Le « pivot » américain vers L`asie

publicité
Le « pivot » américain
vers l’Asie
Conséquences sur le système
de défense antimissile américain,
asiatique et européen
Bruno Hellendorff
et Bérangère Rouppert
2013/6
Ce rapport est publié dans le cadre du programme
« cellule de veille sur la production et les transferts d’armes dans le monde »
subventionné par la Région wallonne.
Les informations délivrées et les opinions exprimées dans ce texte
n’engagent que leur auteur et ne sauraient refléter une position officielle
de la Région wallonne.
Les activités du GRIP sont soutenues
financièrement par
le Ministère de la Région wallonne,
le Ministère de la Communauté française,
le Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale (ACTIRIS),
le Ministère des Affaires étrangères du Luxembourg,
le Ministère des Affaires étrangères de Belgique,
le Fonds Maribel Social
© Groupe de recherche et d'information
sur la paix et la sécurité (GRIP)
chaussée de Louvain, 467
B-1030 Bruxelles
Tél.: (32.2) 241.84.20
Fax: (32.2) 245.19.33
Courriel: [email protected]
Site Internet: www.grip.org
Le Groupe de recherche et d’information
sur la paix et la sécurité (GRIP)
est une association sans but lucratif.
Le « pivot » américain vers l’Asie
Table des matières
Introduction
Le « pivot » américain vers l’Asie…
Du vieux vin dans une nouvelle bouteille ?
Le prolongement d’une ambition mondiale
Un contexte préoccupant mais favorable
Europe vs Asie ? Vers une politique de partenariats
Réactions de la Chine et de la Russie
Constance américaine sur la responsabilité sécuritaire
de l’Europe
La poursuite du déploiement du bouclier antimissile en Europe
D’un système de défense antimissile américain à un système otanien
D’une capacité intérimaire à l’annulation de la 4ème phase de l’EPAA
Une annonce sans surprise
Quels impacts pour l’UE ?
Un pivot présenté comme bénéfique pour l’UE
Un impact moindre sur la sécurité des partenaires européens del’Alliance
Une incitation pour l’UE à considérer l’Asie sous un angle sécuritaire ?
Un énième signal fort des États-Unis
Le risque d’un désengagement plus fort des États-Unis de l’OTAN ?
La nécessité d’une Europe coproductrice de sécurité
La défense antimissile : un moyen de promouvoir l’industrie européenne
de défense ?
Conclusion
Les auteurs tiennent à remercier Alessia Virone, chercheure stagiaire au GRIP,
pour sa participation active à l’élaboration de ce rapport.
5
6
6
7
9
12
13
16
16
16
18
18
23
23
23
24
25
25
26
27
31
Le « pivot » américain vers l’Asie
Introduction
Barack Obama a déclaré lors d’un discours au Japon être le premier « Président américain du Pacifique ». Si cette appellation peut être vue comme une allusion à son enfance passée à Hawaï et en Indonésie, elle fait surtout référence au repositionnement de
la politique étrangère américaine en faveur de l’Asie-Pacifique et clôture un discours
sur l’importance de cette région pour Washington. La croissance économique forte
et rapide que connaît la zone, en dépit de la crise économique et financière mondiale,
fait d’elle le berceau de potentiels compétiteurs ou partenaires pour les États-Unis.
La hausse des dépenses militaires régionales conjuguée à des rivalités interétatiques
pourrait bien semer les graines de futurs conflits susceptibles de toucher aux intérêts
américains dans le Pacifique. Autant de raisons qui expliquent et justifient une évolution de la politique étrangère américaine vers cette région. Ce virage asiatique n’a
toutefois pas été sans susciter de vifs commentaires parmi les États européens, alliés
« traditionnels » des États-Unis, qui craignent de voir menacés les liens de défense
privilégiés existants entre les deux rives de l’Atlantique ; des relations incarnées par
l’OTAN, acteur majeur dans le système sécuritaire européen.
Plus récemment, les gesticulations nord-coréennes se sont révélées suffisamment
menaçantes à l’égard de la sécurité des États-Unis pour modifier leur architecture
sécuritaire dans la région et y engendrer un renforcement de leur système de défense
antimissile. Restrictions budgétaires oblige, ces investissements dans la sécurité de la
région asiatique ne peuvent aller sans un dégraissage des investissements dans la sécurité européenne : en mars 2013, l’administration Obama a annulé la quatrième phase
du déploiement du bouclier antimissile en Europe. Les ressources financières ainsi
dégagées permettront de renforcer le système antimissile sur leur territoire et en Asie
pour contrer la menace nord-coréenne.
Au regard de ces événements récents, le présent rapport se fixe plusieurs objectifs :
tout d’abord, revenir sur les facteurs qui ont conduit au virage dans la politique étrangère américaine en direction de la région Asie-Pacifique et déterminer les nouveaux
contours de cette politique. Il s’agira ensuite de décrire l’architecture sécuritaire américaine mise en place dans cette région, en s’attardant plus longuement sur le système de
défense antimissile et les réactions qu’il suscite. Enfin, l’impact du repositionnement
américain sera analysé à la lumière des engagements sécuritaires des États-Unis dans
l’Alliance atlantique, plus précisément au sein du système de défense antimissile trans­
atlantique, et de ses conséquences sur les développements de la politique européenne
de défense.
Obama Barack, « Remarks by President Barack Obama at Suntory Hall », 14 novembre 2009, Suntory Hall, Tokyo, Japon,
http://www.whitehouse.gov/the-press-office/remarks-president-barack-obama-suntory-hall
Le « pivot » américain vers l’Asie…
Du vieux vin dans une nouvelle bouteille ?
Le 10 novembre 2011, la Secrétaire d’État Hillary Clinton tenait un discours très
remarqué à Honolulu, où était organisé deux jours plus tard, le 19ème sommet de
l’APEC, le forum de coopération économique pour l’Asie-Pacifique. Le même mois,
elle signait un article paru dans la revue « Foreign Policy » qui explicitait le virage
vers l’Asie-Pacifique qu’opérait l’administration Obama, qu’elle décrivait comme « un
pivot nécessaire vers les nouvelles réalités mondiales ». Hillary Clinton fixait assez
distinctement au premier rang de ces nouvelles réalités, la montée en puissance économique et militaire de la Chine. Phénomène majeur de l’histoire contemporaine, tirant ses racines des réformes initiées par Deng Xiaoping à la fin des années 1970, cette
mutationgénère autant d’opportunités que de défis considérables pour la puissance
américaine. L’intérêt des États-Unis envers la région d’Asie-Pacifique n’est pourtant
pas si neuf. Au début du 19ème siècle déjà, Washington consacrait une part importante
de son attention au Pacifique, et à ses relations avec l’Asie. En 1844, Washington
signait ainsi avec la Chine des Qing le traité de Wanghia, qui lui accordait les mêmes
privilèges commerciaux que les Britanniques, ainsi que l’extraterritorialité pour ses
ressortissants. En 1853-54, le Commodore Perry ouvrait le Japon au commerce américain sous la menace de ses canonnières, précipitant la fin de l’époque d’Edo et la
restauration Meiji. A la fin du siècle, après une guerre contre l’Espagne, les États-Unis
acquéraient l’île de Guam et les Philippines, et établissaient un contrôle de fait sur
Cuba. En 1906, Theodore Roosevelt recevait le prix Nobel de la paix pour son rôle
de médiateur dans la guerre russo-japonaise. Déjà à l’époque, la région Asie-Pacifique,
concentrait donc de très importants intérêts, commerciaux et sécuritaires, pour les
États-Unis.
Les tendances isolationnistes de l’Amérique d’entre-deux guerres ont pu oblitérer
cette réalité un temps. Pearl Harbor, pourtant, a catalysé un réengagement considérable des États-Unis envers la région. Au sortir de la guerre du Pacifique, les États-Unis
étaient devenus en l’espace de quelques années la principale puissance mondiale, la
seule dotée de l’arme nucléaire, et ses troupes étaient déployées au Japon, en Corée
et aux Philippines. Le contexte de Guerre froide qui suivit eut pour effet de canaliser
et pérenniser cet engagement stratégique et militaire, au travers de ce qui deviendra le « système de San Francisco », c’est-à-dire un réseau d’alliances bilatérales, « en
étoile », tissé entre Washington et le Japon, la Corée du Sud, Taïwan, les Philippines et
la Thaïlande, à partir de la conférence de San Francisco de 1951. Il n’y eut donc pas
d’équivalent à l’OTAN en Asie, malgré quelques tentatives d’alliances multilatérales
ClintonHillary, « America’s Pacific Century », Remarques, East-West Center, Honolulu, 10 novembre 2011, http://
www.state.gov/secretary/rm/2011/11/176999.htm
Clinton Hillary, « America’s Pacific Century », Foreign Policy, 189, novembre 2011, p. 56-63.
Voir William Earl Weeks, The New Cambridge History of American Foreign Relations. Vol. I : Dimensions of the Early
American Empire, 1754-1865, Cambridge, Cambridge University Press, 2013.
Voir Kent Calder, « Securing security through prosperity: the San Francisco system in comparative perspective »,
The Pacific Review, 17(1), 2004, p. 135-157.
Christopher M. Hemmer & Peter J. Katzenstein « Why Is There No NATO in Asia? Collective Identity, Regionalism, and the Origins of Multilateralism », International Organization, 56 (3), 2002, p. 575-607.
Le « pivot » américain vers l’Asie
(SEATO, ANZUS…). Une constante de la politique américaine à l’égard de l’Asie
depuis lors fut, comme auparavant, un intérêt majeur vis-à-vis de la Chine. Cette dernière fut en effet propulsée par Roosevelt au Conseil de sécurité des Nations unies,
avant d’être « perdue » en 1949 et combattue en Corée entre 1950 et 1953. Les relations sino-américaines vont progressivement se normaliser puis se réchauffer à partir
du communiqué de Shanghai de 1972, pour connaître une nouvelle crise à la suite des
tragiques événements de Tian’anmen de 1989.
Au sortir de la Guerre froide, le triomphe des États-Unis avait propulsé, d’après un
argument du moment, l’humanité « à la fin de l’histoire ». Cependant, ce « moment
unipolaire »10 ne pouvait durer. La géopolitique de l’Asie-Pacifique évolua rapidement,
sous l’action conjointe de phénomènes liés à la mondialisation et d’autres liés aux
changements stratégiques opérés par les États de la région11. D’un côté, la croissance
économique de la Chine – et des « dragons » asiatiques – modifiait les équilibres de
puissance aux niveaux mondial et régional. Tandis que de l’autre, les fluctuations au
sein des alliances et le développement d’un « nouveau multilatéralisme »12 (autour de
l’ASEAN notamment, mais également via l’APEC ou les accords de libre-échange13)
altéraient les conditions et paramètres d’interaction entre États de la région, ainsi
qu’entre ceux-ci et les États-Unis14. Le « pivot » esquissé par Hillary Clinton apparaît
donc à la fois comme une adaptation aux transformations structurelles du monde
contemporain et comme une stratégie visant à imposer les règles américaines au « jeu
géopolitique » asiatique.
Le prolongement d’une ambition mondiale
Depuis 2008, la montée en puissance de l’Asie, et le déplacement du centre de gravité
de l’économie mondiale vers l’Asie-Pacifique au détriment de l’Europe et de l’espace
atlantique, se sont accélérés. La région concentre les économies parmi les plus performantes au monde, ainsi que les plus importants débiteurs de la dette publique américaine. Corollaire de ce développement économique soutenu, les dépenses militaires y
ont explosé, jusqu’à dépasser celles de l’Europe dès 200815.
Les échanges, économiques mais aussi sociaux, politiques et culturels s’y sont aussi
multipliés. Ces mutations au niveau des sociétés, et des liens transnationaux, s’ajoutent
Ralph A. Cossa, « Evolving U.S. Views on Asia’s Future Institutional Architecture », in Michael J. Green & Bates
Gill (eds.), Asia’s New Multilateralism : Cooperation, Competition, and the Search for Community, New York, Columbia
University Press, 2009, p. 33-54.
Alan Dobson & Steve Marsh, US Foreign Policy since 1945. New York, Routledge, 2006 (2ème édition).
Francis Fukuyama, « The End of History? », The National Interest, été 1989 ; Francis Fukuyama, The End of History
and the Last Man, New York, Free Press, 1992.
10 Charles Krauthammer, « The Unipolar Moment », Foreign Affairs, 70 (1) hiver 1990/1991, p. 23-33.
11 Michael Yahuda, « The International Politics of the Asia-Pacific », Oxon, Routledge, 2011 (3ème édition).
12 Michael J. Green & Bates Gill (eds.), « Asia’s New Multilateralism : Cooperation, Competition, and the Search for
Community », op. cit.
13 Vinod K. Aggarwal & Min Gyo Koo (eds.), « Asia’s New Institutional Architecture : Evolving Structures for
Managing Trade, Financial, and Security Relations », Berlin, Springer, 2008 ; Mark Beeson, « Institutions of the
Asia-Pacific : ASEAN, APEC and beyond », Oxon, Routledge, 2009.
