Chapitre 2 La décolonisation après la Seconde Guerre mondiale : la guerre d’Algérie Introduction Dès avant la Seconde Guerre mondiale, et surtout après la Première Guerre mondiale, des contestations de l’ordre colonial avaient émergé. Dans les métropoles d’abord, dans lesquelles un mouvement anticolonialiste se structure autour de partis politiques, d’intellectuels… Dans les colonies surtout, dans lesquelles des mouvement nationalistes émergent, se renforcent et se structurent qui réclament a minima davantage d’autonomie mais rapidement l’indépendance. La Seconde Guerre mondiale a largement favorisé le développement de ces contestations pour plusieurs raisons : - d’abord parce qu’elle a affaibli profondément les métropoles : celles-ci ont subi de lourdes pertes humaines, leurs économies sont dévastées et leur prestige affaibli. Considérées jusque là comme infaillibles par les colonisés, elles ne le sont plus après les défaites subies lors du conflit (notamment par la France, la Belgique, les Pays-Bas… envahies en quelques jours par les forces allemandes). Perçues jusque là comme l’incarnation de la civilisation, elles ne peuvent plus s’en prévaloir après les horreurs commises en Europe durant les hostilités, et notamment la Shoah. - ensuite parce qu’elle a contribué à renforcer les mouvements nationalistes dans les colonies. En effet, pendant la guerre, de nombreuses possessions coloniales ont été occupées par les forces de l’Axe, l’Allemagne pour des colonies nord-africaines, le Japon pour des colonies asiatiques. Dans les deux cas, la nouvelle puissance occupante y a mené une intense propagande hostile à l’ancienne métropole, souvent autour d’arguments racistes (« solidarité jaune contre l’homme blanc » pour le Japon (voir affiche), antisémitisme partagé pour l’Allemagne), et s’est présentée comme le garant de l’indépendance qu’elle promet une fois la guerre terminée. Cette propagande porte ses fruits lorsque la guerre s’achève et les sentiments d’hostilité à l’égard des métropoles se sont largement accrus à tel point que la domination coloniale n’est plus acceptée : par exemple, dès le 2 septembre 1945, jour même de la capitulation japonaise, en Indochine, le leader du mouvement nationaliste, Ho Chi Minh (voir photo), proclame unilatéralement l’indépendance ; en Indonésie, Sukarno avait fait de même quelques jours plus tôt, dès le 17 août ; à Madagascar, des émeutes très violentes éclatent dès 1947 (voir cartes)… - enfin, car elle a profondément bouleversé l’ordre international, devenu désormais nettement défavorable à la colonisation : en effet, la Seconde Guerre mondiale a modifié les rapports de force dans le monde et fait émerger de nouveaux acteurs, de nouvelles puissances, tous hostiles au colonialisme. L’ONU d’abord, qui dès sa fondation, dans sa charte, veut promouvoir le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », le « droit à l’autodétermination » et s’offre rapidement comme une tribune à laquelle peuvent s’exprimer les principaux leaders nationalistes des territoires colonisés. Mais, surtout, les deux Grands, même s’ils divergent en tout, proclament leur hostilité à la colonisation : se elles font valoir des arguments différents (passé colonial et attachement aux libertés pour les Etats-Unis ; lutte contre l’impérialisme et dénonciation, au nom du communisme, du « colonialisme, stade suprême du capitalisme » (Lénine) pour l’URSS, voir affiche), toutes deux comprennent en effet rapidement que l’indépendance des colonies leur offre de nouvelles perspectives dans le cadre de la Guerre froide et de la « course aux alliés » dans laquelle elles se lancent. Les colonies entendent d’ailleurs profiter de ce contexte international qui leur est d’ailleurs favorable : dès les premières indépendances obtenues, les anciennes colonies se rassemblent pour peser dans les relations internationales et favoriser l’indépendance des territoires qui sont encore colonisés lors de la conférence de Bandung (Indonésie) en 1955. La Seconde Guerre mondiale a donc affaibli les métropoles et renforcé l’hostilité à la colonisation, dans les colonies et dans le monde : elle permet donc le début du processus de décolonisation (processus d’émancipation par lequel une colonie accède à son indépendance en se libérant de la tutelle et de l’occupation d’État étranger). En trois décennies, mais surtout durant les années 1950 et 1960, la totalité des possessions coloniales recouvrent leur indépendance. Cependant, ces décolonisations se dérouleront diversement : - par leur date (voir frise chronologique et cartes) : plusieurs vagues de décolonisation sont à distinguer, une première qui affectera principalement l’Asie (du milieu des années 