Étude sur l`attachement et les troubles du comportement à l

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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 93–101
Article original
Étude sur l’attachement et les troubles du comportement à l’adolescence
chez des jeunes placés en institution
Study on the attachment and the behavior disorders at adolescence in young people placed in
institution
H. Lemoust de Lafosse a,∗ , R. Blanc a,∗,b
a
Laboratoire de psychopathologie et processus de santé, université R.-Descartes, institut de psychologie, 92100 Boulogne-Billancourt cedex, France
b Inserm 930, centre universitaire de pédopsychiatrie, 37000 Tours, France
Résumé
But de l’étude. – Cette étude cherche à montrer l’existence d’un lien entre les troubles du comportement et les compétences sociales chez les
adolescents placés dans une Maison d’enfants à caractère social avec une défaillance au niveau de l’attachement avec leurs figures d’attachement.
Nos hypothèses sont que l’attachement de ces jeunes va être en majorité de type insécure, qu’ils ont des troubles du comportement et une mauvaise
adaptation sociale et que cet attachement insécure est corrélé aux troubles du comportement et à la mauvaise adaptation sociale.
Patients et méthode. – Pour étudier l’attachement, nous avons utilisé l’Inventaire de l’attachement aux parents et aux pairs que nous avons fait
passer à 26 adolescents de 12 à 15 ans issus d’une Maison d’enfants à caractère social. Pour étudier les comportements et l’adaptation sociale, nous
avons utilisé la liste des comportements pour enfants que nous avons fait passer aux éducateurs des jeunes interrogés.
Résultats. – Les résultats de cette recherche montrent que ces jeunes ont une représentation de leur attachement envers leurs parents plutôt de
type sécure, qu’ils ont des troubles du comportement, autant externalisés qu’internalisés, et qu’ils ont une mauvaise adaptation sociale, avec plus
particulièrement des difficultés scolaires. De plus, nous avons pu mettre en évidence un lien entre l’attachement à la mère et les troubles des
conduites.
Conclusion. – Cette étude va permettre d’avoir un éclairage sur la compréhension des comportements qu’ont ces adolescents placés afin d’ajuster
au mieux leur prise en charge.
© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Théorie de l’attachement ; Troubles du comportement ; Troubles externalisés et internalisés ; Adaptation sociale ; Adolescence ; Placement
Abstract
Objective. – Drawing on attachment theory this study seeks to show the existence of a link between behavioral and social skills among teenagers
placed in care with a failure in their social attachments. Our hypothesis is that the attachment of these young people will be significantly influenced
by insecurity, they will have behavioral and poor social adaptation problems and that these insecure attachments will correlate with behavioral
disorder and poor social adaptation.
Methods. – The study involved 26 teenagers ranging from 12 to 15 years. They completed the Inventory of Attachment to Parents and Peers (IPPA
Armsden and Greenberg, 1987) and to study behavior and social adaptation, we used the LCE, the French validated version of the Achenbach
Child Behavior Checklist (CBCL).
Results. – The results of the research showed that these young people’s representation of their parental attachment tended towards the secure, that
they had both externalized and internalized behavioral issues, poor social adaptation, and in particular experienced issues at school. Furthermore
we were able to establish a link between maternal attachment and antisocial personality disorders.
∗
Auteurs correspondants.
Adresses e-mail : [email protected] (H. Lemoust de Lafosse), [email protected] (R. Blanc).
http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2015.12.001
0222-9617/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
94
H. Lemoust de Lafosse, R. Blanc / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 93–101
Conclusion. – This study will enable insight into the understanding of behaviors of institutionalized teenagers in order to inform and adjust therapies.
© 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Keywords: Attachment theory; Behavior disorders; Externalized and internalized disorders; Social adaptation; Adolescence; Placement
1. Introduction
1.2. Le comportement à l’adolescence
Chaque personne construit son identité à l’aide du lien
précoce avec ses figures parentales. Cependant, pour certains
individus, durant leur enfance, il y a une, voire plusieurs, ruptures avec celles-ci. C’est le cas pour ces jeunes enfants qui
se retrouvent placés dans une institution suite à des difficultés
parentales, qui génèrent parfois chez ces jeunes des troubles
du comportement. Pour mieux comprendre cette situation, il
nous semble nécessaire de faire un point sur la théorie de
l’attachement et d’étudier le comportement à l’adolescence.