14 David Shambaugh (ed.), « Power Shift : China and Asia’s New Dynamics », Los Angeles &Londres, University of
California Press, 2005.
15 D’après le SIPRI military Expenditure database. L’International Institute for Strategic Studies (IISS) estime que ce
cap a été franchi en 2012. Cet écart provient de choix géographiques divergents, le SIPRI incluant l’Océanie dans
l’espace asiatique et excluant l’Europe de l’Est de l’espace européen. Voir Bruno Hellendorff, « Dépenses militaires
en Asie du Sud-Est : une modernisation qui pose question », Note d’Analyse du GRIP, Bruxelles, 7 juin 2013.
Rapport du GRIP 2013/6
aux transformations qui ont lieu au niveau des rapports entre États pour modifier
profondément les relations internationales de la région, ainsi que le système qui garantit sa stabilité16.
Le contexte stratégique, et ses changements, ont été déterminants dans le développement du « pivot » américain. Au travers de la Guerre froide, la relation entre le
Japon et les États-Unis a connu de nombreuses difficultés, portant notamment sur les
différends commerciaux entre les deux pays, sur le refus japonais de réarmer (dans
le prolongement de la « doctrine Yoshida »17) ou sur les problèmes de cohabitation
liés à la présence de bases militaires américaines sur l’archipel. Ces tensions ont pris
une nouvelle ampleur lors de la disparation de la menace soviétique. Mais la stagnation économique japonaise, la montée en puissance chinoise, et les attentats du 11
septembre catalysèrent un nouveau rapprochement entre les administrations Bush et
Koizumi. Symbole (parmi d’autres) de la « redistribution des cartes » à l’échelle régionale, l’arrivée au pouvoir du Parti démocrate du Japon en 2009 généra une inquiétude
nouvelle à Washington, le nouveau Premier ministre prônant une politique moins
conciliante vis-à-vis des États-Unis que ses prédécesseurs18. La Chine, de son côté,
mit progressivement en place une politique étrangère moins rigide, qui lui permit à la
fois de dépasser l’isolement diplomatique que lui avaient imposé les pays occidentaux
après les événements de Tian’anmen, et de se concentrer sur le renforcement de ses
capacités en interne, suivant le slogan « pays riche, armées puissantes ». En 1997, Pékin lançait sa « diplomatie du pourtour », une politique de bon voisinage qui allait se
montrer très efficace, d’autant plus que sa mise en place coïncida avec la crise asiatique
de 1997 lors de laquelle le soutien chinois aux économies en difficulté de la région
fut particulièrement bien accueilli. Cette « offensive de charme »19 eut des effets substantiels sur les relations de la Chine avec ses voisins20, débouchant entre autres sur la
conclusion d’une déclaration de conduite sur la Mer de Chine méridionale et sur un
rapprochement marqué avec les alliés de Washington, dont l’Australie, le Japon, la
Corée du Sud, et même Taïwan21.
Dans le même temps, les États-Unis semblaient avant tout préoccupés, tout du
moins du point de vue est ou sud-est asiatique, par les questions et enjeux du MoyenOrient, où de nombreuses troupes étaient engagées. Si les attentats du 11 septembre
2001 avaient donné une nouvelle direction à la politique étrangère américaine, et permis à un consensus international très large – avec la Chine notamment – de se dégager
en faveur de la guerre contre le terrorisme22, l’invasion de l’Irak a fortement contribué
16 David Shambaugh, « The Two-Level Game », in David Shambaugh & Michael Yahuda (eds.), International Relations of
Asia. Lanham, Rowman & Littlefield, 2008, p. 3. 17 Kenneth B. Pyle, « Japan Rising : The Resurgence of Japanese Power and Purpose », New York,The Century Foundation, 2007. Voir également :« Richard J. Samuels, Securing Japan : Tokyo’s Grand Strategy and the Future of East
Asia », Ithaca et Londres, Cornell University Press, 2007.
18 John Pomfret, « U.S. concerned about new Japanese premier Hatoyama », Washington Post, 29 décembre 2009,
http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2009/12/28/AR2009122802271.html?hpid%3Dtop
news&sub=AR
19 Joshua Kurlantzick, « Charm Offensive : How China’s Soft Power Is Transforming the World » New York, Yale University
Press, 2007.
20 David Shambaugh, « China Engages Asia. Reshaping the Regional Order », International Security, 29(3), 2004/05, p.
64-99.
21 Voir notamment Edward Luttwak, « La montée en puissance de la Chine et la logique de la stratégie », Paris, Odile
Jacob, 2012.
22 Voir Fraser Cameron, « US Foreign Policy after the Cold War : Global Hegemon or Reluctant Sheriff ? » Londres
et New York, Routledge, 2005 (2ème édition).
Le « pivot » américain vers l’Asie
à distendre certains liens entre Washington et ses partenaires asiatiques, et entre les
pays asiatiques eux-mêmes23. Les opérations militaires en Irak et en Afghanistan ont
également représenté un drain important en termes de ressources pour les ÉtatsUnis, dont les conséquences ont été aggravées par les effets de la crise économique
de 2008.
La concentration américaine sur le Moyen-Orient, en termes de moyens et de
politiques, apparut ainsi comme signe d’un désintérêt, voire d’un désengagement
américain d’Asie-Pacifique, laissant le champ libre à la Chine pour affirmer ses propres visées géopolitiques24. En outre, la présidence de Barack Obama fut rapidement
appréhendée comme étant celle d’un repli relatif des États-Unis après une décennie
de guerre : rapatriement des troupes d’Irak puis d’Afghanistan, doctrine du « Leading from behind » illustrée par l’intervention en Libye, retrait de 7 000 hommes du
territoire européen, distance avec les « Printemps arabes » et leurs transitions, ainsi
qu’avec les dossiers malien et syrien. Le président américain a été clair : « il est temps
maintenant de consacrer du temps à la construction de la nation »25 et d’utiliser l’argent américain en ce sens. Les contraintes budgétaires sont telles que Washington doit
hiérarchiser ses priorités en fonction des menaces qui pèsent sur le pays.
Aux alentours de 2008-09, le déclin américain semblait inéluctable à plus d’un titre,
au vu de l’évolution du paysage stratégique asiatique. Et pourtant, l’administration
Obama se montra, dès sa première année, active sur tous les fronts, et s’attaqua à
« toute crise de politique étrangère imaginable sur le globe. [Obama] opéra un ‘‘reset’’
des relations avec la Russie ; visita la Chine ; tergiversa sur l’Afghanistan, l’Irak, la
Corée du Nord et l’Iran ; tenta de s’attacher le monde musulman ; promut le retour à
la croissance économique, la lutte contre le changement climatique, et l’indépendance
énergétique. Il n’indiqua que rarement quel problème était plus important qu’un autre,
et rebondit d’un sujet à l’autre, et d’une région à l’autre »26.
Un contexte préoccupant mais favorable
Au vu des enjeux d’Asie-Pacifique, les États-Unis se sont ainsi engagés dans un effort de communication, ainsi que dans une politique plus affirmée envers la région,
rendue possible par le désengagement progressif d’Irak et d’Afghanistan. Ce « ré­
équi­librage » de leur action militaire, diplomatique, politique et économique vers
l’Asie fut institutionnalisé dès janvier 201227. Le « pivot », tel que le présentait Hillary
Clinton en novembre 2011, ne se limite pas à son seul aspect doctrinaire : il part d’une
redéfinition des priorités des États-Unis, pour développer une vision renouvelée du
rôle américain dans le Pacifique et réallouer des moyens (par ailleurs limités) vers le
théâtre asiatique. Il ne s’agit pas d’une politique particulière, mais bien d’un effort
global, comprenant non seulement une poussée diplomatique vers les États de la
23 Vis-à-vis du Japon notamment. Voir Green, Michael. « Japan in Asia », in David Shambaugh and Michael Yahuda
(eds.), International Relations of Asia. Lanham, Rowman & Littlefield, 2008, p. 170-191.
24 John Mearsheimer, « The Gathering Storm: China’s Challenge to US Power in Asia », The Chinese Journal of International Politics, 3 (4), 2010, p. 381-396.
25 Remarks by the President in State of the Union Address, 24 janvier 2012, http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2012/01/24/remarks-president-state-union-address
26 Henry Nau, « Obama’s Foreign Policy », Policy Review, avril/mai 2010, http://www.gees.org/files/documentation/25042010085227_Documen-07823.pdf
27 Voir Department of Defense, Sustaining U.S. Global Leadership: Priorities for 21st Century Defense, janvier 2012.
10
Rapport du GRIP 2013/6
région mais aussi une participation marquée dans les forums et outils multilatéraux,
un investissement économique, un soutien humanitaire en hausse, une redéfinition
des doctrines et stratégies militaires, etc.
C’est dans ce cadre que s’inscrivent notamment le voyage officiel du président
Obama en Asie du Sud-Est juste après sa réélection28, ou la visite d’Hillary Clinton
au Myanmar29. La promotion par Washington d’un accord de libre-échange transpacifique (Trans-Pacific Partnership ou TPP), qui exclut la Chine30, relève de la même
logique. Au niveau militaire également, où les décisions de stationner quatre navires
de combat côtiers (LCS) à Singapour, de baser en rotation des Marines à Darwin
en Australie, ou encore de renforcer la base militaire de Guam furent largement
médiatisées. Lors du forum informel « Shangri-La Dialogue » de 2012, le secrétaire de
la Défense de l’époque, Léon Panetta, indiquait que les principes de « présence » et de
« projection de force » guideraient les États-Unis dans la région, et que la stratégie du
« pivot » incluait le raffermissement des alliances bilatérales, l’extension des accords
concernant les bases militaires, de nouvelles possibilités de bases militaires au Vietnam
et aux Philippines, ainsi qu’un déplacement des capacités navales vers le Pacifique31.
Toujours du point de vue militaire, le Pentagone a fondamentalement revu sa posture
stratégique en réaction aux nouvelles capacités – de « déni d’accès et interdiction de
zone » (A2/AD) – qu’a développées l’Armée populaire de libération (APL)32.
Ces éléments sont particulièrement révélateurs des objectifs et enjeux du « pivot »,
et ont pour trait commun un lien très clair vis-à-vis de la Chine. L’Asie du SudEst est probablement la région la plus concernée par la montée en puissance et par
la stratégie d’influence de Pékin33, et le Myanmar fut longtemps considéré comme
un pays évoluant dans l’orbite de la Chine. Le déploiement à Singapour des très
modernes, quoique faiblement armés, LCS dénote une certaine volonté des États-Unis
d’affirmer leur présence à la lisière de la mer de Chine méridionale, tout en conservant
un profil relativement bas34. Cette posture peut néanmoins s’avérer risquée, dans la
28 Ernest Z. Bower, « Obama Trip Shows Purposeful Asia Focus in Second Term », CSIS Commentary, 9 novembre 2012,
http://csis.org/publication/obama-trip-shows-purposeful-asia-focus-second-term ; « US President Barack Obama
in South East Asia visit », BBC News, 18 novembre 2012, http://www.bbc.co.uk/news/world-asia-20384085
29 « Hillary Clinton se rend en Birmanie encourager l’ouverture », Le Monde, 1 décembre 2011, http://www.lemonde.
fr/asie-pacifique/article/2011/12/01/hillary-clinton-se-rend-en-birmanie-encourager-l-ouverture_1611421_3216.
html
30 Beginda Pakpahan, « Will RCEP compete with the TPP ? », East Asia Forum, 28 novembre 2012, http://www.eastasiaforum.org/2012/11/28/will-rcep-compete-with-the-tpp/; Sanchita Basu Das, « The Trans-Pacific Partnership as a
tool to contain China: myth or reality ? », East Asia Forum, 8 juin 2013, http://www.eastasiaforum.org/2013/06/08/
the-trans-pacific-partnership-as-a-tool-to-contain-china-myth-or-reality/; Aurelia George Mulgan, « Japan, US and
the TPP: the view from China », East Asia Forum, 5 mai 2013, http://www.eastasiaforum.org/2013/05/05/japanus-and-the-tpp-the-view-from-china/; Wen Jin Yuan, « The Trans-Pacific Partnership and China’s Corresponding
Strategies », A Freeman Briefing Report, juin 2012, http://csis.org/files/publication/120620_Freeman_Brief.pdf
31 « Rowing between two reefs : China, the United States and containment revenant », NAPSNet Policy Forum, 9 août
2012, http://nautilus.org/napsnet/napsnet-policy-forum/rowing-between-two-reefs-china-the-united-states-andcontainment-revenant
32 Voir « Joint Operational Access Concept (JOAC) », Department of Defense, 17 janvier 2012, http://www.defense.
gov/pubs/pdfs/JOAC_Jan%202012_Signed.pdf ; Stephan Frühling, « US strategy : between the ‘pivot’ and ‘AirSea Battle’ », East Asia Forum, 26 août 2012, www.eastasiaforum.org/2012/08/26/us-strategy-between-the-pivotand-air-sea-battle/?preview=true ; « Anti-acces/Area denial: Washington’s response », The Military Balance 2013,
Londres, The International Institute of Strategic Studies (IISS), 2013, p. 29-31.
