Santé Une conjonction de regards pour déstigmatiser la maladie

Colmar dossier VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012 27
Santé Une conjonction de regards
pour déstigmatiser la maladie mentale
Afin de modifier la
perception du handicap
psychique et de
favoriser une meilleure
insertion sociale des
malades, un conseil
local de santé mentale
vient dêtre créé à
Colmar.
Cest un « esprit révolutionnaire »,
selon Antoine Fabian, maire de
Roderen et coordinateur de la
commission de santé mentale de
l’association des maires du Haut-
Rhin, que celui qui anime la créa-
tion du Conseil local de santé
mentale (CLSM) de Colmar et
environs, le premier dans le
Haut-Rhin. Révolutionnaire en
ce que les élus pourront désor-
mais prendre en compte cet as-
pect de la détresse humaine en
meilleure connaissance de cause
et en ce quils sont à l’initiative de
ces conseils par le biais de l’asso-
ciation nationale des maires de
France, et par celle des maires du
Haut-Rhin en loccurrence.
Encouragée par la Cour des
comptes dans son dernier rap-
port, la cation des CLSM est
d’ailleurs inscrite dans le projet
de lAgence régionale de san
dAlsace pour lutter contre la stig-
matisation et pour l’insertion so-
ciale.« Ce nest pas courant pour un
maire : il est ici un pivot. On a une
approche qui n’est pas seulement
médicale, mais sociétale : elle est
moins traumatisante pour les mala-
des et pour l’ensemble de la popula-
tion. » Les maires peuvent en
effet agir dans leur commune sur
l’information, sur la pcarité qui
découle de certaines situations
ou sur l’accès au logement, dans
l’optique de permettre aux per-
sonnes atteintes de maladies psy-
chiques de mieux sinsérer dans
la soc.
Pas de jugements hâtifs
Porté par le centre hospitalier de
Rouffach et par les services de
psychiatrie enfant et adulte de
l’hôpital Pasteur, le CLSM affiche
un objectif : « Dire que les gens qui
souffrent ou qui ont un comporte-
ment bizarre aux yeux des autres ne
sont pas à rejeter. Et se garder de
jugements hâtifs », affirme Antoi-
ne Fabian qui insiste sur la néces-
sité de « stigmatiser le handicap
mental ». Pour ce faire, le CLSM,
présidé par Christiane Charlu-
teau, est composé de représen-
tants d’acteurs confrontés un
jour ou lautre au probme de la
santé mentale : élus, profession-
nels des domaines social et médi-
cal, psychiatres, médecins
libéraux, associations d’usagers,
Éducation nationale, magistrats,
pompiers, forces de l’ordre… (lire
ci-dessous). La concertation, la
mise en relation d’informations
et la coordination de ces dif-
rents partenaires vise à prendre
en compte la maladie mentale au
sein d’une stratégie locale et
transversale. Il y sera question
d’actions de pvention et d’infor-
mation, d’accès au logement,
d’amélioration de l’accès aux
droits et aux soins, des solutions
pour répondre aux situations de
crise, du renforcement de la con-
tinuité des soins, d’organisation
de formations sur les pathologies
psychiatriques
Cibler le déni
Créé fin novembre, le CLSM
n’est pas encore opérationnel.
« On va recenser les besoins. Dans la
région de Colmar, on a interrogé les
élus sur les besoins qu’ils éprouvent
en matre de maladie mentale. Par
exemple les formalités pour les hos-
pitalisations d’office, les points d’ac-
cueil pour ceux qui souffrent,
lorganisation de la pvention… »,
poursuit Antoine Fabian. Sou-
cieux de la « dégradation collective
du bien-vivre ensemble », citant no-
tamment les troubles du voisina-
ge, il compte beaucoup sur
l’action du CLSM. « Les gens sont
de plus en plus individualistes, sont
moins compréhensifs. Cela crée un
climat difficile, et nous voulons agir
sur le mieux-vivre ensemble. On ne
s’adresse pas seulement aux person-
nes malades, mais aussi à celles qui
souffrent sans se dire malades. Il
faut qu’elles osent aller se soigner,
pour que ces maladies ne soient plus
taboues. »
Textes Anne Vouaux
Lassociation Schizo
Espoir représente les
usagers au Conseil local
de santé mentale
(CLSM) de Colmar et
environs. La
Colmarienne Nathalie
Prunier, l’une des
présidentes, y voit
loccasion de briser un
tabou.
