Chapitre 2
La décolonisation
après la Seconde Guerre mondiale :
la guerre d’Algérie
Introduction
Dès avant la Seconde Guerre mondiale, et surtout après la Première Guerre mondiale, des
contestations de l’ordre colonial avaient émergé. Dans les métropoles d’abord, dans lesquelles un
mouvement anticolonialiste se structure autour de partis politiques, d’intellectuels Dans les
colonies surtout, dans lesquelles des mouvement nationalistes émergent, se renforcent et se
structurent qui réclament a minima davantage d’autonomie mais rapidement l’indépendance.
La Seconde Guerre mondiale a largement favorisé le développement de ces contestations pour
plusieurs raisons :
- d’abord parce qu’elle a affaibli profondément les tropoles : celles-ci ont subi de lourdes
pertes humaines, leurs économies sont dévastées et leur prestige affaibli. Considérées jusque
comme infaillibles par les colonisés, elles ne le sont plus après les défaites subies lors du
conflit (notamment par la France, la Belgique, les Pays-Bas… envahies en quelques jours par les
forces allemandes). Perçues jusque comme l’incarnation de la civilisation, elles ne peuvent
plus s’en prévaloir après les horreurs commises en Europe durant les hostilités, et notamment
la Shoah.
- ensuite parce qu’elle a contribué à renforcer les mouvements nationalistes dans les colonies.
En effet, pendant la guerre, de nombreuses possessions coloniales ont été occupées par les
forces de l’Axe, l’Allemagne pour des colonies nord-africaines, le Japon pour des colonies
asiatiques. Dans les deux cas, la nouvelle puissance occupante y a mené une intense propagande
hostile à l’ancienne métropole, souvent autour d’arguments racistes (« solidarité jaune contre
l’homme blanc » pour le Japon (voir affiche), antisémitisme partagé pour l’Allemagne), et s’est
présentée comme le garant de l’indépendance qu’elle promet une fois la guerre terminée.
Cette propagande porte ses fruits lorsque la guerre s’achève et les sentiments d’hostilité à
l’égard des métropoles se sont largement accrus à tel point que la domination coloniale n’est
plus acceptée : par exemple, dès le 2 septembre 1945, jour même de la capitulation japonaise,
en Indochine, le leader du mouvement nationaliste, Ho Chi Minh (voir photo), proclame
unilatéralement l’indépendance ; en Indonésie, Sukarno avait fait de même quelques jours
plus tôt, dès le 17 août ; à Madagascar, des émeutes très violentes éclatent dès 1947 (voir
cartes)…
- enfin, car elle a profondément bouleversé l’ordre international, devenu désormais nettement
défavorable à la colonisation : en effet, la Seconde Guerre mondiale a modifié les rapports de
force dans le monde et fait émerger de nouveaux acteurs, de nouvelles puissances, tous
hostiles au colonialisme. L’ONU d’abord, qui dès sa fondation, dans sa charte, veut
promouvoir le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », le « droit à l’autodétermination »
et s’offre rapidement comme une tribune à laquelle peuvent s’exprimer les principaux leaders
nationalistes des territoires colonisés. Mais, surtout, les deux Grands, même s’ils divergent en
tout, proclament leur hostilité à la colonisation : se elles font valoir des arguments différents
(passé colonial et attachement aux libertés pour les Etats-Unis ; lutte contre l’impérialisme et
dénonciation, au nom du communisme, du « colonialisme, stade suprême du capitalisme »
(Lénine) pour l’URSS, voir affiche), toutes deux comprennent en effet rapidement que
l’indépendance des colonies leur offre de nouvelles perspectives dans le cadre de la Guerre
froide et de la « course aux alliés » dans laquelle elles se lancent. Les colonies entendent
d’ailleurs profiter de ce contexte international qui leur est d’ailleurs favorable : dès les
premières indépendances obtenues, les anciennes colonies se rassemblent pour peser dans les
relations internationales et favoriser l’indépendance des territoires qui sont encore colonisés
lors de la conférence de Bandung (Indonésie) en 1955.
La Seconde Guerre mondiale a donc affaibli les métropoles et renforcé l’hostilité à la colonisation, dans
les colonies et dans le monde : elle permet donc le début du processus de décolonisation (processus
d’émancipation par lequel une colonie accède à son indépendance en se libérant de la tutelle et de
l’occupation d’État étranger). En trois décennies, mais surtout durant les années 1950 et 1960, la
totalité des possessions coloniales recouvrent leur indépendance.