33 Evelyn Goh, « The limits of Chinese power in Southeast Asia », East Asia Forum, 10 mai 2011, http://www.eastasiaforum.org/2011/05/10/the-limits-of-chinese-power-in-southeast-asia/
34 Sydney Freedberg Jr, « LCS Couldn’t Survive War With China, But It Could Help Prevent It: CNO », Breaking
Defense, 12 avril 2012, http://breakingdefense.com/2012/04/12/cno-lcs-couldnt-survive-war-with-china-but-itcan-prevent-one/
Le « pivot » américain vers l’Asie
mesure où plusieurs incidents en mer ont déjà eu lieu entre navires américains et
chinois : en 2009, cinq navires chinois ont harcelé le navire militaire américain USS
Impeccable et lui ont ordonné de quitter ce que la Chine considère comme ses eaux
territoriales35. Ces événements alimentent la crainte, à Washington, d’une Chine plus
ferme et plus encline à risquer la confrontation, en limitant par exemple l’accès des
navires américains à la mer de Chine méridionale36.
Deux événements majeurs se sont détachés et ont conjugué leurs effets pour
favoriser le succès du « pivot » américain dans le Pacifique. Le premier est le tournant
« ferme », voire agressif, opéré par la politique étrangère chinoise en 2008-0937, et
qui mit fin à une période de rapprochement entre Pékin et ses voisins. Pour des
pays comme le Vietnam ou les Philippines, les velléités nationalistes chinoises se sont
accompagnées d’une fermeté renouvelée sur le dossier de la mer de Chine méridionale
et sur des accrochages en mer entre navires. Face à cette évolution, les pays de la
région, et les États d’Asie du Sud-Est au premier chef, maintiennent de cordiales
relations avec la Chine, dont ils dépendent pour leur propre croissance économique,
mais cherchent des alternatives, ou des moyens de contrebalancer l’influence chinoise
dans la région. C’est probablement là qu’il faut chercher les raisons de l’enthousiaste
accueil réservé aux États-Unis dans leur « pivot » vers l’Asie. La présence militaire
américaine en Asie-Pacifique a été la principale garante de la stabilité régionale depuis
la Deuxième Guerre mondiale, et la pérennisation de cet engagement américain
semble une priorité de politique étrangère de nombreux États asiatiques. Le Vietnam,
par exemple, s’est décidé à ouvrir son port de Cam Ranh Bay à la Marine américaine
(depuis 2003)38, et a récemment indiqué qu’il considérait l’achat d’équipements mili­
taires américains39. Les Philippines sont bénéficiaires d’une assistance militaire des
États-Unis, dont le montant a triplé entre 2011 et 201240. Le Myanmar a participé pour
la première fois, comme observateur, aux exercices conjoints « Cobra Gold 2013 »
menés par les États-Unis avec sept armées régionales41. De cette manière, et au travers
du développement d’initiatives multilatérales centrées autour de l’ASEAN, les États
de la région cherchent à délier leur sort des aléas que peuvent connaître les relations
entre grandes puissances42. C’est aussi ce qui donne sens aux tentatives subséquentes,
par l’administration Obama, de renommer leur « pivot » en « rééquilibrage » pour faire
face aux questions inquiètes de leurs alliés asiatiques et européens. Le second événement majeur concerne la menace nucléaire nord-coréenne, qui a
justifié le déploiement par les États-Unis, de systèmes antimissiles que les stratèges
35 « China Sends Patrol Ship to South China Sea », China Digital Times, 15 mars 2009.
36 O’Rourke, Donald, « Maritime territorial and Exclusive Economic Zone (EEZ) Disputes Involving China : Issues
for Congress », Congressional Research Service, 9 avril 2013, p. 1-86, p. 26.
37 David Shambaugh, « Coping with a Conflicted China », The Washington Quarterly, 34(1), p. 7-27.
38 Xavier Monthéard, « Retrouvailles des Etats-Unis et du Vietnam », Le Monde diplomatique, juin 2011, http://www.
monde-diplomatique.fr/2011/06/MONTHEARD/20703
39 William Jordan, Lewis Stern & Walter Lohman, « U.S.–Vietnam Defense Relations: Investing in Strategic Alignment », Background on Asia and the Pacific, The Heritage Foundation, 18 juillet 2012, http://www.heritage.
org/research/reports/2012/07/us-vietnam-defense-relations-investing-in-strategic-alignment
40 Manuel Mogato, « U.S. triples military aid to Philippines in 2012 », Reuters, 3 mai 2012, http://www.reuters.com/
article/2012/05/03/us-philippines-usa-idUSBRE8420IU20120503
41 The Military Balance 2013, Londres, Routledge pour The International Institute for Strategic Studies (IISS), 2013,
p. 247; « Myanmar Observers Participate in US-Led Cobra Gold Military Exercises in Thailand », Chiangrai Times,
11 février 2013.
42 Hellendorff Bruno, « Dépenses et transferts militaires en Asie du Sud-est : une modernisation qui pose question », GRIP, Note
d’analyse, p. 7.
11
12
Rapport du GRIP 2013/6
chinois doivent considérer comme une menace pour leurs propres capacités de
dissuasion, et de frappe. Si la « nouvelle fermeté » de la politique étrangère chinoise
a fourni les bases nécessaires à un rapprochement entre certains pays de la région
et les États-Unis, les gesticulations et menaces nucléaires de la Corée du Nord ont
certainement contribué très largement à précipiter cette dynamique, et reléguer les
dernières réticences portant sur la coopération en matière de défense antimissile.
Depuis décembre 2012 et la mise sur orbite d’un satellite par Pyongyang, la
péninsule coréenne a connu une nouvelle escalade de tensions, débouchant sur
un troisième essai nucléaire nord-coréen en février 2013, et sur la déclaration, par
Pyongyang, de l’annulation de l’accord d’armistice qui avait mis fin à la guerre de Corée
en 195343. La Corée du Nord de Kim Jong-un a inscrit son statut d’État nucléaire
dans sa constitution, et réclame la reconnaissance internationale de ce statut comme
préalable à toute négociation de paix ou de désarmement44. Elle a également déclaré
être en « état de guerre » avec la Corée du Sud45, et a déployé deux lanceurs de missiles
– Musudan – sur la côte Est46. Cette menace nord-coréenne, et les enjeux sécuritaires
asiatiques plus largement, furent ainsi une justification majeure au tournant américain,
et aux modifications de la défense antimissile sur le territoire européen47.
Europe vs Asie ? Vers une politique de partenariats
Peut-on pour autant considérer que ce repositionnement se fait au détriment de l’Europe et de l’OTAN ? Selon le général Jim Jones, le terme « pivot » était regrettable car
il pouvait donner l’impression que l’Europe et l’Afrique notamment seraient moins
importantes pour l’Amérique48.
Le « rééquilibrage », telle que cette politique est désormais décrite dans le discours
officiel, vise ainsi non à désinvestir ailleurs pour investir en Asie, mais à réallouer
des ressources et moyens excédentaires – principalement en Europe et au MoyenOrient où les contextes stratégiques ont changé – pour s’ajuster à l’évolution du paysage stratégique mondial. Il ne s’agit donc pas de délaisser l’Europe et l’OTAN au
profit de l’Asie mais bien de rediriger l’attention et les ressources américaines, du
Moyen-Orient majoritairement, vers l’Asie. Le partenariat entre l’OTAN et l’Europe
est d’ailleurs présenté comme le modèle à suivre pour les relations américaines avec
l’Asie, Hillary Clinton déclarant vouloir développer les relations des États-Unis avec
l’Asie-Pacifique de manière « aussi durable et fructueuse » que pour les liens trans­
atlantiques49. Hillary Clinton rappelait d’ailleurs en mai 2011 que « les États-Unis et
l’Union européenne sont des partenaires travaillant ensemble sur toute question globale ou régionale imaginable »50. L’Europe demeure donc un partenaire privilégié par43 Bruno Hellendorff & Thierry Kellner, « Vers une nouvelle guerre de Corée ? », GRIP, 7 avril 2013, www.grip.org/fr/
node/854
44 Chumley Cheryl K., « North Korea demands world recognition as nuclear state », The Washington Times, 23 avril
2013.
45 Kim Jack, « North Korea says enters “state of war” against South », Reuters, 30 mars 2013.
46 Chung Jane « North Korea moves two more missile launchers : report », Reuters, 20 avril 2013.
47 Gelb Leslie H., « The NATO Summit : What happened to Obama’s Pivot From Europe to Asia »,The Daily Beast,
20 mai 2012.
48 Joyner, James, « Jones : ‘Pivot to Asia’ Regretable Word Choice », Atlantic Council, 1 mars 2013, http://www.acus.org/
new_atlanticist/jones-pivot-asia-regretable-word-choice
49 Clinton Hillary, « America’s Pacific Century », op. cit.
50 Clinton Hillary Clinton, Secretary of State, « Remarks With European Union High Representative for Foreign
Policy Catherine Ashton After Their Meeting », Washington DC, 17 mai 2011, http://www.state.gov/secretary/
Le « pivot » américain vers l’Asie
tageant les mêmes valeurs et poursuivant les mêmes objectifs que les États-Unis, mais
aussi un modèle et un étalon qui permettent de mesurer l’ampleur de l’alignement que
réclame Washington.
Il est intéressant de voir que le modèle de l’OTAN est employé pour rassurer les
partenaires asiatiques sur la forme que prendra l’engagement américain en Asie, à
savoir celle d’un partenariat durable, à l’instar de celui qui a été forgé avec l’Europe51.
Or, une telle promesse d’engagement pourrait sonner creux et semer plus encore
le doute chez des partenaires asiatiques – déjà préoccupés par le difficile exercice
d’équilibre qu’impose l’entretien de relations cordiales avec les États-Unis et la Chine
simultanément – si Washington se met à « lâcher » son allié européen. Les craintes et doutes quant à la pérennité de l’engagement américain restent en
effet bien présentes en Asie. Au-delà des contraintes budgétaires dont l’armée américaine fait l’expérience, le Moyen-Orient reste une région instable et volatile, où les
dossiers iranien, pakistanais et afghan ou encore israélo-palestinien et syrien font
chacun planer un risque de conflagration. D’autres régions, comme l’Afrique, sont
également le théâtre d’enjeux sécuritaires pouvant requérir une présence américaine
plus importante, d’autant plus que les Européens se montrent plus que réticents à
augmenter leurs dépenses militaires, et à assumer une part plus active dans leur sécurité et celle de leur voisinage. Le spectre d’un retour à une politique isolationniste, ou
un changement de priorités découlant d’une alternance à la tête de l’État américain
représentent d’autres craintes que peuvent avoir les partenaires asiatiques de Washington. C’est pourquoi Hillary Clinton déclarait : « À ceux en Asie qui se demandent si
les États-Unis sont vraiment là pour rester, (…), la réponse est : oui, nous le pouvons,
et oui nous le ferons. […] car nous le devons. Notre propre sécurité et prospérité à
long-terme en dépendent. »52 Si le terme « pivot » est devenu « rééquilibrage » dans le
discours officiel, il n’en reste pas moins que les fondamentaux restent les mêmes ; ils
sont en outre très concrets comme le démontre son aspect de défense antimissile.
Dans les discours, les officiels américains démentent donc l’idée selon laquelle le
repositionnement américain en faveur de l’Asie-Pacifique s’accompagnera des relations plus faibles avec l’Europe. Mais qu’en est-il dans les faits ? L’émergence d’un
discours très critique envers l’OTAN et plusieurs décisions relatives à cette organisation apportent un éclairage différent sur ce que le pivot américain implique pour
l’Europe.
Réactions de la Chine et de la Russie
Là où les objections russes et les risques de dégradation des relations entre Moscou et
Washington sont omniprésentes dans les discours et articles sur le bouclier antimissile
en Europe, les objections chinoises ou russes à un bouclier en Asie, pourtant existantes, ont jusqu’à récemment été pratiquement passées sous silence dans la presse et
les documents officiels américains53. La défense antimissile a pourtant été un sujet de
rm/2011/05/163569.htm
51 Ibidem.
52 « To those in Asia who wonder whether the United States is really here to stay, (...) the answer is : Yes, we can, and
yes, we will. First, because we must. Our own long-term security and prosperity depend on it », Clinton Hillary,
« America’s Pacific Century », op. cit.
53 Boese Wade, « Europe Anti-Missile Plan Faces Hard Sell », Arms Control Association, janvier/février 2008, http://
armscontrol.org/act/2008_01-02/europemissile
13
14
Rapport du GRIP 2013/6
tensions diplomatiques tant en Asie qu’en Europe54. La Chine a exprimé à de nombreuses reprises ses craintes quant à un encerclement mené à son encontre par les
États-Unis et aux conséquences d’un bouclier antimissile sur la stabilité régionale55.
