages à l’acte violents. Un grand nombre d’ar-
guments plaident en faveur
du rôle significatif de la sérotonine, son recaptage et son
transport, dans la préférence
pour l’alcool. Son gène pourrait être plus spécifiquement
associé à certains sous-types
de l’alcoolo-dépendance , un
de ses allèles étant lié à la
sévérité et au nombre de tentatives de suicide dans des
populations d’alcooliques.
➜ GABA
L'anxiété, et parfois les
convulsions, observées au
cours du sevrage pourraient
être expliquées quant à elles par
l'action de l'éthanol sur le
récepteur GABAA. L’alcool facilite en effet la fixation du GABA
sur son récepteur, empêchant
la propagation normale des
informations dans le réseau
neuronal. En recherche animale, on a montré que l’aversion à
l’éthanol, comme l’impact de
l’alcool sur la coordination
motrice et l’induction de sommeil variait d’une lignée de rats
à l’autre en fonction de leur
génotype pour une sous-unité
du récepteur GABAA. Cette
sous-unité a particulièrement
retenu l’attention depuis
qu'une étude réalisée chez des
Indiens d’Amérique (très touchés par l’alcoolo-dépendance)
a montré qu’une des régions du
génome transmise en même
temps que l’alcoolo-dépendance comportait ce gène.
➜ Enzymes
Enfin, les enzymes hépatiques
impliqués dans le métabolisme de l'alcool intéressent également les chercheurs, dans la
mesure où la plus ou moins
grande capacité d’un individu
à métaboliser l’éthanol va
avoir un impact sur ses modalités de consommation, et par
conséquence sur le risque
d’alcoolisme qui le menace.
L’alcool est dégradé au niveau
du foie par l’action d’un enzyme, l’ALDH, qui le transforme
en acétaldéhyde, toxique pour
l’organisme. L’acétaldéhyde
est dégradé à son tour en acétate, jusqu’à élimination totale
de l’alcool dans l’organisme.
On a montré l’existence d’une
Vin et musique...chez les Beethoven
Chez les Beethoven, l'alcool fut à la fois source de
revenus et de pathologie. L'arrière-arrière grand-père,
puis le grand-père, excellent musicien, de Beethoven
tenaient un commerce de vins dont ils étaient
eux-mêmes consommateurs intempérants. Sa grandmère paternelle mourut d'alcoolisme. Quant à son père,
ténor réputé, il était plus connu encore pour ses excès
de boisson. Ludwig lui-même mourut à 57 ans d'une
cirrhose du foie.
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Addictions
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Dossier
Vulnérabilité génétique et conduites d’addiction
variante de l'enzyme ALDH
chez certains Orientaux, incapables de ce fait de métaboliser l'acétaldéhyde. L'ingestion
d'alcool chez ces sujets provoque un phénomène de
“flush” (1) . Une telle configuration d’intolérance génétique à
l’éthanol, qui entraîne une baisse significative de la consommation individuelle, semble
donc correspondre à un “gène
de protection” par rapport à l’alcoolo-dépendance.
sant avec les tendances héritées de l’individu, pourrait
modifier l’activité transcriptionnelle de certains gènes
tout au long des processus de
neurodéveloppement, conférant ensuite, de manière
stable, une vulnérabilité à certaines pathologies liées à l’alcoolo-dépendance, ou à l’alcoolo-dépendance elle-même.
L’environnement peut favoriser ou réprimer une vulnérabilité sous-jacente.
Interactions entre
les gènes
et l’environnement
Il est clair que les facteurs
génétiques impliqués dans la
dépendance ne sont pas de
type "déterminants", mais
qu’ils opèrent en abaissant le
"seuil de vulnérabilité"
(comme pour l'essentiel des
pathologies polyfactorielles).
Ainsi le risque de dépendance
chez les enfants adoptés
dépend à la fois de l’environnement (abus d’alcool chez les
parents adoptifs), pour une
part modérée, et de l’hérédité
(alcoolo-dépendance chez les
parents biologiques), pour une
plus large part. Les facteurs
familiaux non génétiques ne
participeraient qu’à 37% dans
la transmission. Différents travaux laissent supposer que certaines dispositions comme
l’agressivité durant l’enfance,
ou un comportement d’opposition à l’entourage, ou certains
traits psychopathologiques
peuvent jouer comme des
"facteurs intermédiaires" entre
la vulnérabilité génétique, l’environnement prédisposant et
l’émergence de la dépendance
(alcool ou drogue).
