Le ressenti des patients vers et pendant la phase de rémission

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Bulletin Infirmier du Cancer Vol.17-n°1-2017
Pratique infirmière
Le ressenti
des patients vers
et pendant la phase
de rémission
Quel rôle infirmier ?
nfirmière en hôpital de jour d'onco-hématologie
et de médecine à l’hôpital de Lannion, dans les
Côtes-d’Armor, je viens de terminer un mémoire,
dans le cadre d’un DU de psycho-oncologie à Mul-
house, ayant pour thème la place de l’infirmier(e) dans
l’accompagnement des patients vers et pendant la
phase de rémission. Des entretiens auprès de patients
en rémission, ainsi que des infirmres de Nevers et de
Rennes, ont permis d’enrichir ma réflexion.
Cette dernière porte tout d’abord sur l’après cancer.
Il est très souvent employé, nommé comme tel par le
Plan cancer, ainsi que par les préconisations de l’Ins-
titut national du cancer (INCa). Les patients et infir-
mières interrogés m’ont fait remarquer que le terme
pouvait poser question. Une patiente évoque : « Si
c’est après, cela devrait signifier que le cancer n’est
plus ». Les infirmières préfèrent utiliser le terme de
riode de mission, de phase de surveillance ou
d’après-traitement, ce qui correspond beaucoup
mieux aux patients.
Nous devons, en qualité de soignants être sensibili-
sés aux ressentis des patients pendant cette phase de
transition. Cela pour permettre une meilleure prise
en charge globale et ainsi repérer, anticiper les éven-
tuels besoins dès la fin du parcours de soin.
Le cu de l’après-traitement dépend en grande
partie de la façon dont s’est roulé le parcours de
soin dès l’annonce jusqu’à la phase de mission. Cela
dépend aussi des séquelles éventuelles de la maladie
ou des traitements reçus.
Les personnes ayant eu un cancer, en ressortent sou-
vent plus vulnérables. Il s’est passé trop de choses
importantes pour pouvoir les oublier si facilement.
Ils savent que plus rien ne sera comme avant, ce corps
bouleversé, parfois abî, le fait savoir. Ils ont changé
physiquement et psychiquement.
Certains patients peuvent avoir des ressentis positifs
de cette étape de la vie, ils parlent d’expérience enri-
chissante qui a chargé leur vie de sens ; certains ont
le sentiment d’être plus forts, ils ont découvert en eux
des qualités, des nouvelles ressources méconnues
auparavant.
D’autres ont des sentiments plus négatifs. Pour cer-
tains, le cancer leur a donné un nouveau statut, celui
de malade, une raison de vivre, du lien social surtout
pour les personnes isolées. Cette transition est donc
difficile à accepter.
Certains restent plus tristes, honteux, démunis. Ils ont
le sentiment d’être restés passifs, d’avoir subi, d’être
plus fragiles, en colère ou en échec. Ils ont plus de
Anne-Marie Ollitrault
Membre de l’AFIC
Infirmière en hôpital de jour
onco-hématologie et médecine
CH Pierre Le Damany
Lannion, France
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mal à se projeter et aller de l’avant. Ils restent dans le
cadre de la maladie avec des deuils impossibles.
D’autres encore souhaitent se tacher, passer à autre
chose, tourner la page.
Quelques-uns ont besoin de parler, de dire ce qui s’est
passé, parce que raconter permet de se reconstruire,
d’avancer.
Les patients rencontrent diverses problématiques
à l’approche de la phase de rémission.
Des problématiques psychiques, avec un risque
de dépression, qui est souvent sous-estimé. Près de
30 % des patients feront une dépression, principale-
ment à la fin du parcours de soin.
Un sentiment d’abandon s’installe très souvent. L’hô-
pital est un cadre rassurant, les traitements terminés,
ce cadre devient absent et les patients peuvent se sen-
tir isolés, perdus.
Un travail de deuil difficile à faire, celui de l’illusion
que tout bien portant a de l’immortalité, ainsi que
celui de son corps d’avant.
L’entrée en rémission est un moment d’ambivalence
émotionnelle, d’un côté les patients sont soulagés de
sortir de ce parcours de soin, et en même temps, ils
se situent dans lincertitude avec des peurs, des
craintes de rechute.
Le cancer et les traitements amènent à des atteintes
de l’image corporelle affectant l’estime de soi. La per-
ception que les patients ont d’eux-mêmes peut être
profondément altérée. Les patients peuvent perdre
confiance en eux, ne plus prendre soin d’eux.
Des problématiques socio-professionnelles. Lors
de la reprise du travail, les patients peuvent douter de
leurs capacis, leurs motivations et prioris ont pu être
modifiées. Ils peuvent encore ressentir des effets secon-
daires des traitements qui mettent des freins à la reprise.
Le retour à un statut social peut être compliqué, il est
souvent difficile de retrouver sa place dans la société.