1940 au milieu des années 1950 : l’Inde accès à l’indépendance dès 1947, l’Indonésie en 1949, l’Indochine en 1954…), une seconde qui concernera principalement l’Afrique (du milieu des années 1950 au milieu des années 1960 : la Tunisie et le Maroc obtiennent leur indépendance en 1956, l’Afrique noire française entre 1958 et 1960, le Congo belge en 1960, l’Algérie en 1962…), une dernière, qualifiée de « décolonisations tardives », concernant les colonies portugaises (Angola et Mozambique n’obtiennent leur indépendance qu’en 1975), et les colonies britanniques d’Afrique australe (le Zimbabwe n’obtiendra son indépendance qu’en 1980, la Namibie en 1990) - par la manière dont elles se sont déroulées surtout : certaines interviendront de manière plutôt pacifique et la négociation prévaudra ; d’autres engendreront des violences massives et fortes qui se traduiront par de véritables « guerres coloniales ». Cette diversité des modes opératoires s’explique par plusieurs critères : l’attitude des mouvements nationalistes (certains prônant l’action pacifique et non violente comme le parti du Congrès et Gandhi en Inde, d’autres étant convaincus que la décolonisation ne pourra être arrachée que par la force comme le FLN (Front de Libération Nationale) d’Ahmed Ben Bella en Algérie) mais surtout le degré d’attachement des métropoles à leurs colonies (qui varie selon la richesse de leurs territoires, le nombre de colons qui y sont installés, l’ancienneté de la domination coloniale…) Pendant longtemps, les Français n’ont porté qu’un intérêt limité à leur empire : au XIXème siècle, la conquête coloniale s’est faite dans une large indifférence et une profonde méconnaissance, teintée même, le plus souvent, de scepticisme voir d’hostilité ; au début du XXème siècle et pendant l’essentiel de l’entre-deux-guerres, l’empire continue à être largement méconnu et ne suscite guère d’enthousiasme. Ce n’est qu’à partir du début des années 1930 que nait un véritable attachement des Français à leur empire : le recul de la puissance française n’est que difficilement accepté par l’opinion publique qui voit dans les possessions coloniales le meilleur moyen d’y remédier et les colonies deviennent à la fois un gage et le symbole du statut de puissance de la France. Cette évolution se renforce encore nettement après la Seconde Guerre mondiale (durant laquelle, les colonies ont joué un rôle essentiel, le général de Gaulle les utilisant comme une « base arrière » de la résistance extérieure lui permettant de recruter largement pour les FFL (Forces Françaises Libres) et de continuer le combat contre les forces de l’Axe au nom de la France, lui-même installant le siège de la « France libre » à Alger à partir de 1943) : alors que le recul de la France sur la scène internationale devient encore plus évident, l’attachement des Français à leurs possessions coloniales devient encore plus fort. Le lien qui unit les Français à leur empire devient viscéral et passionnel et une large majorité s’accorde sur l’absolue nécessité de le conserver. C’est ce qui explique que la France et les Français auront du mal à accepter la décolonisation : en 1945, lorsque Ho Chi Minh proclame unilatéralement l’indépendance du Vietnam (Indochine), la France se lance dans une guerre longue (8 ans, de 1946 à 1954) et coûteuse pour conserver sa possession qui se solde par une défaite vécue comme une humiliation mais qui renforce la volonté de préserver et de conserver le reste de l’empire et notamment l’Algérie. Ce sentiment fort d’attachement à l’empire se heurte à un contexte international défavorable à la colonisation après la Seconde Guerre mondiale : les deux Grands affirment haut et fort leur hostilité à la colonisation, l’ONU leur emboite le pas, les indépendances se multiplient rapidement. La France, même, est contrainte de tenir compte de ces évolutions : dès 1944, dans le discours de Brazzaville, le général de Gaulle promet un assouplissement de la domination française en Afrique noire ; dès 1945, il accorde l’indépendance au Liban et à la Syrie ; en 1956, la IVème République, par la « loi cadre Deferre » accorde une large autonomie interne aux possessions d’Afrique noire et les indépendances de la Tunisie et du Maroc sont négociées... Mais, pour la quasi-totalité de la classe politique soutenue par une large majorité de Français, le reste de l’empire, et notamment l’Algérie, perçue comme une possession particulière, doit être préservé de cette évolution et la souveraineté française doit y être maintenue. L’Algérie ne connaîtra l’indépendance que tardivement et après des affrontements meurtriers et extrêmement violents avec la France : la guerre d’Algérie demeure comme la plus