Le « pivot » américain vers l’Asie Conséquences sur le système de défense antimissile américain, asiatique et européen Bruno Hellendorff et Bérangère Rouppert 2013/6 Ce rapport est publié dans le cadre du programme « cellule de veille sur la production et les transferts d’armes dans le monde » subventionné par la Région wallonne. Les informations délivrées et les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que leur auteur et ne sauraient refléter une position officielle de la Région wallonne. Les activités du GRIP sont soutenues financièrement par le Ministère de la Région wallonne, le Ministère de la Communauté française, le Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale (ACTIRIS), le Ministère des Affaires étrangères du Luxembourg, le Ministère des Affaires étrangères de Belgique, le Fonds Maribel Social © Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité (GRIP) chaussée de Louvain, 467 B-1030 Bruxelles Tél.: (32.2) 241.84.20 Fax: (32.2) 245.19.33 Courriel: [email protected] Site Internet: www.grip.org Le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) est une association sans but lucratif. Le « pivot » américain vers l’Asie Table des matières Introduction Le « pivot » américain vers l’Asie… Du vieux vin dans une nouvelle bouteille ? Le prolongement d’une ambition mondiale Un contexte préoccupant mais favorable Europe vs Asie ? Vers une politique de partenariats Réactions de la Chine et de la Russie Constance américaine sur la responsabilité sécuritaire de l’Europe La poursuite du déploiement du bouclier antimissile en Europe D’un système de défense antimissile américain à un système otanien D’une capacité intérimaire à l’annulation de la 4ème phase de l’EPAA Une annonce sans surprise Quels impacts pour l’UE ? Un pivot présenté comme bénéfique pour l’UE Un impact moindre sur la sécurité des partenaires européens del’Alliance Une incitation pour l’UE à considérer l’Asie sous un angle sécuritaire ? Un énième signal fort des États-Unis Le risque d’un désengagement plus fort des États-Unis de l’OTAN ? La nécessité d’une Europe coproductrice de sécurité La défense antimissile : un moyen de promouvoir l’industrie européenne de défense ? Conclusion Les auteurs tiennent à remercier Alessia Virone, chercheure stagiaire au GRIP, pour sa participation active à l’élaboration de ce rapport. 5 6 6 7 9 12 13 16 16 16 18 18 23 23 23 24 25 25 26 27 31 Le « pivot » américain vers l’Asie Introduction Barack Obama a déclaré lors d’un discours au Japon être le premier « Président américain du Pacifique ». Si cette appellation peut être vue comme une allusion à son enfance passée à Hawaï et en Indonésie, elle fait surtout référence au repositionnement de la politique étrangère américaine en faveur de l’Asie-Pacifique et clôture un discours sur l’importance de cette région pour Washington. La croissance économique forte et rapide que connaît la zone, en dépit de la crise économique et financière mondiale, fait d’elle le berceau de potentiels compétiteurs ou partenaires pour les États-Unis. La hausse des dépenses militaires régionales conjuguée à des rivalités interétatiques pourrait bien semer les graines de futurs conflits susceptibles de toucher aux intérêts américains dans le Pacifique. Autant de raisons qui expliquent et justifient une évolution de la politique étrangère américaine vers cette région. Ce virage asiatique n’a toutefois pas été sans susciter de vifs commentaires parmi les États européens, alliés « traditionnels » des États-Unis, qui craignent de voir menacés les liens de défense privilégiés existants entre les deux rives de l’Atlantique ; des relations incarnées par l’OTAN, acteur majeur dans le système sécuritaire européen. Plus récemment, les gesticulations nord-coréennes se sont révélées suffisamment menaçantes à l’égard de la sécurité des États-Unis pour modifier leur architecture sécuritaire dans la région et y engendrer un renforcement de leur système de défense antimissile. Restrictions budgétaires oblige, ces investissements dans la sécurité de la région asiatique ne peuvent aller sans un dégraissage des investissements dans la sécurité européenne : en mars 2013, l’administration Obama a annulé la quatrième phase du déploiement du bouclier antimissile en Europe. Les ressources financières ainsi dégagées permettront de renforcer le système antimissile sur leur territoire et en Asie pour contrer la menace nord-coréenne. Au regard de ces événements récents, le présent rapport se fixe plusieurs objectifs : tout d’abord, revenir sur les facteurs qui ont conduit au virage dans la politique étrangère américaine en direction de la région Asie-Pacifique et déterminer les nouveaux contours de cette politique. Il s’agira ensuite de décrire l’architecture sécuritaire américaine mise en place dans cette région, en s’attardant plus longuement sur le système de défense antimissile et les réactions qu’il suscite. Enfin, l’impact du repositionnement américain sera analysé à la lumière des engagements sécuritaires des États-Unis dans l’Alliance atlantique, plus précisément au sein du système de défense antimissile trans­ atlantique, et de ses conséquences sur les développements de la politique européenne de défense. Obama Barack, « Remarks by President Barack Obama at Suntory Hall », 14 novembre 2009, Suntory Hall, Tokyo, Japon, http://www.whitehouse.gov/the-press-office/remarks-president-barack-obama-suntory-hall Le « pivot » américain vers l’Asie… Du vieux vin dans une nouvelle bouteille ? Le 10 novembre 2011, la Secrétaire d’État Hillary Clinton tenait un discours très remarqué à Honolulu, où était organisé deux jours plus tard, le 19ème sommet de l’APEC, le forum de coopération économique pour l’Asie-Pacifique. Le même mois, elle signait un article paru dans la revue « Foreign Policy » qui explicitait le virage vers l’Asie-Pacifique qu’opérait l’administration Obama, qu’elle décrivait comme « un pivot nécessaire vers les nouvelles réalités mondiales ». Hillary Clinton fixait assez distinctement au premier rang de ces nouvelles réalités, la montée en puissance économique et militaire de la Chine. Phénomène majeur de l’histoire contemporaine, tirant ses racines des réformes initiées par Deng Xiaoping à la fin des années 1970, cette mutationgénère autant d’opportunités que de défis considérables pour la puissance américaine. L’intérêt des États-Unis envers la région d’Asie-Pacifique n’est pourtant pas si neuf. Au début du 19ème siècle déjà, Washington consacrait une part importante de son attention au Pacifique, et à ses relations avec l’Asie. En 1844, Washington signait ainsi avec la Chine des Qing le traité de Wanghia, qui lui accordait les mêmes privilèges commerciaux que les Britanniques, ainsi que l’extraterritorialité pour ses ressortissants. En 1853-54, le Commodore Perry ouvrait le Japon au commerce américain sous la menace de ses canonnières, précipitant la fin de l’époque d’Edo et la restauration Meiji. A la fin du siècle, après une guerre contre l’Espagne, les États-Unis acquéraient l’île de Guam et les Philippines, et établissaient un contrôle de fait sur Cuba. En 1906, Theodore Roosevelt recevait le prix Nobel de la paix pour son rôle de médiateur dans la guerre russo-japonaise. Déjà à l’époque, la région Asie-Pacifique, concentrait donc de très importants intérêts, commerciaux et sécuritaires, pour les États-Unis. Les tendances isolationnistes de l’Amérique d’entre-deux guerres ont pu oblitérer cette réalité un temps. Pearl Harbor, pourtant, a catalysé un réengagement considérable des États-Unis envers la région. Au sortir de la guerre du Pacifique, les États-Unis étaient devenus en l’espace de quelques années la principale puissance mondiale, la seule dotée de l’arme nucléaire, et ses troupes étaient déployées au Japon, en Corée et aux Philippines. Le contexte de Guerre froide qui suivit eut pour effet de canaliser et pérenniser cet engagement stratégique et militaire, au travers de ce qui deviendra le « système de San Francisco », c’est-à-dire un réseau d’alliances bilatérales, « en étoile », tissé entre Washington et le Japon, la Corée du Sud, Taïwan, les Philippines et la Thaïlande, à partir de la conférence de San Francisco de 1951. Il n’y eut donc pas d’équivalent à l’OTAN en Asie, malgré quelques tentatives d’alliances multilatérales ClintonHillary, « America’s Pacific Century », Remarques, East-West Center, Honolulu, 10 novembre 2011, http:// www.state.gov/secretary/rm/2011/11/176999.htm Clinton Hillary, « America’s Pacific Century », Foreign Policy, 189, novembre 2011, p. 56-63. Voir William Earl Weeks, The New Cambridge History of American Foreign Relations. Vol. I : Dimensions of the Early American Empire, 1754-1865, Cambridge, Cambridge University Press, 2013. Voir Kent Calder, « Securing security through prosperity: the San Francisco system in comparative perspective », The Pacific Review, 17(1), 2004, p. 135-157. Christopher M. Hemmer & Peter J. Katzenstein « Why Is There No NATO in Asia? Collective Identity, Regionalism, and the Origins of Multilateralism », International Organization, 56 (3), 2002, p. 575-607. Le « pivot » américain vers l’Asie (SEATO, ANZUS…). Une constante de la politique américaine à l’égard de l’Asie depuis lors fut, comme auparavant, un intérêt majeur vis-à-vis de la Chine. Cette dernière fut en effet propulsée par Roosevelt au Conseil de sécurité des Nations unies, avant d’être « perdue » en 1949 et combattue en Corée entre 1950 et 1953. Les relations sino-américaines vont progressivement se normaliser puis se réchauffer à partir du communiqué de Shanghai de 1972, pour connaître une nouvelle crise à la suite des tragiques événements de Tian’anmen de 1989. Au sortir de la Guerre froide, le triomphe des États-Unis avait propulsé, d’après un argument du moment, l’humanité « à la fin de l’histoire ». Cependant, ce « moment unipolaire »10 ne pouvait durer. La géopolitique de l’Asie-Pacifique évolua rapidement, sous l’action conjointe de phénomènes liés à la mondialisation et d’autres liés aux changements stratégiques opérés par les États de la région11. D’un côté, la croissance économique de la Chine – et des « dragons » asiatiques – modifiait les équilibres de puissance aux niveaux mondial et régional. Tandis que de l’autre, les fluctuations au sein des alliances et le développement d’un « nouveau multilatéralisme »12 (autour de l’ASEAN notamment, mais également via l’APEC ou les accords de libre-échange13) altéraient les conditions et paramètres d’interaction entre États de la région, ainsi qu’entre ceux-ci et les États-Unis14. Le « pivot » esquissé par Hillary Clinton apparaît donc à la fois comme une adaptation aux transformations structurelles du monde contemporain et comme une stratégie visant à imposer les règles américaines au « jeu géopolitique » asiatique. Le prolongement d’une ambition mondiale Depuis 2008, la montée en puissance de l’Asie, et le déplacement du centre de gravité de l’économie mondiale vers l’Asie-Pacifique au détriment de l’Europe et de l’espace atlantique, se sont accélérés. La région concentre les économies parmi les plus performantes au monde, ainsi que les plus importants débiteurs de la dette publique américaine. Corollaire de ce développement économique soutenu, les dépenses militaires y ont explosé, jusqu’à dépasser celles de l’Europe dès 200815. Les échanges, économiques mais aussi sociaux, politiques et culturels s’y sont aussi multipliés. Ces mutations au niveau des sociétés, et des liens transnationaux, s’ajoutent Ralph A. Cossa, « Evolving U.S. Views on Asia’s Future Institutional Architecture », in Michael J. Green & Bates Gill (eds.), Asia’s New Multilateralism : Cooperation, Competition, and the Search for Community, New York, Columbia University Press, 2009, p. 33-54. Alan Dobson & Steve Marsh, US Foreign Policy since 1945. New York, Routledge, 2006 (2ème édition). Francis Fukuyama, « The End of History? », The National Interest, été 1989 ; Francis Fukuyama, The End of History and the Last Man, New York, Free Press, 1992. 10 Charles Krauthammer, « The Unipolar Moment », Foreign Affairs, 70 (1) hiver 1990/1991, p. 23-33. 11 Michael Yahuda, « The International Politics of the Asia-Pacific », Oxon, Routledge, 2011 (3ème édition). 12 Michael J. Green & Bates Gill (eds.), « Asia’s New Multilateralism : Cooperation, Competition, and the Search for Community », op. cit. 13 Vinod K. Aggarwal & Min Gyo Koo (eds.), « Asia’s New Institutional Architecture : Evolving Structures for Managing Trade, Financial, and Security Relations », Berlin, Springer, 2008 ; Mark Beeson, « Institutions of the Asia-Pacific : ASEAN, APEC and beyond », Oxon, Routledge, 2009. 