Représentant les familles et
proches de malades schizoph-
rènes, votre association a été
sollicitée par le centre hospi-
talier de Rouffach, avec qui
vous travaillez, pour être
membre du CLSM. Quels sont
les besoins en matière de
schizophrénie ?
Essentiellement la prise en char-
ge de soins médicamenteux
avec suivi. Cela se fait facile-
ment quand le patient est d’ac-
cord, mais 60 % des
schizophrènes sont dans le déni
et refusent de se faire soigner.
Notre priorité est que ces per-
sonnes puissent se soigner, car
nous sommes impuissants si le
patient reste dans le déni.
Comment toucher davantage
les malades ?
Il faut commencer par se connaî-
tre les uns et les autres au sein
du CLSM afin de mieux commu-
niquer. Nous militons pour
l’obligation de soins, afin que
les malades s’insèrent le mieux
possible dans la cité : pour cela,
nous avons besoin de tous les
acteurs institutionnels. Avec ces
relais supplémentaires et avec
davantage de communication,
on peut essayer d’amener les
patients à se soigner.
Grâce aux relations plus étroi-
tes avec les élus, vous espérez
porter votre voix au parle-
ment…
Depuis quelques années, nous
travaillons avec le conseil géné-
ral et les hôpitaux de Colmar,
Mulhouse, Rouffach et Altkirch.
Et grâce au CLSM, nous pour-
rons faire remonter nos infor-
m a t i o n s v e r s l e s
parlementaires. C’est un travail
de fourmi. Il faut communiquer
sur le fait que ce sont des per-
sonnes malades, comme les dia-
bétiques, qui ont besoin de se
faire soigner.
Prise en charge globale
Notre association compte beau-
coup sur le travail en commun
au sein du CLSM pour tenter de
régler les cas difficiles. On aime-
rait que les malades ou leurs
proches naient pas besoin de
frapper à de multiples portes :
l’idée est une prise en charge
globale.
Quelle est la nature du handi-
cap des schizophrènes ?
Un bébé sur 100, soit 7 000 per-
sonnes dans le Haut-Rhin, naît
avec cette anomalie du cerveau
qui déclenche la maladie suite à
un choc émotionnel violent. Les
schizophrènes ne souffrent pas,
comme on le croit à tort, d’une
double personnalité, mais ils
ont souvent des hallucinations
auditives, souffrent de repli sur
soi et de phobies. 80 % des
malades sont handicapés et ne
pourront jamais travailler. 50 %
de la réussite de leur vie en
société passe par la prise d’un
traitement.
Comment permettre aux
malades de mieux s’insérer ?
Quand on est handicapé psychi-
que, vivant avec 730 € d’alloca-
tion mensuelle, il est difficile de
s’insérer dans la société. Il faut
faire connaître la maladie pour
faire taire les fantasmes, ne plus
avoir peur, et favoriser les ren-
contres. Car ces malades peu-
vent vivre sans problème dans
la société, mais ils ont besoin
d’aide.
« Un travail de fourmi »
Nathalie Prunier : « Handicapé psychique avec 730 € d’allocation
par mois : difficile de s’insérer dans la société. » Photo Anne Vouaux
Psychiatre, chef de pôle
au centre hospitalier de
Rouffach, le Dr Christian
Schaal insiste sur la
prévention des
maladies mentales.
Limiter les a priori sur la mala-
die mentale est l’un de vos
soucis et l’un des enjeux du
conseil local de santé mentale
(CLSM)…
Il faut qu’on enseigne à tous nos
partenaires des c ommissio ns
thématiques du CLSM – élus,
forces de lordre, services so-
ciaux – tout ce qui n’est pas
connu, tous les fantasmes qui
bloquent le système. On peut
imaginer un accompagnement
auprès des communes et des
soirées sur la maladie mentale,
pour la faire connaître. C’est im-
portant, car il existe tant d’a
priori négatifs que ça rend l’ac-
cès aux soins difficile.
Vos services permettent déjà
à des malades de devenir
locataire d’un logement.
Comment intervenez-vous
dans cette mission ?