terrible guerre coloniale que la décolonisation a engendrée Elle illustre ce que les historiens ont parfois qualifié de modèle français de décolonisation (prévalant également chez les « petits » colonisateurs) dans lequel l’affrontement aurait été la règle. Cependant, l’historiographie nuance aujourd’hui fortement cette conception : en effet, la France a aussi été capable de mener des réformes et d’accorder à certaines de ses possessions des indépendances négociées (Maroc, Tunisie, Afrique noire). I– II – I – Des « évènements d’Algérie » à une guerre qui ne dit pas son nom L’attachement de la France est des Français à l’Algérie est fort, plus fort encore qu’à l’égard des autres possessions coloniales : l’Algérie est perçue comme une possession particulière. Pourtant, là comme ailleurs dans l’empire français, après la Seconde Guerre mondiale un mouvement nationaliste se forme, se structure, se renforce ce qui génère des troubles à l’importance grandissante. En 1954, après une décennie troublée, la guerre d’Algérie débute véritablement et s’enlise rapidement. A – L’Algérie, une possession particulière, un attachement viscéral, des positions qui se radicalisent Si la France et les Français sont attachés à leurs possessions coloniales, ils le sont plus encore à l’Algérie. En effet, à bien des égards, l’Algérie fait figure de possession particulière : - par l’ancienneté de sa colonisation d’abord : l’Algérie est une possession française depuis 1830 si bien que les liens qui l’unissent à la métropole et aux Français sont particulièrement forts - par son statut juridique ensuite : l’Algérie n’est pas une colonie mais un territoire annexé et, à ce titre, fait partie intégrante de la métropole comme tout autre département français si bien que les lois de la métropole s’y appliquent totalement. Ainsi, les trois départements algériens envoient des députés à l’Assemblée Nationale et tous les habitants de l’Algérie sont citoyens français même si l’égalité juridique n’est qu’un leurre puisque les colons sont citoyens français à part entière mais que les indigène ne sont que « citoyens français musulmans » ce qui leur donne un poids politique et des droits bien moindres - par le nombre d’européens qui y résident encore : les européens représentent environ 10 % de la population de la colonie soit 1 million de personnes (dont 600 000 à 700 000 français que l’on qualifie de « pieds noirs ») et, à ce titre, l’Algérie fait figure d’unique « colonie de peuplement » française - par sa richesse enfin : l’Algérie est un territoire extrêmement riche de par son potentiel agricole mais surtout par la richesse de ses sous-sols en minerais et en pétrole ; de surcroît, le Sahara algérien devient vite un enjeu important puisque c’est là que la France y réalise ses essais nucléaires alors qu’elle cherche à se doter de l’arme atomique Pourtant, en Algérie, ce sentiment d’attachement fort est loin d’être partagé. Avant, et surtout juste après la Seconde Guerre mondiale, un mouvement nationaliste se développe, s’organise, se structure et se renforce. Il se manifeste dès le 8 mai 1945 : alors que partout la victoire française lors de la Seconde Guerre mondiale est célébrée, des émeutes très violentes éclatent à Sétif et à Guelma, des milliers de manifestants défilant aux cris de « Vive l'Algérie indépendante », « vive la charte des Nations Unies », et scandant « liberté », « guerre sainte ». La répression française de ces émeutes de Sétif est implacable : si 102 européens trouvent la mort, ce sont au moins 8 000 victimes algériennes qui sont dénombrées. Pourtant, pendant la décennie qui suit, les troubles en Algérie demeurent ponctuels et limités. En effet, le mouvement nationaliste algérien peine à faire son unité et demeure profondément désuni et divisé entre ceux qui prônent une lutte pacifique et démocratique et ceux qui souhaitent une action plus radicale en recourant à la violence. Cette décennie de « calme » relatif entretient, en France, la conviction qu’il est possible de conserver sans heurts l’Algérie. Mais cette illusion se dissipe vite lorsque la guerre débute véritablement, en 1954… B – Le début de la guerre d’Algérie : la « Toussaint rouge » (1954) A partir du début des années 1950, les nationalistes algériens, conscients que leurs divisions nuisent à l’efficacité de leurs actions, cherchent à faire leur unité. Ils la réalisent au mois d’octobre 1954 : plusieurs courants nationalistes algériens fusionnent pour donner naissance à un nouveau mouvement, le FLN (Front de Libération Nationale), qui entend placer son action sous le signe de la radicalité puisqu’il se dote d’une « branche armée », l’ALN (Armée de Libération Nationale). Cet événement, que