Bic-1-2017-ressenti_patient:N°2 12/02/17 10:50 Page24 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par UNIVERSITE DE FRANCHE COMTE BU SANTE le 20/03/2017. Pratique infirmière Le ressenti des patients vers et pendant la phase de rémission Anne-Marie Ollitrault Membre de l’AFIC Infirmière en hôpital de jour onco-hématologie et médecine CH Pierre Le Damany Lannion, France [email protected] Quel rôle infirmier ? I nfirmière en hôpital de jour d'onco-hématologie et de médecine à l’hôpital de Lannion, dans les Côtes-d’Armor, je viens de terminer un mémoire, dans le cadre d’un DU de psycho-oncologie à Mulhouse, ayant pour thème la place de l’infirmier(e) dans l’accompagnement des patients vers et pendant la phase de rémission. Des entretiens auprès de patients en rémission, ainsi que des infirmières de Nevers et de Rennes, ont permis d’enrichir ma réflexion. Cette dernière porte tout d’abord sur l’après cancer. Il est très souvent employé, nommé comme tel par le Plan cancer, ainsi que par les préconisations de l’Institut national du cancer (INCa). Les patients et infirmières interrogés m’ont fait remarquer que le terme pouvait poser question. Une patiente évoque : « Si c’est après, cela devrait signifier que le cancer n’est plus là ». Les infirmières préfèrent utiliser le terme de période de rémission, de phase de surveillance ou d’après-traitement, ce qui correspond beaucoup mieux aux patients. Nous devons, en qualité de soignants être sensibilisés aux ressentis des patients pendant cette phase de transition. Cela pour permettre une meilleure prise en charge globale et ainsi repérer, anticiper les éventuels besoins dès la fin du parcours de soin. Bulletin Infirmier du Cancer Le vécu de l’après-traitement dépend en grande partie de la façon dont s’est déroulé le parcours de soin dès l’annonce jusqu’à la phase de rémission. Cela dépend aussi des séquelles éventuelles de la maladie ou des traitements reçus. Les personnes ayant eu un cancer, en ressortent souvent plus vulnérables. Il s’est passé trop de choses importantes pour pouvoir les oublier si facilement. Ils savent que plus rien ne sera comme avant, ce corps bouleversé, parfois abîmé, le fait savoir. Ils ont changé physiquement et psychiquement. Certains patients peuvent avoir des ressentis positifs de cette étape de la vie, ils parlent d’expérience enrichissante qui a chargé leur vie de sens ; certains ont le sentiment d’être plus forts, ils ont découvert en eux des qualités, des nouvelles ressources méconnues auparavant. D’autres ont des sentiments plus négatifs. Pour certains, le cancer leur a donné un nouveau statut, celui de malade, une raison de vivre, du lien social surtout pour les personnes isolées. Cette transition est donc difficile à accepter. Certains restent plus tristes, honteux, démunis. Ils ont le sentiment d’être restés passifs, d’avoir subi, d’être plus fragiles, en colère ou en échec. Ils ont plus de 24 Vol.17-n°1-2017 Bic-1-2017-ressenti_patient:N°2 12/02/17 10:50 Page25 Pratique infirmière – Des problématiques d’asthénie peuvent encore perdurer après le parcours de soin. – Et enfin des problématiques physiques sont très souvent présentes. Avec une modification de l’apparence, il peut s’agir de la présence de cicatrice, d’alopécie, de perte de poids, de lymphoedème, etc. Une atteinte de l’intégrité physique peut être visible ou invisible, comme une ablation du sein, une amputation, la présence d’une stomie, un anus artificiel, etc. Une diminution partielle ou totale de la mobilité liée à des effets secondaires peut être présente. Des perturbations organiques, comme des troubles sexuels, de la fertilité, des troubles du sommeil, des fonctions vitales, des troubles cognitifs, ménopause, etc. Des modifications des perceptions sensorielles : paresthésies, hypoacousie, des douleurs liées à des effets secondaires des chimiothérapies. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par UNIVERSITE DE FRANCHE COMTE BU SANTE le 20/03/2017. mal à se projeter et aller de l’avant. Ils restent dans le cadre de la maladie avec des deuils impossibles. D’autres encore souhaitent se détacher, passer à autre chose, tourner la page. Quelques-uns ont besoin de parler, de dire ce qui s’est passé, parce que raconter permet de se reconstruire, d’avancer. Les patients rencontrent diverses problématiques à l’approche de la phase de rémission. – Des problématiques psychiques, avec un risque de dépression, qui est souvent sous-estimé. Près de 30 % des patients feront une dépression, principalement à la fin du parcours de soin. Un sentiment d’abandon s’installe très souvent. L’hôpital est un cadre rassurant, les traitements terminés, ce cadre devient absent et les patients peuvent se sentir isolés, perdus. Un travail de deuil difficile à faire, celui de l’illusion que tout bien portant a de l’immortalité, ainsi que celui de son corps d’avant. L’entrée en rémission est un moment d’ambivalence émotionnelle, d’un côté les patients sont soulagés de sortir de ce parcours de soin, et en même temps, ils se situent dans l’incertitude avec des peurs, des craintes de