Les études de jumeaux ont
Quelques mots sur les neurotransmetteurs
Le cerveau est le siège de stimulations internes
véhiculées par les neuromédiateurs, substances
chimiques assurant la transmission de l’information
d’un neurone à l’autre, grâce à un récepteur spécifique.
L’alcool perturbe l’action des neuromédiateurs par
différents mécanismes : stimulation de la production,
ou inhibition de la recapture des produits en excès ou
modification de l’action de ces médiateurs sur leurs
récepteurs.
Dopamine : joue un rôle clé dans l’harmonisation des
mouvements et attribue une valeur plus ou moins
prioritaire aux événements externes.
Sérotonine : c’est un régulateur du cycle veillesommeil impliqué dans la régulation de l'humeur
Gaba : joue comme un frein pour les neurones sur
lesquels il est localisé
elles aussi montré une vulnérabilité génétique commune à
l’alcoolisme, à d’autres abus
de substances, et à certains
troubles du comportement de
l’enfant . Cette vulnérabilité
commune implique encore
une fois un rôle partagé des
facteurs génétiques et environnementaux, la rencontre
au produit constituant un cas
particulier de cette vulnérabilité. Ainsi certains traits de tempérament,
comme
la
recherche de sensation (le
sujet se montre toujours avide
de nouveauté, se lassant très
vite d’une activité ou d’une
situation) augmentent les
risques d’exposition au produit. De son côté, un environnement peut favoriser ou
réprimer une vulnérabilité
génétique sous-jacente. Il est
clair par exemple que les
règles morales et religieuses
familiales protègent en partie
l’individu d’un usage inapproprié de l’alcool. Alors qu’à l’inverse, un climat familial perturbé ou le manque d’attention des parents vis-à-vis de
leurs enfants agissent en sens
inverse.
Toutes ces données suggèrent
que, au-delà de la simple addition des facteurs de risque,
l’environnement, en interagis-
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Addictions
Que peut attendre
le thérapeute
de la génétique ?
La composante génétique de
l’alcoolo-dépendance est surtout évidente quand elle a
commencé avant 20 ans, et
qu’apparaissent des antécédents familiaux d’alcoolisme
(type II de Cloninger). Il est
vraisemblable que des facteurs de vulnérabilité prédisposent à un comportement
général d’addiction et de
conduites
impulsives,
incluant l’alcoolodépendance.
Les données génétiques peuvent être utiles au clinicien,
dans la mesure où elles vont
l’aider à évaluer un risque
individuel en fonction d’antécédents familiaux de pathologie directement ou indirectement liés à l’alcool (autres
dépendances, hyperactivité,
personnalité antisociale).
Cette aide peut être particulièrement utile face à un adolescent cumulant consommation excessive, conduite asociale et antécédents familiaux. La notion de vulnérabilité croisée pour les autres
substances addictives peut
également alerter le thérapeute sur le risque d’émergence
d’autres dépendances dans le
parcours du sujet.
(1) manifestation de l’intolérance
à l’alcool se traduisant par des
rougeurs au visage et des nausées.
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Expression
Des souris et des hommes
Créé en 2004 par le Ministère de la recherche, le GRAP (Groupe de recherche sur l’alcool
et les pharmacodépendances) est une jeune équipe d’une dizaine de chercheurs s’efforçant
d’élucider, par une approche multidisciplinaire, le rôle des gènes qui pourraient être impliqués
dans la dépendance à l’alcool.
Martine Daoust, professeur
des universités UFR des
sciences pharmaceutiques à
l’Université de Picardie, qui
dirige cette équipe,
commente les hypothèses de
recherche et les travaux
développés par le Groupe.
