référence islamique, et définissent un vocabulaire mobilisateur, même si celles-ci sont transformées
par ces processus d’inclusion. Par ailleurs, si les Etats incorporent au système politique les partis ou
quasi-partis islamistes, ce n’est pas sans poser des limites importantes à ces processus d’intégration.
En particulier, les réformes juridiques et constitutionnelles ne sont jamais poussées au point
d’institutionnaliser entièrement un jeu de compétition politique transparent et pluraliste. Le sens de
l’évolution des systèmes politiques -et partant, des mouvements islamistes- restent donc, pour
l’instant, entre les mains des régimes en place.
Le projet de grand Moyen Orient annoncé par le président Bush en Novembre 2003 relance
ainsi un processus déjà entamé, mais aux conséquences incertaines, celles d’ouvertures
« défensives »5 ou « par défaut ». En effet, à partir de 2003, aux pressions internes s’ajoute la
pression extérieure militaire et politique. Le renversement de Saddam Hussein, qui avait été à la tête
d’un des régimes les plus autoritaires de la région, montre que les régimes ne sont pas si solides
face à la menace armée américaine. Au sein des régimes politiques, le champ des possibles est de la
sorte redéfini, et les anticipations de tous les acteurs modifiées dans le sens de l’élargissement du
champ des opportunités. Mais étant données les limites posées par les régimes au processus
d’ouverture, le problème reste, pour les oppositions politiques, celui de l’interprétation des signaux
qui sont envoyés par les autorités politiques, qui semblent souvent se contredire ou hésiter quant
aux modalités et au rythme de la libéralisation politique. En Egypte, où Moubarak est au pouvoir
depuis un quart de siècle, une période sous état d’urgence continu, la constitution a été amendée en
vue des présidentielles de 2005, en introduisant les candidatures multiples et le suffrage universel
direct du président. Si une atmosphère de liberté souffle sur l’Egypte lors des consultations
électorales de 2005-2006, et si les média, en particulier la télévision, font preuve d’une certaine
liberté de ton en diffusant publiquement des débats politiques bien plus libres qu’auparavant, les
limites posées aux conditions d’application de ces nouvelles définitions juridiques assurent que
cette nouvelle transformation n’implique pas de prise de risque majeure pour le régime militaire.
Les législatives de 2006, pourtant entachée de nombreuses irrégularités, permettent aux Frères
musulmans de gagner 88 sièges au parlement, un score jamais égalé. Mais cette inclusion reste
d’une part le fait du prince, d’autre part sans effets de taille sur la sphère du gouvernement, qui
n’intègre aucun islamiste et reste sous le contrôle du puissant parti de Moubarak. Les Etats
continuent de tester les possibilités d’ouverture politique tout en réprimant l’opposition d’une
manière souvent imprévisible. Le Maroc, qui a légalisé un parti islamiste, à la différence de
l’Egypte qui incorpore les Frères musulmans sans leur offrir de légalisation, suit la même stratégie6,
où les limites de l’ouverture ne sont pas toujours claires. Le parti de la Justice et du développement,
comme les Frères égyptiens, grâce à son maillage serré d’une partie des populations urbaines, son
travail social au sein de réseaux associatifs puissants, et son sens de l’organisation, a réussi à
mobiliser de larges segments de la population lors des consultations électorales de 1997 et 2002. Il
est donc lui aussi présent au parlement, mais reste pour l’instant exclu de l’administration des
hommes et des choses au sein d’un gouvernement qui pourrait théoriquement l’inclure étant donnés
ses bons résultats électoraux. Ces islamistes égyptiens et marocains, articulent –dans des versions
différentes- leur idéologie autour de tendances fréristes légalistes, et montrent leur volonté de
participer légalement au fonctionnement des régimes politiques. Ils se sont engouffrés dans les
brèches que ceux-ci leur ont offertes, tout en restant prudents, décidant parfois de s’autocensurer
pour ne pas effrayer les élites au pouvoir. En Turquie avec l’AKP, ils sont parvenus au pouvoir
depuis 2002, comme le Hamas dans les territoires occupés qui eux aussi gouvernent mais sans
moyens, suite à leur victoire aux élections palestiniennes du 9 Janvier 2005 que tous les acteurs, y
compris l’administration Bush, appelaient de leurs voeux. La victoire du Hamas, mouvement lui
aussi issu des Frères musulmans, s’est réalisée dans des conditions de pluralisme et de transparence,
et ont montré, comme les élections irakiennes de 2005 la possibilité pour le processus électoral de
fonctionner, même dans un contexte de conflit armé.
5 Glenn E. Robinson « Defensive Democratization in Jordan », International Journal of Middle East Studies, 30 (1998), pp. 387-410.
Je préfère utiliser le concept d’ouverture politique plutôt que celui de démocratisation.
6 Khadija Mohsen-Finan et Malika Zeghal, « Les islamistes dans la compétition politique. Le cas du Parti de la Justice et du
Développement au Maroc », Revue Française de Science Politique, Volume 56, numéro 1, février 2006, p. 79-119.