beaucoup d’historiens qualifient de « renaissance du nationalisme algérien », change profondément la donne en Algérie. En effet, le FLN entend marquer cette nouvelle situation de manière spectaculaire : le 1er novembre 1954 (jour de la Toussaint, d’où le nom qui a été donné à cette journée, la « Toussaint Rouge »), il organise 70 attentats simultanés sur tout le territoire algérien. Le jour même, l’ALN proclame l’insurrection sur tout le territoire et le FLN réclame des négociations avec le gouvernement français pour aboutir à l’indépendance de l’Algérie. Cette journée du 1er novembre 1954 (voir vidéo), qui frappe l'opinion publique et la classe politique, marque véritablement le début de la guerre d’Algérie. Face à cette nouvelle donne, le gouvernement français, de gauche, dont Pierre Mendes-France est le président du Conseil et François Mitterrand le ministre de l’Intérieur en charge de l’Algérie, refuse toute négociation avec ceux qu’il qualifie de « terroristes ». Ainsi, François Mitterrand, déclare : « l'Algérie, c'est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d'autre autorité que la sienne. Des Flandres au Congo, il y a la loi, une seule nation, un seul Parlement ». Le gouvernement n’entend réagir que par la répression : des renforts militaires sont envoyés rapidement sur place et investissent rapidement la région des Aurès qui accueille l’essentiel des réseaux du FLN et de l’ALN (voir vidéo). Dans l’ensemble, l’opinion publique française approuve cette politique de fermeté et attend que le gouvernement réprime le « brigandage ». Cette intransigeance, ce refus de négocier, cette attitude de fermeté adoptée par le gouvernement français, et soutenue par la quasi-totalité de la classe politique et l’essentiel de l’opinion publique, s’explique de différentes manières : - d’abord, l’action terroriste de la « Toussaint rouge » paraît sans lendemain : les participants sont arrêtés, les réseaux démantelés - de plus, les insurgés semblent peu représentatifs, plusieurs leaders nationalistes et les élus musulmans d’Algérie désavouant ces attentats - surtout, la pression du million de colons français d’Algérie est forte sur le gouvernement : ils font rapidement savoir qu’ils n’accepteront aucune évolution du statut de l’Algérie et qu’une répression forte est la seule politique qu’ils entendent accepter de la part du gouvernement - enfin, la France sort tout juste de la guerre d’indépendance indochinoise et a été contrainte d’accepter l’indépendance de son ancienne possession asiatique : ouvrir des négociations avec les insurgés algériens serait vécu comme une nouvelle humiliation, une preuve de faiblesse qui ouvrirait la porte à la perte de l’ensemble de l’empire colonial Cependant, une partie de la classe politique, et notamment le président du Conseil, sait que la « Toussaint rouge » dépasse largement l’action de terroristes isolés et révèle un véritable malaise des algériens qui acceptent de moins en moins bien la domination française. C’est pourquoi il envoie en Algérie, Jacques Soustelle pour pacifier et mettre en place des réformes mais cette politique est rapidement vouée à l’échec du fait de l’escalade de la violence et de la guerre qui se produit rapidement. C – Une véritable « guerre » qui ne dit pas son nom mais qui s’enlise (1955 – 1958) Rapidement, l’idée que la « Toussaint rouge » n’était l’action que de « terroristes isolées » vole en éclat. En effet, malgré la répression française, les troubles en Algérie, bien loin de cesser, ne cessent de s’intensifier. En août 1955, le FLN organise une insurrection de la population dans le nord constantinois : une centaine d’européens sont massacrés. La communauté européenne s’arme et se livre à des représailles tuant plus d’un millier de musulmans. Le FLN mise sur une stratégie de radicalisation visant à creuser un fossé, une haine même, entre les deux communautés afin que toute cohabitation devienne impossible et que le maintien de la souveraineté française soit rejeté massivement par les algériens. Une nouvelle fois, le gouvernement français choisit la voie de la répression : Jacques Soustelle donne alors la priorité à la lutte contre le FLN et l’ALN au détriment de la politique de réformes qu’il avait initiée quelques mois auparavant. L’année 1956 marque un premier tournant décisif dans la guerre d’Algérie. En décembre 1955, des élections législatives ont lieu en France. Elles sont remportées par les partis de gauche, notamment la SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière) : ces partis avaient fait campagne sur la nécessité d’assouplir la répression en Algérie, de mener une politique de réformes et avaient même envisagé l’ouverture de