14 David Shambaugh (ed.), « Power Shift : China and Asia’s New Dynamics », Los Angeles &Londres, University of California Press, 2005. 15 D’après le SIPRI military Expenditure database. L’International Institute for Strategic Studies (IISS) estime que ce cap a été franchi en 2012. Cet écart provient de choix géographiques divergents, le SIPRI incluant l’Océanie dans l’espace asiatique et excluant l’Europe de l’Est de l’espace européen. Voir Bruno Hellendorff, « Dépenses militaires en Asie du Sud-Est : une modernisation qui pose question », Note d’Analyse du GRIP, Bruxelles, 7 juin 2013. Rapport du GRIP 2013/6 aux transformations qui ont lieu au niveau des rapports entre États pour modifier profondément les relations internationales de la région, ainsi que le système qui garantit sa stabilité16. Le contexte stratégique, et ses changements, ont été déterminants dans le développement du « pivot » américain. Au travers de la Guerre froide, la relation entre le Japon et les États-Unis a connu de nombreuses difficultés, portant notamment sur les différends commerciaux entre les deux pays, sur le refus japonais de réarmer (dans le prolongement de la « doctrine Yoshida »17) ou sur les problèmes de cohabitation liés à la présence de bases militaires américaines sur l’archipel. Ces tensions ont pris une nouvelle ampleur lors de la disparation de la menace soviétique. Mais la stagnation économique japonaise, la montée en puissance chinoise, et les attentats du 11 septembre catalysèrent un nouveau rapprochement entre les administrations Bush et Koizumi. Symbole (parmi d’autres) de la « redistribution des cartes » à l’échelle régionale, l’arrivée au pouvoir du Parti démocrate du Japon en 2009 généra une inquiétude nouvelle à Washington, le nouveau Premier ministre prônant une politique moins conciliante vis-à-vis des États-Unis que ses prédécesseurs18. La Chine, de son côté, mit progressivement en place une politique étrangère moins rigide, qui lui permit à la fois de dépasser l’isolement diplomatique que lui avaient imposé les pays occidentaux après les événements de Tian’anmen, et de se concentrer sur le renforcement de ses capacités en interne, suivant le slogan « pays riche, armées puissantes ». En 1997, Pékin lançait sa « diplomatie du pourtour », une politique de bon voisinage qui allait se montrer très efficace, d’autant plus que sa mise en place coïncida avec la crise asiatique de 1997 lors de laquelle le soutien chinois aux économies en difficulté de la région fut particulièrement bien accueilli. Cette « offensive de charme »19 eut des effets substantiels sur les relations de la Chine avec ses voisins20, débouchant entre autres sur la conclusion d’une déclaration de conduite sur la Mer de Chine méridionale et sur un rapprochement marqué avec les alliés de Washington, dont l’Australie, le Japon, la Corée du Sud, et même Taïwan21. Dans le même temps, les États-Unis semblaient avant tout préoccupés, tout du moins du point de vue est ou sud-est asiatique, par les questions et enjeux du MoyenOrient, où de nombreuses troupes étaient engagées. Si les attentats du 11 septembre 2001 avaient donné une nouvelle direction à la politique étrangère américaine, et permis à un consensus international très large – avec la Chine notamment – de se dégager en faveur de la guerre contre le terrorisme22, l’invasion de l’Irak a fortement contribué 16 David Shambaugh, « The Two-Level Game », in David Shambaugh & Michael Yahuda (eds.), International Relations of Asia. Lanham, Rowman & Littlefield, 2008, p. 3. 17 Kenneth B. Pyle, « Japan Rising : The Resurgence of Japanese Power and Purpose », New York,The Century Foundation, 2007. Voir également :« Richard J. Samuels, Securing Japan : Tokyo’s Grand Strategy and the Future of East Asia », Ithaca et Londres, Cornell University Press, 2007. 18 John Pomfret, « U.S. concerned about new Japanese premier Hatoyama », Washington Post, 29 décembre 2009, http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2009/12/28/AR2009122802271.html?hpid%3Dtop news&sub=AR 19 Joshua Kurlantzick, « Charm Offensive : How China’s Soft Power Is Transforming the World » New York, Yale University Press, 2007. 20 David Shambaugh, « China Engages Asia. Reshaping the Regional Order », International Security, 29(3), 2004/05, p. 64-99. 21 Voir notamment Edward Luttwak, « La montée en puissance de la Chine et la logique de la stratégie », Paris, Odile Jacob, 2012. 22 Voir Fraser Cameron, « US Foreign Policy after the Cold War : Global Hegemon or Reluctant Sheriff ? » Londres et New York, Routledge, 2005 (2ème édition). Le « pivot » américain vers l’Asie à distendre certains liens entre Washington et ses partenaires asiatiques, et entre les pays asiatiques eux-mêmes23. Les opérations militaires en Irak et en Afghanistan ont également représenté un drain important en termes de ressources pour les ÉtatsUnis, dont les conséquences ont été aggravées par les effets de la crise économique de 2008. La concentration américaine sur le Moyen-Orient, en termes de moyens et de politiques, apparut ainsi comme signe d’un désintérêt, voire d’un désengagement américain d’Asie-Pacifique, laissant le champ libre à la Chine pour affirmer ses propres visées géopolitiques24. En outre, la présidence de Barack Obama fut rapidement appréhendée comme étant celle d’un repli relatif des États-Unis après une décennie de guerre : rapatriement des troupes d’Irak puis d’Afghanistan, doctrine du « Leading from behind » illustrée par l’intervention en Libye, retrait de 7 000 hommes du territoire européen, distance avec les « Printemps arabes » et leurs transitions, ainsi qu’avec les dossiers malien et syrien. Le président américain a été clair : « il est temps maintenant de consacrer du temps à la construction de la nation »25 et d’utiliser l’argent américain en ce sens. Les contraintes budgétaires sont telles que Washington doit hiérarchiser ses priorités en fonction des menaces qui pèsent sur le pays. Aux alentours de 2008-09, le déclin américain semblait inéluctable à plus d’un titre, au vu de l’évolution du paysage stratégique asiatique. Et pourtant, l’administration Obama se montra, dès sa première année, active sur tous les fronts, et s’attaqua à « toute crise de politique étrangère imaginable sur le globe. [Obama] opéra un ‘‘reset’’ des relations avec la Russie ; visita la Chine ; tergiversa sur l’Afghanistan, l’Irak, la Corée du Nord et l’Iran ; tenta de s’attacher le monde musulman ; promut le retour à la croissance économique, la lutte contre le changement climatique, et l’indépendance énergétique. Il n’indiqua que rarement quel problème était plus important qu’un autre, et rebondit d’un sujet à l’autre, et d’une région à l’autre »26. Un contexte préoccupant mais favorable Au vu des enjeux d’Asie-Pacifique, les États-Unis se sont ainsi engagés dans un effort de communication, ainsi que dans une politique plus affirmée envers la région, rendue possible par le désengagement progressif d’Irak et d’Afghanistan. Ce « ré­ équi­librage » de leur action militaire, diplomatique, politique et économique vers l’Asie fut institutionnalisé dès janvier 201227. Le « pivot », tel que le présentait Hillary Clinton en novembre 2011, ne se limite pas à son seul aspect doctrinaire : il part d’une redéfinition des priorités des États-Unis, pour développer une vision renouvelée du rôle américain dans le Pacifique et réallouer des moyens (par ailleurs limités) vers le théâtre asiatique. Il ne s’agit pas d’une politique particulière, mais bien d’un effort global, comprenant non seulement une poussée diplomatique vers les États de la 23 Vis-à-vis du Japon notamment. Voir Green, Michael. « Japan in Asia », in David Shambaugh and Michael Yahuda (eds.), International Relations of Asia. Lanham, Rowman & Littlefield, 2008, p. 170-191. 24 John Mearsheimer, « The Gathering Storm: China’s Challenge to US Power in Asia », The Chinese Journal of International Politics, 3 (4), 2010, p. 381-396. 25 Remarks by the President in State of the Union Address, 24 janvier 2012, http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2012/01/24/remarks-president-state-union-address 26 Henry Nau, « Obama’s Foreign Policy », Policy Review, avril/mai 2010, http://www.gees.org/files/documentation/25042010085227_Documen-07823.pdf 27 Voir Department of Defense, Sustaining U.S. Global Leadership: Priorities for 21st Century Defense, janvier 2012. 10 Rapport du GRIP 2013/6 région mais aussi une participation marquée dans les forums et outils multilatéraux, un investissement économique, un soutien humanitaire en hausse, une redéfinition des doctrines et stratégies militaires, etc. C’est dans ce cadre que s’inscrivent notamment le voyage officiel du président Obama en Asie du Sud-Est juste après sa réélection28, ou la visite d’Hillary Clinton au Myanmar29. La promotion par Washington d’un accord de libre-échange transpacifique (Trans-Pacific Partnership ou TPP), qui exclut la Chine30, relève de la même logique. Au niveau militaire également, où les décisions de stationner quatre navires de combat côtiers (LCS) à Singapour, de baser en rotation des Marines à Darwin en Australie, ou encore de renforcer la base militaire de Guam furent largement médiatisées. Lors du forum informel « Shangri-La Dialogue » de 2012, le secrétaire de la Défense de l’époque, Léon Panetta, indiquait que les principes de « présence » et de « projection de force » guideraient les États-Unis dans la région, et que la stratégie du « pivot » incluait le raffermissement des alliances bilatérales, l’extension des accords concernant les bases militaires, de nouvelles possibilités de bases militaires au Vietnam et aux Philippines, ainsi qu’un déplacement des capacités navales vers le Pacifique31. Toujours du point de vue militaire, le Pentagone a fondamentalement revu sa posture stratégique en réaction aux nouvelles capacités – de « déni d’accès et interdiction de zone » (A2/AD) – qu’a développées l’Armée populaire de libération (APL)32. Ces éléments sont particulièrement révélateurs des objectifs et enjeux du « pivot », et ont pour trait commun un lien très clair vis-à-vis de la Chine. L’Asie du SudEst est probablement la région la plus concernée par la montée en puissance et par la stratégie d’influence de Pékin33, et le Myanmar fut longtemps considéré comme un pays évoluant dans l’orbite de la Chine. Le déploiement à Singapour des très modernes, quoique faiblement armés, LCS dénote une certaine volonté des États-Unis d’affirmer leur présence à la lisière de la mer de Chine méridionale, tout en conservant un profil relativement bas34. Cette posture peut néanmoins s’avérer risquée, dans la 28 Ernest Z. Bower, « Obama Trip Shows Purposeful Asia Focus in Second Term », CSIS Commentary, 9 novembre 2012, http://csis.org/publication/obama-trip-shows-purposeful-asia-focus-second-term ; « US President Barack Obama in South East Asia visit », BBC News, 18 novembre 2012, http://www.bbc.co.uk/news/world-asia-20384085 29 « Hillary Clinton se rend en Birmanie encourager l’ouverture », Le Monde, 1 décembre 2011, http://www.lemonde. fr/asie-pacifique/article/2011/12/01/hillary-clinton-se-rend-en-birmanie-encourager-l-ouverture_1611421_3216. html 30 Beginda Pakpahan, « Will RCEP compete with the TPP ? », East Asia Forum, 28 novembre 2012, http://www.eastasiaforum.org/2012/11/28/will-rcep-compete-with-the-tpp/; Sanchita Basu Das, « The Trans-Pacific Partnership as a tool to contain China: myth or reality ? », East Asia Forum, 8 juin 2013, http://www.eastasiaforum.org/2013/06/08/ the-trans-pacific-partnership-as-a-tool-to-contain-china-myth-or-reality/; Aurelia George Mulgan, « Japan, US and the TPP: the view from China », East Asia Forum, 5 mai 2013, http://www.eastasiaforum.org/2013/05/05/japanus-and-the-tpp-the-view-from-china/; Wen Jin Yuan, « The Trans-Pacific Partnership and China’s Corresponding Strategies », A Freeman Briefing Report, juin 2012, http://csis.org/files/publication/120620_Freeman_Brief.pdf 31 « Rowing between two reefs : China, the United States and containment revenant », NAPSNet Policy Forum, 9 août 2012, http://nautilus.org/napsnet/napsnet-policy-forum/rowing-between-two-reefs-china-the-united-states-andcontainment-revenant 32 Voir « Joint Operational Access Concept (JOAC) », Department of Defense, 17 janvier 2012, http://www.defense. gov/pubs/pdfs/JOAC_Jan%202012_Signed.pdf ; Stephan Frühling, « US strategy : between the ‘pivot’ and ‘AirSea Battle’ », East Asia Forum, 26 août 2012, www.eastasiaforum.org/2012/08/26/us-strategy-between-the-pivotand-air-sea-battle/?preview=true ; « Anti-acces/Area denial: Washington’s response », The Military Balance 2013, Londres, The International Institute of Strategic Studies (IISS), 2013, p. 29-31. 