L’adolescence est une période développementale qui inscrit
le passage entre l’état d’enfant et d’adulte. Elle débute généralement vers 11–12 ans au moment du démarrage de la maturation
pubertaire et se termine vers 18 ans. L’adolescent vit au cours de
cette période différents changements comme la puberté qui va
modifier le corps de l’enfant ainsi qu’une transformation de son
mode de pensée. Il va également sortir progressivement de son
état de dépendance à l’égard de ses parents et va acquérir une
certaine autonomie affective et sociale. Enfin, l’adolescence est
une période de remaniement de l’identité. Tous ces changements
vont entraîner une situation de déséquilibre qui se manifeste
à travers plusieurs symptômes que certains auteurs nomment
« crise de l’adolescence ». En effet, l’adolescence se caractérise
comme une rupture, un changement brutal et des modifications
qui entraînent des perturbations sans que, pour autant, on parle
de pathologie. On pourrait se demander à partir de quand on
peut parler de trouble du comportement. Le DSM-IV-TR décrit
le « trouble des conduites » comme « l’ensemble des conduites,
répétitives et persistantes, dans lequel sont bafoués les droits
fondamentaux d’autrui ou les normes et règles sociales correspondant à l’âge du sujet » avec présence de plusieurs critères
correspondant à une agression envers des personnes ou des animaux, une destruction de biens matériels, une fraude ou un vol ou
encore une violation grave d’une règle établie [7]. La CFTMEA
R-2012 inclut plusieurs troubles dans la catégorie « troubles des
conduites et du comportement » tels que les troubles hyperkinétiques, les troubles des conduites alimentaires, les troubles liés à
l’usage de drogue ou d’alcool, les troubles de l’angoisse de séparation, les troubles de l’identité et des conduites sexuelles, les
phobies scolaires et d’autres troubles caractérisés des conduites
[8].
Le trouble du comportement présente plusieurs traits psychologiques. Chabrol en relève deux principaux qui sont
l’impulsivité et l’irritabilité [9]. Pour Canat, la problématique
principale de ces jeunes est de « trouver la limite », c’est-à-dire
une difficulté à contenir leurs affects et leurs pensées, à limiter
l’impact de la demande et de la présence de l’autre, de se contenir
dans l’espace et dans un cadre donné [10]. Loisy pense que ces
jeunes ont un défaut de symbolisation c’est-à-dire qu’ils se manifestent par leur comportement car ils ne peuvent ou ne savent
pas verbaliser leurs émotions ou leur mal-être [11]. Les causes
des troubles du comportement semblent multifactorielles. Ils
peuvent être liés à des facteurs biologiques, génétiques, sociaux,
culturels, familiaux et personnels [9]. Nous aimerions savoir si
ces troubles ont un lien avec une faille au niveau de l’attachement
précoce.
1.1. La théorie de l’attachement
L’intérêt pour le lien mère–enfant, les conséquences des
séparations précoces et les effets de l’institutionnalisation ont
beaucoup été étudiés, notamment avec Spitz qui a décrit la
notion d’« hospitalisme » ou de « dépression anaclitique » [1].
Puis, Bowlby crée la théorie de l’attachement en 1969. Ainsi,
pour lui l’enfant naît « social », c’est-à-dire qu’il est en capacité,
dès sa naissance, d’entrer en relation. Il décrit l’attachement
comme étant un ensemble de comportements de l’enfant ayant
pour but la recherche et le maintien de la proximité d’une figure
spécifique lorsqu’il va se sentir en danger ou menacé [2]. Cette
figure spécifique est la figure d’attachement ou le « caregiver ».
La notion de caregiving est l’organisation des soins parentaux en
réponse aux besoins d’attachement de l’enfant [3]. De plus, un
concept important de la théorie de l’attachement est le modèle
interne opérant qui correspond aux représentations mentales que
l’enfant construit à partir de ses interactions et ses expériences
vécues. Une fois mis en place, le MIO permettra à l’individu de
percevoir les événements à travers le filtre de ce qu’il a connu.
Dans les années 1960, Ainsworth crée une expérimentation sur le concept théorique d’attachement à travers la
« situation étrange ». Cette méthode permet, en 1978, de
classer les patterns d’attachement des enfants en trois catégories : l’attachement sécure, l’attachement insécure évitant
ou anxieux-évitant et l’attachement insécure ambivalentrésistant ou anxieux-résistant [4]. À ces trois premiers styles
d’attachement, Main et Solomon ajoutent une quatrième catégorie qui est l’attachement insécure désorganisé-désorienté [5]. Par
ailleurs, Guedeney et Dubucq-Green ont distingué trois types de
troubles de l’attachement. Le premier est le trouble de l’absence
d’attachement, le deuxième est le trouble de la base de sécurité
qui peut être de quatre types : trouble de l’attachement avec mise
en danger, avec accrochage et exploration inhibée, avec vigilance et compliance excessive et avec renversement de rôles et le
troisième est le trouble lié à la rupture du lien d’attachement [6].