Cependant, ces décolonisations se dérouleront diversement :
- par leur date (voir frise chronologique et cartes) : plusieurs vagues de décolonisation sont à
distinguer, une première qui affectera principalement l’Asie (du milieu des années 1940 au
milieu des années 1950 : l’Inde accès à l’indépendance dès 1947, l’Indonésie en 1949,
l’Indochine en 1954…), une seconde qui concernera principalement l’Afrique (du milieu des
années 1950 au milieu des années 1960 : la Tunisie et le Maroc obtiennent leur indépendance
en 1956, l’Afrique noire française entre 1958 et 1960, le Congo belge en 1960, lAlgérie en
1962…), une dernière, qualifiée de « décolonisations tardives », concernant les colonies
portugaises (Angola et Mozambique n’obtiennent leur indépendance qu’en 1975), et les
colonies britanniques d’Afrique australe (le Zimbabwe n’obtiendra son indépendance qu’en
1980, la Namibie en 1990)
- par la manière dont elles se sont déroulées surtout : certaines interviendront de manière plutôt
pacifique et la négociation prévaudra ; d’autres engendreront des violences massives et fortes
qui se traduiront par de véritables « guerres coloniales ». Cette diversité des modes opératoires
s’explique par plusieurs critères : lattitude des mouvements nationalistes (certains prônant
l’action pacifique et non violente comme le parti du Congrès et Gandhi en Inde, d’autres
étant convaincus que la décolonisation ne pourra être arrachée que par la force comme le
FLN (Front de Libération Nationale) d’Ahmed Ben Bella en Algérie) mais surtout le degré
d’attachement des métropoles à leurs colonies (qui varie selon la richesse de leurs territoires,
le nombre de colons qui y sont installés, l’ancienneté de la domination coloniale…)
Pendant longtemps, les Français n’ont porté quun intérêt limité à leur empire : au XIX
ème
siècle, la
conquête coloniale s’est faite dans une large indifférence et une profonde méconnaissance, teintée
même, le plus souvent, de scepticisme voir d’hostilité ; au début du XX
ème
siècle et pendant l’essentiel
de l’entre-deux-guerres, l’empire continue à être largement méconnu et ne suscite guère
d’enthousiasme.
Ce n’est qu’à partir du début des années 1930 que nait un véritable attachement des Français à leur
empire : le recul de la puissance française n’est que difficilement acceppar l’opinion publique qui
voit dans les possessions coloniales le meilleur moyen d’y remédier et les colonies deviennent à la fois
un gage et le symbole du statut de puissance de la France.
Cette évolution se renforce encore nettement après la Seconde Guerre mondiale (durant laquelle, les
colonies ont joué un rôle essentiel, le général de Gaulle les utilisant comme une « base arrière » de
la résistance extérieure lui permettant de recruter largement pour les FFL (Forces Françaises
Libres) et de continuer le combat contre les forces de l’Axe au nom de la France, lui-même installant le
siège de la « France libre » à Alger à partir de 1943) : alors que le recul de la France sur la scène
internationale devient encore plus évident, l’attachement des Français à leurs possessions coloniales
devient encore plus fort. Le lien qui unit les Français à leur empire devient viscéral et passionnel et une
large majorité s’accorde sur l’absolue nécessité de le conserver. C’est ce qui explique que la France et
les Français auront du mal à accepter la décolonisation : en 1945, lorsque Ho Chi Minh proclame
unilatéralement l’indépendance du Vietnam (Indochine), la France se lance dans une guerre longue
(8 ans, de 1946 à 1954) et coûteuse pour conserver sa possession qui se solde par une défaite vécue
comme une humiliation mais qui renforce la volonté de préserver et de conserver le reste de l’empire
et notamment l’Algérie.
Ce sentiment fort d’attachement à l’empire se heurte à un contexte international défavorable à la
colonisation après la Seconde Guerre mondiale : les deux Grands affirment haut et fort leur hostilité à
la colonisation, l’ONU leur emboite le pas, les indépendances se multiplient rapidement.