"Autant les mécanismes
d’apparition et d’évolution des
atteintes somatiques (cirrhoses
cancers, hépatites…) liées à
l’alcool commencent à être
bien appréhendés, autant les
événements cellulaires associés
à la dépendance, auxquels
s’intéresse notre projet,
demeurent difficiles à
interpréter. Ce que nous
pouvons affirmer, c’est que la
composante génétique n’est
pas un facteur suffisant pour
expliquer la dépendance. C’est
un risque supplémentaire au
même titre que d’autres
facteurs. Il est d’ailleurs
impossible d'établir un "seuil"
individuel de consommation
induisant une dépendance".
Qu’avez-vous mis en évidence ?
Notre hypothèse de travail,
basée sur des travaux déjà
publiés et confirmés par les
nôtres, est que l’alcoolisation
précoce d’un individu
constitue un risque majeur de
dépendance ultérieure. Les
effets en sont d’autant plus
évidents que le sujet est jeune
et que l’alcoolisation a été
associée aux phénomènes
d’apprentissage, alors que le
cerveau n’est pas encore
formé.
❝
La
consommation
d’alcool
reste un
phénomène
spécifiquement
humain.
❝
S
ont notamment
étudiés les effets de
l’alcoolisation
précoce sur les
sytèmes de neurotransmission. Le Groupe, qui
bénéficie du soutien de
l’Inserm et de la MILDT, assure
la formation d’étudiants et de
doctorants, et s’inscrit dans
plusieurs réseaux européens
de recherche.
L’alcoolisation prénatale
constitue en soi un facteur de
risque majeur. Une étude
clinique a montré par
exemple que 60% des sujets
atteints du "syndrome
d’alcoolisation fœtale"
présentent à l’âge adulte une
dépendance à l’alcool ou à
d’autres substances
psychoactives.
L’adolescence constitue
également une période
critique durant laquelle la
vulnérabilité à l’alcoolisation,
même ponctuelle, est
supérieure à celle de l’adulte.
Quels sont les mécanismes
qui entrent en jeu ?
L’alcoolisation provoque au
niveau des cellules cérébrales
des effets qui vont se réactiver
par la suite. On pourrait
parler d’une mémoire de
l’alcoolisation, qui "joue" sur
un terrain génétique avec les
événements de la vie. Le stress
en premier lieu. Mais aussi
toutes les modifications
pouvant intervenir dans
l’environnement du sujet, au
sens large du terme. La
perception de l’autre en fait
partie. En recherche animale,
on a ainsi pu mesurer à quel
point une souris peut être
perturbée par l’arrivée dans
sa cage d’un "intrus" qui
modifie ses conditions de vie.
Ces phénomènes sont connus
depuis longtemps. De
nombreuses études ont révélé
l’impact des stress
posttraumatiques liés à la
guerre, poussant les vétérans
à consommer des substances
psychotropes.
Peut-on aisément passer des
souris aux hommes ?
L’expérimentation animale
nous sert à mesurer ou à
vérifier certains paramètres,
mais il est clair qu’on ne peut
jamais totalement extrapoler,
la consommation d’alcool
reste un phénomène
spécifiquement humain.
Spontanément les animaux
n’aiment d’ailleurs pas
l’alcool. Autant certaines
expressions de la maladie, le
sevrage par exemple, sont
modélisables, et en ce sens
l’expérimentation nous est
utile, autant le
comportement humain,
touchant la consommation
en particulier, reste
hautement socialisé. Les
sciences humaines et sociales
ont de ce point de vue
beaucoup à nous apporter.
Comment s’effectue votre
collaboration avec le CHU
d’Amiens ?
L’implication du service
d’alcoologie du CHU
d’Amiens permet de renforcer
notre approche clinique et les
entretiens individuels des
malades complètent nos
résultats expérimentaux.
Nous prolongerons notre
travail en étudiant les
facteurs de risque qui font
passer un individu adulte
d’une consommation à risque
à la dépendance ou la
polytoxicomanie. ■
Groupe de recherche
sur l’alcool et les pharmacodépendances (GRAP)
Université de Picardie Jules Verne,
80000 Amiens
www.u-picardie.fr/sante/pagesliees/grap/accueilgrap.html
15 - Juin 2005 - N°10
Addictions
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