Pourtant, si les États-Unis ont maintenu que le déploiement antimissile en Asie est
destiné à se prémunir d’une menace nord-coréenne56, de nombreux signes indiquent
que la Chine est également concernée57.
En septembre 2012, lorsque le secrétaire de la Défense, Léon Panetta, a annoncé
la construction d’un second radar antimissile au Japon et la possibilité d’un troisième,
situé éventuellement aux Philippines, il a insisté sur le fait que ce développement
n’était pas dirigé contre la Chine mais avait pour objectif de répondre à un éventuel
tir de missile depuis la Corée du Nord. Pourtant, le troisième radar ne semble pas correspondre à un besoin de protection face à une menace nord-coréenne58, mais plutôt
à une volonté de détection de missiles lancés par la Chine59. C’est ce qui a amené le
ministre chinois de la Défense, Liang Guanglie, à demander si la base japonaise de la
préfecture d’Aomori n’était pas suffisante pour gérer la menace nord-coréenne. Les
affirmations américaines selon lesquelles les mesures antimissiles en Asie ne visent
pas la Chine ne sont toutefois pas parvenues à convaincre les autorités de Pékin60.
La Chine craint en effet que le système antimissile américain ne permette aux
États-Unis de neutraliser ses forces nucléaires, reprenant à son compte les inquiétudes
russes à l’égard du bouclier de l’OTAN déployé en Europe61. Cette évolution du dispositif antimissile en Asie est perçue par Pékin comme une stratégie d’endiguement.
En février 2010, le colonel Dai Xu déclarait à cet égard que les États-Unis mettaient
en place un encerclement de la Chine allant du Japon à l’Afghanistan en passant par
la Corée du Sud, la mer de Chine du Sud et l’Inde similaire à celui jadis mis en place
à l’encontre de l’URSS62.
En outre, le système antimissile américain est vu comme une menace pour les
prétentions chinoises sur Taïwan et comme une source de risque dans les conflits
territoriaux en mer de Chine. En effet, les alliés des États-Unis pourraient adopter
une posture plus agressive s’ils se sentaient protégés par un bouclier63. Selon certains
auteurs, la posture plus agressive des Philippines et du Vietnam dans leurs revendications en mer de Chine du Sud s’expliquerait notamment par le support américain64.
54 LI Xiaokun et Tan Yingzi, « US insists missile defense targets DPRK, not China », China Daily, 25 août 2012,
http://usa.chinadaily.com.cn/world/2012-08/25/content_15705003.htm
55 « China’s Opposition to US Missile Defense Programs »,CNS Programs : EANP Factsheets, http://cns.miis.edu/archive/country_china/chinamd.htm
56 Weitz Richard, « China Steps Up Rhetoric against Missile Defense », China Brief, vol XII, issue 20, 19 octobre 2012,
p. 11-14.
57 Clinton’s remark at the Foreign Policy Group’s «Transformational Trends 2013 » Forum, novembre 2012
58 Le China Daily a d’ailleurs ironisé, affirmant que si le système antimissile était bien destiné à se protéger de la Corée
du Nord, les mesures prises correspondraient à tuer une mouche avec un bazooka, compte tenu des limites de
l’arsenal nord-coréen.
59 LiBin, « China and the New U.S. Missile Defense in East Asia », Carnegie Endowment, 6 septembre 2012, http://
carnegieendowment.org/2012/09/06/china-and-news-u.s.-missile-defense-in-east-asia/drth
60 Weitz Richard, « China Steps Up Rhetoric against Missile Defense », China Brief, vol XII, issue 20, 19 octobre 2012, p.
11-14, p. 11.
61 Weitz Richard, op. cit., p. 12.
62 Ibidem.
63 Qin Jize et Li Xiaokun, « China circled by chain of US anti-missile systems », China Daily, 22 février 2010, http://
usa.chinadaily.com.cn/2010-02/22/content_11016099.htm
64 Pan Chengxin, « Is the South China Sea a new ‘Dangerous Ground’ for US-China rivalry ? », East Asia Forum, 24
mai 2011, http://www.eastasiaforum.org/2011/05/24/is-the-south-china-sea-a-new-dangerous-ground-for-uschina-rivalry/
Le « pivot » américain vers l’Asie
Suite à la décision, en mars 2013, de développer le système antimissile sur la côte
Ouest des États-Unis et en Asie, les critiques russes et chinoises envers le bouclier
américain en Asie ont été plus vives et ont finalement connu plus d’échos. En témoigne la déclaration conjointe de la Russie et de la Chine dans laquelle Vladimir Poutine
et Xi Jinping ont exprimé leur opposition au « renforcement unilatéral et illimité de la
défense antimissile d’un État ou groupe d’États » et les risques que cela représentait
pour la stabilité et la sécurité internationales65. Pékin a appelé les États-Unis à faire
preuve de circonspection et à contrer la menace balistique nord-coréenne par des
moyens politiques66. En effet, le renforcement du dispositif américain en Alaska, s’il
vise prioritairement la menace nord-coréenne, peut également être vu comme un dispositif visant à contre les forces de dissuasion russe et chinoise.
65 Kulacki Gregory, « Chinese-Russian Joint Statement on Missile Defense », All Things Nuclear, 27 mars 2013,
http://allthingsnuclear.org/chinese-russian-joint-statement-on-missile-defense/
66 « Russie et Chine renforceront leur défense antimissile», RIA Novosti, 19 mars 2013, http://fr.rian.ru/
world/20130319/197836234.html
15
16
Rapport du GRIP 2013/6
Constance américaine sur la responsabilité
sécuritaire de l’Europe
Les conséquences du « shift » américain sur le paysage sécuritaire asiatique ayant
été présentées, nous allons désormais nous pencher sur l’impact de la réorientation
géographique américaine sur l’architecture sécuritaire en Europe. Nous reviendrons
d’abord sur les évolutions du projet de bouclier pour l’Europe et leurs motivations,
avant de déterminer leur impact pour les partenaires européens de l’Alliance atlantique et l’industrie européenne de la défense.
La poursuite du déploiement du bouclier antimissile en Europe
D’un système de défense antimissile américain à un système otanien
Après plusieurs mois de débats et de controverses sur le déploiement du bouclier antimissile américain en Europe centrale, le président Obama a annoncé, en septembre
2009, une révision du projet afin, officiellement, de s’assurer de l’efficacité et de la
rentabilité du système et de répondre à une
Le nouveau projet de bouclier antimissile
nouvelle évaluation des menaces (en provede l’administration Obama
nance d’Iran notamment)67. Officieusement,
une volonté de relancer les relations avec la
Russie n’était pas étrangère à cette décision
de déployer le système plus vers le sud de
l’Europe. En effet, après les phases successives d’élargissement de l’UE et de l’OTAN
dans les pays de l’URSS et les « Révolutions
de couleur » en Géorgie, Ukraine et Kirghizistan, l’installation d’éléments du bouclier en
Pologne et en République tchèque était perçue, côté russe, de plus en plus comme un
encerclement et comme une menace pour les
forces nucléaires stratégiques.
La nouvelle architecture prévue par l’administration Obama annule la « troisième
position »68 du système de défense antimissile
américain prévue en 2007 par l’administration Bush et prévoit une « approche adaptaSource : Site du Courrier international, d’après un article original de
tive phasée » pour la composante régionale
David E. Sanger, The New York Times, 24 septembre 2009, http://www.­
concernant l’Europe. La European Phased
courrierinternational.com/article/2009/09/24/la-priorite-de-washington-contenirla-menace-iranienne
Adaptive Approach (EPAA) vise à instaurer
un système de défense antimissile composé d’intercepteurs de missiles (variantes du
SM-3) basés sur terre et en mer, ainsi que des capteurs répartis sur le sol européen, afin
de protéger le territoire des membres de l’OTAN de la menace balistique ­iranienne.
67 The white house, « Fact Sheet on U.S. Missile Defense Policy A “Phased, Adaptive Approach” for Missile Defense
in Europe », Office of the Press Secretary, 17 septembre 2009, http://www.whitehouse.gov/the_press_office/FACTSHEET-US-Missile-Defense-Policy-A-Phased-Adaptive-Approach-for-Missile-Defense-in-Europe
68 En sus des systèmes de défenses antimissiles basés en Alaska et en Californie.
Le « pivot » américain vers l’Asie
17
Plus précisément, cette architecture se mettra en place selon quatre étapes : la première consiste à déployer des systèmes de défense antimissile comprenant le système
de missiles Aegis basé en mer, des intercepteurs de missiles SM-3 IA et des capteurs,
afin de répondre aux menaces régionales des missiles balistiques pour l’Europe. La
phase 2, prévue pour 2015, envisage de déployer sur terre et en mer une version
améliorée du SM-3, le « SM-3 IB », ainsi que des capteurs plus évolués pour se protéger contre les missiles à courte et moyenne portée. La zone couverte sera ainsi plus
étendue. La phase 3, planifiée pour 2018, prévoit la mise en service d’une version plus
évoluée du SM-3, le « SM-3 IIA », pour se protéger de missiles à courte et moyenne
portée et à portée intermédiaire. Enfin, la phase 4, initialement prévue pour 2020 puis
déjà reportée à 2022, consiste à déployer une nouvelle version du SM-3, le « SM-3 IIB »,
qui augmentera les capacités d’interception des missiles à moyenne portée et à portée
intermédiaire et pourra répondre à la menace d’éventuels missiles intercontinentauxciblantles États-Unis.
Cette version révisée de l’architecture du système de défense antimissile, « présentée comme une contribution à la sécurité européenne que les États-Unis souhaitaient développer au sein de l’OTAN » devient, pour les Européens, « plus acceptable
car elle ancr[e] le système dans
l’instance
euro-atlantique »69.
C’est pourquoi, au sommet de
Lisbonne de 2010, l’ensemble
des membres de l’OTAN a accepté le projet d’EPAA américain comme « une contribution
nationale précieuse à l’architecture de défense antimissile de
l’OTAN », laquelle se présentait
sous la forme d’un programme
de défense multicouche active
contre les missiles balistiques
de théâtre (ALTBMD)70. Désormais, l’objectif n’est plus seulement de protéger les troupes
déployées par l’OTAN mais également les territoires et les populations des alliés. Pour ce faire,
certains États de l’Alliance ont
réalisé des contributions volonsite du Figaro, 18 novembre 2010,http://www.lefigaro.fr/international/2010/11/18/01003taires et conclu des accords bila- Source :
20101118ARTFIG00680-paris-et-berlin-se-retrouvent-sur-le-nucleaire.php
téraux avec les États-Unis, pour
l’installation sur leur territoire de composantes du bouclier, à l’instar de la Pologne, de
la Turquie et de la Roumanie. D’autres pays ont préféré développer nationalement des
composantes du bouclier, à l’instar des Pays-Bas et de la France par exemple.
69 Pertusot Vivien, « La défense antimissile : américaine sûrement, européenne peut-être », in Olivier Kempf (dir.),
L’Alliance atlantique transformée, Revue Défense Nationale/Economica, été 2012, n° 752. p. 54-62.
70 Déclaration du sommet de Lisbonne. 20 novembre 2010, http://www.nato.int/cps/fr/natolive/official_texts_68828.
htm
18
Rapport du GRIP 2013/6
D’une capacité intérimaire à l’annulation de la 4ème phase de l’EPAA
Lors du Sommet de Chicago de mai 2012, l’achèvement de la première phase du bouclier antimissile, atteignant une « capacité intérimaire » fournissant une protection à la
Turquie et à l’Europe du Sud-Est a été officiellement annoncé. Les missiles intercepteurs SM-3 ont été montés sur les destroyers « Aegis » USS Monterey et USS Sullivan
patrouillant en Méditerranée, un système de surveillance radar mobile de l’armée de
terre et de la marine (AN/TPYLe fonctionnement du bouclier antimissile
2) a été déployé en Turquie et un
système de commandement et
de contrôle a été installé dans la
base de Ramstein en Allemagne71.
Malgré les nombreuses menaces
de rétorsion russes, l’Alliance n’a
pas pour autant renoncé au projet et les prochaines étapes sont
déjà clairement dessinées. Ainsi,
la base navale de Rota, en Espagne, servira de lieu de déploiement pour deux destroyers lancemissiles américains au cours de
l’exercice financier 2014, ainsi
que pour un destroyer et un croiseur au cours de l’exercice finanSource : site de Milsat magazine, mai 2008, http://www.milsatmagazine.com/cgi-bin/display_article.cgi?number=2110085368
cier 2015. L’OTAN stationnera
en 2015 en Roumanie, en 2018 en Pologne et sur des navires, le théâtre européen
des missiles intercepteurs « SM-3 IB » et « SM-3 IIA » (phases 2 et 3), puis déploiera
en 2020, sur terre et en mer, des « SM-3 II B » (phase 4). Pourtant, en mars 2013, le
Secrétaire d’État américain à la Défense, Chuck Hagel, a annoncé l’annulation du
déploiement des SM-3 IIB72.
Une annonce sans surprise
Cette annonce répond à plusieurs considérations mais ne pouvait surprendre pour
plusieurs raisons.