La France, même, est contrainte de tenir compte de ces évolutions : dès 1944, dans le discours de
Brazzaville, le général de Gaulle promet un assouplissement de la domination française en Afrique
noire ; dès 1945, il accorde l’indépendance au Liban et à la Syrie ; en 1956, la IV
ème
République, par
la « loi cadre Deferre » accorde une large autonomie interne aux possessions d’Afrique noire et les
indépendances de la Tunisie et du Maroc sont négociées...
Mais, pour la quasi-totalité de la classe politique soutenue par une large majorité de Français, le
reste de l’empire, et notamment l’Algérie, perçue comme une possession particulière, doit être
préservé de cette évolution et la souveraineté française doit y être maintenue.
L’Algérie ne connaîtra l’indépendance que tardivement et après des affrontements meurtriers et
extrêmement violents avec la France : la guerre d’Algérie demeure comme la plus terrible guerre
coloniale que la décolonisation a engendrée
Elle illustre ce que les historiens ont parfois qualifié de modèle français de décolonisation (prévalant
également chez les « petits » colonisateurs) dans lequel l’affrontement aurait été la règle. Cependant,
l’historiographie nuance aujourd’hui fortement cette conception : en effet, la France a aussi été
capable de mener des réformes et d’accorder à certaines de ses possessions des indépendances
négociées (Maroc, Tunisie, Afrique noire).
I –
II –
I – Des « évènements d’Algérie » à une guerre qui ne dit pas son nom
L’attachement de la France est des Français à l’Algérie est fort, plus fort encore qu’à l’égard des
autres possessions coloniales : l’Algérie est perçue comme une possession particulière.
Pourtant, comme ailleurs dans l’empire français, après la Seconde Guerre mondiale un mouvement
nationaliste se forme, se structure, se renforce ce qui génère des troubles à l’importance
grandissante.
En 1954, après une décennie troublée, la guerre d’Algérie débute véritablement et s’enlise rapidement.
A L’Algérie, une possession particulière, un attachement viscéral, des
positions qui se radicalisent
Si la France et les Français sont attachés à leurs possessions coloniales, ils le sont plus encore à
l’Algérie.
En effet, à bien des égards, l’Algérie fait figure de possession particulière :
- par l’ancienneté de sa colonisation d’abord : l’Algérie est une possession française depuis
1830 si bien que les liens qui l’unissent à la métropole et aux Français sont particulièrement
forts
- par son statut juridique ensuite : l’Algérie n’est pas une colonie mais un territoire annexé et, à
ce titre, fait partie intégrante de la métropole comme tout autre département français si bien que
les lois de la métropole s’y appliquent totalement. Ainsi, les trois départements algériens
envoient des députés à l’Assemblée Nationale et tous les habitants de l’Algérie sont citoyens
français même si l’égalité juridique n’est qu’un leurre puisque les colons sont citoyens
français à part entière mais que les indigène ne sont que « citoyens français musulmans » ce
qui leur donne un poids politique et des droits bien moindres
- par le nombre d’européens qui y résident encore : les européens représentent environ 10 % de la
population de la colonie soit 1 million de personnes (dont 600 000 à 700 000 français que l’on
qualifie de « pieds noirs ») et, à ce titre, l’Algérie fait figure d’unique « colonie de peuplement »
française
- par sa richesse enfin : l’Algérie est un territoire extrêmement riche de par son potentiel
agricole mais surtout par la richesse de ses sous-sols en minerais et en pétrole ; de surcroît, le
Sahara algérien devient vite un enjeu important puisque c’est que la France y alise ses
essais nucléaires alors qu’elle cherche à se doter de l’arme atomique
Pourtant, en Algérie, ce sentiment d’attachement fort est loin d’être partagé.
Avant, et surtout juste après la Seconde Guerre mondiale, un mouvement nationaliste se développe,
s’organise, se structure et se renforce.
Il se manifeste dès le 8 mai 1945 : alors que partout la victoire française lors de la Seconde Guerre
mondiale est célébrée, des émeutes très violentes éclatent à Sétif et à Guelma, des milliers de
manifestants défilant aux cris de « Vive l'Algérie indépendante », « vive la charte des Nations Unies »,
et scandant « liberté », « guerre sainte ». La répression française de ces émeutes de Sétif est
implacable : si 102 européens trouvent la mort, ce sont au moins 8 000 victimes algériennes qui sont
dénombrées.