Nous avons un accord avec un
bailleur social à Colmar : un lo-
gement attribué à un malade
contre la garantie de soins, de
suivi et de sécurité. Nous avons
dix logements grâce auxquels
nous insérons des personnes :
ça marche bien. Mais ailleurs,
l’accès au logement social se
fait par l’intermédiaire du mai-
re, d’où l’intérêt pour nous de
rencontrer régulièrement les
élus. Les maires sont aux pre-
mières loges, impliqués notam-
ment lors d’une hospitalisation
d’office ordonnée par le préfet,
une mission qui entraîne beau-
coup de souffrance. Ils le sont
aussi par l’annonce, parfois, de
suicides. Nous avons donc inté-
rêt à travailler dans le cadre
d’un réseau : les maires ont be-
soin de connaître tous les parte-
naires en présence. Les réseaux
de soins existent déjà, mais ils
ne sont parfois connus ni des
élus ni des citoyens.
Aller dans les familles
Quelles autres pistes envisa-
gez-vous pour mieux accompa-
gner les personnes malades ?
Le problème est que de nom-
breux malades ne se reconnais-
sent pas comme tels, et il faut
donc parfois les arracher à leurs
proches afin de les faire soigner,
avec ce que cela entraîne de
traumatisant pour la personne
et pour sa famille. On aimerait
pouvoir accompagner le retour
à la maison dans le but de main-
tenir la personne dans une vie
sociale.
Comment ferez-vous sans
moyens supplémentaires ?
Cela nécessitera plus de disponi-
bilité de nos équipes et coûtera
beaucoup de temps. Notre mis-
sion est d’être au plus près de
nos patients, mais on pourrait le
faire mieux encore. Pour l’ins-
tant, ce sera avec nos seuls
moyens, nos équipes mobiles
par exemple.
Vous insistez sur la préven-
tion, dans un contexte de
développement de certaines
maladies psychiques
Une dépression sévère entraîne
un arrêt maladie de six mois :
on a donc intérêt à faire un
travail de prévention pour ame-
ner la personne à se soigner le
plus tôt possible. Si les troubles
bipolaires et les schizophrénies
restent stables, bien qu’avec
une prévalence importante, les
maladies dépressives et les
«burn out» se multiplient : 8 %
de la population française con-
naîtra un épisode dépressif dans
sa vie. C’est pour ça qu’il faut
être dans la prévention, comme
c’est le cas en Suisse, en déve-
loppant la mobilité et en allant
dans les familles : il faut aller
vers les gens qui ne viennent
pas à nous. Favoriser l’accès aux
soins avant que les personnes
n’arrivent à l’hôpital serait bien.
La prévention du suicide est
l’une de vos priorités : pour-
quoi celle-ci ?
En stigmatisant la maladie men-
tale, on provoque aussi des sui-
cides : 12 000 par an en France.
Il faudrait une structure pour
repérer l’adulte en souffrance.
Pourquoi ne pas imaginer des
formations pour apprendre à re-
pérer une personne qui va mal,
comme cela existe pour les pre-
miers secours ? En France, il
n’existe aucune action gouver-
nementale contre le suicide, or
les décès par suicide sont trois
fois plus importants que ceux
lors d’accidents de la route. On
pourrait peut-être développer ça
au sein du CLSM.
« Il existe des fantasmes
qui bloquent le système »
Le Dr Schaal.
Photo d’archives T. Gachon.
FLes priorités à traiter
Présidé par ladjointe colmarienne Christiane Charluteau, le
conseil local de santé mental (CLSM) de Colmar et environs
couvre les cantons de Colmar sud et nord, Wintzenheim,
Munster, Andolsheim et Neuf-Brisach. Sept autres seront mis
en place dans le Haut-Rhin. Le premier comité de pilotage doit
se réunir en février 2013. Le CLSM est composé d’un comité de
pilotage et de groupes de réflexion. Parmi les priorités
retenues : la prévention et la gestion des situations de crise, la
coordination des différents professionnels, laccès aux soins
des adultes, la réhabilitation psychosociale, l’information aux
habitants sur les recours aux soins possibles, la prévention du
suicide, la problématique des soins sans consentement, l’accès
aux soins des enfants et des adolescents.
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