33 Evelyn Goh, « The limits of Chinese power in Southeast Asia », East Asia Forum, 10 mai 2011, http://www.eastasiaforum.org/2011/05/10/the-limits-of-chinese-power-in-southeast-asia/ 34 Sydney Freedberg Jr, « LCS Couldn’t Survive War With China, But It Could Help Prevent It: CNO », Breaking Defense, 12 avril 2012, http://breakingdefense.com/2012/04/12/cno-lcs-couldnt-survive-war-with-china-but-itcan-prevent-one/ Le « pivot » américain vers l’Asie mesure où plusieurs incidents en mer ont déjà eu lieu entre navires américains et chinois : en 2009, cinq navires chinois ont harcelé le navire militaire américain USS Impeccable et lui ont ordonné de quitter ce que la Chine considère comme ses eaux territoriales35. Ces événements alimentent la crainte, à Washington, d’une Chine plus ferme et plus encline à risquer la confrontation, en limitant par exemple l’accès des navires américains à la mer de Chine méridionale36. Deux événements majeurs se sont détachés et ont conjugué leurs effets pour favoriser le succès du « pivot » américain dans le Pacifique. Le premier est le tournant « ferme », voire agressif, opéré par la politique étrangère chinoise en 2008-0937, et qui mit fin à une période de rapprochement entre Pékin et ses voisins. Pour des pays comme le Vietnam ou les Philippines, les velléités nationalistes chinoises se sont accompagnées d’une fermeté renouvelée sur le dossier de la mer de Chine méridionale et sur des accrochages en mer entre navires. Face à cette évolution, les pays de la région, et les États d’Asie du Sud-Est au premier chef, maintiennent de cordiales relations avec la Chine, dont ils dépendent pour leur propre croissance économique, mais cherchent des alternatives, ou des moyens de contrebalancer l’influence chinoise dans la région. C’est probablement là qu’il faut chercher les raisons de l’enthousiaste accueil réservé aux États-Unis dans leur « pivot » vers l’Asie. La présence militaire américaine en Asie-Pacifique a été la principale garante de la stabilité régionale depuis la Deuxième Guerre mondiale, et la pérennisation de cet engagement américain semble une priorité de politique étrangère de nombreux États asiatiques. Le Vietnam, par exemple, s’est décidé à ouvrir son port de Cam Ranh Bay à la Marine américaine (depuis 2003)38, et a récemment indiqué qu’il considérait l’achat d’équipements mili­ taires américains39. Les Philippines sont bénéficiaires d’une assistance militaire des États-Unis, dont le montant a triplé entre 2011 et 201240. Le Myanmar a participé pour la première fois, comme observateur, aux exercices conjoints « Cobra Gold 2013 » menés par les États-Unis avec sept armées régionales41. De cette manière, et au travers du développement d’initiatives multilatérales centrées autour de l’ASEAN, les États de la région cherchent à délier leur sort des aléas que peuvent connaître les relations entre grandes puissances42. C’est aussi ce qui donne sens aux tentatives subséquentes, par l’administration Obama, de renommer leur « pivot » en « rééquilibrage » pour faire face aux questions inquiètes de leurs alliés asiatiques et européens. Le second événement majeur concerne la menace nucléaire nord-coréenne, qui a justifié le déploiement par les États-Unis, de systèmes antimissiles que les stratèges 35 « China Sends Patrol Ship to South China Sea », China Digital Times, 15 mars 2009. 36 O’Rourke, Donald, « Maritime territorial and Exclusive Economic Zone (EEZ) Disputes Involving China : Issues for Congress », Congressional Research Service, 9 avril 2013, p. 1-86, p. 26. 37 David Shambaugh, « Coping with a Conflicted China », The Washington Quarterly, 34(1), p. 7-27. 38 Xavier Monthéard, « Retrouvailles des Etats-Unis et du Vietnam », Le Monde diplomatique, juin 2011, http://www. monde-diplomatique.fr/2011/06/MONTHEARD/20703 39 William Jordan, Lewis Stern & Walter Lohman, « U.S.–Vietnam Defense Relations: Investing in Strategic Alignment », Background on Asia and the Pacific, The Heritage Foundation, 18 juillet 2012, http://www.heritage. org/research/reports/2012/07/us-vietnam-defense-relations-investing-in-strategic-alignment 40 Manuel Mogato, « U.S. triples military aid to Philippines in 2012 », Reuters, 3 mai 2012, http://www.reuters.com/ article/2012/05/03/us-philippines-usa-idUSBRE8420IU20120503 41 The Military Balance 2013, Londres, Routledge pour The International Institute for Strategic Studies (IISS), 2013, p. 247; « Myanmar Observers Participate in US-Led Cobra Gold Military Exercises in Thailand », Chiangrai Times, 11 février 2013. 42 Hellendorff Bruno, « Dépenses et transferts militaires en Asie du Sud-est : une modernisation qui pose question », GRIP, Note d’analyse, p. 7. 11 12 Rapport du GRIP 2013/6 chinois doivent considérer comme une menace pour leurs propres capacités de dissuasion, et de frappe. Si la « nouvelle fermeté » de la politique étrangère chinoise a fourni les bases nécessaires à un rapprochement entre certains pays de la région et les États-Unis, les gesticulations et menaces nucléaires de la Corée du Nord ont certainement contribué très largement à précipiter cette dynamique, et reléguer les dernières réticences portant sur la coopération en matière de défense antimissile. Depuis décembre 2012 et la mise sur orbite d’un satellite par Pyongyang, la péninsule coréenne a connu une nouvelle escalade de tensions, débouchant sur un troisième essai nucléaire nord-coréen en février 2013, et sur la déclaration, par Pyongyang, de l’annulation de l’accord d’armistice qui avait mis fin à la guerre de Corée en 195343. La Corée du Nord de Kim Jong-un a inscrit son statut d’État nucléaire dans sa constitution, et réclame la reconnaissance internationale de ce statut comme préalable à toute négociation de paix ou de désarmement44. Elle a également déclaré être en « état de guerre » avec la Corée du Sud45, et a déployé deux lanceurs de missiles – Musudan – sur la côte Est46. Cette menace nord-coréenne, et les enjeux sécuritaires asiatiques plus largement, furent ainsi une justification majeure au tournant américain, et aux modifications de la défense antimissile sur le territoire européen47. Europe vs Asie ? Vers une politique de partenariats Peut-on pour autant considérer que ce repositionnement se fait au détriment de l’Europe et de l’OTAN ? Selon le général Jim Jones, le terme « pivot » était regrettable car il pouvait donner l’impression que l’Europe et l’Afrique notamment seraient moins importantes pour l’Amérique48. Le « rééquilibrage », telle que cette politique est désormais décrite dans le discours officiel, vise ainsi non à désinvestir ailleurs pour investir en Asie, mais à réallouer des ressources et moyens excédentaires – principalement en Europe et au MoyenOrient où les contextes stratégiques ont changé – pour s’ajuster à l’évolution du paysage stratégique mondial. Il ne s’agit donc pas de délaisser l’Europe et l’OTAN au profit de l’Asie mais bien de rediriger l’attention et les ressources américaines, du Moyen-Orient majoritairement, vers l’Asie. Le partenariat entre l’OTAN et l’Europe est d’ailleurs présenté comme le modèle à suivre pour les relations américaines avec l’Asie, Hillary Clinton déclarant vouloir développer les relations des États-Unis avec l’Asie-Pacifique de manière « aussi durable et fructueuse » que pour les liens trans­ atlantiques49. Hillary Clinton rappelait d’ailleurs en mai 2011 que « les États-Unis et l’Union européenne sont des partenaires travaillant ensemble sur toute question globale ou régionale imaginable »50. L’Europe demeure donc un partenaire privilégié par43 Bruno Hellendorff & Thierry Kellner, « Vers une nouvelle guerre de Corée ? », GRIP, 7 avril 2013, www.grip.org/fr/ node/854 44 Chumley Cheryl K., « North Korea demands world recognition as nuclear state », The Washington Times, 23 avril 2013. 45 Kim Jack, « North Korea says enters “state of war” against South », Reuters, 30 mars 2013. 46 Chung Jane « North Korea moves two more missile launchers : report », Reuters, 20 avril 2013. 47 Gelb Leslie H., « The NATO Summit : What happened to Obama’s Pivot From Europe to Asia »,The Daily Beast, 20 mai 2012. 48 Joyner, James, « Jones : ‘Pivot to Asia’ Regretable Word Choice », Atlantic Council, 1 mars 2013, http://www.acus.org/ new_atlanticist/jones-pivot-asia-regretable-word-choice 49 Clinton Hillary, « America’s Pacific Century », op. cit. 50 Clinton Hillary Clinton, Secretary of State, « Remarks With European Union High Representative for Foreign Policy Catherine Ashton After Their Meeting », Washington DC, 17 mai 2011, http://www.state.gov/secretary/ Le « pivot » américain vers l’Asie tageant les mêmes valeurs et poursuivant les mêmes objectifs que les États-Unis, mais aussi un modèle et un étalon qui permettent de mesurer l’ampleur de l’alignement que réclame Washington. Il est intéressant de voir que le modèle de l’OTAN est employé pour rassurer les partenaires asiatiques sur la forme que prendra l’engagement américain en Asie, à savoir celle d’un partenariat durable, à l’instar de celui qui a été forgé avec l’Europe51. Or, une telle promesse d’engagement pourrait sonner creux et semer plus encore le doute chez des partenaires asiatiques – déjà préoccupés par le difficile exercice d’équilibre qu’impose l’entretien de relations cordiales avec les États-Unis et la Chine simultanément – si Washington se met à « lâcher » son allié européen. Les craintes et doutes quant à la pérennité de l’engagement américain restent en effet bien présentes en Asie. Au-delà des contraintes budgétaires dont l’armée américaine fait l’expérience, le Moyen-Orient reste une région instable et volatile, où les dossiers iranien, pakistanais et afghan ou encore israélo-palestinien et syrien font chacun planer un risque de conflagration. D’autres régions, comme l’Afrique, sont également le théâtre d’enjeux sécuritaires pouvant requérir une présence américaine plus importante, d’autant plus que les Européens se montrent plus que réticents à augmenter leurs dépenses militaires, et à assumer une part plus active dans leur sécurité et celle de leur voisinage. Le spectre d’un retour à une politique isolationniste, ou un changement de priorités découlant d’une alternance à la tête de l’État américain représentent d’autres craintes que peuvent avoir les partenaires asiatiques de Washington. C’est pourquoi Hillary Clinton déclarait : « À ceux en Asie qui se demandent si les États-Unis sont vraiment là pour rester, (…), la réponse est : oui, nous le pouvons, et oui nous le ferons. […] car nous le devons. Notre propre sécurité et prospérité à long-terme en dépendent. »52 Si le terme « pivot » est devenu « rééquilibrage » dans le discours officiel, il n’en reste pas moins que les fondamentaux restent les mêmes ; ils sont en outre très concrets comme le démontre son aspect de défense antimissile. Dans les discours, les officiels américains démentent donc l’idée selon laquelle le repositionnement américain en faveur de l’Asie-Pacifique s’accompagnera des relations plus faibles avec l’Europe. Mais qu’en est-il dans les faits ? L’émergence d’un discours très critique envers l’OTAN et plusieurs décisions relatives à cette organisation apportent un éclairage différent sur ce que le pivot américain implique pour l’Europe. Réactions de la Chine et de la Russie Là où les objections russes et les risques de dégradation des relations entre Moscou et Washington sont omniprésentes dans les discours et articles sur le bouclier antimissile en Europe, les objections chinoises ou russes à un bouclier en Asie, pourtant existantes, ont jusqu’à récemment été pratiquement passées sous silence dans la presse et les documents officiels américains53. La défense antimissile a pourtant été un sujet de rm/2011/05/163569.htm 51 Ibidem. 