Pourtant, pendant la décennie qui suit, les troubles en Algérie demeurent ponctuels et limités.
En effet, le mouvement nationaliste algérien peine à faire son uniet demeure profondément désuni
et divisé entre ceux qui prônent une lutte pacifique et démocratique et ceux qui souhaitent une
action plus radicale en recourant à la violence.
Cette décennie de « calme » relatif entretient, en France, la conviction qu’il est possible de conserver
sans heurts l’Algérie. Mais cette illusion se dissipe vite lorsque la guerre débute véritablement, en
1954
B – Le début de la guerre d’Algérie : la « Toussaint rouge » (1954)
A partir du début des années 1950, les nationalistes algériens, conscients que leurs divisions nuisent à
l’efficacité de leurs actions, cherchent à faire leur unité.
Ils la réalisent au mois d’octobre 1954 : plusieurs courants nationalistes algériens fusionnent pour
donner naissance à un nouveau mouvement, le FLN (Front de Libération Nationale), qui entend
placer son action sous le signe de la radicalité puisqu’il se dote d’une « branche armée », l’ALN
(Armée de Libération Nationale).
Cet événement, que beaucoup d’historiens qualifient de « renaissance du nationalisme algérien »,
change profondément la donne en Algérie.
En effet, le FLN entend marquer cette nouvelle situation de manière spectaculaire : le 1
er
novembre
1954 (jour de la Toussaint, d’où le nom qui a été donné à cette journée, la « Toussaint Rouge »), il
organise 70 attentats simultanés sur tout le territoire algérien. Le jour même, l’ALN proclame
l’insurrection sur tout le territoire et le FLN réclame des négociations avec le gouvernement français
pour aboutir à l’indépendance de l’Algérie.
Cette journée du 1
er
novembre 1954 (voir vidéo), qui frappe l'opinion publique et la classe politique,
marque véritablement le début de la guerre d’Algérie.
Face à cette nouvelle donne, le gouvernement français, de gauche, dont Pierre Mendes-France est le
président du Conseil et François Mitterrand le ministre de l’Intérieur en charge de l’Algérie, refuse
toute négociation avec ceux qu’il qualifie de « terroristes ». Ainsi, François Mitterrand, déclare :
« l'Algérie, c'est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d'autre autorité que la sienne. Des
Flandres au Congo, il y a la loi, une seule nation, un seul Parlement ».
Le gouvernement n’entend réagir que par la répression : des renforts militaires sont envoyés
rapidement sur place et investissent rapidement la région des Aurès qui accueille l’essentiel des
réseaux du FLN et de l’ALN (voir vidéo). Dans l’ensemble, l’opinion publique française approuve
cette politique de fermeté et attend que le gouvernement réprime le « brigandage ».
Cette intransigeance, ce refus de négocier, cette attitude de fermeté adoptée par le gouvernement
français, et soutenue par la quasi-totalité de la classe politique et l’essentiel de l’opinion publique,
s’explique de différentes manières :
- d’abord, l’action terroriste de la « Toussaint rouge » paraît sans lendemain : les participants
sont arrêtés, les réseaux démantelés
- de plus, les insurgés semblent peu représentatifs, plusieurs leaders nationalistes et les élus
musulmans d’Algérie désavouant ces attentats
- surtout, la pression du million de colons français d’Algérie est forte sur le gouvernement : ils
font rapidement savoir qu’ils n’accepteront aucune évolution du statut de l’Algérie et qu’une
répression forte est la seule politique qu’ils entendent accepter de la part du gouvernement
- enfin, la France sort tout juste de la guerre d’indépendance indochinoise et a été contrainte
d’accepter l’indépendance de son ancienne possession asiatique : ouvrir des négociations
avec les insurgés algériens serait vécu comme une nouvelle humiliation, une preuve de
faiblesse qui ouvrirait la porte à la perte de l’ensemble de l’empire colonial
Cependant, une partie de la classe politique, et notamment le président du Conseil, sait que la
« Toussaint rouge » dépasse largement l’action de terroristes isolés et révèle un véritable malaise des
algériens qui acceptent de moins en moins bien la domination française. C’est pourquoi il envoie en
Algérie, Jacques Soustelle pour pacifier et mettre en place des réformes mais cette politique est
rapidement vouée à l’échec du fait de l’escalade de la violence et de la guerre qui se produit
rapidement.
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