H. Lemoust de Lafosse, R. Blanc / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 93–101
1.3. Lien entre attachement et trouble du comportement ?
Plusieurs recherches ont mis en évidence un lien entre
l’insécurité de l’attachement et l’apparition de troubles du
comportement. Certaines études indiquent que l’insécurité de
l’attachement, associée à l’adversité familiale, peut contribuer
fortement à l’apparition ultérieure de troubles de comportement
[12,13]. Greenberg et al. ont étudié la qualité d’attachement
chez des enfants présentant un trouble de type oppositionnel et
défiant. Ils ont trouvé que la plupart avait un attachement insécure [14]. Si l’on s’intéresse aux différents styles d’attachement,
Josse dit que les enfants ayant noué un type d’attachement
anxieux risqueront davantage d’avoir des troubles anxieux, des
plaintes somatiques, des comportements oppositionnels et agressifs et un repli sur soi [15]. Mais Gloger Tippel et al. ayant fait une
étude auprès d’enfants de six ans, ont remarqué, qu’en termes de
trouble du comportement, les différences les plus importantes
concernant les catégories d’attachement sont entre les types
d’attachement désorganisé et sécurisé [16]. De plus, plusieurs
études permettent de réfléchir sur l’évolution des enfants ayant
vécu une séparation avec leurs parents, comme la recherche de
Leslie et al. qui montre que les enfants séparés de leurs parents
présentent souvent des troubles du comportement [17]. Cependant, la plupart de ces études portent sur les enfants adoptés ou
en famille d’accueil. Notre étude va s’intéresser à l’attachement
des enfants placés dans des « Maisons d’enfants à caractère
social ». Ces derniers ont souvent une histoire traumatique de
l’attachement et plus l’enfant est âgé, plus grand est le risque
de troubles graves et durables dans la relation parents–enfants
[3]. Nous nous intéressons plus particulièrement aux adolescents
car la sécurité de l’attachement joue un rôle pour affronter cette
période d’insécurité. Selon Dozier et al., une grande majorité des
enfants placés présentent un attachement insécure [18], ce que
nous allons étudier dans cette étude. Nous allons également nous
intéresser à leurs comportements et leurs compétences sociales,
mais contrairement aux autres études nous allons prendre en
compte les problèmes externalisés mais également internalisés.
Ainsi, l’American Academy of Child and Adolescent Psychiatry
(2002) affirme que 50 % à 80 % des enfants placés rencontrent
des troubles significatifs sur les plans affectif, comportemental
et relationnel [19], ce que nous allons tenter de confirmer avec
cette recherche. Par ailleurs, les recherches présentées étudient
le lien entre attachement et comportement mais donnent encore
des résultats moindres bien que significatifs car l’attachement
est souvent combiné à d’autres facteurs de risques. Ainsi, notre
étude va étudier le lien entre les comportements d’adolescents
placés dans une institution de la protection de l’enfance et leur
relation d’attachement.
2. Hypothèse générale
En nous appuyant sur la théorie de l’attachement et sur la
clinique de l’adolescent, il existerait un lien entre les troubles du
comportement et les compétences sociales chez les adolescents
placés, d’une part, et leur attachement envers leurs parents et
leurs pairs.
95
Hypothèses opérationnelles :
• concernant la qualité d’attachement des adolescents, nous
nous attendons à ce que ces jeunes vivant en institution aient
en majorité un attachement de type insécure ;
• concernant les comportements et les compétences sociales des
adolescents, nous nous attendons à ce que ces jeunes vivants
en institution aient en majorité des troubles du comportement
et une mauvaise adaptation sociale ;
• en mettant en lien l’attachement et le comportement, nous
nous attendons à repérer qu’un attachement plutôt insécure
soit corrélé avec des troubles du comportement ;
• en mettant en lien l’attachement et les compétences sociales,
nous nous attendons à repérer qu’un attachement plutôt insécure soit corrélé avec une mauvaise adaptation sociale.
3. Patients et méthodes
3.1. Participants
Les participants de cette étude sont, d’une part, des adolescents placés dans une Maison d’enfants à caractère social
(MECS) suite à des difficultés parentales et, d’autre part, leurs
éducateurs référents. Les 26 jeunes sont 22 garçons et 4 filles.