rechute. Le cancer et les traitements amènent à des atteintes de l’image corporelle affectant l’estime de soi. La perception que les patients ont d’eux-mêmes peut être profondément altérée. Les patients peuvent perdre confiance en eux, ne plus prendre soin d’eux. – Des problématiques socio-professionnelles. Lors de la reprise du travail, les patients peuvent douter de leurs capacités, leurs motivations et priorités ont pu être modifiées. Ils peuvent encore ressentir des effets secondaires des traitements qui mettent des freins à la reprise. Le retour à un statut social peut être compliqué, il est souvent difficile de retrouver sa place dans la société. Les problèmes de prêts et de crédits empêchent les patients de tourner la page, de se reconstruire. – Des problématiques d’ordre relationnel. Le jour de l’annonce de la fin des traitements et de l’entrée en rémission par l’oncologue provoque un nouveau bouleversement. Il faut encore une fois redéfinir les rôles de chacun, retrouver sa place, se réorganiser. Personne n’est alors au même stade psychique de cheminement et l’équilibre familial, le réseau social se trouve perturbé. Bulletin Infirmier du Cancer Les problématiques rencontrées à la fin du parcours de soin montrent bien l’intérêt de la mise en place d’un suivi infirmier pendant la phase de rémission. Il existe déjà dans certains établissements. Il paraît, à ce jour, nécessaire qu’il puisse être mis en place dans la plupart des services de soin. Les infirmières interrogées rapportent des retours très positifs des patients. Elles voient concrètement l’intérêt de cet accompagnement. Le suivi infirmier post-annonce s’inscrit dans une démarche d’annonce aux patients de la rémission, lors d’un temps spécifique médical. Il s’agit de la même façon de procéder que le dispositif d’annonce. Il est proposé aux patients et n’est donc pas obligatoire. Un temps accompagnement infirmier est proposé. Il a lieu à la suite de la consultation médicale, généralement dans les quelques jours qui suivent. L’objectif est de faire un point global du ressenti des patients ainsi que de leurs besoins et attentes. Les patients auront déjà en leur possession, des documents remis par le médecin référent à savoir : le document PPAC (plan personnalisé d’après cancer) comprenant une lettre d’information aux patients, un volet médical avec un calendrier de suivi, un volet d’accompagnement social, un volet de qualité de vie et soins de support et enfin un volet comprenant les associations disponibles et les contacts utiles. Ensuite des consultations de suivi sont à mettre en 25 Vol.17-n°1-2017 Bic-1-2017-ressenti_patient:N°2 12/02/17 10:50 Page26 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par UNIVERSITE DE FRANCHE COMTE BU SANTE le 20/03/2017. Pratique infirmière place selon l’organisation de chaque service (le rythme est à définir ainsi que la façon de procéder : par téléphone, à l’hôpital). Pour le bon déroulement de ces consultations des outils papiers ou informatiques sont à créer. Les consultations de suivi ont pour objectif un retour progressif vers un mieux-être, un retour à l’équilibre et à l’autonomie des patients. Elles permettent de surveiller la diminution des séquelles, de vérifier l’impact psychique à ce moment du parcours et de s’assurer que le calendrier de suivi est respecté. des conseils d’activité physique (orientation vers la ligue, associations, etc.), en favorisant l’arrêt ou le maintien du sevrage tabagique avec une orientation vers le tabacologue au besoin, et en informant de l’importance d’une bonne hygiène alimentaire avec une orientation vers la diététicienne si nécessaire. Il est important d’informer les patients qu’ils peuvent se faire aider et accompagner par une assistante sociale, que le retour au travail peut être progressif, qu’il existe un mi-temps thérapeutique, que leur poste pourra être aménagé. L’infirmier(e) peut les aider dans leurs questionnements sur des problématiques en lien avec leur statut au niveau des crédits et assurances en les orientant vers les structures ou personnes pouvant les aider (s’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé [AERAS], droit à l’oubli, affection de longue durée [ALD], etc.). Il/Elle a un rôle de conseils et d’orientation en lien avec la modification de l’image corporelle que peuvent révéler la maladie et ses séquelles. Là encore, des soins de support spécifiques (socio-esthéticienne, etc.) peuvent être proposés. À la fin des traitements, d’autres thérapeutiques peuvent être commencées ou poursuivies pour diminuer le risque de récidive (traitement par hormonothérapie par exemple) ou pour traiter des séquelles (douleurs par exemple) avec leurs propres effets secondaires. La surveillance de la bonne observance de ces traitements, ainsi que des éventuels effets secondaires, avec des conseils et des orientations est parfois nécessaire. Il est aussi essentiel de préciser aux patients l’importance du lien ville-hôpital, qu’il s’agit d’une prise en charge pluridisciplinaire. Quel rôle infirmier ? L’infirmier(e) dans ce moment de transition, ainsi que