52 « To those in Asia who wonder whether the United States is really here to stay, (...) the answer is : Yes, we can, and yes, we will. First, because we must. Our own long-term security and prosperity depend on it », Clinton Hillary, « America’s Pacific Century », op. cit. 53 Boese Wade, « Europe Anti-Missile Plan Faces Hard Sell », Arms Control Association, janvier/février 2008, http:// armscontrol.org/act/2008_01-02/europemissile 13 14 Rapport du GRIP 2013/6 tensions diplomatiques tant en Asie qu’en Europe54. La Chine a exprimé à de nombreuses reprises ses craintes quant à un encerclement mené à son encontre par les États-Unis et aux conséquences d’un bouclier antimissile sur la stabilité régionale55. Pourtant, si les États-Unis ont maintenu que le déploiement antimissile en Asie est destiné à se prémunir d’une menace nord-coréenne56, de nombreux signes indiquent que la Chine est également concernée57. En septembre 2012, lorsque le secrétaire de la Défense, Léon Panetta, a annoncé la construction d’un second radar antimissile au Japon et la possibilité d’un troisième, situé éventuellement aux Philippines, il a insisté sur le fait que ce développement n’était pas dirigé contre la Chine mais avait pour objectif de répondre à un éventuel tir de missile depuis la Corée du Nord. Pourtant, le troisième radar ne semble pas correspondre à un besoin de protection face à une menace nord-coréenne58, mais plutôt à une volonté de détection de missiles lancés par la Chine59. C’est ce qui a amené le ministre chinois de la Défense, Liang Guanglie, à demander si la base japonaise de la préfecture d’Aomori n’était pas suffisante pour gérer la menace nord-coréenne. Les affirmations américaines selon lesquelles les mesures antimissiles en Asie ne visent pas la Chine ne sont toutefois pas parvenues à convaincre les autorités de Pékin60. La Chine craint en effet que le système antimissile américain ne permette aux États-Unis de neutraliser ses forces nucléaires, reprenant à son compte les inquiétudes russes à l’égard du bouclier de l’OTAN déployé en Europe61. Cette évolution du dispositif antimissile en Asie est perçue par Pékin comme une stratégie d’endiguement. En février 2010, le colonel Dai Xu déclarait à cet égard que les États-Unis mettaient en place un encerclement de la Chine allant du Japon à l’Afghanistan en passant par la Corée du Sud, la mer de Chine du Sud et l’Inde similaire à celui jadis mis en place à l’encontre de l’URSS62. En outre, le système antimissile américain est vu comme une menace pour les prétentions chinoises sur Taïwan et comme une source de risque dans les conflits territoriaux en mer de Chine. En effet, les alliés des États-Unis pourraient adopter une posture plus agressive s’ils se sentaient protégés par un bouclier63. Selon certains auteurs, la posture plus agressive des Philippines et du Vietnam dans leurs revendications en mer de Chine du Sud s’expliquerait notamment par le support américain64. 54 LI Xiaokun et Tan Yingzi, « US insists missile defense targets DPRK, not China », China Daily, 25 août 2012, http://usa.chinadaily.com.cn/world/2012-08/25/content_15705003.htm 55 « China’s Opposition to US Missile Defense Programs »,CNS Programs : EANP Factsheets, http://cns.miis.edu/archive/country_china/chinamd.htm 56 Weitz Richard, « China Steps Up Rhetoric against Missile Defense », China Brief, vol XII, issue 20, 19 octobre 2012, p. 11-14. 57 Clinton’s remark at the Foreign Policy Group’s «Transformational Trends 2013 » Forum, novembre 2012 58 Le China Daily a d’ailleurs ironisé, affirmant que si le système antimissile était bien destiné à se protéger de la Corée du Nord, les mesures prises correspondraient à tuer une mouche avec un bazooka, compte tenu des limites de l’arsenal nord-coréen. 59 LiBin, « China and the New U.S. Missile Defense in East Asia », Carnegie Endowment, 6 septembre 2012, http:// carnegieendowment.org/2012/09/06/china-and-news-u.s.-missile-defense-in-east-asia/drth 60 Weitz Richard, « China Steps Up Rhetoric against Missile Defense », China Brief, vol XII, issue 20, 19 octobre 2012, p. 11-14, p. 11. 61 Weitz Richard, op. cit., p. 12. 62 Ibidem. 63 Qin Jize et Li Xiaokun, « China circled by chain of US anti-missile systems », China Daily, 22 février 2010, http:// usa.chinadaily.com.cn/2010-02/22/content_11016099.htm 64 Pan Chengxin, « Is the South China Sea a new ‘Dangerous Ground’ for US-China rivalry ? », East Asia Forum, 24 mai 2011, http://www.eastasiaforum.org/2011/05/24/is-the-south-china-sea-a-new-dangerous-ground-for-uschina-rivalry/ Le « pivot » américain vers l’Asie Suite à la décision, en mars 2013, de développer le système antimissile sur la côte Ouest des États-Unis et en Asie, les critiques russes et chinoises envers le bouclier américain en Asie ont été plus vives et ont finalement connu plus d’échos. En témoigne la déclaration conjointe de la Russie et de la Chine dans laquelle Vladimir Poutine et Xi Jinping ont exprimé leur opposition au « renforcement unilatéral et illimité de la défense antimissile d’un État ou groupe d’États » et les risques que cela représentait pour la stabilité et la sécurité internationales65. Pékin a appelé les États-Unis à faire preuve de circonspection et à contrer la menace balistique nord-coréenne par des moyens politiques66. En effet, le renforcement du dispositif américain en Alaska, s’il vise prioritairement la menace nord-coréenne, peut également être vu comme un dispositif visant à contre les forces de dissuasion russe et chinoise. 65 Kulacki Gregory, « Chinese-Russian Joint Statement on Missile Defense », All Things Nuclear, 27 mars 2013, http://allthingsnuclear.org/chinese-russian-joint-statement-on-missile-defense/ 66 « Russie et Chine renforceront leur défense antimissile», RIA Novosti, 19 mars 2013, http://fr.rian.ru/ world/20130319/197836234.html 15 16 Rapport du GRIP 2013/6 Constance américaine sur la responsabilité sécuritaire de l’Europe Les conséquences du « shift » américain sur le paysage sécuritaire asiatique ayant été présentées, nous allons désormais nous pencher sur l’impact de la réorientation géographique américaine sur l’architecture sécuritaire en Europe. Nous reviendrons d’abord sur les évolutions du projet de bouclier pour l’Europe et leurs motivations, avant de déterminer leur impact pour les partenaires européens de l’Alliance atlantique et l’industrie européenne de la défense. La poursuite du déploiement du bouclier antimissile en Europe D’un système de défense antimissile américain à un système otanien Après plusieurs mois de débats et de controverses sur le déploiement du bouclier antimissile américain en Europe centrale, le président Obama a annoncé, en septembre 2009, une révision du projet afin, officiellement, de s’assurer de l’efficacité et de la rentabilité du système et de répondre à une Le nouveau projet de bouclier antimissile nouvelle évaluation des menaces (en provede l’administration Obama nance d’Iran notamment)67. Officieusement, une volonté de relancer les relations avec la Russie n’était pas étrangère à cette décision de déployer le système plus vers le sud de l’Europe. En effet, après les phases successives d’élargissement de l’UE et de l’OTAN dans les pays de l’URSS et les « Révolutions de couleur » en Géorgie, Ukraine et Kirghizistan, l’installation d’éléments du bouclier en Pologne et en République tchèque était perçue, côté russe, de plus en plus comme un encerclement et comme une menace pour les forces nucléaires stratégiques. La nouvelle architecture prévue par l’administration Obama annule la « troisième position »68 du système de défense antimissile américain prévue en 2007 par l’administration Bush et prévoit une « approche adaptaSource : Site du Courrier international, d’après un article original de tive phasée » pour la composante régionale David E. Sanger, The New York Times, 24 septembre 2009, http://www.­ concernant l’Europe. La European Phased courrierinternational.com/article/2009/09/24/la-priorite-de-washington-contenirla-menace-iranienne Adaptive Approach (EPAA) vise à instaurer un système de défense antimissile composé d’intercepteurs de missiles (variantes du SM-3) basés sur terre et en mer, ainsi que des capteurs répartis sur le sol européen, afin de protéger le territoire des membres de l’OTAN de la menace balistique ­iranienne. 67 The white house, « Fact Sheet on U.S. Missile Defense Policy A “Phased, Adaptive Approach” for Missile Defense in Europe », Office of the Press Secretary, 17 septembre 2009, http://www.whitehouse.gov/the_press_office/FACTSHEET-US-Missile-Defense-Policy-A-Phased-Adaptive-Approach-for-Missile-Defense-in-Europe 68 En sus des systèmes de défenses antimissiles basés en Alaska et en Californie. Le « pivot » américain vers l’Asie 17 Plus précisément, cette architecture se mettra en place selon quatre étapes : la première consiste à déployer des systèmes de défense antimissile comprenant le système de missiles Aegis basé en mer, des intercepteurs de missiles SM-3 IA et des capteurs, afin de répondre aux menaces régionales des missiles balistiques pour l’Europe. La phase 2, prévue pour 2015, envisage de déployer sur terre et en mer une version améliorée du SM-3, le « SM-3 IB », ainsi que des capteurs plus évolués pour se protéger contre les missiles à courte et moyenne portée. La zone couverte sera ainsi plus étendue. La phase 3, planifiée pour 2018, prévoit la mise en service d’une version plus évoluée du SM-3, le « SM-3 IIA », pour se protéger de missiles à courte et moyenne portée et à portée intermédiaire. Enfin, la phase 4, initialement prévue pour 2020 puis déjà reportée à 2022, consiste à déployer une nouvelle version du SM-3, le « SM-3 IIB », qui augmentera les capacités d’interception des missiles à moyenne portée et à portée intermédiaire et pourra répondre à la menace d’éventuels missiles intercontinentauxciblantles États-Unis. Cette version révisée de l’architecture du système de défense antimissile, « présentée comme une contribution à la sécurité européenne que les États-Unis souhaitaient développer au sein de l’OTAN » devient, pour les Européens, « plus acceptable car elle ancr[e] le système dans l’instance euro-atlantique »69. C’est pourquoi, au sommet de Lisbonne de 2010, l’ensemble des membres de l’OTAN a accepté le projet d’EPAA américain comme « une contribution nationale précieuse à l’architecture de défense antimissile de l’OTAN », laquelle se présentait sous la forme d’un programme de défense multicouche active contre les missiles balistiques de théâtre (ALTBMD)70. Désormais, l’objectif n’est plus seulement de protéger les troupes déployées par l’OTAN mais également les territoires et les populations des alliés. Pour ce faire, certains États de l’Alliance ont réalisé des contributions volonsite du Figaro, 18 novembre 2010,http://www.lefigaro.fr/international/2010/11/18/01003taires et conclu des accords bila- Source : 20101118ARTFIG00680-paris-et-berlin-se-retrouvent-sur-le-nucleaire.php téraux avec les États-Unis, pour l’installation sur leur territoire de composantes du bouclier, à l’instar de la Pologne, de la Turquie et de la Roumanie. D’autres pays ont préféré développer nationalement des composantes du bouclier, à l’instar des Pays-Bas et de la France par exemple. 69 Pertusot Vivien, « La défense antimissile : américaine sûrement, européenne peut-être », in Olivier Kempf (dir.), L’Alliance atlantique transformée, Revue Défense Nationale/Economica, été 2012, n° 752. p. 54-62. 70 Déclaration du sommet de Lisbonne. 20 novembre 2010, http://www.nato.int/cps/fr/natolive/official_texts_68828. htm 18 Rapport du GRIP 2013/6 D’une capacité intérimaire à l’annulation de la 4ème phase de l’EPAA Lors du Sommet de Chicago de mai 2012, l’achèvement de la première phase du bouclier antimissile, atteignant une « capacité intérimaire » fournissant une protection à la Turquie et à l’Europe du Sud-Est a été officiellement annoncé. Les missiles intercepteurs SM-3 ont été montés sur les destroyers « Aegis » USS Monterey et USS Sullivan patrouillant en Méditerranée, un système de surveillance radar mobile de l’armée de terre et de la marine (AN/TPYLe fonctionnement du bouclier antimissile 2) a été déployé en Turquie et un système de commandement et de contrôle a été installé dans la base de Ramstein en Allemagne71. Malgré les nombreuses menaces de rétorsion russes, l’Alliance n’a pas pour autant renoncé au projet et les prochaines étapes sont déjà clairement dessinées. Ainsi, la base navale de Rota, en Espagne, servira de lieu de déploiement pour deux destroyers lancemissiles américains au cours de l’exercice financier 2014, ainsi que pour un destroyer et un croiseur au cours de l’exercice finanSource : site de Milsat magazine, mai 2008, http://www.milsatmagazine.com/cgi-bin/display_article.cgi?number=2110085368 cier 2015. L’OTAN stationnera en 2015 en Roumanie, en 2018 en Pologne et sur des navires, le théâtre européen des missiles intercepteurs « SM-3 IB » et « SM-3 IIA » (phases 2 et 3), puis déploiera en 2020, sur terre et en mer, des « SM-3 II B » (phase 4). Pourtant, en mars 2013, le Secrétaire d’État américain à la Défense, Chuck Hagel, a annoncé l’annulation du déploiement des SM-3 IIB72. Une annonce sans surprise Cette annonce répond à plusieurs considérations mais ne pouvait surprendre pour plusieurs raisons. Une réévaluation de la menace Dès 2009, l’administration Obama a souligné que « de nouvelles avancées technologiques ou de nouveaux changements dans l’évaluation de la menace pourraient modifier les détails ou le calendrier des phases plus avancées »73. C’est ce qu’a d’ailleurs tenu à rappeler M. Hagel lors de la conférence de presse : « dès le départ nous savions que ce programme de défense antimissile requerrait d’éventuelles adaptations et, dès lors, 71 « U.S. to Declare Interim European Missile Defense Capability at NATO Summit », Global Security Newswire, 18 mai 2012. 