discussions avec les nationalistes algériens. Le leader de la SFIO, Guy Mollet, devient président du Conseil. En février 1956, il se rend à l’Alger : les colons français l’accueillent par une manifestation hostile massive. Toute la journée, le président du Conseil reçoit des projectiles divers : cette journée sera surnommée la « journée des tomates » (voir « une »). Cette journée aura une importance cruciale dans le conflit algérien. Frappé par la situation, convaincu que les colons français n’accepteront jamais un assouplissement de la politique répressive menée à l’encontre des nationalistes algériens, Guy Mollet décide de tourner le dos à ses engagements de campagne (même si, officiellement, il continue de promouvoir le triptyque « cessez-le-feu, élection, négociations ») et de radicaliser encore la politique répressive de la France en Algérie (voir vidéo) : - le gouvernement fait arrêter de nombreux chefs et de combattants (les fellaghas) nationalistes algériens (voir photo) - il lance une opération militaire conjointe avec la Grande Bretagne contre l’Egypte dirigée par Nasser : si le prétexte est la décision de Nasser de nationaliser le canal de Suez, jusque là géré par la France et la Grande Bretagne, le véritable objectif du gouvernement français est d’affaiblir l’Egypte qui apporte une aide économique et militaire importante aux nationalistes algériens - il demande et obtient du Parlement les « pouvoirs spéciaux » pour l’armée qui permet aux autorités militaires présentes en Algérie d’utiliser tous les moyens nécessaire pour faire revenir l’ordre en Algérie : c’est alors qu’apparait la torture des nationalistes algériens afin de les forcer à livrer les noms de leurs complices et de dénoncer les « caches » du FLN et de l’ALN - surtout, il envoie le contingent (jeunes Français faisant leur service militaire dont la durée est allongée à 30 mois) : cette décision se traduit par une augmentation spectaculaire du nombre de soldats français en Algérie (400 000 hommes) mais fait entrer la guerre d’Algérie dans le quotidien de nombreuses familles françaises puisque toutes celles qui comptent un jeune homme craignent de le voir partir pour combattre en Algérie La politique de Guy Mollet se traduit par une radicalisation plus forte encore des deux côtés et fait entrer la guerre d’Algérie dans une escalade irrémédiable. En 1957, cette escalade se confirme : l’armée française en Algérie lance la « bataille d’Alger » et tente d’extirper le FLN d’Alger en multipliant les contrôles, les fouilles, les arrestations (voir photos), et en intensifiant l’utilisation de la torture. Cette radicalisation, si elle est soutenue par l’essentiel de la population, commence à être contestée : des intellectuels dénoncent l’utilisation de méthodes excessives et meurtrières, notamment la torture (le journaliste Henri Alleg, directeur du journal communiste Alger républicain, publie en février 1958 La Question, récit des tortures qu'il a subies : le livre est interdit par la censure mais circule clandestinement en France comme en Algérie ; des intellectuels catholiques François Mauriac et Henri-Irénée Marrou dénoncent la torture et sont brièvement arrêtés par la police) et de plus en plus de Français sont réticents de voir les jeunes du pays aller mourir pour un territoire lointain et méconnu. Le FLN, dont Ahmed Ben Bella s’affirme comme le leader charismatique, utilise cette radicalisation de la politique française pour rallier plus largement encore à lui l’opinion publique algérienne, dans les campagnes d’abord, dans les villes ensuite. A son tour, il radicalise ses moyens d’action, notamment en multipliant les attentats contre les Français d’Algérie dans les villes algériennes. L’année 1957 marque également une internationalisation du conflit qui dépasse désormais le cadre strictement français. En effet, le FLN est invité officiellement à la conférence de Bandung, qui lui apporte son appui. Surtout, l'ONU aborde à plusieurs reprises la « question algérienne » dans ses assemblées générales : si la France évite d’être condamnée par l’institution internationale car elle est protégée par le droit de veto dont elle bénéficie du fait de son statut de membre permanent du Conseil de sécurité, ces débats attestent d’une réprobation croissante face à l’attitude française en Algérie, y compris de la part de certains des alliés de la France qui ne peuvent cautionner des méthodes moralement condamnables, et notamment les Etats-Unis. A la fin de l’année 1957, la France semble dans une impasse : la guerre d’Algérie (même si le gouvernement continue de refuser d’employer ce terme et continue de parler des « événements d’Algérie ») se traduit par des victimes sans