Les problèmes de prêts et de crédits empêchent les
patients de tourner la page, de se reconstruire.
Des problématiques d’ordre relationnel. Le jour
de l’annonce de la fin des traitements et de l’entrée
en rémission par l’oncologue provoque un nouveau
bouleversement. Il faut encore une fois redéfinir les
rôles de chacun, retrouver sa place, se organiser.
Personne n’est alors au même stade psychique de
cheminement et l’équilibre familial, le réseau social
se trouve perturbé.
Des problématiques d’asthénie peuvent encore
perdurer après le parcours de soin.
Et enfin des problématiques physiques sont très
souvent présentes. Avec une modification de l’appa-
rence, il peut s’agir de la présence de cicatrice, d’alo-
pécie, de perte de poids, de lymphoedème, etc.
Une atteinte de l’intégrité physique peut être visible
ou invisible, comme une ablation du sein, une ampu-
tation, la présence d’une stomie, un anus artificiel, etc.
Une diminution partielle ou totale de la mobilité liée
à des effets secondaires peut être présente.
Des perturbations organiques, comme des troubles
sexuels, de la fertilité, des troubles du sommeil, des fonc-
tions vitales, des troubles cognitifs, ménopause, etc.
Des modifications des perceptions sensorielles : pares-
thésies, hypoacousie, des douleurs liées à des effets
secondaires des chimiothérapies.
Les problématiques rencontrées à la fin du
parcours de soin montrent bien l’inrêt de la mise
en place d’un suivi infirmier pendant la phase de
rémission.
Il existe déjà dans certains établissements. Il paraît,
à ce jour, nécessaire qu’il puisse être mis en place
dans la plupart des services de soin. Les infirmières
interrogées rapportent des retours très positifs des
patients. Elles voient conctement lintérêt de cet
accompagnement.
Le suivi infirmier post-annonce s’inscrit dans une
marche d’annonce aux patients de la rémission,
lors dun temps spécifique médical. Il sagit de
la même fon de procéder que le dispositif dan-
nonce. Il est proposé aux patients et n’est donc pas
obligatoire.
Un temps accompagnement infirmier est proposé. Il
a lieu à la suite de la consultation médicale, généra-
lement dans les quelques jours qui suivent. L’objec-
tif est de faire un point global du ressenti des patients
ainsi que de leurs besoins et attentes.
Les patients auront déjà en leur possession, des docu-
ments remis par le decin rent à savoir : le docu-
ment PPAC (plan personnalisé d’après cancer) com-
prenant une lettre d’information aux patients, un volet
dical avec un calendrier de suivi, un volet d’ac-
compagnement social, un volet de qualide vie et
soins de support et enfin un volet comprenant les
associations disponibles et les contacts utiles.
Ensuite des consultations de suivi sont à mettre en
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place selon l’organisation de chaque service (le rythme
est à définir ainsi que la façon de procéder : par télé-
phone, à l’hôpital).
Pour le bon déroulement de ces consultations des
outils papiers ou informatiques sont à créer.
Les consultations de suivi ont pour objectif un retour
progressif vers un mieux-être, un retour à l’équilibre
et à l’autonomie des patients.
Elles permettent de surveiller la diminution des
quelles, de vérifier l’impact psychique à ce moment
du parcours et de s’assurer que le calendrier de suivi
est respecté.
Quel rôle infirmier ?
L’infirmier(e) dans ce moment de transition, ainsi
que dans la période de surveillance a une place spé-
cifique avec des les et des missions qui ont un inté-
rêt certain pour les patients. Ces missions appartien-
nent au rôle propre de l’infirmier(e) .
Linfirmier(e) doit être à l’écoute du ressenti des
patients. Il/Elle prend en compte l’état psychique ou
de vulnérabilité des patients dans ce moment de tran-
sition, avec très souvent un questionnement sur les
nouvelles priorités qu’ils donnent à leur vie.
L’infirmier(e) doit créer du lien pour permettre un
climat de confiance. Les informations apportées doi-
vent être sûres permettant aux patients de se sentir
rassurés.
Il/Elle a pour fonction d’orienter vers les soins de sup-
port si nécessaire, vers les réseaux de cancérologie,
les associations en lien avec le cancer, la ligue contre
le cancer.
L’infirmier(e) doit aussi être à l’écoute de l’entourage
qui vit un bouleversement engendré par le change-
ment de statut des patients. Il doit retrouver sa place,
croire à la possibilité de guérison des personnes soi-
gnées. Les centres dintérêts, la philosophie des
patients changent, ils peuvent être en décalage avec
l’entourage. Il est nécessaire d’insister sur la notion
de temps pour que chaque membre de la famille
puisse se réadapter à la situation, retrouver sa place
et se réinvestir.