Initialement, ils devaient être au nombre de 31 mais 4 ne sont
pas venus et une jeune fille n’a pas réussi à remplir la totalité du
questionnaire. Conformément à l’étendue d’âge de la période
adolescente, ils ont tous entre 12 et 15 ans (la moyenne d’âge
étant de 13 ans 7 mois). Les éducateurs, au nombre de 16, sont
des adultes qui ont l’occasion d’observer le comportement de
ces jeunes au quotidien.
3.2. Matériel
Pour cette recherche, nous avons utilisé deux questionnaires.
Le premier est l’Inventaire de l’attachement aux parents et aux
pairs (IPPA) d’Armsden et Greenberg créé en 1987. Cet outil
permet d’évaluer la perception de la qualité d’attachement des
adolescents par rapport à leurs parents et leurs pairs. Il est
composé de trois parties : une partie « mère » (25 items), une partie « père » (25 items) et une partie « amis proches » (25 items).
Nous avons utilisé la version française révisée [20]. Pour chaque
partie, trois dimensions sont calculées : le degré de confiance
mutuelle et respect de l’autre, la qualité de la communication et le sentiment de colère et d’abandon. Plus l’individu a
des scores élevés aux deux premières dimensions et un score
faible à la troisième, plus il a un attachement sécure et inversement. Le deuxième outil est La liste des comportements pour
enfants (LCE), traduction française de « Child Behavior Checklist » d’Achenbach [20]. Cet outil permet de dépister les
enfants de 6 à 18 ans susceptibles de présenter des troubles
émotionnels et comportementaux. Ce questionnaire comprend
deux parties : « l’échelle de compétence sociale » qui évalue
les compétences de l’enfant dans les activités de la vie quotidienne, les relations sociales et les performances scolaires et
« l’échelle des problèmes de comportement » qui évalue les
symptômes comportementaux et émotionnels rapportés par le
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parent ou le substitut parental. Pour la première partie, une
valeur élevée est synonyme d’une bonne adaptation et, pour la
deuxième partie, plus le score total est élevé, plus la probabilité d’un trouble psychiatrique est élevée. Une étude a établi
un score moyen de 58,4 pour un échantillon clinique et un
score de 24,9 pour un échantillon contrôle d’enfants de 12 à
16 ans [21]. Le score total peut se subdiviser en un regroupement d’items proches des critères diagnostiques du DSM-IV
comportant : anxiété, trouble obsessionnel compulsif, difficultés attentionnelles et hyperactivité, problèmes des conduites,
dépression, trouble oppositionnel/provocateur, symptômes psychotiques, problèmes sociaux et immaturité, problèmes sexuels
et somatisation [22].
3.3. Procédure
L’IPPA est administré en individuel dans un bureau qui est
un lieu contenant. Beaucoup de ces adolescents n’ont plus leurs
deux parents. Ainsi, pour ce questionnaire, 10 jeunes n’ont pas
rempli la partie « père », 14 jeunes ont répondu à l’ensemble du
questionnaire puis, 2 enfants n’ont rempli que la partie « mère ».
Pour ce qui est de la LCE, les éducateurs remplissent le questionnaire concernant les enfants pour lesquels ils sont les référents,
soit les 31 jeunes prévus au départ. Dans un troisième temps,
nous établissons le recueil des données et réalisons les tests
statistiques à l’aide de l’outil « Statistica ».
4. Résultats
4.1. Statistiques descriptives
Dans un premier temps, nous allons présenter les statistiques
descriptives de chaque échelle, c’est-à-dire les moyennes et
écarts-types des scores de l’IPPA et de la LCE. Ceci nous permettra d’étudier l’attachement, le comportement et l’adaptation
sociale des jeunes interrogés.
4.1.1. Statistiques descriptives concernant l’attachement
L’attachement total est de 267,93 en moyenne (avec un écarttype de 33,09) sur une étendue de 75 à 375 pour les jeunes ayant
leurs deux parents et de 190,1 (ET = 18,29) sur une étendue de
50 à 250 pour les adolescents n’ayant que leur mère. Plus précisément, si l’on s’intéresse aux moyennes indiquées dans le
Tableau 1, le degré moyen de confiance mutuelle et de respect de
l’autre chez ces jeunes est plutôt élevé envers leur mère et leurs
Tableau 1
Moyennes et écarts-types concernant l’attachement aux parents et aux pairs
(selon les sous-échelles de l’échelle IPPA).