cesse plus nombreuses, les dépenses deviennent de plus en plus lourdes et grèvent le budget de l’Etat, l’image de la France dans le monde est écornée par une condamnation internationale croissante et surtout, malgré des moyens toujours plus importants et des méthodes toujours plus radicales, l’armée ne parvient pas à faire cesser les troubles en Algérie. La IVème République semble au bord du gouffre et apparaît comme incapable de garantir le retour de l’ordre et le maintien de « l’Algérie française »… II – De Gaulle, décolonisateur malgré lui ? Pour une large partie de l’opinion publique française, de Gaulle fait figure de sauveur, le seul à même de trouver la solution au « cancer algérien ». Plus tard, l’historiographie a longtemps véhiculé cette image : cependant, une étude plus attentive de la politique menée par le général de Gaulle à l’égard de l’Algérie contribue à la nuancer, pour le moins. A – La fin de la IVème République : le retour au pouvoir du général de Gaulle (1958) La IVème République cristallise de plus en plus fortement le mécontentement des Français. Si la guerre d’Algérie n’en est pas l’unique motif (l’instabilité ministérielle, notamment, est très mal ressentie), elle en est l’objet principal : les gouvernements qui se succèdent semblent incapables de régler rapidement le conflit. Tout ceci entraine l’usure du régime qui finit par s’effondrer après une dernière crise, en mai 1958. Le 15 avril 1958, à Paris, le gouvernement de Félix Gaillard est renversé par le Parlement. Le président de la République, René Coty, doit alors nommer un président du Conseil mais aucune personnalité ne semble en mesure de rallier une majorité des suffrages de l’Assemblée. Pendant près d’un mois, la France n’a pas de gouvernement. Finalement, le 13 mai 1958, René Coty nomme Pierre Pfimlin président du Conseil : la nomination de celui-ci, qui est connu pour ses positions « libérales » concernant l’Algérie et réputé favorable à l’ouverture de négociations rapides avec les nationalistes algériens, suscite la fureur des partisans de « l’Algérie française » et des colons français d’Algérie. Le jour même, à Alger, ceux-ci organisent une manifestation massive qui dégénère : une foule d'européens s'empare du siège du gouvernement général. Cette manifestation reçoit le soutien passif de l’armée française en Algérie qui laisse les manifestants agir sans les réprimer (voir vidéo). Les manifestants, relayés par les plus hauts officiers de l’armée française en Algérie, les généraux Salan et Massu, annoncent la formation d'un comité de salut public et réclament le retour du général de Gaulle, perçu comme le seul qui pourra ramener l’ordre en Algérie et assurer le maintien de la souveraineté française, au pouvoir. Des menaces circulent quant à l’éventualité d’un coup d’Etat de l’armée française et même d’une action militaire sur Paris. Tétanisée, la classe politique sent la situation lui échapper et craint le basculement du pays dans la dictature. Le retour du général de Gaulle fait rapidement l’objet d’un large consensus : il apparait comme le seul capable d’éviter le pire et de sauver la République. Le 28 mai 1958, Pierre Pfimlin démissionne et René Coty nomme le général de Gaulle président du Conseil. D’emblée, celui-ci fait connaitre son intention de mettre fin à la IVème République et de faire adopter une nouvelle Constitution. Celle-ci est rédigée dans les semaines qui suivent et soumise à référendum le 28 septembre 1958. Le « oui » l’emporte et la Vème République est proclamée. Le général de Gaulle en devient le premier Président de la République le 21 décembre 1958. Le retour au pouvoir du généra de Gaulle (qui l’avait quitté en 1946) résulte donc directement de la guerre d’Algérie. Cependant, les conditions de ce retour restent controversés : pour les partisans de de Gaulle, celui-ci n’a fait que son devoir en acceptant de sauver la République menacée ; pour ses adversaires, il s’agit d’un « coup d’Etat déguisé », de Gaulle et ses partisans ayant fomenté les événements du 13 mai 1958 et ayant laissé plané la menace d’une dictature, avec le soutien de l’armée, pour favoriser son retour aux affaires… B – Une attitude hésitante d’abord, une attitude plus résolue ensuite En 1958, de Gaulle a l’image d’un partisan de « l’Algérie française », d’autant que les colons et les militaires français d’Algérie ont été les principaux promoteurs et initiateurs de son retour au pouvoir. Cependant, durant les premiers mois de sa présidence, de Gaulle entend rester prudent et ne pas prendre de position tranchée, dans un sens ou dans un autre. Son discours du 4 juin 1958, à l’occasion de sa première visite à Alger, émaillée de la célèbre formule « je