Une réévaluation de la menace
Dès 2009, l’administration Obama a souligné que « de nouvelles avancées technologiques ou de nouveaux changements dans l’évaluation de la menace pourraient modifier
les détails ou le calendrier des phases plus avancées »73. C’est ce qu’a d’ailleurs tenu à
rappeler M. Hagel lors de la conférence de presse : « dès le départ nous savions que
ce programme de défense antimissile requerrait d’éventuelles adaptations et, dès lors,
71 « U.S. to Declare Interim European Missile Defense Capability at NATO Summit », Global Security Newswire, 18
mai 2012.
72 Hagel Chuck, Secretary of Defense, « Missile Defense Announcement », discours, The Pentagon, 15 mars 2013, http://
www.defense.gov/speeches/speech.aspx?speechid=1759
73 The White House, « Fact Sheet on U.S. Missile Defense Policy A “Phased, Adaptive Approach” for Missile Defense
in Europe », op. cit.
Le « pivot » américain vers l’Asie
nous avons construit ce bouclier comme un ensemble d’outils que nous pouvons
sélectionner en fonction de l’évolution de la menace, si celle-ci va plus vite ou plus
lentement que ce que l’on pensait »74.
Washington considère la Corée du Nord comme une menace potentielle en matière de missiles balistiques. Elle a donc développé en conséquence un système antimissile dans la région et ce malgré les objections chinoises75. Or, c’est bien la menace
nord-coréenne qui a servi à justifier la création du bouclier déployé en Asie et, en
2013, à annuler la quatrième phase du déploiement du bouclier en Europe. Les capacités balistiques de ce pays, en comparaison avec celles de l’Iran, expliquent-elles la
politique antimissile américaine ?
Le discours américain semble à première vue comporter une évolution. Dans le
Ballistic Missile Defense Review de février 2010, la Corée du Nord et l’Iran sont tous deux
présentés comme des États présentant une menace en raison de leur « mépris pour les
normes internationales, de la poursuite de programmes d’armes illicites et leurs actions
et déclarations provocatrices »76. Pyongyang et Téhéran développent des programmes
de missiles et possèdent des modèles de courte et moyenne portées et d’autres à portée intermédiaire,susceptibles de menacer les forces américaines déployées ou leurs
alliés (Japon et Corée du Sud pour la Corée du Nord ; Moyen-Orient et Europe de
l’Est pour l’Iran). Pourquoi alors limiter le bouclier en Europe et approfondir celui en
Asie en invoquant la menace nord-coréenne pour justifier cette décision ?
En effet, l’Iran dispose d’un arsenal de missiles balistiques important mais ceux-ci
sont principalement des missiles à courte et moyenne portée. Cependant, selon l’USForeign Council, il est peu probable que ces missiles puissent atteindre les États-Unis
ou leurs alliés car il faudrait les lancer depuis les côtes iraniennes le long du Golfe
persique, une position de lancement vulnérable en raison de la présence américaine
dans la région. En outre, si les experts considèrent que la République islamique pourrait se doter de missiles capables d’atteindre l’ouest de l’Europe en 2014, ils estiment
que les États-Unis ne seront pas à portée de tir avant l’horizon 202077. Sur le plan
nucléaire, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ne dispose toujours
pas de preuve formelle que Téhéran a développé un programme nucléaire à visée
militaire, bien qu’elle juge « crédibles » certaines informations relatives à des activités
portant sur la mise au point d’un dispositif nucléaire explosif78.
En 2013, le Secrétaire d’État à la défense souligne le « défi » que représente toujours
autant le développement, par l’Iran et la Corée du Nord, de capacités en matière de
missiles balistiques à longue portée. Il insiste toutefois sur les « progrès capacitaires »
et les « provocations » récentes de Pyongyang. Ses propos font notamment allusion
à la parade en avril 2012 de « ce qui apparaît comme étant » des missiles ­­balistiques
intercontinentaux (KN-08) mobiles montés sur des véhicules routiers, ayant « pro74 Ibidem.
75 WeitzRichard, « China Steps Up Rhetoric against Missile Defense », China Brief, vol XII, issue 20, 19 octobre 2012,
p. 11-14.
76 Department of Defense, « Ballistic Missile Defense Review », 2 février 2010, p. 6, http://www.defense.gov/bmdr/
docs/BMDR%20as%20of%2026JAN10%200630_for%20web.pdf
77 Masters Jonathan, « U.S. Ballistic Missile Defense », Council on Foreign Relations, 1er mai 2013. http://www.cfr.
org/defensehomeland-security/us-ballistic-missile-defense/p30607
78 Conseil des gouverneurs de l’AIEA. « Mise en œuvre de l’accord de garanties TNP et des dispositions pertinentes
des résolutions du Conseil de sécurité en République islamique d’Iran », GOV/2011/65, 11 novembre 2011, p. 4
de l’annexe.
19
20
Rapport du GRIP 2013/6
Source : site du Daily Mail, 12 avril 2013, http://www.dailymail.co.uk/news/article-2307828/North-Korea-nuclear-threat-USvows-protect-world-John-Kerry-arrives-Seoul.html
bablement la portée pour atteindre le territoire américain » à la mise sur orbite d’un
satellite grâce au missile balistique à longue portée Taepodong-2 en décembre 2012
perçue par les experts comme un essai de missile balistique ; et enfin à l’essai nucléaire
de février 2013, le troisième après ceux de 2006 et 2009. En 2013, ce qui change dans
le discours américain ce n’est pas l’origine de la menace puisque l’Iran et la Corée du
nord sont tous deux à nouveau mentionnés. Ce qui varie en revanche c’est le degré
d’immédiateté de la menace. Les récentes évolutions capacitaires et technologiques
nord-coréennes mettant à portée de tir le continent américain et plus précisément l’île
Le « pivot » américain vers l’Asie
de Guam – et ce, « un peu plus rapidement que prévu »79 – ont nécessité une réévaluation de la menace et une adaptation du système de défense antimissile américain. Le
bouclier américain poursuit trois objectifs : protéger le territoire national, les forces
américaines déployées à l’étranger et les alliés des États-Unis80. Dans l’Annual Threat
Assesment du Comité des forces armées du Sénat américain datant de 2013, l’Iran est
certes présenté comme une menace majeure et ses missiles sont dits capables d’atteindre une cible au Moyen-Orient et en Europe81,mais leurs équivalents nord-coréens,
pourraient eux atteindre le sol américain82.
En conclusion, si la décision d’annuler la quatrième phase en mars 2013 tient toujours compte de la menace iranienne, elle met surtout en avant l’évolution de la menace du régime de Pyongyang : « la Corée du Nord a récemment fait des progrès en
matière de capacités balistiques et s’est engagée dans une série de provocations irresponsables et démesurées »83.
Des obstacles financiers et techniques
En outre, un déploiement opérationnel de ces SM-3 IIB avait déjà été repoussé de
deux ans pour des raisons financières. Enfin, plus récemment, en février 2013, un
rapport du Government Accountability Office (GAO), avait soulevé plusieurs aspects
problématiques du programme : les lieux de déploiement ne sont pas les plus adaptés
par rapport aux menaces, il existe des risques en matière de sécurité et des hausses des
coûts et des délais sont à prévoir, en raison de défis technologiques à résoudre84.
Une volonté d’apaisementavec la Russie85
Par ailleurs, toute décision américaine relative au bouclier antimissile doit être également analysée à l’aune des relations russo-américaines. Déjà en 2009, la reconfiguration du système de défense antimissile qui préférait un système mixte d’intercepteurs
basés sur terre et sur mer et non plus seulement sur terre à proximité du territoire
russe (République tchèque et Pologne), s’inscrivait dans une logique visant notamment à améliorer les relations avec la Russie. Cela avait permis entre autres de relancer les discussions sur une nouvelle réduction des arsenaux nucléaires américain et
russe, de conclure un nouveau Traité START et de tenir un Conseil OTAN-Russie en
novembre 2010, qui s’est voulu un prélude à un véritable partenariat stratégique. Depuis lors, les relations se sont tendues : face à l’implantation progressive du système
antimissile américain, Moscou a fait « resurgir [ses] vieux complexes d’encerclement,
doublé [de l’]inquiétude […] que tout ce qui se fait sans la Russie se [fait] contre
79 Hagel, Chuck, Secretary of defense, « Missile Defense Announcement ». op. cit.
80 « Fiscal Year 2014 Budget Request: Overview », Department of Defense, avril 2013, p. 3.
81 Flynn Michael T., Lieutenant General, Defense Intelligence Agency, « Annual Threat Assesment », Statement before
the Senate Armed Services Committee, 18 avril 2013, p. 13.
82 Donilon Tom, National Security Advisory to the President, « The United States and the Asia-Pacific in 2013 »,
Remarks, The Asia Society, New York, 11 mars 2013.
83 Hagel Chuck, Secretary of defense, « Missile Defense Announcement », discours, The Pentagon, 15 mars 2013,
http://www.defense.gov/speeches/speech.aspx?speechid=1759
84 Government Accountability Office, Standard Missile-3 Block IIB Analysis of Alternatives,11 février 2013, http://www.
gao.gov/products/GAO-13-382R
85 Voir Rouppert Bérangère, « Entre impératifs financiers, politiques et stratégiques : la poursuite des engagements russo-américains
envers et contre tout », Note d’Analyse du GRIP, Bruxelles, 20 mai 2012.
21
22
Rapport du GRIP 2013/6
elle »86. Le Kremlin a donc logiquement répondu en novembre 2011 en mettant en
alerte de combat un radar d’alerte lointaine à Kaliningrad, en menaçant de déployer
des missiles Iskanderà Kaliningradet en équipant de nouveaux missiles stratégiques
avec des systèmes avancés de pénétration de défense. Fin 2011, Moscou annonçait
la construction d’un nouveau missile balistique intercontinental capable de battre le
futur système de défense antimissile de l’OTAN (décembre 2011) et menaçait même
de procéder à des frappes préventives sur les installations du bouclier en Europe de
l’Est (mai 2012)87.
Pourtant, les États-Unis cherchent un apaisement avec la Russie pour plusieurs
raisons88. L’une d’elles concerne précisément le « pivot » américain en politique étrangère : dans un contexte où les crises et les menaces d’aujourd’hui et de demain puisent
leurs sources dans les régions du Moyen-Orient et de l’Asie-Pacifique, les États-Unis
doivent faire glisser le centre de gravité de leur politique de défense vers ces régions.
Or, ils n’ont pas les moyens financiers d’assurer une présence massive à la fois en
Europe, au Moyen-Orient et en Asie. Ils doivent impérativement se réorganiser et
redéployer leurs forces en fonction des nouvelles priorités. Mais pour cela, ils doivent
s’assurer d’une normalisation préalable de leurs relations avec la Russie, ce qui leur
permettrait de pouvoir réduire l’effort défensif en Europe, concernant notamment
le déploiement de leurs armes nucléaires tactiques. En effet, si l’option du retrait était
envisagée, elle permettrait des économies en remettant en cause la modernisation des
bombes tactiques B-61, le déploiement de chasseurs et de personnel dans les nombreuses bases européennes89. Enfin, l’apaisement avec Moscou est nécessaire pour le
président Obama, partisan de l’ « option zéro », c’est à dire de l’abolition des armes
nucléaires dans le monde, et favorable à de nouvelles réductions dans les arsenaux
nucléaires des deux Grands90.
Cependant, la décision américaine d’annuler la 4ème phase de l’EPAA ne semble
pas avoir convaincu les Russes que le bouclier antimissile ne la visait pas directement.
Ils ont très rapidement estimé qu’elle n’impliquait pas de changement sur les menaces pesant sur la Russie : les éléments du bouclier « seront placés sur des navires qui
peuvent se déplacer d’un endroit à un autre en quelques jours. Les complexes au sol
seront également mobiles »91. Autrement dit, « tout ce qui concerne les incertitudes
stratégiques liées au déploiement du bouclier antimissile des États-Unis et de l’OTAN
reste inchangé »92. Cet échec de la diplomatie américaine a surtout été patent lors de
la conférence internationale sur la sécurité en Europe, qui s’est déroulée début février
2013 à Munich. Le ministre de la Défense russe a rappelé le « manque de confiance »
86 Romer Jean-Christophe, « La défense anti-missile et la Russie : non…mais ! », Revue Défense nationale, n° 748, mars
2012, p. 73.
87 « Russian military ups the ante on missile defense », Associated Press, 4 mai 2012.
88 Autres raisons que nous pouvons citer : la volonté d’Obama d’aller plus avant dans la réduction des arsenaux nucléaires américains et russes ; l’ambition de faire de la Russie un partenaire sur des dossiers internationaux brûlants
comme celui de la Syrie ou de la Corée du Nord.