dans la période de surveillance a une place spécifique avec des rôles et des missions qui ont un intérêt certain pour les patients. Ces missions appartiennent au rôle propre de l’infirmier(e) . L’infirmier(e) doit être à l’écoute du ressenti des patients. Il/Elle prend en compte l’état psychique ou de vulnérabilité des patients dans ce moment de transition, avec très souvent un questionnement sur les nouvelles priorités qu’ils donnent à leur vie. L’infirmier(e) doit créer du lien pour permettre un climat de confiance. Les informations apportées doivent être sûres permettant aux patients de se sentir rassurés. Il/Elle a pour fonction d’orienter vers les soins de support si nécessaire, vers les réseaux de cancérologie, les associations en lien avec le cancer, la ligue contre le cancer. L’infirmier(e) doit aussi être à l’écoute de l’entourage qui vit un bouleversement engendré par le changement de statut des patients. Il doit retrouver sa place, croire à la possibilité de guérison des personnes soignées. Les centres d’intérêts, la philosophie des patients changent, ils peuvent être en décalage avec l’entourage. Il est nécessaire d’insister sur la notion de temps pour que chaque membre de la famille puisse se réadapter à la situation, retrouver sa place et se réinvestir. L’infirmier(e) a une mission de prévention du risque de récidive ou d’un deuxième cancer. Une attention particulière est portée sur les modes de vie et comportements de santé, notamment en orientant vers Bulletin Infirmier du Cancer Ces nouvelles missions pour l’infirmier(e) en oncologie permettent au médecin d’optimiser ses consultations. Un compte rendu est établi à chaque consultation infirmière. Lors de la consultation médicale, le médecin peut anticiper sa consultation au vu des indications transmises. Il est important de préciser que les infirmier(e)s doivent être volontaires et motivé(e)s. Si le soignant se sent impliqué, il lui sera plus facile de transmettre des informations et des conseils. Il est nécessaire que les infirmier(e)s aient de l’expérience, des connaissances dans le domaine de l’oncologie et l’hématologie, ainsi que des traitements 26 Vol.17-n°1-2017 Bic-1-2017-ressenti_patient:N°2 12/02/17 10:50 Page27 Pratique infirmière Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par UNIVERSITE DE FRANCHE COMTE BU SANTE le 20/03/2017. spécifiques à la prise en charge de leurs patients. Si les patients ressentent que le soignant maîtrise les informations, ils se sentiront en confiance et rassurés. Des formations spécifiques existent et aident le soignant à réaliser ces consultations dans les meilleures conditions. Le savoir-faire et le savoir-être du soignant sont deux clés essentielles pour la bonne réalisation de ces consultations. Il est important de parler juste et de parler vrai, le choix des mots énoncés est essentiel. nécessairement par une sensibilisation des soignants et une prise de conscience de l’état de vulnérabilité possible des patients. Les professionnels de santé pourront le reconnaître et ainsi favoriser leur expression. La place de l’infirmier(e) en oncologie dans les années à venir à encore un bel avenir. Les préconisations du Plan cancer avec les masters d’infirmier(e)s de pratiques avancées ouvrent le chemin vers la valorisation de notre métier. Ce nouveau statut infirmier, ces nouvelles compétences valorisent notre métier d’infirmier(e). La relation de confiance dès le début du parcours de soin a un rôle essentiel dans la suite de la prise en charge. Cette confiance passe par la façon d’être, de dire, d’annoncer aux différentes étapes du parcours de soin. La nécessité d’un travail interdisciplinaire pour les patients, ainsi que pour l’équipe, est un élément essentiel. Travailler ensemble permet une ouverture d’esprit, une dynamique de groupe. Il devient un atout majeur dans la prise en charge des patients du fait de la cohésion d’équipe et d’un objectif commun à tous, à savoir l’amélioration de la qualité de vie des patients en phase de rémission. Il s’agit aussi bien du travail à l’hôpital que du lien ville-hôpital. Aider les personnes soignées vers la sortie du parcours de soin et l’entrée en rémission passe Bulletin Infirmier du Cancer Liens d’intérêts : l'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêt en rapport avec cet article. Bibliographie 1. Elkaim S. Vivre après le cancer. L’Infirmière Magazine 2010 ; 259 : 26. 2. Masson A. Vivre après un cancer : un autre état de vulnérabilité ? Psycho-Oncologie 2013 ; 7 : 23-9. 3. Dousset MA. Vivre pendant un cancer, livre à l’usage des proches et des malades. Editions Seuil, 1999. 4. Masson A. Contribution psychanalytique à la réflexion l’aprèscancer : vers la conceptualisation du statut d’être à risque. Psycho-Oncologie 2004; 2 : 91-6. 5. Caltagirone A. Préserver son image personnelle malgré le cancer. Soins 2014 ; 783 : 45-7. 6. Freyer G. Faire face au cancer, l’’espoir au quotidien. Editions Odile Jacob, 2008. 7. Rayr-Salomonoxicz S. Travail de deuil et guérison : la traversée du cancer. Figures de la psychanalyse 2001; 4 : 77-83. 27 Vol.17-n°1-2017