vous ai compris » (voir vidéo) contribue à maintenir l’ambigüité quant à la politique qu’il entend mener : si elle est comprise par les colons et les militaires français qui l’acclament ce jour là comme une garantie du maintien de la souveraineté français en Algérie (d’autant que de Gaulle, dans un premier temps, poursuit les opérations militaires de répression contre le FLN et l’ALN, fait quadriller minutieusement le terrain, multiplie les barrages aux frontières pour couper toute aide extérieure aux insurgés, « couvre » de son autorité les actes de torture qui se poursuivent…), cette phrase permet à de Gaulle de ne pas trop en dire. Rapidement, de Gaulle clarifie ses intentions et semble entamer un tournant quant à sa position concernant l’Algérie : - dès le 23 octobre 1958, de Gaulle, dans un discours, propose « la paix des braves » au GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne en exil, formé par les nationalistes algériens du FLN, dirigé par Ferhat Abbas et dont le siège est situé en Egypte) qui la refuse - en décembre 1958, il fait séparer la direction des pouvoirs civils et militaires en Algérie, le second étant soumis à l’autorité du premier - le 16 septembre 1959 fait figure de tournant décisif dans l’attitude et la politique menée par le général de Gaulle : dans un discours (voir vidéo), il se prononce pour l’ « autodétermination du peuple algérien », annonce un référendum et propose 3 options (la francisation de l’Algérie, l’association entre la France et l’Algérie ou la sécession, c'est-à-dire l’indépendance de l’Algérie) Ce revirement du général de Gaulle est vécu par les partisans de « l’Algérie française », colons et militaires d’Algérie, comme une véritable trahison : l’homme qu’ils ont contribué à porter au pouvoir pour maintenir la souveraineté française en Algérie s’apprête à accepter l’indépendance de cette colonie. Ils vont alors tenter d’infléchir sa position en radicalisant les manifestations à leur opposition à toute ouverture de négociations avec le FLN et à toute idée d’indépendance de l’Algérie : - en janvier 1960, ils organisent la « semaine de barricades » : lors de la semaine du 24 janvier au 1er février 1960, les partisans les plus radicaux de « l’Algérie française » dressent des barricades dans Alger pour manifester leur refus de l’autodétermination du peuple algérien - en avril 1961, quatre généraux (Challe, Jouhaud, Salan, Zeller) organisent un coup d’Etat (le « putsch des généraux d’Alger ») par lequel ils affirment ne plus reconnaître l’autorité du gouvernement de métropole qui s’apprête à « brader » l’Algérie : condamné fermement par le général de Gaulle (qui dénonce un « quarteron d’officiers en retraite » et utilise l’article 16 de la Constitution pour prendre les « pleins pouvoirs » de manière temporaire), ce coup d’Etat échoue car les appelés du contingent refusent de suivre leurs officiers et de se prêter à un acte de sédition illégal (voir vidéo) De Gaulle n’entend pas céder à cette radicalisation : au contraire, elle le convainc d’avancer plus rapidement sur le chemin de l’indépendance de l’Algérie. Après avoir parlé, lors de discours, de l’ « Algérie algérienne » ou d’ « Etat algérien souverain », il organise le référendum sur l’autodétermination, promis en septembre 1959, en janvier 1961 : le « oui » l’emporte avec 75 % des suffrages. De Gaulle peut alors entamer des négociations discrètes avec le FLN qui trainent en longueur sur les modalités de l’indépendance future. Pendant la durée de ces discussions, des deux côtés, les violences se poursuivent : - à partir de 1961, l’OAS (Organisation Armée Secrète : organisation clandestine regroupant les partisans les plus radicaux et les plus fanatiques de « l’Algérie française ») multiplie les attentats en France et en Algérie contre les partisans de l’indépendance algérienne : les victimes sont nombreuses, les attentats aveugles (le slogan de l’OAS étant « l’OAS frappe où elle veut, quand elle veut », voir affiche), le plus spectaculaire étant la tentative ratée d’assassinat du général de Gaulle en août 1962 lors de l’attentat du Petit-Clamart - en octobre 1961, le FLN organise une manifestation à Paris (voir photo) : le préfet de Paris, Maurice Papon, donne l’ordre aux forces de police de la réprimer sévèrement ce qui se traduit par une véritable « ratonade » (violence physique exercée à l’encontre de personnes nordafricaines) au très lourd bilan (environ 200 morts) - en février 1962, une manifestation dénonçant les attentats perpétrés par l’OAS est organisée : de nouvelles violences interviennent et 8 morts sont à déplorer au métro Charonne Ces violences, cette radicalisation font courir le risque d’un basculement