Confiance
Communication
Abandon
Mèrea
Pèreb
Amis prochesc
38,54 (7,61)
30,62 (7,60)
11,85 (5,04)
35,43 (11,67)
26,43 (10,54)
16,14 (6,42)
41,33 (7,27)
28,13 (6,73)
16,13 (4,29)
Confiance : les moyennes sont comprises entre 10 et 50 ; communication : les
moyennes sont comprises entre 9 et 45 en ce qui concerne le père et la mère et
entre 8 et 40 concernant les amis ; abandon : les moyennes sont comprises entre
6 et 30 en ce qui concerne le père et la mère et entre 7 et 35 concernant les amis.
a n = 26 (26 jeunes ont répondu à la partie concernant leur mère lors de la
passation de l’IPPA).
b n = 14 (14 jeunes ont répondu à la partie concernant leur père lors de la
passation de l’IPPA).
c n = 24 (24 jeunes ont répondu à la partie concernant leurs amis lors de la
passation de l’IPPA).
amis proches et moyen envers leur père. La qualité de la communication obtient un score moyen concernant leur mère, leur père
et leurs amis proches. Le sentiment de colère et d’abandon est
plutôt faible envers leur mère et leurs amis proches et moyen
envers leur père.
4.1.2. Statistiques descriptives pour le comportement et
l’adaptation sociale
Le total moyen des problèmes de comportement est de
41,48 pour les 31 jeunes, ce score est situé entre l’échantillon
clinique (58,4) et l’échantillon contrôle (24,9) (Tableaux 2 et 3).
Plus précisément, pour ce qui est des troubles externalisés, le
score moyen, en fonction du nombre d’items, est assez élevé
en ce qui concerne le trouble oppositionnel/provocateur et les
difficultés attentionnelles et hyperactivité. Pour les troubles
internalisés, les scores moyens les plus élevés sont celui de
l’anxiété, de la dépression, du trouble obsessionnel compulsif et des problèmes sociaux avec immaturité. Concernant
l’adaptation sociale, son score moyen (11,8) est assez faible. Plus
précisément, la scolarité a un score plus faible que les activités
et les relations sociales.
4.2. Exemples de deux jeunes issus de la population
Pour illustrer les scores moyens de l’ensemble des participants, nous présentons deux profils de jeunes issus de notre
échantillon qui diffèrent concernant les modalités que nous
recherchons : l’attachement, le comportement et l’adaptation
sociale.
Tableau 2
Moyennes et écarts-types concernant et les comportements des jeunes interrogés (selon les sous-échelles de la LCE).
Problème de comportement
Anxiété
TOC
TDAH
Trouble des
conduites
Dépression
TOP
Symptômes
psychotiques
Problème
social
Problème
sexuel
Somatisation
Total
2,68 (2,04)
1,65 (1,47)
1,8 (1,58)
3,97 (3,74)
3,39 (2,79)
2,71 (1,72)
0,45 (1,03)
4 (3,48)
0,84 (1,59)
0,77 (1,09)
41,48 (18,88)
Le score total des problèmes de comportement est compris entre 0 et 118. Cependant, les différents problèmes de comportement n’ont pas le même nombre d’items :
l’anxiété comprend 7 items, le TOC (trouble obsessionnel compulsif) 5 items, le TDAH (difficultés attentionnelles et hyperactivité) 3 items, le trouble des conduites
17 items, la dépression 12 items, le TOP (trouble oppositionnel avec provocation) 4 items, les symptômes psychotiques 4 items, le problème social 8 items, le problème
sexuel 4 items et les problèmes de somatisation comprend 6 items.
H. Lemoust de Lafosse, R. Blanc / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 93–101
Tableau 3
Moyennes et écarts-types concernant l’adaptation sociale des jeunes interrogés
(selon les sous-échelles de la LCE).
Adaptation sociale
Activités
Sociale
Scolaire
Total
4,31 (1,8)
5,87 (1,79)
1,56 (1,3)
11,8 (3,13)
Activités et sociale : les moyennes sont comprises entre 0 et 12 ; scolaire : la
moyenne est comprise entre 0 et 6 ; le score total de l’adaptation sociale est
compris entre 0 et 30.
4.2.1. Premier profil
Il s’agit d’un garçon de 14 ans. Il est placé depuis 7 ans. Il est
le seul enfant de ses parents qui se sont séparés lorsqu’il avait
18 mois. Suite à la séparation, la maman quitte le domicile sans
donner de nouvelles. Les relations avec son père sont difficiles.
Une reprise de contact a été établie il y a 6 ans avec sa mère.