72 Hagel Chuck, Secretary of Defense, « Missile Defense Announcement », discours, The Pentagon, 15 mars 2013, http:// www.defense.gov/speeches/speech.aspx?speechid=1759 73 The White House, « Fact Sheet on U.S. Missile Defense Policy A “Phased, Adaptive Approach” for Missile Defense in Europe », op. cit. Le « pivot » américain vers l’Asie nous avons construit ce bouclier comme un ensemble d’outils que nous pouvons sélectionner en fonction de l’évolution de la menace, si celle-ci va plus vite ou plus lentement que ce que l’on pensait »74. Washington considère la Corée du Nord comme une menace potentielle en matière de missiles balistiques. Elle a donc développé en conséquence un système antimissile dans la région et ce malgré les objections chinoises75. Or, c’est bien la menace nord-coréenne qui a servi à justifier la création du bouclier déployé en Asie et, en 2013, à annuler la quatrième phase du déploiement du bouclier en Europe. Les capacités balistiques de ce pays, en comparaison avec celles de l’Iran, expliquent-elles la politique antimissile américaine ? Le discours américain semble à première vue comporter une évolution. Dans le Ballistic Missile Defense Review de février 2010, la Corée du Nord et l’Iran sont tous deux présentés comme des États présentant une menace en raison de leur « mépris pour les normes internationales, de la poursuite de programmes d’armes illicites et leurs actions et déclarations provocatrices »76. Pyongyang et Téhéran développent des programmes de missiles et possèdent des modèles de courte et moyenne portées et d’autres à portée intermédiaire,susceptibles de menacer les forces américaines déployées ou leurs alliés (Japon et Corée du Sud pour la Corée du Nord ; Moyen-Orient et Europe de l’Est pour l’Iran). Pourquoi alors limiter le bouclier en Europe et approfondir celui en Asie en invoquant la menace nord-coréenne pour justifier cette décision ? En effet, l’Iran dispose d’un arsenal de missiles balistiques important mais ceux-ci sont principalement des missiles à courte et moyenne portée. Cependant, selon l’USForeign Council, il est peu probable que ces missiles puissent atteindre les États-Unis ou leurs alliés car il faudrait les lancer depuis les côtes iraniennes le long du Golfe persique, une position de lancement vulnérable en raison de la présence américaine dans la région. En outre, si les experts considèrent que la République islamique pourrait se doter de missiles capables d’atteindre l’ouest de l’Europe en 2014, ils estiment que les États-Unis ne seront pas à portée de tir avant l’horizon 202077. Sur le plan nucléaire, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ne dispose toujours pas de preuve formelle que Téhéran a développé un programme nucléaire à visée militaire, bien qu’elle juge « crédibles » certaines informations relatives à des activités portant sur la mise au point d’un dispositif nucléaire explosif78. En 2013, le Secrétaire d’État à la défense souligne le « défi » que représente toujours autant le développement, par l’Iran et la Corée du Nord, de capacités en matière de missiles balistiques à longue portée. Il insiste toutefois sur les « progrès capacitaires » et les « provocations » récentes de Pyongyang. Ses propos font notamment allusion à la parade en avril 2012 de « ce qui apparaît comme étant » des missiles ­­balistiques intercontinentaux (KN-08) mobiles montés sur des véhicules routiers, ayant « pro74 Ibidem. 75 WeitzRichard, « China Steps Up Rhetoric against Missile Defense », China Brief, vol XII, issue 20, 19 octobre 2012, p. 11-14. 76 Department of Defense, « Ballistic Missile Defense Review », 2 février 2010, p. 6, http://www.defense.gov/bmdr/ docs/BMDR%20as%20of%2026JAN10%200630_for%20web.pdf 77 Masters Jonathan, « U.S. Ballistic Missile Defense », Council on Foreign Relations, 1er mai 2013. http://www.cfr. org/defensehomeland-security/us-ballistic-missile-defense/p30607 78 Conseil des gouverneurs de l’AIEA. « Mise en œuvre de l’accord de garanties TNP et des dispositions pertinentes des résolutions du Conseil de sécurité en République islamique d’Iran », GOV/2011/65, 11 novembre 2011, p. 4 de l’annexe. 19 20 Rapport du GRIP 2013/6 Source : site du Daily Mail, 12 avril 2013, http://www.dailymail.co.uk/news/article-2307828/North-Korea-nuclear-threat-USvows-protect-world-John-Kerry-arrives-Seoul.html bablement la portée pour atteindre le territoire américain » à la mise sur orbite d’un satellite grâce au missile balistique à longue portée Taepodong-2 en décembre 2012 perçue par les experts comme un essai de missile balistique ; et enfin à l’essai nucléaire de février 2013, le troisième après ceux de 2006 et 2009. En 2013, ce qui change dans le discours américain ce n’est pas l’origine de la menace puisque l’Iran et la Corée du nord sont tous deux à nouveau mentionnés. Ce qui varie en revanche c’est le degré d’immédiateté de la menace. Les récentes évolutions capacitaires et technologiques nord-coréennes mettant à portée de tir le continent américain et plus précisément l’île Le « pivot » américain vers l’Asie de Guam – et ce, « un peu plus rapidement que prévu »79 – ont nécessité une réévaluation de la menace et une adaptation du système de défense antimissile américain. Le bouclier américain poursuit trois objectifs : protéger le territoire national, les forces américaines déployées à l’étranger et les alliés des États-Unis80. Dans l’Annual Threat Assesment du Comité des forces armées du Sénat américain datant de 2013, l’Iran est certes présenté comme une menace majeure et ses missiles sont dits capables d’atteindre une cible au Moyen-Orient et en Europe81,mais leurs équivalents nord-coréens, pourraient eux atteindre le sol américain82. En conclusion, si la décision d’annuler la quatrième phase en mars 2013 tient toujours compte de la menace iranienne, elle met surtout en avant l’évolution de la menace du régime de Pyongyang : « la Corée du Nord a récemment fait des progrès en matière de capacités balistiques et s’est engagée dans une série de provocations irresponsables et démesurées »83. Des obstacles financiers et techniques En outre, un déploiement opérationnel de ces SM-3 IIB avait déjà été repoussé de deux ans pour des raisons financières. Enfin, plus récemment, en février 2013, un rapport du Government Accountability Office (GAO), avait soulevé plusieurs aspects problématiques du programme : les lieux de déploiement ne sont pas les plus adaptés par rapport aux menaces, il existe des risques en matière de sécurité et des hausses des coûts et des délais sont à prévoir, en raison de défis technologiques à résoudre84. Une volonté d’apaisementavec la Russie85 Par ailleurs, toute décision américaine relative au bouclier antimissile doit être également analysée à l’aune des relations russo-américaines. Déjà en 2009, la reconfiguration du système de défense antimissile qui préférait un système mixte d’intercepteurs basés sur terre et sur mer et non plus seulement sur terre à proximité du territoire russe (République tchèque et Pologne), s’inscrivait dans une logique visant notamment à améliorer les relations avec la Russie. Cela avait permis entre autres de relancer les discussions sur une nouvelle réduction des arsenaux nucléaires américain et russe, de conclure un nouveau Traité START et de tenir un Conseil OTAN-Russie en novembre 2010, qui s’est voulu un prélude à un véritable partenariat stratégique. Depuis lors, les relations se sont tendues : face à l’implantation progressive du système antimissile américain, Moscou a fait « resurgir [ses] vieux complexes d’encerclement, doublé [de l’]inquiétude […] que tout ce qui se fait sans la Russie se [fait] contre 79 Hagel, Chuck, Secretary of defense, « Missile Defense Announcement ». op. cit. 80 « Fiscal Year 2014 Budget Request: Overview », Department of Defense, avril 2013, p. 3. 81 Flynn Michael T., Lieutenant General, Defense Intelligence Agency, « Annual Threat Assesment », Statement before the Senate Armed Services Committee, 18 avril 2013, p. 13. 82 Donilon Tom, National Security Advisory to the President, « The United States and the Asia-Pacific in 2013 », Remarks, The Asia Society, New York, 11 mars 2013. 83 Hagel Chuck, Secretary of defense, « Missile Defense Announcement », discours, The Pentagon, 15 mars 2013, http://www.defense.gov/speeches/speech.aspx?speechid=1759 84 Government Accountability Office, Standard Missile-3 Block IIB Analysis of Alternatives,11 février 2013, http://www. gao.gov/products/GAO-13-382R 85 Voir Rouppert Bérangère, « Entre impératifs financiers, politiques et stratégiques : la poursuite des engagements russo-américains envers et contre tout », Note d’Analyse du GRIP, Bruxelles, 20 mai 2012. 21 22 Rapport du GRIP 2013/6 elle »86. Le Kremlin a donc logiquement répondu en novembre 2011 en mettant en alerte de combat un radar d’alerte lointaine à Kaliningrad, en menaçant de déployer des missiles Iskanderà Kaliningradet en équipant de nouveaux missiles stratégiques avec des systèmes avancés de pénétration de défense. Fin 2011, Moscou annonçait la construction d’un nouveau missile balistique intercontinental capable de battre le futur système de défense antimissile de l’OTAN (décembre 2011) et menaçait même de procéder à des frappes préventives sur les installations du bouclier en Europe de l’Est (mai 2012)87. Pourtant, les États-Unis cherchent un apaisement avec la Russie pour plusieurs raisons88. L’une d’elles concerne précisément le « pivot » américain en politique étrangère : dans un contexte où les crises et les menaces d’aujourd’hui et de demain puisent leurs sources dans les régions du Moyen-Orient et de l’Asie-Pacifique, les États-Unis doivent faire glisser le centre de gravité de leur politique de défense vers ces régions. Or, ils n’ont pas les moyens financiers d’assurer une présence massive à la fois en Europe, au Moyen-Orient et en Asie. Ils doivent impérativement se réorganiser et redéployer leurs forces en fonction des nouvelles priorités. Mais pour cela, ils doivent s’assurer d’une normalisation préalable de leurs relations avec la Russie, ce qui leur permettrait de pouvoir réduire l’effort défensif en Europe, concernant notamment le déploiement de leurs armes nucléaires tactiques. En effet, si l’option du retrait était envisagée, elle permettrait des économies en remettant en cause la modernisation des bombes tactiques B-61, le déploiement de chasseurs et de personnel dans les nombreuses bases européennes89. Enfin, l’apaisement avec Moscou est nécessaire pour le président Obama, partisan de l’ « option zéro », c’est à dire de l’abolition des armes nucléaires dans le monde, et favorable à de nouvelles réductions dans les arsenaux nucléaires des deux Grands90. Cependant, la décision américaine d’annuler la 4ème phase de l’EPAA ne semble pas avoir convaincu les Russes que le bouclier antimissile ne la visait pas directement. Ils ont très rapidement estimé qu’elle n’impliquait pas de changement sur les menaces pesant sur la Russie : les éléments du bouclier « seront placés sur des navires qui peuvent se déplacer d’un endroit à un autre en quelques jours. Les complexes au sol seront également mobiles »91. Autrement dit, « tout ce qui concerne les incertitudes stratégiques liées au déploiement du bouclier antimissile des États-Unis et de l’OTAN reste inchangé »92. Cet échec de la diplomatie américaine a surtout été patent lors de la conférence internationale sur la sécurité en Europe, qui s’est déroulée début février 2013 à Munich. Le ministre de la Défense russe a rappelé le « manque de confiance » 86 Romer Jean-Christophe, « La défense anti-missile et la Russie : non…mais ! », Revue Défense nationale, n° 748, mars 2012, p. 73. 87 « Russian military ups the ante on missile defense », Associated Press, 4 mai 2012. 88 Autres raisons que nous pouvons citer : la volonté d’Obama d’aller plus avant dans la réduction des arsenaux nucléaires américains et russes ; l’ambition de faire de la Russie un partenaire sur des dossiers internationaux brûlants comme celui de la Syrie ou de la Corée du Nord. 89 Voir Rouppert Bérangère, Les armes nucléaires tactiques américaines en Europe : les enjeux d’un éventuel retrait, Rapport du GRIP, mai 2012, http ://www.