du pays dans la guerre civile : de Gaulle décide alors d’accélérer encore les négociations pour arriver rapidement à un dénouement. III – La fin de « l’Algérie française » En 1962, la guerre d’Algérie prend fin par la signature d’accords entre le gouvernement français et le FLN, ratifiés par référendum. Cependant, si les opérations militaires, les combats, les violences cessent, la guerre d’Algérie reste au cœur d’un enjeu mémoriel important. A –La fin de la guerre d’Algérie Le 19 mars 1962, les négociations entre le FLN et les représentants du gouvernement français aboutissent : les accords d'Évian sont signés (voir vidéo). Ils prévoient un « cessez-le-feu » mais pas de capitulation ni d'armistice puisqu'officiellement les « événements d’Algérie » ne sont pas considérés comme une guerre. Ils prévoient surtout l’indépendance de l’Algérie, l’abandon du Sahara (au cœur des négociations car ce site était utilisé pour organiser les essais nucléaires français) par la France mais le maintien de la base militaire de Mers El Kébir sous souveraineté française pour une durée de 15 ans. Ces accords sont soumis à deux référendums : - un premier est organisé en France métropolitaine, le 8 avril 1962 : le « oui » l’emporte avec 92 % des suffrages - un second est organisé en Algérie, le 1er juillet 1962 : le « oui » remporte plus de 99,2 % des suffrages A la suite de ces deux référendums, l’indépendance de l’Algérie est officiellement proclamée le 3 juillet 1962. La guerre d’Algérie prend alors fin, même si les derniers mois, entre la signature des accords d’Evian et l’officialisation de l’indépendance, seront encore marqués par une vague de violences sans précédent. Cette guerre coloniale se solde par un terrible bilan. Côté français, le nombre de morts s’élève à 25 000 auxquels il faut ajouter 4 500 harkis (algériens ayant fait le choix de combattre aux côtés de l’armée française pour défendre « l’Algérie française »). De surcroît, une fois l’indépendance officialisée, la quasi-totalité des « pieds noirs » (colons français d’Algérie, voir photo et affiche) et des harkis font le choix de regagner la métropole : environ 800 000 français (le FLN menaçant, sur tous les murs d’Alger : « la valise ou le cercueil ») et entre 45 000 et 90 000 harkis (qui seront souvent parqués dans des « camps » dans le sud de la France dans lesquelles ils vivront de longues années dans des conditions déplorables si bien qu’ils se sentent abandonnés par une France pour laquelle ils ont combattu) sont rapatriés d’Algérie. Côté algérien, si le FLN annonce la mort d’un millions de « martyrs », les historiens s’accordent davantage autour de 300 000 victimes. B – Un enjeu mémoriel persistant Même si la guerre prend fin en 1962, elle reste au cœur d’enjeux de mémoire particulièrement vifs et qui restent d’actualité largement jusqu’à aujourd’hui. Un enjeu d’abord quant au nom à donner à ce conflit : en effet, ce n’est que le 10 juin 1999 que l’Assemblée nationale française vote une loi reconnaissant que les « événements d’Algérie » doivent être qualifiés de « guerre ». Un enjeu surtout pour surmonter les traumatismes divers générés par le conflit : - un traumatisme d’abord pour les algériens qui gardent un regard méfiant sur la France même si le temps a permis d’apaiser et de renforcer les relations - un traumatisme pour la France et les Français qui, au-delà de la perte de leur colonie, vivent mal la dégradation de l’image de la France engendrée par le conflit : les « rapatriés » d’Algérie seront d’ailleurs souvent mal accueillis à leur arrivée en France car ils incarnent un passé délicat que l’on préfère oublier ; en 2005, une loi est votée qui demande aux enseignants d’évoquer auprès de leurs élèves les « aspects positifs de la colonisation », notamment en - Algérie, avant d’être abrogée devant le scandale soulevé par cette incursion des politiques dans le domaine des historiens ; en 2010, la sortie du film Hors-la-loi consacré aux émeutes de Sétif de 1945 suscite la colère des rapatriés d’Algérie qui dénoncent une vision tronquée des événements amplifiant la répression par l’armée française et son bilan (voir affiche et photo) un traumatisme encore pour les harkis, qui se sentent rejetés à la fois par les algériens, qui voient en eux des traitres, mais aussi par les français qui n’ont jamais reconnu à sa juste valeur leur sacrifice et leur engagement aux côtés de la France : la sortie controversée du film Indigènes, en 2005 (voir affiche), atteste que cette page a du mal à être tournée Au fond, alors que le cinquantenaire de la fin de la guerre d’Algérie est en passe d’être célébré, la question demeure sensible si bien en France qu’en Algérie aujourd’hui encore.