Concernant l’échelle de l’IPPA, il a un score de 226 à
l’attachement (sur une étendue de 75 à 375). Il semble avoir
un attachement de type insécure envers sa mère qui peut être
expliqué par un vécu abandonnique. Ainsi, nous pouvons observer qu’il a un score moyen concernant le sentiment de colère
et d’abandon (21) et un score faible concernant le degré de
confiance mutuelle et de respect de l’autre (22) ainsi que concernant la qualité de communication (16). L’attachement semble
plus sécure envers son père car les liens sont plus fiables mais les
relations restent peu sécurisantes. Ainsi, il a des scores moyens
pour le degré de confiance mutuelle envers son père (35) et la
qualité de la communication (26) et un score faible pour son
sentiment d’abandon (14).
Pour l’échelle LCE, il a un score total de problème de
comportement de 70, ce qui est très élevé. En effet, c’est un
jeune insécurisé par des traumatismes tels que la maltraitance.
Il va avoir recours à l’agir pour décharger sa détresse. Il a des
scores élevés en troubles externalisés c’est-à-dire concernant des
problèmes de conduites et un trouble oppositionnel avec provocation. Il a également un score élevé concernant un trouble
obsessionnel compulsif, une difficulté attentionnelle avec hyperactivité et une problématique sexuelle. Concernant l’échelle des
compétences sociales, il a obtenu un score faible. Il semble avoir
des difficultés au niveau des relations sociales et de ses apprentissages scolaires. En effet, les relations aux autres semblent
compliquées car il présente des relations interpersonnelles dysfonctionnelles. Malgré une efficience intellectuelle normale, il
a des difficultés à investir les apprentissages en raison de ses
troubles du comportement, son vécu traumatique et une faille
narcissique importante.
4.2.2. Deuxième profil
Il s’agit d’un garçon de 11 ans placé depuis 1 an. Il est le dernier d’une fratrie de trois enfants. Son père est décédé lorsqu’il
avait 2 ans. À la suite de cet évènement, sa mère a eu une
période dépressive et a fait une tentative de suicide. Les relations mère–fils sont compliquées, la mère étant très angoissée et
ne pouvant pas poser de limites à ses enfants.
Pour l’échelle de l’IPPA, il a un score de 217 à l’attachement
(sur une étendue de 50 à 250). Il semble donc avoir un
97
attachement de type sécure. En effet, il a obtenu le score le
plus élevé concernant le degré de confiance mutuelle et de respect de l’autre (50) envers sa mère et ses amis, un score moyen
concernant la qualité de communication (30) et un score faible
concernant son sentiment de colère et d’abandon envers sa mère
(8) et ses amis (13). Ceci peut être expliqué par une angoisse
d’abandon lié à la tentative de suicide de sa mère et au décès de
son père.
Concernant l’échelle LCE, il a reçu un score total de problème
de comportement de 19, ce qui est très faible pour les enfants
de son âge. Il ne semble donc pas avoir de trouble du comportement. Le placement l’a peut-être apaisé et son comportement
était sûrement en réaction aux relations conflictuelles mère–fils.
Par ailleurs, il semble avoir une forte anxiété qui peut expliquer
qu’il intériorise toutes ses émotions et ne s’autorise plus à agir.
De plus, il semble avoir des difficultés concernant l’adaptation
sociale car il a obtenu un score de 8,5. Il semble avoir de réelles
difficultés dans ses apprentissages scolaires. Ceci peut être expliqué par une anxiété de performance et son insécurité psychique
qui l’empêcheraient d’investir le cognitif et d’avoir confiance en
ses capacités.
4.2.3. Conclusion
Ces vignettes cliniques nous permettent d’observer les résultats de deux jeunes en les mettant en lien avec leur histoire et leur
vécu traumatique. Ils ont deux profils très différents concernant
leur attachement et leur comportement. Le premier a un attachement plutôt insécure envers sa mère et son père et de forts
troubles du comportement et le deuxième a un attachement plutôt sécure envers sa mère et peu de troubles du comportement.
Ainsi, ces exemples nous montrent que le vécu de ces jeunes peut
être différent. Concernant notre hypothèse de départ, nous pouvons observer avec ces deux profils un lien entre un attachement
insécure et des troubles du comportement, ou inversement.