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2012/Rapport%202012-5.pdf 90 Voir « Remarks by President Obama at the Brandenburg Gate -- Berlin, Germany », 19 juin 2013, http://www. whitehouse.gov/the-press-office/2013/06/19/remarks-president-obama-brandenburg-gate-berlin-germany 91 « Bouclier antimissile européen : la renonciation à la quatrième étape n’est pas définitive », La Voix de la Russie, 18 mars 2013, http://french.ruvr.ru/2013_03_18/Bouclier-antimissile-europeen-la-renonciation-a-la-quatriemeetape-n-est-pas-definitive/ 92 « La restructuration de la défense antimissile américaine critiquée par la Russie et la Chine », Opex360, 20 mars 2013. Le « pivot » américain vers l’Asie entre l’Occident et la Russie tandis que le chef d’État-major des armées a annoncé que des mesures avaient été prises afin de « neutraliser un éventuel impact négatif du système de défense antimissile américain sur le potentiel nucléaire de la Russie »93. Quels impacts pour l’UE ? Un pivot présenté comme bénéfique pour l’UE Les États-Unis ont cherché à justifier leur repositionnement géographique auprès de leurs alliés européens et de les rassurer quant aux conséquences de ce tournant pour leur partenariat sécuritaire. Philip Gordon, assistant au Bureau américain des affaires européennes et eurasiennes, a rappelé que le pivot ne se faisait pas au détriment de l’Europe94. Le repositionnement américain est d’ailleurs présenté comme bénéfique pour l’Europe car l’ouverture des routes maritimes et la stabilité en Asie sont importantes pour le Vieux Continent même si ces paramètres ne sont pas en Europe. En effet, si les États-Unis demeurent le premier partenaire commercial de l’UE95, la Chine est le deuxième, suivi par le Japon, Taïwan et l’Asie du Sud-Est96 : la sécurité dans la région Asie-Pacifique est donc primordiale pour les intérêts économiques de l’Union européenne. Un impact moindre sur la sécurité des partenaires européens de l’Alliance Cependant, dans le contexte actuel de la menace iranienne, la restructuration de l’EPAA n’affectera guère les partenaires européens de l’Alliance atlantique. En effet, la phase 3 de l’EPAA les protège contre des missiles à courte et moyenne portée et à portée intermédiaire pouvant aller jusqu’à une distance de 5 500 km, tandis que les intercepteurs SM-3 IIB de la phase 4 visaient à répondre à la menace de missiles balistiques intercontinentaux lancés en direction des États-Unis. Leur non-déploiement n’aura donc pratiquement aucun impact sur la sécurité des Européens (à l’exception des citoyens du Groenland). D’où l’affirmation selon laquelle les phases 1 à 3, prévoyant notamment l’installation de 24 missiles intercepteurs SM-3 IIA en Pologne et un nombre similaire en Roumanie, permettront de « couvrir tout le territoire européen de l’OTAN à l’horizon 2018 comme prévu »97. En outre, l’annulation de cette 4ème phase ne remet pas en cause les engagements pris par différents États européens pour participer financièrement ou en nature à la défense antimissile de l’OTAN. Les États-Unis attendent en effet de leurs partenaires européens qu’ils participent en fournissant notamment des capteurs et des intercepteurs, afin de rendre « plus effective » la défense antimissile98. Ainsi, si la Belgique « ne participera pas directement au bouclier antimissile », elle assumera sa part du financement des systèmes de commandement et de contrôle de la capacité ALTBMD et leur élargissement à la défense territoriale, à l’instar de tous les autres membres de « Sécurité en Europe : Moscou pointe les défis », Ria Novosti, 23 mai 2013. Gordon, Philip H., « Media Roundtable in the Hague », La Haye (Pays-Bas), 8 janvier 2013. Sauf lorsque mention contraire, les chiffres proviennent de la DG Commerce de l’Union européenne. European Commissioner for Trade, Welcoming remarks at the ASEAN-EU Business Summit, 9 mars 2013, http:// asean-eubizsummit.com/sponsor/64-Speaker-Presentations-and-Biographies 97 Ibidem. 98 Remarks by Frank A. Rose, Deputy Assistant Secretary, Bureau of Arms Control, Verification and Compliance « Growing Global Cooperation on Ballistic Missile Defense », Berlin, 10 septembre 2012. 93 94 95 96 23 24 Rapport du GRIP 2013/6 l’Alliance99. D’autres États mettent à disposition du système otanien des capacités développées initialement sur un plan national, ou décident de moderniser des capacités nationales. Les Pays-Bas, par exemple, vont moderniser quatre frégates de défense aérienne en les équipant de systèmes radar Thales Smart-L à portée étendue ; la France envisage une capacité de détection et d’alerte avancée (radar et satellite) pour détecter l’origine de tirs de missiles balistiques qui sera « interopérable avec les moyens de ses Alliés »100 ; l’Italie et l’Allemagne collaborent avec les États-Unis depuis plusieurs années déjà au projet MEADS, visant à remplacer les missiles sol-air Patriot (ÉtatsUnis), Hawk (Allemagne) et Nike Hercules (Italie)101qui serviront à la fois dans leur architecture de défense aérienne et au sein de la défense antimissile de l’OTAN ; en outre, la France et l’Italie ont développé conjointement le système sol-air moyenneportée/terrestre (SAMP/T)102. Une incitation pour l’UE à considérer l’Asie sous un angle sécuritaire ? L’OTAN, qui regroupe 21 membres de l’UE (bientôt 22), a, sous l’impulsion américaine, accordé davantage d’attention à l’Asie ces dernières années, comme l’a montré le dialogue stratégique engagé avec la Chine sur des questions telles que la sécurité en Afghanistan, au Pakistan et en Asie centrale, la piraterie ou encore la cybercriminalité103. L’OTAN a également développé de nouveaux partenariats avec l’Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande ou la Corée du Sud. Là aussi, ces évolutions se sont faites sous l’influence des États-Unis104. Les considérations géographiques et stratégiques otaniennes n’ont eu que très peu d’impact sur celles de l’UE : si l’Union a pris conscience de l’importance de la région Asie-Pacifique, c’est pour mieux se focaliser sur des thématiques économiques et financières plutôt que sécuritaires et militaires105. L’UE continue en effet à privilégier l’Afrique et les pays se trouvant dans son voisinage immédiat, tels que l’Europe de l’Est et le Caucase, la Russie, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient106, tel que le préconise la stratégie de sécurité européenne107. Il est évident que l’UE « ne peut pas faire face à toutes les menaces sécuritaires du monde »108 : si « les États-Unis sont une puissance militaire asiatique, ce n’est pas le cas de l’Europe »109. À cet égard, le Livre Blanc de la France, puissance militaire européenne majeure, paru en 2013 est assez évocateur : il met en opposition les ­intérêts 99 Gros-VerheydeNicolas, « Le bouclier antimissiles en version intérim », Bruxelles2, 21 mai 2012. 100Vedrine Hubert, Rapport pour le Président de la République française sur les conséquences du retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, sur l’avenir de la relation transatlantique et les perspectives de l’Europe de la défense,14 novembre 2012. 101MEADS (Medium Extended Air Defence System), United States of America, Army Technology, http://www. army-technology.com/projects/meads/ 102« US Ambassador : ‘ We need more European national contributions to NATO missile defense », Atlantic Council, 10 septembre 2012. 103086 PC 11 E - Draft Report by Assen AGOV (Bulgaria), General Rapporteur, « The rise of China and possible implications for NATO », printemps 2011, http://www.nato-pa.int/default.asp?SHORTCUT=2395 104Bouilhet Alexandrine, « La perspective d’une Otan ‘’mondiale’’ divise Paris et Washington », Le Figaro, 29 novembre 2006, http://www.lefigaro.fr/international/2006/11/29/01003-20061129ARTFIG90126-la_perspective_d_une_ otan_mondiale_divise_paris_et_washington.php 105Pawlak Patrick et Ekmektsioglou Eleni, « Transatlantic Strategies in the Asia-Pacific », ISS, juin 2012, p. 1-5. 106« L’OTAN après le Sommet de Lisbonne : nouveau concept stratégique, opérations et réponses », Études et Débats, no.4, journée d’étude du 1er décembre 2010, p. 1-48. 107Stratégie européenne de sécurité, Une Europe sûre dans un monde meilleur, 12 décembre 2003, www.consilium.europa. eu/uedocs/cmsUpload/031208ESSIIFR.pdf 108Keohane Daniel, « Strategic Priorities for EU Defence Policy », Policy Brief, n°146, FRIDE, février 2013. 109Ibidem. Le « pivot » américain vers l’Asie géographiques américains et européens, pour mieux souligner que si les États-Unis se tournent vers l’Asie, l’Europe, elle, doit prendre ses « responsabilités » face au développement de foyers d’instabilité « à ses frontières ». Il s’agit donc pour l’UE de donner une priorité à son voisinage proche visé par la politique européenne de voisinage mais également « aux voisins des voisins, soit le Sahel, la Corne de l’Afrique et le Golfe »110. Un énième signal fort des États-Unis Le risque d’un désengagement plus fort des États-Unis de l’OTAN ? Pour mener à bien leur repositionnement stratégique, les États-Unis ont besoin que l’Europe soit un partenaire qui s’assume et non un poids en matière sécuritaire111. Selon un article de l’Institut de recherche stratégique de l’écolemilitaire, beaucoup des sénateurs du Congrès américain estiment que, en matière de défense, l’Europe est « subventionnée » par le contribuable américain112. En raison des intérêts américains pour des horizons géographiques différents, l’OTAN pourrait devenir principalement l’affaire des Européens. On se souvient en effet de l’intervention de Robert Gates en juin 2011, lors d’un événement du Security and Defence Agenda, avertissant les Européens que « s’ils continuaient à diminuer leurs dépenses de défense au lieu de les augmenter, les futurs dirigeants politiques américains qui n’ont pas connu la Guerre froide, estimeront que le retour sur investissement des États-Unis dans l’OTAN n’en vaut pas la peine »113. Il ne s’agit finalement de rien de moins qu’une menace de désengagement plus avant de l’Alliance atlantique. Par ailleurs, comme nous l’avons déjà souligné, l’annulation de la phase 4 de l’EPAA va permettre aux États-Unis de dégager des fonds pour renforcer le système de défense antimissile basé sur leur territoire et en Asie, pour mieux répondre à l’immédiateté de la menace nord-coréenne. Ce signal fort d’un repli américain sur leur territoire a connu un autre épisode ces derniers mois : en décembre 2012, le Congrès a bloqué la dernière tranche de financement (400,9 millions de dollars) du projet de défense antimissile Medium Extended Air Defense System (MEADS) dans lequel sont engagés les États-Unis via LockheedMartin, l’Allemagne et l’Italie. Les parlementaires américains ont invoqué « un système que le Pentagone n’utilisera pas » qui serait un « gaspillage » des deniers publics114. Après avoir vivement critiqué cette décision et menacé les États-Unis d’importantes pénalités de résiliation et de non-utilisation des technologies développées115, Berlin et Rome ont finalement vu le Congrès accepter ce financement à hauteur de 380 millions de dollars. Un tel défaut de paiement de la part des États-Unis aurait été d’autant plus préjudiciable pour l’Allemagne et l’Italie que 110Biscop Sven, « And what will Europe do ? The European Council and military strategy », Egmont Institute, Security policy brief, n°46, mai 2013. 111Ibidem. 112Kandel Maya, « Les États-Unis, l’Europe et la défense antimissile », Institut de recherches stratégiques de l’école militaire, 23 octobre 2012, http://www.defense.gouv.fr/irsem/publications/lettre-de-l-irsem/lettres-de-l-irsem2012/lettre-de-l-irsem-n-8-2012/dossier-strategique/les-etats-unis-l-europe-et-la-defense-antimissile 113Discours de Robert Gates, « Reflections on the status and future of the transatlantic alliance », The Security and Defence Agenda, Bruxelles, 10 juin 2011, http://www.defense.gov/speeches/speech.aspx?speechid=1581 114En effet, dès 2009, le Pentagone a annoncé qu’il n’utilisera pas le système MEADS ; l’Allemagne a fait de même fin 2011, « Lawmaker : Restore missile-defense funding », Defense Tech, 12 avril 2013, http://defensetech.org/2013/04/12/ lawmaker-restore-missile-defense-funding/ 115« Germany, Italy protest at U.S. axing of missile defense funding »,Reuters, 2 février 2013. 