89 Voir Rouppert Bérangère, Les armes nucléaires tactiques américaines en Europe : les enjeux d’un éventuel retrait, Rapport du
GRIP, mai 2012, http ://www.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2012/Rapport%202012-5.pdf
90 Voir « Remarks by President Obama at the Brandenburg Gate -- Berlin, Germany », 19 juin 2013, http://www.
whitehouse.gov/the-press-office/2013/06/19/remarks-president-obama-brandenburg-gate-berlin-germany
91 « Bouclier antimissile européen : la renonciation à la quatrième étape n’est pas définitive », La Voix de la Russie,
18 mars 2013, http://french.ruvr.ru/2013_03_18/Bouclier-antimissile-europeen-la-renonciation-a-la-quatriemeetape-n-est-pas-definitive/
92 « La restructuration de la défense antimissile américaine critiquée par la Russie et la Chine », Opex360, 20 mars
2013.
Le « pivot » américain vers l’Asie
entre l’Occident et la Russie tandis que le chef d’État-major des armées a annoncé
que des mesures avaient été prises afin de « neutraliser un éventuel impact négatif du
système de défense antimissile américain sur le potentiel nucléaire de la Russie »93.
Quels impacts pour l’UE ?
Un pivot présenté comme bénéfique pour l’UE
Les États-Unis ont cherché à justifier leur repositionnement géographique auprès de
leurs alliés européens et de les rassurer quant aux conséquences de ce tournant pour
leur partenariat sécuritaire. Philip Gordon, assistant au Bureau américain des affaires
européennes et eurasiennes, a rappelé que le pivot ne se faisait pas au détriment de
l’Europe94. Le repositionnement américain est d’ailleurs présenté comme bénéfique
pour l’Europe car l’ouverture des routes maritimes et la stabilité en Asie sont importantes pour le Vieux Continent même si ces paramètres ne sont pas en Europe.
En effet, si les États-Unis demeurent le premier partenaire commercial de l’UE95, la
Chine est le deuxième, suivi par le Japon, Taïwan et l’Asie du Sud-Est96 : la sécurité
dans la région Asie-Pacifique est donc primordiale pour les intérêts économiques de
l’Union européenne.
Un impact moindre sur la sécurité des partenaires européens de l’Alliance Cependant, dans le contexte actuel de la menace iranienne, la restructuration de
l’EPAA n’affectera guère les partenaires européens de l’Alliance atlantique. En effet,
la phase 3 de l’EPAA les protège contre des missiles à courte et moyenne portée et à
portée intermédiaire pouvant aller jusqu’à une distance de 5 500 km, tandis que les
intercepteurs SM-3 IIB de la phase 4 visaient à répondre à la menace de missiles balistiques intercontinentaux lancés en direction des États-Unis. Leur non-déploiement
n’aura donc pratiquement aucun impact sur la sécurité des Européens (à l’exception
des citoyens du Groenland). D’où l’affirmation selon laquelle les phases 1 à 3, prévoyant notamment l’installation de 24 missiles intercepteurs SM-3 IIA en Pologne et
un nombre similaire en Roumanie, permettront de « couvrir tout le territoire européen de l’OTAN à l’horizon 2018 comme prévu »97.
En outre, l’annulation de cette 4ème phase ne remet pas en cause les engagements
pris par différents États européens pour participer financièrement ou en nature à la
défense antimissile de l’OTAN. Les États-Unis attendent en effet de leurs partenaires
européens qu’ils participent en fournissant notamment des capteurs et des intercepteurs, afin de rendre « plus effective » la défense antimissile98. Ainsi, si la Belgique
« ne participera pas directement au bouclier antimissile », elle assumera sa part du
financement des systèmes de commandement et de contrôle de la capacité ALTBMD
et leur élargissement à la défense territoriale, à l’instar de tous les autres membres de
« Sécurité en Europe : Moscou pointe les défis », Ria Novosti, 23 mai 2013.
Gordon, Philip H., « Media Roundtable in the Hague », La Haye (Pays-Bas), 8 janvier 2013.
Sauf lorsque mention contraire, les chiffres proviennent de la DG Commerce de l’Union européenne.
European Commissioner for Trade, Welcoming remarks at the ASEAN-EU Business Summit, 9 mars 2013, http://
asean-eubizsummit.com/sponsor/64-Speaker-Presentations-and-Biographies
97 Ibidem.
98 Remarks by Frank A. Rose, Deputy Assistant Secretary, Bureau of Arms Control, Verification and Compliance «
Growing Global Cooperation on Ballistic Missile Defense », Berlin, 10 septembre 2012.
93
94
95
96
23
24
Rapport du GRIP 2013/6
l’Alliance99. D’autres États mettent à disposition du système otanien des capacités développées initialement sur un plan national, ou décident de moderniser des capacités
nationales. Les Pays-Bas, par exemple, vont moderniser quatre frégates de défense aérienne en les équipant de systèmes radar Thales Smart-L à portée étendue ; la France
envisage une capacité de détection et d’alerte avancée (radar et satellite) pour détecter
l’origine de tirs de missiles balistiques qui sera « interopérable avec les moyens de
ses Alliés »100 ; l’Italie et l’Allemagne collaborent avec les États-Unis depuis plusieurs
années déjà au projet MEADS, visant à remplacer les missiles sol-air Patriot (ÉtatsUnis), Hawk (Allemagne) et Nike Hercules (Italie)101qui serviront à la fois dans leur
architecture de défense aérienne et au sein de la défense antimissile de l’OTAN ; en
outre, la France et l’Italie ont développé conjointement le système sol-air moyenneportée/terrestre (SAMP/T)102.
Une incitation pour l’UE à considérer l’Asie sous un angle sécuritaire ?
L’OTAN, qui regroupe 21 membres de l’UE (bientôt 22), a, sous l’impulsion américaine, accordé davantage d’attention à l’Asie ces dernières années, comme l’a montré
le dialogue stratégique engagé avec la Chine sur des questions telles que la sécurité
en Afghanistan, au Pakistan et en Asie centrale, la piraterie ou encore la cybercriminalité103. L’OTAN a également développé de nouveaux partenariats avec l’Australie,
le Japon, la Nouvelle-Zélande ou la Corée du Sud. Là aussi, ces évolutions se sont
faites sous l’influence des États-Unis104. Les considérations géographiques et stratégiques otaniennes n’ont eu que très peu d’impact sur celles de l’UE : si l’Union a pris
conscience de l’importance de la région Asie-Pacifique, c’est pour mieux se focaliser
sur des thématiques économiques et financières plutôt que sécuritaires et militaires105.
L’UE continue en effet à privilégier l’Afrique et les pays se trouvant dans son voisinage immédiat, tels que l’Europe de l’Est et le Caucase, la Russie, l’Afrique du Nord
et le Moyen-Orient106, tel que le préconise la stratégie de sécurité européenne107.
Il est évident que l’UE « ne peut pas faire face à toutes les menaces sécuritaires du
monde »108 : si « les États-Unis sont une puissance militaire asiatique, ce n’est pas le
cas de l’Europe »109. À cet égard, le Livre Blanc de la France, puissance militaire européenne majeure, paru en 2013 est assez évocateur : il met en opposition les ­intérêts
99 Gros-VerheydeNicolas, « Le bouclier antimissiles en version intérim », Bruxelles2, 21 mai 2012.
100Vedrine Hubert, Rapport pour le Président de la République française sur les conséquences du retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, sur l’avenir de la relation transatlantique et les perspectives de l’Europe de la défense,14 novembre
2012.
101MEADS (Medium Extended Air Defence System), United States of America, Army Technology, http://www.
army-technology.com/projects/meads/
102« US Ambassador : ‘ We need more European national contributions to NATO missile defense », Atlantic Council,
10 septembre 2012.
103086 PC 11 E - Draft Report by Assen AGOV (Bulgaria), General Rapporteur, « The rise of China and possible
implications for NATO », printemps 2011, http://www.nato-pa.int/default.asp?SHORTCUT=2395
104Bouilhet Alexandrine, « La perspective d’une Otan ‘’mondiale’’ divise Paris et Washington », Le Figaro, 29 novembre
2006, http://www.lefigaro.fr/international/2006/11/29/01003-20061129ARTFIG90126-la_perspective_d_une_
otan_mondiale_divise_paris_et_washington.php
105Pawlak Patrick et Ekmektsioglou Eleni, « Transatlantic Strategies in the Asia-Pacific », ISS, juin 2012, p. 1-5.
106« L’OTAN après le Sommet de Lisbonne : nouveau concept stratégique, opérations et réponses », Études et Débats,
no.4, journée d’étude du 1er décembre 2010, p. 1-48.
107Stratégie européenne de sécurité, Une Europe sûre dans un monde meilleur, 12 décembre 2003, www.consilium.europa.
eu/uedocs/cmsUpload/031208ESSIIFR.pdf
108Keohane Daniel, « Strategic Priorities for EU Defence Policy », Policy Brief, n°146, FRIDE, février 2013.
109Ibidem.
Le « pivot » américain vers l’Asie
géographiques américains et européens, pour mieux souligner que si les États-Unis
se tournent vers l’Asie, l’Europe, elle, doit prendre ses « responsabilités » face au développement de foyers d’instabilité « à ses frontières ». Il s’agit donc pour l’UE de
donner une priorité à son voisinage proche visé par la politique européenne de voisinage mais également « aux voisins des voisins, soit le Sahel, la Corne de l’Afrique et
le Golfe »110.
Un énième signal fort des États-Unis
Le risque d’un désengagement plus fort des États-Unis de l’OTAN ?
Pour mener à bien leur repositionnement stratégique, les États-Unis ont besoin que
l’Europe soit un partenaire qui s’assume et non un poids en matière sécuritaire111.
Selon un article de l’Institut de recherche stratégique de l’écolemilitaire, beaucoup
des sénateurs du Congrès américain estiment que, en matière de défense, l’Europe est
« subventionnée » par le contribuable américain112. En raison des intérêts américains
pour des horizons géographiques différents, l’OTAN pourrait devenir principalement
l’affaire des Européens. On se souvient en effet de l’intervention de Robert Gates
en juin 2011, lors d’un événement du Security and Defence Agenda, avertissant les
Européens que « s’ils continuaient à diminuer leurs dépenses de défense au lieu de les
augmenter, les futurs dirigeants politiques américains qui n’ont pas connu la Guerre
froide, estimeront que le retour sur investissement des États-Unis dans l’OTAN n’en
vaut pas la peine »113. Il ne s’agit finalement de rien de moins qu’une menace de désengagement plus avant de l’Alliance atlantique.
Par ailleurs, comme nous l’avons déjà souligné, l’annulation de la phase 4 de
l’EPAA va permettre aux États-Unis de dégager des fonds pour renforcer le système
de défense antimissile basé sur leur territoire et en Asie, pour mieux répondre à l’immédiateté de la menace nord-coréenne. Ce signal fort d’un repli américain sur leur
territoire a connu un autre épisode ces derniers mois : en décembre 2012, le Congrès a
bloqué la dernière tranche de financement (400,9 millions de dollars) du projet de défense antimissile Medium Extended Air Defense System (MEADS) dans lequel sont
engagés les États-Unis via LockheedMartin, l’Allemagne et l’Italie. Les parlementaires
américains ont invoqué « un système que le Pentagone n’utilisera pas » qui serait un
« gaspillage » des deniers publics114. Après avoir vivement critiqué cette décision et
menacé les États-Unis d’importantes pénalités de résiliation et de non-utilisation des
technologies développées115, Berlin et Rome ont finalement vu le Congrès accepter ce
financement à hauteur de 380 millions de dollars. Un tel défaut de paiement de la part
des États-Unis aurait été d’autant plus préjudiciable pour l’Allemagne et l’Italie que
110Biscop Sven, « And what will Europe do ? The European Council and military strategy », Egmont Institute, Security
policy brief, n°46, mai 2013.
111Ibidem.
112Kandel Maya, « Les États-Unis, l’Europe et la défense antimissile », Institut de recherches stratégiques de l’école
militaire, 23 octobre 2012, http://www.defense.gouv.fr/irsem/publications/lettre-de-l-irsem/lettres-de-l-irsem2012/lettre-de-l-irsem-n-8-2012/dossier-strategique/les-etats-unis-l-europe-et-la-defense-antimissile
113Discours de Robert Gates, « Reflections on the status and future of the transatlantic alliance », The Security and Defence Agenda,
Bruxelles, 10 juin 2011, http://www.defense.gov/speeches/speech.aspx?speechid=1581
114En effet, dès 2009, le Pentagone a annoncé qu’il n’utilisera pas le système MEADS ; l’Allemagne a fait de même fin
2011, « Lawmaker : Restore missile-defense funding », Defense Tech, 12 avril 2013, http://defensetech.org/2013/04/12/
lawmaker-restore-missile-defense-funding/
115« Germany, Italy protest at U.S. axing of missile defense funding »,Reuters, 2 février 2013.
25
26
Rapport du GRIP 2013/6
le programme MEADS est prévu pour être « la base de leur architecture de défense
aérienne » ainsi que leur contribution au bouclier antimissile de l’OTAN116.
Toutefois, de là à voir dans l’annulation de la 4ème phase un désengagement américain de l’OTAN, il y a un pas. En effet, comme l’a rappelé un officiel du Département
d’État américain, la Corée du Nord pose une « menace directe pour le territoire de
l’OTAN. Ce n’est peut-être pas le territoire de l’OTAN auquel [les Européens]pensent
habituellement, mais les États-Unis font encore partie du territoire de l’OTAN »117.