4.3. Analyses statistiques : corrélation linéaire
Nous avons réalisé une corrélation linéaire afin de déterminer
s’il y a un lien entre les scores des deux échelles, c’est-à-dire
s’il existe un lien entre l’attachement des jeunes envers leurs
parents et leurs pairs avec leur comportement et leur adaptation sociale (Tableau 4). Concernant l’attachement envers la
mère, nous pouvons observer une corrélation négative entre le
degré de confiance mutuelle et un trouble obsessionnel compulsif (r = −0,47 ; p = 0,02), ainsi qu’avec un trouble des conduites
(r = −0,45 ; p = 0,03) et une corrélation positive entre le sentiment de colère et d’abandon et une difficulté attentionnelle avec
hyperactivité (r = 0,50, p = 0,01), ainsi qu’avec un trouble des
conduites (r = 0,50 ; p = 0,05). Concernant l’attachement envers
le père, nous pouvons observer une corrélation négative entre le
degré de confiance mutuelle et un trouble obsessionnel compulsif (r = −0,67 ; p = 0,01) et entre la qualité de la communication
et un trouble obsessionnel compulsif (r = −0,54 ; p = 0,04).
Enfin, en ce qui concerne l’attachement aux pairs, nous pouvons
observer des corrélations négatives entre le sentiment de colère
et d’abandon et un problème au niveau social (r = 0,43 ; p = 0,03)
et entre la qualité de communication et les activités (r = −0,56 ;
98
Variables de l’IPPA
Mère confiance
Mère communication
Mère abandon
Père confiance
Père communication
Père abandon
Amis confiance
Amis communication
Amis abandon
Attachement total
Variables de la LCE
Activités
Social
Scolaire
Total échelle
sociale
Anxiété
TOC
TDAH
Tb conduites
Dépression
TOP
Symptômes
psychotiques
Pb social
Pb sexuel
Soma
Total Pb
comportements
0,00
−0,28
−0,18
−0,07
0,19
−0,19
−0,24
−0,56
−0,03
0,01
−0,06
0,05
−0,20
0,10
−0,04
−0,23
0,00
−0,17
−0,44
0,14
−0,24
−0,15
−0,25
−0,01
−0,16
−0,19
−0,40
−0,47
−0,18
0,14
−0,14
−0,17
−0,30
0,02
0,01
−0,29
−0,26
−0,54
−0,32
0,12
0,11
0,19
−0,07
−0,14
−0,21
0,41
0,33
0,24
0,05
−0,14
−0,47
−0,37
0,36
−0,67
−0,54
0,41
0,16
0,23
−0,25
−0,06
−0,23
−0,18
0,50
−0,16
−0,00
0,13
0,16
0,27
0,27
−0,37
−0,45
−0,17
0,41
−0,11
−0,07
0,10
0,09
0,25
0,20
−0,10
−0,03
0,10
0,23
0,31
0,32
0,12
0,11
0,25
0,32
−0,04
−0,25
−0,06
0,27
−0,08
0,01
−0,13
0,24
−0,02
0,04
−0,06
−0,13
0,16
0,26
−0,33
−0,29
0,45
0,21
0,22
0,14
−0,20
0,10
0,22
−0,15
0,11
0,07
0,24
−0,27
−0,04
0,43
0,11
−0,38
−0,23
0,26
−0,30
−0,23
0,28
0,05
0,12
−0,06
−0,01
0,18
0,07
−0,17
−0,28
−0,35
0,37
0,12
−0,01
−0,11
0,22
−0,28
−0,05
0,33
−0,16
−0,13
0,32
0,21
0,33
0,23
−0,10
Les chiffres en gras indiquent les corrélations linéaires significatives ; Tb : trouble ; Pb : problème.
H. Lemoust de Lafosse, R. Blanc / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 93–101
Tableau 4
Corrélations linéaires entre l’attachement et les problèmes de comportement/adaptation sociale.
H. Lemoust de Lafosse, R. Blanc / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 93–101
p=0,01), la scolarité (r = −0,47 ; p = 0,02) et l’adaptation sociale
(r = −0,54 ; p = 0,01).
5. Discussion
5.1.1. Hypothèse no 1
La première hypothèse de notre étude prétendait que
l’attachement chez ces jeunes serait de type « insécure ». Cependant les résultats montrent que les représentations des relations
actuelles d’attachement qu’ont ces jeunes sont en moyenne plutôt de type sécure. En effet, le fait d’obtenir un score d’abandon
moyen ou faible et un score de confiance et de communication moyen ou élevé tend vers un attachement de type sécure.
Notre hypothèse de départ semble donc infirmée. Ces résultats
montrent une certaine idéalisation de ces jeunes envers leurs
parents dont ils sont séparés qui est peut-être une défense contre
une réalité trop insupportable et qui ne leur permet pas de construire leur identité propre avec une bonne image d’eux-mêmes.