25 26 Rapport du GRIP 2013/6 le programme MEADS est prévu pour être « la base de leur architecture de défense aérienne » ainsi que leur contribution au bouclier antimissile de l’OTAN116. Toutefois, de là à voir dans l’annulation de la 4ème phase un désengagement américain de l’OTAN, il y a un pas. En effet, comme l’a rappelé un officiel du Département d’État américain, la Corée du Nord pose une « menace directe pour le territoire de l’OTAN. Ce n’est peut-être pas le territoire de l’OTAN auquel [les Européens]pensent habituellement, mais les États-Unis font encore partie du territoire de l’OTAN »117. La nécessité d’une Europe coproductrice de sécurité Néanmoins, si la tendance actuelle au repli américain se poursuit, la question d’une Europe de la défense forte se posera avec d’autant plus d’acuité. Car si les Européens continuent de faire de l’OTAN la clé de voûte de leur sécurité, ils se verront contraints de renforcer le pilier européen de l’Alliance pour combler la baisse d’investissements de Washington. Autrement dit, le tournant américain vers l’Asie n’a fait que confirmer la nécessité de créer une Europe « coproductrice de sécurité » et non plus seulement « consommatrice de sécurité »118. Tels sont les messages envoyés par l’administration Obama : si les Européens veulent plus d’OTAN, il leur sera nécessaire d’investir davantage dans l’Alliance, en nature ou via des contributions financières. D’autres facteurs poussent également à renforcer les capacités européennes en matière de défense, à commencer par des considérations pragmatiques. En effet, la crise économique et financière persistante a créé un climat d’austérité sur le continent et provoqué d’importantes coupes budgétaires dont les budgets militaires ne sont pas sortis exempts. Un phénomène qui a notamment conduit à un traité bilatéral francobritannique, le Traité de Lancaster. Car selon Liam Fox, alors Secrétaire à la Défense britannique, dans un contexte de restrictions budgétaires accrues, il est insensé que la France et la Grande-Bretagne dépensent séparément des sommes astronomiques dans des projets visant à développer les mêmes capacités alors qu’elles peuvent le faire conjointement à moindres coûts119. Cette option a été confirmée deux ans plus tard par le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, qui a déclaré à Bruxelles à l’automne 2012 que « la situation [était] opportune » et les conditions « réunies » pour avancer dans l’Europe de la défense, citant notamment la « réorientation stratégique des États-Unis vers l’Asie »120. En outre, les théâtres libyen et malien ont mis en lumière la nécessité d’avoir les « bonnes »121 capacités. Les lacunes capacitaires observées ont souligné des besoins communs aux forces armées des différents États membres, pour ce qui est du 116« Germany Opposes U.S. Shutdown of MEADS Program », Global Security Newswire, 19 juillet 2011. 117« I do remind my colleagues, European colleagues, that North Korea does pose a direct threat to the territory of NATO. It may not be the territory of NATO that they usually think about, but since the United States still is NATO territory », Background Briefing on the NATO Ministerial, Special Briefing, Senior State Department Official, Bruxelles, 22 avril 2013, http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2013/04/207858.htm 118Intervention de Pothier Fabrice, « L’OTAN après le Sommet de Lisbonne : nouveau concept stratégique, opérations et réponses », Études et Débats, no.4, journée d’étude du 1er décembre 2010, p. 1-48. 119Fox Liam, « A closer alliance with France will be good for Britain », The Telegraph, 30 octobre 2010. 120« Le Drian plaide pour une Europe de la defense », Europe1, 3 septembre 2012. 121Intervention de Timo Koster, directeur à la Direction politique et capacités de défense de la Division politique et plans de défense de l’OTAN au Parlement européen sur le thème « Defence capabilities-EU and NATO perspective ahead of the December Council », Delegation for relations with the NATO Parliamentary Assembly. Bruxelles, 7 mai 2012. Le « pivot » américain vers l’Asie r­ avitaillement en vol, du transport de troupes et de l’Intelligence-Surveillance-Reconnaissance (ISR). Ces failles logistiques n’ont pu être palliées qu’avec le soutien décisif des États-Unis dans la conduite des opérations. Ceux-ci ont, quant à eux, entériné leur nouvelle gestion des conflits qui ne relèvent pas directement de leur sphère d’influence, celle du « Leading from behind ». Là encore, Washington a envoyé un message clair aux Européens quant à la responsabilité de leur propre sécurité. Le pivot américain vers l’Asie impose définitivement à l’UE de faire un choix : « soit coopérer et garder une place, soit s’isoler »122. L’OTAN demeure, pour les États européens, « le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre »123 : s’ils souhaitent que cela perdure, ils de­vront investir dans leurs capacités et celles de l’Alliance, l’un n’étant pas exclusif de l’autre comme le montre l’usage de capacités nationales pour la défense antimissile de l’OTAN. Le Livre Blanc français souligne que le « partage du fardeau » des dépenses militaires entre les États-Unis et les Européens « ne pourra être envisagé de manière satisfaisante que s’il favorise le développement de l’industrie européenne de défense »124. Dynamique qui évitera à l’Europe de n’avoir « d’autre alternative que l’alignement stratégique et politique sous protection du glaive nucléaire et du bouclier antimissile américain ou une sécurité européenne dégradée »125. Voire d’être tout simplement privée de la possibilité d’agir parce que « les États-Unis ne voudront pas utiliser l’OTAN pour que l’UE règle ses problèmes avec ses voisins »126. En d’autres termes, si l’Union européenne veut conserver une indépendance stratégique, elle va devoir garantir « la sécurité d’approvisionnements en équipements de souveraineté et en systèmes d’armes critiques »127 et conserver une expertise et un savoir-faire technologique de haut-niveau, autrement dit, travailler au développement de sa base industrielle et de technologie de défense (BITD-E). La défense antimissile : un moyen de promouvoir l’industrie européenne de défense ? Sur le Vieux Continent, l’on a souvent tendance à donner plus d’échos aux mésaventures de l’industrie européenne de défense qu’à ses progrès. Ainsi, les articles sur les retards de l’avion de transport européen, l’A400M, ne se comptent plus. Plus récemment, la gifle est venue de la France elle-même qui a fait le choix d’acheter deux Reaper, des drones de surveillance américains au nez et à la barbe des industriels européens (Bae Systems, EADS et Dassault). Pourtant, des progrès notables ont été faits en matière de coopération. Certaines prennent la forme de petits « clusters » : comme la coopération franco-britannique128, la coopération maritime « Benesam » entre les 122Intervention de Claude Bréant, directeur de la branche recherche et technologie de l’Agence européenne de défense, lors du Colloque IRSEM-HEC-OED sur le thème « Économie et choix stratégiques de défense », École Militaire, Paris, 17 mai 2013. 123Article 42 du Traité de l’Union européenne. 124Ministère de la Défense, Livre Blanc 2013 sur la défense et la sécurité nationale, 29 avril 2013, p. 64. 125LavariniBernard, Pourquoi l’Europe doit se doter d’un bouclier antimissile, Revue défense nationale, n°748, mars 2012, p. 43-56. 126Intervention de Sven Biscop au Parlement européen, 7 mai 2013. 127Ministère de la Défense, Livre Blanc 2013, op. cit. p. 124. 128Sont concernés les pôles « opérations et formations », « équipements, industries et capacités », « cyber sécurité et lutte contre le terrorisme » et la coopération dans le domaine du nucléaire militaire. Pour plus de précisions, voir Goessens Guillaume, Où en sont les accords de coopération franco-britanniques de novembre 2010 ?, Note d’Analyse du GRIP, 30 mars 2012, Bruxelles, http://www.grip.org/fr/node/96 27 28 Rapport du GRIP 2013/6 Marines belge et hollandaise ou la Nordic Defence Cooperation regroupant le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède autour de projets sur les capacités militaires, la formation ou encore les opérations militaires. D’autres rassemblent plusieurs États européens autour de quelques projets structurants : une dizaine d’États collaborent sur le ravitaillement en vol, une douzaine sur les programmes de formations d’hélicoptères ou encore un petit groupe sur le système de missile Meteor. La défense antimissile trouve sa place dans le paysage de l’industrie de défense européenne pour deux raisons principales : le coût très élevé du développement de composantes d’une défense antimissile etl’engagement des partenaires européens à financer les coûts communs ou à fournir un apport en nature. Lorsque cette dernière option est retenue, elle requiert le plus souvent, en raison du contexte budgétaire critique des États européens, des coopérations bi ou multilatérales. Deux voies ont jusque-là été tracées : d’une part, celle de la Pologne qui en renforçant ses capacités nationales et en les mettant au service de l’Alliance, espère attirer dans son projet des partenaires européens ; d’autre part celle de la France qui entend promouvoir le concept de Smart Defence cher à l’Alliance atlantique, en promouvant des projets de l’industrie de défense européenne129. La Pologne La Pologne s’inquiète depuis quelques années des garanties sécuritaires fournies par l’Alliance atlantique : la guerre russo-géorgienne de 2008 a été pour elle un événement majeur car elle a montré la réticence de certains alliés à s’immiscer dans un confit impliquant le voisin russe, soulevant du même coup des questions quant à la crédibilité sécuritaire de l’Alliance130. La reconfiguration du projet de défense antimissile américain a été un autre facteur déclencheur. Dès lors, la Pologne a cherché des solutions dans le renforcement des liens européens en matière de défense en proposant plusieurs mesures. L’on peut notamment citer une meilleure coopération UE-OTAN, la mise en place de Battle Groups plus faciles à déployer, une participation accrue des États de l’Europe de l’Est à la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) et une coopération renforcée entre les forces armées européennes via le concept du « Pooling and Sharing » (Mutualisation et Partage)131. Mais, plus récemment, l’annonce par la Pologne de développer et financer son propre bouclier antimissile sur la période 2014-2023 indique un virage dans la politique de défense polonaise. Lasse d’attendre une réponse de ses alliés européens, Varsovie a fait le choix de développer son propre système de défense antimissile destiné à assurer la protection de son territoire, tout en sachant qu’il pourra également servir dans le cadre plus large de la défense antimissile otanienne. C’est ce que traduisent les propos du président polonais lorsqu’il affirme que ce bouclier « sera aussi un élément du système moderne de l’Otan, un signal important envoyé à tous, disant que la Pologne dispose de ses propres moyens de défense, tout en étant capable de participer à des systèmes communs propres à toute l’Alliance atlantique »132. Varsovie mise ainsi d’abord et avant tout sur sa sécurité : les 129Ministère de la Défense, Livre Blanc 2013, op. cit. p. 63. 130O’donnell, Clara Marina, « Poland’s U-Turn on European Defence : A Missed Opportunity ? », Centre for European Reform, 27 septembre 2012. 131Ibidem, http://www.cer.org.uk/sites/default/files/publications/attachments/pdf/2012/pb_poland_9march124791.pdf 132« La Pologne assure le financement de son bouclier antimissile », 7sur7, 12 avril 2013. Le « pivot » américain vers l’Asie dépenses colossales que ce programme va engendrer – 33,6 milliards d’euros jusqu’en 2018 – sont permises par la stabilité de la croissance polonaise, le gouvernement ayant réussi à maintenir le niveau d’investissement de 1,95 % de son PIB dans le domaine de la défense comme prévu par l’UE. La France Dès l’annonce du programme de défense antimissile de l’OTAN, la France a insisté sur la nécessaire participation de l’industrie européenne de la défense dans ce domaine. Au premier rang duquel se trouve l’industrie française, qui a depuis longtemps développé une expertise sur la globalité du système de défense antimissile « tels que des systèmes radars pour réaliser l’alerte lointaine, la trajectographie, la désignation d’objectif et la conduite de tir »133. Un intérêt national qui explique notamment l’insistance du président français fraîchement élu au sommet de Chicago, qui a obtenu que soit inscrite dans la déclaration l’idée d’une coopération entre États européens : « Nous prenons note des possibilités éventuelles de coopération en matière de défense antimissile, et nous encourageons les Alliés à étudier les possibilités de contributions volontaires supplémentaires, y compris par la coopération multinationale, à fournir les capacités concernées, ainsi qu’à exploiter les synergies potentielles en matière de planification, de développement et d’acquisition, et de déploiement »134. La France et l’Italie ont développé conjointement le système sol-air moyenne-portée/terrestre (SAMP/T), basé sur l’intercepteur Aster 30 Block 1développé par MBDA, qui constitue « la pierre angulaire de la contribution européenne » dans le système de défense antimissile euro-atlantique. En effet, il est pour le moment, au sein de l’OTAN, le seul système de défense aérienne contre des missiles de moyenne portée (600 km) de fabrication non américaine135, à même de garantir l’autonomie de la défense européenne face aux systèmes américains Patriot notamment. Des discussions exploratoires entre la France, l’Italie et le Royaume-Uni sont en cours sur le développement de l’Aster Block 1NT permettant d’intercepter des missiles d’une portée de 1000km et ouvrant la voie au développement du Aster Block 2, capable à terme d’intercepter des missiles d’une portée de 3 000 km136. Selon la revue Meret marine, du développement de ces technologies pourrait naître une composante navale dans la défense antimissile européenne « puisque l’Aster 30 équipe les nouveaux bâtiments de défense aérienne britanniques, français et italiens (T45 et Horizon), par ailleurs dotés des indispensables moyens de détection à longue portée (radar SMAR-L) et de poursuite (Sampson, EMPAR) »137. Il s’agit là de productions à haute valeur ajoutée, onéreuses et d’investissements sur du long terme, le Aster Block 2 ne serait a priori disponible qu’après 2020. Néanmoins, cet effort représente une étape importante vers l’autonomie des capacités de défense nationales et européennes et du même coup une réduction de la dépendance envers des systèmes de conception et de fabrication américaines. 