La nécessité d’une Europe coproductrice de sécurité
Néanmoins, si la tendance actuelle au repli américain se poursuit, la question d’une
Europe de la défense forte se posera avec d’autant plus d’acuité. Car si les Européens
continuent de faire de l’OTAN la clé de voûte de leur sécurité, ils se verront contraints
de renforcer le pilier européen de l’Alliance pour combler la baisse d’investissements
de Washington. Autrement dit, le tournant américain vers l’Asie n’a fait que confirmer
la nécessité de créer une Europe « coproductrice de sécurité » et non plus seulement
« consommatrice de sécurité »118. Tels sont les messages envoyés par l’administration
Obama : si les Européens veulent plus d’OTAN, il leur sera nécessaire d’investir davantage dans l’Alliance, en nature ou via des contributions financières.
D’autres facteurs poussent également à renforcer les capacités européennes en
matière de défense, à commencer par des considérations pragmatiques. En effet, la
crise économique et financière persistante a créé un climat d’austérité sur le continent
et provoqué d’importantes coupes budgétaires dont les budgets militaires ne sont pas
sortis exempts. Un phénomène qui a notamment conduit à un traité bilatéral francobritannique, le Traité de Lancaster. Car selon Liam Fox, alors Secrétaire à la Défense
britannique, dans un contexte de restrictions budgétaires accrues, il est insensé que
la France et la Grande-Bretagne dépensent séparément des sommes astronomiques
dans des projets visant à développer les mêmes capacités alors qu’elles peuvent le faire
conjointement à moindres coûts119. Cette option a été confirmée deux ans plus tard
par le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, qui a déclaré à Bruxelles à
l’automne 2012 que « la situation [était] opportune » et les conditions « réunies » pour
avancer dans l’Europe de la défense, citant notamment la « réorientation stratégique
des États-Unis vers l’Asie »120.
En outre, les théâtres libyen et malien ont mis en lumière la nécessité d’avoir
les « bonnes »121 capacités. Les lacunes capacitaires observées ont souligné des besoins communs aux forces armées des différents États membres, pour ce qui est du
116« Germany Opposes U.S. Shutdown of MEADS Program », Global Security Newswire, 19 juillet
2011.
117« I do remind my colleagues, European colleagues, that North Korea does pose a direct threat to the territory
of NATO. It may not be the territory of NATO that they usually think about, but since the United States still
is NATO territory », Background Briefing on the NATO Ministerial, Special Briefing, Senior State Department
Official, Bruxelles, 22 avril 2013, http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2013/04/207858.htm
118Intervention de Pothier Fabrice, « L’OTAN après le Sommet de Lisbonne : nouveau concept stratégique, opérations
et réponses », Études et Débats, no.4, journée d’étude du 1er décembre 2010, p. 1-48.
119Fox Liam, « A closer alliance with France will be good for Britain », The Telegraph, 30 octobre 2010.
120« Le Drian plaide pour une Europe de la defense », Europe1, 3 septembre 2012.
121Intervention de Timo Koster, directeur à la Direction politique et capacités de défense de la Division politique et
plans de défense de l’OTAN au Parlement européen sur le thème « Defence capabilities-EU and NATO perspective
ahead of the December Council », Delegation for relations with the NATO Parliamentary Assembly. Bruxelles, 7
mai 2012.
Le « pivot » américain vers l’Asie
r­ avitaillement en vol, du transport de troupes et de l’Intelligence-Surveillance-Reconnaissance (ISR). Ces failles logistiques n’ont pu être palliées qu’avec le soutien décisif
des États-Unis dans la conduite des opérations. Ceux-ci ont, quant à eux, entériné leur
nouvelle gestion des conflits qui ne relèvent pas directement de leur sphère d’influence, celle du « Leading from behind ». Là encore, Washington a envoyé un message clair
aux Européens quant à la responsabilité de leur propre sécurité. Le pivot américain
vers l’Asie impose définitivement à l’UE de faire un choix : « soit coopérer et garder
une place, soit s’isoler »122.
L’OTAN demeure, pour les États européens, « le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre »123 : s’ils souhaitent que cela perdure, ils
de­vront investir dans leurs capacités et celles de l’Alliance, l’un n’étant pas exclusif
de l’autre comme le montre l’usage de capacités nationales pour la défense antimissile de l’OTAN. Le Livre Blanc français souligne que le « partage du fardeau » des
dépenses militaires entre les États-Unis et les Européens « ne pourra être envisagé
de manière satisfaisante que s’il favorise le développement de l’industrie européenne
de défense »124. Dynamique qui évitera à l’Europe de n’avoir « d’autre alternative que
l’alignement stratégique et politique sous protection du glaive nucléaire et du bouclier antimissile américain ou une sécurité européenne dégradée »125. Voire d’être tout
simplement privée de la possibilité d’agir parce que « les États-Unis ne voudront pas
utiliser l’OTAN pour que l’UE règle ses problèmes avec ses voisins »126. En d’autres
termes, si l’Union européenne veut conserver une indépendance stratégique, elle va
devoir garantir « la sécurité d’approvisionnements en équipements de souveraineté et
en systèmes d’armes critiques »127 et conserver une expertise et un savoir-faire technologique de haut-niveau, autrement dit, travailler au développement de sa base industrielle et de technologie de défense (BITD-E).
La défense antimissile : un moyen de promouvoir
l’industrie européenne de défense ?
Sur le Vieux Continent, l’on a souvent tendance à donner plus d’échos aux mésaventures de l’industrie européenne de défense qu’à ses progrès. Ainsi, les articles sur
les retards de l’avion de transport européen, l’A400M, ne se comptent plus. Plus récemment, la gifle est venue de la France elle-même qui a fait le choix d’acheter deux
Reaper, des drones de surveillance américains au nez et à la barbe des industriels européens (Bae Systems, EADS et Dassault). Pourtant, des progrès notables ont été faits
en matière de coopération. Certaines prennent la forme de petits « clusters » : comme
la coopération franco-britannique128, la coopération maritime « Benesam » entre les
122Intervention de Claude Bréant, directeur de la branche recherche et technologie de l’Agence européenne de défense,
lors du Colloque IRSEM-HEC-OED sur le thème « Économie et choix stratégiques de défense », École Militaire,
Paris, 17 mai 2013.
123Article 42 du Traité de l’Union européenne.
124Ministère de la Défense, Livre Blanc 2013 sur la défense et la sécurité nationale, 29 avril 2013, p. 64.
125LavariniBernard, Pourquoi l’Europe doit se doter d’un bouclier antimissile, Revue défense nationale, n°748, mars 2012,
p. 43-56.
126Intervention de Sven Biscop au Parlement européen, 7 mai 2013.
127Ministère de la Défense, Livre Blanc 2013, op. cit. p. 124.
128Sont concernés les pôles « opérations et formations », « équipements, industries et capacités », « cyber sécurité et
lutte contre le terrorisme » et la coopération dans le domaine du nucléaire militaire. Pour plus de précisions, voir
Goessens Guillaume, Où en sont les accords de coopération franco-britanniques de novembre 2010 ?, Note d’Analyse du GRIP,
30 mars 2012, Bruxelles, http://www.grip.org/fr/node/96
27
28
Rapport du GRIP 2013/6
Marines belge et hollandaise ou la Nordic Defence Cooperation regroupant le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède autour de projets sur les capacités
militaires, la formation ou encore les opérations militaires. D’autres rassemblent plusieurs États européens autour de quelques projets structurants : une dizaine d’États
collaborent sur le ravitaillement en vol, une douzaine sur les programmes de formations d’hélicoptères ou encore un petit groupe sur le système de missile Meteor.
La défense antimissile trouve sa place dans le paysage de l’industrie de défense
européenne pour deux raisons principales : le coût très élevé du développement de
composantes d’une défense antimissile etl’engagement des partenaires européens à
financer les coûts communs ou à fournir un apport en nature. Lorsque cette dernière
option est retenue, elle requiert le plus souvent, en raison du contexte budgétaire
critique des États européens, des coopérations bi ou multilatérales. Deux voies ont
jusque-là été tracées : d’une part, celle de la Pologne qui en renforçant ses capacités
nationales et en les mettant au service de l’Alliance, espère attirer dans son projet
des partenaires européens ; d’autre part celle de la France qui entend promouvoir le
concept de Smart Defence cher à l’Alliance atlantique, en promouvant des projets de
l’industrie de défense européenne129.
La Pologne
La Pologne s’inquiète depuis quelques années des garanties sécuritaires fournies par
l’Alliance atlantique : la guerre russo-géorgienne de 2008 a été pour elle un événement
majeur car elle a montré la réticence de certains alliés à s’immiscer dans un confit
impliquant le voisin russe, soulevant du même coup des questions quant à la crédibilité sécuritaire de l’Alliance130. La reconfiguration du projet de défense antimissile
américain a été un autre facteur déclencheur. Dès lors, la Pologne a cherché des solutions dans le renforcement des liens européens en matière de défense en proposant
plusieurs mesures. L’on peut notamment citer une meilleure coopération UE-OTAN,
la mise en place de Battle Groups plus faciles à déployer, une participation accrue des
États de l’Europe de l’Est à la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC)
et une coopération renforcée entre les forces armées européennes via le concept du
« Pooling and Sharing » (Mutualisation et Partage)131. Mais, plus récemment, l’annonce
par la Pologne de développer et financer son propre bouclier antimissile sur la période
2014-2023 indique un virage dans la politique de défense polonaise. Lasse d’attendre
une réponse de ses alliés européens, Varsovie a fait le choix de développer son propre
système de défense antimissile destiné à assurer la protection de son territoire, tout en
sachant qu’il pourra également servir dans le cadre plus large de la défense antimissile
otanienne. C’est ce que traduisent les propos du président polonais lorsqu’il affirme
que ce bouclier « sera aussi un élément du système moderne de l’Otan, un signal
important envoyé à tous, disant que la Pologne dispose de ses propres moyens de
défense, tout en étant capable de participer à des systèmes communs propres à toute
l’Alliance atlantique »132. Varsovie mise ainsi d’abord et avant tout sur sa sécurité : les
129Ministère de la Défense, Livre Blanc 2013, op. cit. p. 63.
130O’donnell, Clara Marina, « Poland’s U-Turn on European Defence : A Missed Opportunity ? », Centre for European
Reform, 27 septembre 2012.
131Ibidem, http://www.cer.org.uk/sites/default/files/publications/attachments/pdf/2012/pb_poland_9march124791.pdf
132« La Pologne assure le financement de son bouclier antimissile », 7sur7, 12 avril 2013.
Le « pivot » américain vers l’Asie
dépenses colossales que ce programme va engendrer – 33,6 milliards d’euros jusqu’en
2018 – sont permises par la stabilité de la croissance polonaise, le gouvernement ayant
réussi à maintenir le niveau d’investissement de 1,95 % de son PIB dans le domaine
de la défense comme prévu par l’UE.
La France
Dès l’annonce du programme de défense antimissile de l’OTAN, la France a insisté
sur la nécessaire participation de l’industrie européenne de la défense dans ce domaine. Au premier rang duquel se trouve l’industrie française, qui a depuis longtemps
développé une expertise sur la globalité du système de défense antimissile « tels que
des systèmes radars pour réaliser l’alerte lointaine, la trajectographie, la désignation
d’objectif et la conduite de tir »133. Un intérêt national qui explique notamment l’insistance du président français fraîchement élu au sommet de Chicago, qui a obtenu
que soit inscrite dans la déclaration l’idée d’une coopération entre États européens :
« Nous prenons note des possibilités éventuelles de coopération en matière de défense
antimissile, et nous encourageons les Alliés à étudier les possibilités de contributions
volontaires supplémentaires, y compris par la coopération multinationale, à fournir
les capacités concernées, ainsi qu’à exploiter les synergies potentielles en matière de
planification, de développement et d’acquisition, et de déploiement »134.
La France et l’Italie ont développé conjointement le système sol-air moyenne-portée/terrestre (SAMP/T), basé sur l’intercepteur Aster 30 Block 1développé par MBDA,
qui constitue « la pierre angulaire de la contribution européenne » dans le système de
défense antimissile euro-atlantique. En effet, il est pour le moment, au sein de l’OTAN,
le seul système de défense aérienne contre des missiles de moyenne portée (600 km) de
fabrication non américaine135, à même de garantir l’autonomie de la défense européenne face aux systèmes américains Patriot notamment. Des discussions exploratoires entre la France, l’Italie et le Royaume-Uni sont en cours sur le développement de l’Aster
Block 1NT permettant d’intercepter des missiles d’une portée de 1000km et ouvrant
la voie au développement du Aster Block 2, capable à terme d’intercepter des missiles
d’une portée de 3 000 km136. Selon la revue Meret marine, du développement de ces technologies pourrait naître une composante navale dans la défense antimissile européenne
« puisque l’Aster 30 équipe les nouveaux bâtiments de défense aérienne britanniques,
français et italiens (T45 et Horizon), par ailleurs dotés des indispensables moyens de
détection à longue portée (radar SMAR-L) et de poursuite (Sampson, EMPAR) »137. Il
s’agit là de productions à haute valeur ajoutée, onéreuses et d’investissements sur du
long terme, le Aster Block 2 ne serait a priori disponible qu’après 2020. Néanmoins,
cet effort représente une étape importante vers l’autonomie des capacités de défense
nationales et européennes et du même coup une réduction de la dépendance envers des
systèmes de conception et de fabrication américaines.