L’infirmier(e) a une mission de prévention du risque
de récidive ou d’un deuxième cancer. Une attention
particulière est portée sur les modes de vie et com-
portements de santé, notamment en orientant vers
des conseils d’activiphysique (orientation vers la
ligue, associations, etc.), en favorisant larrêt ou le
maintien du sevrage tabagique avec une orientation
vers le tabacologue au besoin, et en informant de l’im-
portance d’une bonne hygiène alimentaire avec une
orientation vers la diététicienne si nécessaire.
Il est important d’informer les patients qu’ils peuvent
se faire aider et accompagner par une assistante
sociale, que le retour au travail peut être progressif,
qu’il existe un mi-temps thérapeutique, que leur poste
pourra être aménagé.
L’infirmier(e) peut les aider dans leurs questionne-
ments sur des problématiques en lien avec leur sta-
tut au niveau des crédits et assurances en les orien-
tant vers les structures ou personnes pouvant les aider
(sassurer et emprunter avec un risque aggra de
santé [AERAS], droit à loubli, affection de longue
durée [ALD], etc.).
Il/Elle a un le de conseils et d’orientation en lien
avec la modification de l’image corporelle que peu-
vent ler la maladie et ses quelles. encore,
des soins de support spécifiques (socio-esthéticienne,
etc.) peuvent être proposés.
À la fin des traitements, d’autres thérapeutiques peu-
vent être commencées ou poursuivies pour diminuer
le risque de cidive (traitement par hormonothérapie
par exemple) ou pour traiter des séquelles (douleurs
par exemple) avec leurs propres effets secondaires. La
surveillance de la bonne observance de ces traitements,
ainsi que des éventuels effets secondaires, avec des
conseils et des orientations est parfois cessaire.
Il est aussi essentiel de préciser aux patients l’impor-
tance du lien ville-hôpital, qu’il s’agit d’une prise en
charge pluridisciplinaire.
Ces nouvelles missions pour l’infirmier(e) en onco-
logie permettent au médecin d’optimiser ses consul-
tations. Un compte rendu est établi à chaque consul-
tation infirmière. Lors de la consultation médicale, le
decin peut anticiper sa consultation au vu des indi-
cations transmises.
Il est important de préciser que les infirmier(e)s doi-
vent être volontaires et motivé(e)s. Si le soignant se
sent impliqué, il lui sera plus facile de transmettre des
informations et des conseils.
Il est nécessaire que les infirmier(e)s aient de l’expé-
rience, des connaissances dans le domaine de l’onco-
logie et l’hématologie, ainsi que des traitements
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spécifiques à la prise en charge de leurs patients. Si les
patients ressentent que le soignant maîtrise les infor-
mations, ils se sentiront en confiance et rassurés. Des
formations spécifiques existent et aident le soignant à
réaliser ces consultations dans les meilleures conditions.
Le savoir-faire et le savoir-être du soignant sont deux
clés essentielles pour la bonne réalisation de ces
consultations. Il est important de parler juste et de
parler vrai, le choix des mots énoncés est essentiel.
Ce nouveau statut infirmier, ces nouvelles com-
pétences valorisent notre métier d’infirmier(e).
La relation de confiance dès le début du parcours de
soin a un rôle essentiel dans la suite de la prise en
charge. Cette confiance passe par la façon d’être, de
dire, d’annoncer aux différentes étapes du parcours
de soin.
La nécessité dun travail interdisciplinaire pour les
patients, ainsi que pour l’équipe, est un ément essen-
tiel. Travailler ensemble permet une ouverture d’es-
prit, une dynamique de groupe. Il devient un atout
majeur dans la prise en charge des patients du fait de
la cohésion d’équipe et d’un objectif commun à tous,
à savoir l’alioration de la qualité de vie des patients
en phase de rémission. Il s’agit aussi bien du travail
à l’hôpital que du lien ville-hôpital.
Aider les personnes soiges vers la sortie du
parcours de soin et l’entrée en rémission passe
nécessairement par une sensibilisation des soignants
et une prise de conscience de l’état de vulnérabilité
possible des patients. Les professionnels de santé pour-
ront le reconnaître et ainsi favoriser leur expression.
La place de l’infirmier(e) en oncologie dans les anes
à venir à encore un bel avenir. Les préconisations du
Plan cancer avec les masters d’infirmier(e)s de pra-
tiques avancées ouvrent le chemin vers la valorisa-
tion de notre métier.
Liens d’intérêts : l'auteur déclare n'avoir aucun lien
d'intérêt en rapport avec cet article.
Bibliographie
1. Elkaim S. Vivre après le cancer. L’Infirmière Magazine 2010 ;
259 : 26.
2. Masson A. Vivre après un cancer : un autre état de vulnérabi-
lité ? Psycho-Oncologie 2013 ; 7 : 23-9.
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6. Freyer G. Faire face au cancer, l’’espoir au quotidien. Editions
Odile Jacob, 2008.
7. Rayr-Salomonoxicz S. Travail de deuil et guérison : la traversée
du cancer. Figures de la psychanalyse 2001; 4 : 77-83.
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