133Chammeilhac, Véronique, « La DAMB : une locomotive industrielle et technologique », Revue de défense nationale, n°748, mars 2012, p. 57-61. 134Déclaration du Sommet de Chicago, point 60. 135SAMP / T Successful on a Franco-Italian Missile Defense Test, Defense update, 7 mars 2013, http://defense-update. com/20130307_samp-t-successful-on-in-a-franco-italian-missile-defense-test.html 136« MBDA Positioned to Score Big in 3 Deals », Defense news, 12 mai 2013. 137« La défense anti-missile balistique navale », Mer et marine, 2 avril 2013, http://www.meretmarine. com/fr/content/la-defense-anti-missile-balistique-navale 29 30 Rapport du GRIP 2013/6 Au-delà de ces collaborations ponctuelles, une véritable base industrielle et de technologie de défense européenne (BITD-E) exige des coopérations systématiques. La défense antimissile de l’OTAN, qui exige de telles coopérations, peut précisément fournir le cadre structurant manquant et l’impulsion nécessaire pour poser les bases d’une industrie européenne de la défense. Contrairement à l’Europe de la défense, qui nécessiterait d’abord et avant tout l’énonciation d’une véritable politique étrangère avec des objectifs comImplication de la firme Thales dans le bouclier antimissile de l’OTAN http://www.rusi.org/ muns en matière de sécurité et de downloads/assets/Luc_Dini.pdf défense, ou au moins des réponses à des questions telle que « quelle Europe de la défense ? Pour quoi faire ? Avec quelles responsabilités ? In fine quels moyens pour quelles capacités ? », le lancement d’une composante européenne de défense antimissile connaît déjà ces réponses fournies par les documents stratégiques de l’Alliance atlantique (la nouvelle posture de défense et de dissuasion, le concept stratégique de l’OTAN). Le « pivot » américain vers l’Asie Conclusion Le virage asiatique des États-Unis en matière de politique étrangère découle de multiples considérations quant à la place stratégique croissante qu’occupe, sur la scène internationale, la région Asie-Pacifique et, au sein de celle-ci la Chine. Les États-Unis ont fait le choix d’un rééquilibrage entre les moyens dont ils disposent, les intérêts qu’ils ont à défendre et la sécurité des territoires et des forces qu’ils ont à assurer. Le « pivot » vers l’Asie-Pacifique montre une ferme volonté de s’engager sur la voie de partenariats multiples, à l’image de celui noué depuis plus de soixante ans avec les alliés européens au sein de l’Alliance atlantique. En outre, alors que s’ouvre le second mandat de Barack Obama, l’accent est mis sur la priorité nationale : les deniers publics serviront non plus à des politiques interventionnistes mais bénéficieront aux contribuables américains, à la construction de la nation américaine et à leur sécurité. C’est dans cette optique que s’inscrit la nouvelle architecture sécuritaire américaine : les récents renforcements du bouclier antimissile en Asie couplés à un assouplissement du dispositif en Europe. Car, dans une période budgétaire difficile, il y a des choix stratégiques qui ont dû être faits à Washington. Si la révision/refonte de la défense antimissile en Europe n’est pas synonyme d’un désengagement américain de l’OTAN, elle constitue toutefois un énième message des États-Unis appelant à davantage d’investissements politique, financier et capacitaire de leurs partenaires européens. Davantage de responsabilité également dans la prise en charge de leur sécurité et, plus largement, dans la défense de leurs territoires et de leurs populations. Pour une Europe en proie à de forts blocages institutionnels et à une panne de sa politique de sécurité et de défense, la baisse programmée des contributions américaines dans l’OTAN fournit une opportunité, pour ne pas dire un prétexte, de relancer le pilier européen de l’Alliance. En effet, le programme de défense antimissile otanien peut apparaître comme le projet fédérateur manquant dont les États européens avaient besoin pour justifier de coopérations multilatérales et de partenariats industriels plus systématiques. La défense antimissile de l’OTAN va audelà de la très sensible question de la souveraineté de chaque État européen, puisqu’à terme c’est l’autonomie stratégique de l’UE vis-à-vis de leur partenaire américain qui est mise en question, voire menacée. Conserver une capacité à agir, fournie par une industrie de défense productrice des moyens de la puissance, c’est conserver la liberté de décider. 31 Les Rapports du GRIP 3/08 Les munitions au cœur des conflits – état des lieux et perspectives, Pierre Martinot, collab. I. Berkol et V. Moreau, 36 p., 7€ 3/10 La gestion des frontières terrestres et le trafic illicite transfrontalier des armes légères, Jihan Seniora et Cédric Poitevin, 24 p., 6 € 4/08 La problématique destination et utilisation finales dans les exportations d’armement, Damien Callamand, 30 p., 7€ 4/10 5/08 La mission des Nations unies au Congo – Le labo­ ratoire de la paix introuvable, Xavier Zeebroek, 30 p., 6 € Conférence de révision 2010 du Traité de nonprolifération - Succès et désillusions d’une nouvelle dynamique de désarmement nucléaire, Mehdi Mekdour et Bérangère Rouppert, 32 p., 7 € 5/10 Sécurité collective et environnement – Change­ ments climatiques et dégradation de l’environne­ ment, nouveaux enjeux des relations internatio­ nales, Patrice Bouveret et Luc Mampaey (éd.), 50 p., 8,50 € Contrôle des transferts d’armes – L’exemple des états francophones d’Afrique subsaharienne, Virginie Moreau, Cédric Poitevin et Jihan Seniora, 34 p., 7 € 1/11 Dépenses militaires, production et transferts d’ar­ mes – Compendium 2011, Luc Mampaey, 44 p., 8 € 2/11 La privatisation de la propagande américaine en Afghanistan et en Irak, Rendon Group, Arnaud Simonis, 24 p., 6 € 6/08 7/08 Le commerce extérieur des armes dans le fédéra­ lisme belge, Romain Leloup, 38 p., 7 € 8/08 Dépenses militaires, production et transferts d’armes – Compendium 2009, Luc Mampaey, 32 p., 7€ 3/11 L’ONU et le contrôle des embargos sur les armes – Entre surveillance et vérification, Virginie Moreau, 28 p., 6 € 9/08 La traçabilité des munitions, Pierre Martinot et Ilhan Berkol, 26 p., 6 € 4/11 1/09 Les armes nucléaires de l’OTAN – Fin de partie ou redéploiement ?, Jean-Marie Collin, 20 p., 6 € La Mission des Nations unies en RD Congo – Bilan d’une décennie de maintien de la paix et perspectives, Xavier Zeebroek, Marc Memier et Pamphile Sebahara, 40 p., 8 € 2/09 La politique pyromane de Washington - Les transferts militaires des États-Unis vers le MoyenOrient, Caroline Pailhe, 56 p., 9 € 5/11 Transparence en matière de transferts d’arme­ ments – Quelles responsabilités pour les Etats ?, Jihan Seniora, 34 p., 7 € 3/09 Le traité de Pelindaba - L'afrique face aux défis de la prolifération nucléaire, Cédric Poitevin, 40 p., 7 € 6/11 Le traité sur le commerce des armes – Les enjeux pour 2012, Virginie Moreau, 34 p., 7 € 4/09 Contrôles post-exportation lors des transferts d'armement - Preuve d'arrivée et monitoring d'uti­ lisation finale, Ilhan Berkol et Virigine Moreau, 40 p., 8€ 1/12 La Côte d’Ivoire un an après – Rétrospective sur cinq mois de crise électorale, ses impacts et ses questionnements, Bérangère Rouppert, 36 p., 7 € 2/12 5/09 La réforme du secteur de la sécurité en Républi­ que centrafricaine - Quelques réflexions sur la contribution belge à une expérience originale, Marta Martinelli et Emmanuel Klimis, 38 p., 8 € Ammunition controls, the ATT, and Africa – Challenges, requirements, and scope for action, Holger Anders, 20 p., 5 € 3/12 Interdiction des armes chimiques – Réalisations, défis et nouvelles priorités de la Convention, Bérangère Rouppert, 28 p., 6 € 4/12 Dépenses militaires, production et transferts d’armes – Compendium 2012, Luc Mampaey, 44 p., 8 € 6/09 Darfour. Mission impossible pour la MINUAD?, Michel Liégeois, 30 p., 6 € 7/09 RD Congo. Ressources naturelles et violence. Le cas des FDLR, Brune Mercier, 22 p., 5 € 8/09 Dépenses militaires, production et transferts d'armes - Compendium 2010, Luc Mampaey, 40 p., 8€ 5/12 Les armes nucléaires tactiques américaines en Europe – Les enjeux d’un éventuel retrait, Bérangère Rouppert, 24 p., 6 € 9/09 La Convention sur les armes à sous-munitions - Un état des lieux, Bérangère Rouppert, 28 p., 6 € 6/12 Panorama du trafic de cocaïne en Afrique de l’Ouest, Georges Berghezan, 36 p., 7 € 7/12 Ressources naturelles, conflits et construction de la paix en Afrique de l’Ouest, Bruno Hellendorff, 38 p., 7 € 8/12 La conférence 2012 sur une zone exempte d’armes de destruction massive au Moyen-Orient – Un échec programmé ?, Bérangère Rouppert, 32 p., 7 € 1/13 Côte d’Ivoire et Mali, au cœur des trafics d’armes en Afrique de l’Ouest, Georges Berghezan, 40 p., 7€ 2/13 Le contrôle du courtage en armements – Quelle mise en œuvre au sein de l’UE ?, Kloé Tricot O’Farrell, 36 p., 7 € 3/13 Mali – De l’intervention militaire française à la reconstruction de l’état, Bernard Adam, 32 p., 7 € 10/09 L'Union européenne et les armes légères - Une pluralité de politiques pour une problématique globale, Hadrien-Laurent Goffinet (avec la collaboration de Virigine Moreau), 28 p., 6 € 11/09 Le contrôle du courtage des armes légères - Quelle mise en oeuvre au sein de l'UE?, Virginie Moreau et Holger Anders, 32 p., 6 € 12/09 Le contrôle du transport aérien des armes légères - État des lieux et défis, Jihan Seniora, 32 p., 6 € 1/10 Recueil des articles concernant la politique extérieure de l’UE, Federico Santopinto, 66 p., 10 € 2/10 La guerre en sous-traitance – L’urgence d’un cadre régulateur pour les sociétés militaires et de sécurité privées, Luc Mampaey et Mehdi Mekdour, 32 p., 6 € La liste complète des Rapports est disponible sur www.grip.org Le «pivot » américain vers l’Asie Conséquences sur le système de défense antimissile américain, asiatique et européen Le virage asiatique des États-Unis en matière de politique étrangère découle de multiples considérations quant à la place stratégique croissante qu’occupe, sur la scène internationale, la région Asie-Pacifique et, au sein de celle-ci la Chine. Les États-Unis ont fait le choix d’un rééquilibrage entre les moyens dont ils disposent, les intérêts qu’ils ont à défendre et la sécurité des territoires et des forces qu’ils ont à assurer. Le « pivot » vers l’Asie-Pacifique montre une ferme volonté de s’engager sur la voie de partenariats multiples, à l’image de celui noué depuis plus de soixante ans avec les alliés européens au sein de l’Alliance atlantique. Au regard des événements récents, le présent rapport se fixe plusieurs objectifs : tout d’abord, revenir sur les facteurs qui ont conduit au virage dans la politique étrangère américaine en direction de la région Asie-Pacifique et déterminer les nouveaux contours de cette politique. Il s’agira ensuite de décrire l’architecture sécuritaire américaine mise en place dans cette région, en s’attardant plus longuement sur le système de défense antimissile et les réactions qu’il suscite. Enfin, l’impact du repositionnement américain sera analysé à la lumière des engagements sécuritaires des États-Unis dans l’Alliance atlantique, plus précisément au sein du système de défense antimissile transatlantique, et de ses conséquences sur les développements de la politique européenne de défense. Bruno Hellendorff et Bérangère Rouppert sont chercheurs au GRIP. Chaussée de Louvain, 467 B-1030 Bruxelles Tél.: (32.2) 241 84 20