133Chammeilhac, Véronique, « La DAMB : une locomotive industrielle et technologique », Revue de défense nationale,
n°748, mars 2012, p. 57-61.
134Déclaration du Sommet de Chicago, point 60.
135SAMP / T Successful on a Franco-Italian Missile Defense Test, Defense update, 7 mars 2013, http://defense-update.
com/20130307_samp-t-successful-on-in-a-franco-italian-missile-defense-test.html
136« MBDA Positioned to Score Big in 3 Deals », Defense news, 12 mai 2013.
137« La défense anti-missile balistique navale », Mer et marine, 2 avril 2013, http://www.meretmarine.
com/fr/content/la-defense-anti-missile-balistique-navale
29
30
Rapport du GRIP 2013/6
Au-delà de ces collaborations
ponctuelles, une véritable base industrielle et de technologie de défense européenne (BITD-E) exige
des coopérations systématiques.
La défense antimissile de l’OTAN,
qui exige de telles coopérations,
peut précisément fournir le cadre
structurant manquant et l’impulsion nécessaire pour poser les bases d’une industrie européenne de
la défense. Contrairement à l’Europe de la défense, qui nécessiterait d’abord et avant tout l’énonciation d’une véritable politique
étrangère avec des objectifs comImplication de la firme Thales dans le bouclier antimissile de l’OTAN http://www.rusi.org/
muns
en matière de sécurité et de
downloads/assets/Luc_Dini.pdf
défense, ou au moins des réponses
à des questions telle que « quelle Europe de la défense ? Pour quoi faire ? Avec quelles
responsabilités ? In fine quels moyens pour quelles capacités ? », le lancement d’une
composante européenne de défense antimissile connaît déjà ces réponses fournies par
les documents stratégiques de l’Alliance atlantique (la nouvelle posture de défense et
de dissuasion, le concept stratégique de l’OTAN).
Le « pivot » américain vers l’Asie
Conclusion
Le virage asiatique des États-Unis en matière de politique étrangère découle de multiples considérations quant à la place stratégique croissante qu’occupe, sur la scène
internationale, la région Asie-Pacifique et, au sein de celle-ci la Chine. Les États-Unis
ont fait le choix d’un rééquilibrage entre les moyens dont ils disposent, les intérêts
qu’ils ont à défendre et la sécurité des territoires et des forces qu’ils ont à assurer. Le
« pivot » vers l’Asie-Pacifique montre une ferme volonté de s’engager sur la voie de
partenariats multiples, à l’image de celui noué depuis plus de soixante ans avec les
alliés européens au sein de l’Alliance atlantique.
En outre, alors que s’ouvre le second mandat de Barack Obama, l’accent est mis
sur la priorité nationale : les deniers publics serviront non plus à des politiques interventionnistes mais bénéficieront aux contribuables américains, à la construction de la
nation américaine et à leur sécurité. C’est dans cette optique que s’inscrit la nouvelle
architecture sécuritaire américaine : les récents renforcements du bouclier antimissile
en Asie couplés à un assouplissement du dispositif en Europe. Car, dans une période
budgétaire difficile, il y a des choix stratégiques qui ont dû être faits à Washington.
Si la révision/refonte de la défense antimissile en Europe n’est pas synonyme d’un
désengagement américain de l’OTAN, elle constitue toutefois un énième message des
États-Unis appelant à davantage d’investissements politique, financier et capacitaire
de leurs partenaires européens. Davantage de responsabilité également dans la prise
en charge de leur sécurité et, plus largement, dans la défense de leurs territoires et
de leurs populations. Pour une Europe en proie à de forts blocages institutionnels
et à une panne de sa politique de sécurité et de défense, la baisse programmée des
contributions américaines dans l’OTAN fournit une opportunité, pour ne pas dire un
prétexte, de relancer le pilier européen de l’Alliance. En effet, le programme de défense antimissile otanien peut apparaître comme le projet fédérateur manquant dont
les États européens avaient besoin pour justifier de coopérations multilatérales et de
partenariats industriels plus systématiques. La défense antimissile de l’OTAN va audelà de la très sensible question de la souveraineté de chaque État européen, puisqu’à
terme c’est l’autonomie stratégique de l’UE vis-à-vis de leur partenaire américain qui
est mise en question, voire menacée. Conserver une capacité à agir, fournie par une
industrie de défense productrice des moyens de la puissance, c’est conserver la liberté
de décider.
31
Les Rapports du GRIP
3/08
Les munitions au cœur des conflits – état des
lieux et perspectives, Pierre Martinot, collab. I.
Berkol et V. Moreau, 36 p., 7€
3/10
La gestion des frontières terrestres et le trafic
illicite transfrontalier des armes légères, Jihan
Seniora et Cédric Poitevin, 24 p., 6 €
4/08
La problématique destination et utilisation finales
dans les exportations d’armement, Damien Callamand, 30 p., 7€
4/10
5/08
La mission des Nations unies au Congo – Le labo­
ratoire de la paix introuvable, Xavier Zeebroek, 30
p., 6 €
Conférence de révision 2010 du Traité de nonprolifération - Succès et désillusions d’une
nouvelle dynamique de désarmement nucléaire,
Mehdi Mekdour et Bérangère Rouppert, 32 p., 7 €
5/10
Sécurité collective et environnement – Change­
ments climatiques et dégradation de l’environne­
ment, nouveaux enjeux des relations internatio­
nales, Patrice Bouveret et Luc Mampaey (éd.), 50 p.,
8,50 €
Contrôle des transferts d’armes – L’exemple des
états francophones d’Afrique subsaharienne,
Virginie Moreau, Cédric Poitevin et Jihan Seniora,
34 p., 7 €
1/11
Dépenses militaires, production et transferts d’ar­
mes – Compendium 2011, Luc Mampaey, 44 p., 8 €
2/11
La privatisation de la propagande américaine en
Afghanistan et en Irak, Rendon Group, Arnaud
Simonis, 24 p., 6 €
6/08
7/08
Le commerce extérieur des armes dans le fédéra­
lisme belge, Romain Leloup, 38 p., 7 €
8/08
Dépenses militaires, production et transferts
d’armes – Compendium 2009, Luc Mampaey, 32 p.,
7€
3/11
L’ONU et le contrôle des embargos sur les armes
– Entre surveillance et vérification, Virginie
Moreau, 28 p., 6 €
9/08
La traçabilité des munitions, Pierre Martinot et
Ilhan Berkol, 26 p., 6 €
4/11
1/09
Les armes nucléaires de l’OTAN – Fin de partie ou
redéploiement ?, Jean-Marie Collin, 20 p., 6 €
La Mission des Nations unies en RD Congo
– Bilan d’une décennie de maintien de la paix et
perspectives, Xavier Zeebroek, Marc Memier et
Pamphile Sebahara, 40 p., 8 €
2/09
La politique pyromane de Washington - Les
transferts militaires des États-Unis vers le MoyenOrient, Caroline Pailhe, 56 p., 9 €
5/11
Transparence en matière de transferts d’arme­
ments – Quelles responsabilités pour les Etats ?,
Jihan Seniora, 34 p., 7 €
3/09
Le traité de Pelindaba - L'afrique face aux défis de
la prolifération nucléaire, Cédric Poitevin, 40 p., 7 €
6/11
Le traité sur le commerce des armes – Les enjeux
pour 2012, Virginie Moreau, 34 p., 7 €
4/09
Contrôles post-exportation lors des transferts
d'armement - Preuve d'arrivée et monitoring d'uti­
lisation finale, Ilhan Berkol et Virigine Moreau, 40 p.,
8€
1/12
La Côte d’Ivoire un an après – Rétrospective sur
cinq mois de crise électorale, ses impacts et ses
questionnements, Bérangère Rouppert, 36 p., 7 €
2/12
5/09
La réforme du secteur de la sécurité en Républi­
que centrafricaine - Quelques réflexions sur la
contribution belge à une expérience originale,
Marta Martinelli et Emmanuel Klimis, 38 p., 8 €
Ammunition controls, the ATT, and Africa –
Challenges, requirements, and scope for action,
Holger Anders, 20 p., 5 €
3/12
Interdiction des armes chimiques – Réalisations,
défis et nouvelles priorités de la Convention,
Bérangère Rouppert, 28 p., 6 €
4/12
Dépenses militaires, production et transferts
d’armes – Compendium 2012, Luc Mampaey,
44 p., 8 €
6/09
Darfour. Mission impossible pour la MINUAD?,
Michel Liégeois, 30 p., 6 €
7/09
RD Congo. Ressources naturelles et violence. Le
cas des FDLR, Brune Mercier, 22 p., 5 €
8/09
Dépenses militaires, production et transferts
d'armes - Compendium 2010, Luc Mampaey, 40 p.,
8€
5/12
Les armes nucléaires tactiques américaines
en Europe – Les enjeux d’un éventuel retrait,
Bérangère Rouppert, 24 p., 6 €
9/09
La Convention sur les armes à sous-munitions
- Un état des lieux, Bérangère Rouppert, 28 p., 6 €
6/12
Panorama du trafic de cocaïne en Afrique de
l’Ouest, Georges Berghezan, 36 p., 7 €
7/12
Ressources naturelles, conflits et construction
de la paix en Afrique de l’Ouest, Bruno
Hellendorff, 38 p., 7 €
8/12
La conférence 2012 sur une zone exempte d’armes
de destruction massive au Moyen-Orient – Un
échec programmé ?, Bérangère Rouppert, 32 p., 7 €
1/13
Côte d’Ivoire et Mali, au cœur des trafics d’armes
en Afrique de l’Ouest, Georges Berghezan, 40 p.,
7€
2/13
Le contrôle du courtage en armements – Quelle
mise en œuvre au sein de l’UE ?, Kloé Tricot
O’Farrell, 36 p., 7 €
3/13
Mali – De l’intervention militaire française à la
reconstruction de l’état, Bernard Adam, 32 p., 7 €
10/09 L'Union européenne et les armes légères - Une
pluralité de politiques pour une problématique
globale, Hadrien-Laurent Goffinet (avec la collaboration de Virigine Moreau), 28 p., 6 €
11/09 Le contrôle du courtage des armes légères - Quelle
mise en oeuvre au sein de l'UE?, Virginie Moreau et
Holger Anders, 32 p., 6 €
12/09 Le contrôle du transport aérien des armes légères
- État des lieux et défis, Jihan Seniora, 32 p., 6 €
1/10
Recueil des articles concernant la politique
extérieure de l’UE, Federico Santopinto, 66 p., 10 €
2/10
La guerre en sous-traitance – L’urgence d’un
cadre régulateur pour les sociétés militaires
et de sécurité privées, Luc Mampaey et Mehdi
Mekdour, 32 p., 6 €
La liste complète des Rapports est disponible sur www.grip.org
Le «pivot » américain vers l’Asie
Conséquences sur le système de défense antimissile
américain, asiatique et européen
Le virage asiatique des États-Unis en matière de politique étrangère
découle de multiples considérations quant à la place stratégique croissante qu’occupe, sur la scène internationale, la région Asie-Pacifique
et, au sein de celle-ci la Chine. Les États-Unis ont fait le choix d’un
rééquilibrage entre les moyens dont ils disposent, les intérêts qu’ils
ont à défendre et la sécurité des territoires et des forces qu’ils ont à
assurer. Le « pivot » vers l’Asie-Pacifique montre une ferme volonté
de s’engager sur la voie de partenariats multiples, à l’image de celui
noué depuis plus de soixante ans avec les alliés européens au sein de
l’Alliance atlantique.
Au regard des événements récents, le présent rapport se fixe plusieurs
objectifs : tout d’abord, revenir sur les facteurs qui ont conduit au virage dans la politique étrangère américaine en direction de la région
Asie-Pacifique et déterminer les nouveaux contours de cette politique.
Il s’agira ensuite de décrire l’architecture sécuritaire américaine mise
en place dans cette région, en s’attardant plus longuement sur le système de défense antimissile et les réactions qu’il suscite. Enfin, l’impact du repositionnement américain sera analysé à la lumière des engagements sécuritaires des États-Unis dans l’Alliance atlantique, plus
précisément au sein du système de défense antimissile transatlantique, et de ses conséquences sur les développements de la politique
européenne de défense.
Bruno Hellendorff et Bérangère Rouppert sont chercheurs au GRIP.
Chaussée de Louvain, 467
B-1030 Bruxelles
Tél.: (32.2) 241 84 20
Téléchargement