En effet, Gaspari-Carrière dit que « l’abandonnique est contraint
de surinvestir le mythe du couple qu’il formait avec sa mère
avant la séparation, de gommer les souvenirs des mauvais traitements ou des rejets subis, afin de construire l’image d’un objet
idéal qu’il désire retrouver et dont il se voit injustement séparé
par l’arbitraire institutionnel » [23]. De plus, leur attachement
peut se trouver « hyperactivé » en conséquence de la séparation
due au placement. Nous pouvons remarquer également que la
qualité de communication est inférieure au degré de confiance
mutuelle et de respect de l’autre. Le déni de l’abandon ou la
réalité trop insupportable à accepter bloque peut-être la capacité
d’élaboration et de verbalisation chez ces jeunes.
5.1.2. Hypothèse no 2
Lors de la deuxième hypothèse, nous nous attendions à ce
que les jeunes aient en majorité des troubles du comportement et
une mauvaise adaptation sociale. Le score obtenu à la LCE pour
les problèmes de comportement est plutôt élevé. Nous pourrions
donc conclure que ces jeunes présentent de nombreux problèmes
de comportement car il y a seulement 3 jeunes qui ont un score
égal ou inférieur à celui de l’échantillon contrôle. Plus précisément, ce qui ressort de cette analyse sont des troubles à la fois
externalisés comme le trouble oppositionnel avec provocation et
les difficultés attentionnelles avec hyperactivité et, les troubles
internalisés comme l’anxiété, la dépression, un trouble obsessionnel et un problème social ou une immaturité. En effet, nous
pensons que, du fait de leurs traumatismes, les carences précoces qu’ils ont vécues ou leur insécurité psychique, ces jeunes
vont être poussés à l’agir. Ce que Winnicott explique à propos de
la tendance antisociale en disant que c’est « l’espoir relatif à la
réparation d’un traumatisme dû à un sevrage affectif » [24]. Les
troubles du comportement de ces jeunes sont peut-être un moyen
d’exprimer leurs conflits internes ou de ne pas « penser » car penser est peut-être trop dangereux. Concernant les compétences
sociales, nous pouvons conclure à une faible adaptation sociale
avec des difficultés importantes dans le domaine de la scolarité.
En effet, leurs troubles du comportement ne leur permettent pas
99
d’avoir de bonnes compétences sociales et peuvent entraîner
des difficultés d’apprentissage. Chimisanas dit que ces jeunes
« présentent des souffrances narcissiques et des angoisses qui
gênent leur capacité à vivre la situation d’apprentissage » [25].
De plus, la situation de placement entraîne chez ces jeunes une
véritable incertitude quant à leur avenir, il peut donc être compliqué pour eux d’investir leurs capacités cognitives. Tous ces
résultats vont donc dans le sens de notre deuxième hypothèse.
5.1.3. Hypothèse no 3
Notre troisième hypothèse évoquait le fait qu’un attachement
insécure serait corrélé à des problèmes de comportement. Les
résultats obtenus montrent, dans un premier temps, que le lien le
plus important est observé entre l’attachement envers les deux
parents et un trouble obsessionnel compulsif. L’insécurité de
l’attachement peut engendrer de l’anxiété caractérisée par des
obsessions qui peuvent être une forme de défense, une sorte de
contrôle à l’encontre de l’environnement qui leur permettrait
de se sécuriser. Pour les psychanalystes, le trouble obsessionnel
est la conséquence d’un refoulement d’exigences sexuelles et
affectives œdipiennes qui entraîne une régression au stade anal.
De plus, Warren et al. ont montré qu’un attachement insécurerésistant lorsque l’enfant a 12 mois aurait pour conséquence la
survenue d’un trouble anxieux [26]. De la même manière, un lien
existe aussi entre l’attachement envers la mère et une difficulté
au niveau de l’attention et une hyperactivité. Ceci peut être expliqué par le fait que lorsque ces jeunes sont dans une insécurité
psychique, ils vont être envahis d’une anxiété et de nombreuses
pensées limitant leur concentration. Dans un second temps, nous
pouvons également évoquer un lien entre l’attachement envers la
mère et un trouble des conduites. Ceci va dans le sens de l’étude
d’Erickson et al. et de Srouf et al. qui avaient trouvé que les
enfants avec un attachement insécure envers leur mère avaient
beaucoup moins de relations satisfaisantes avec leurs pairs et
davantage de symptômes d’agression et de dépression [12,13].
Notre troisième hypothèse semble donc partiellement confirmée
car l’attachement total n’est pas lié spécifiquement à un trouble
du comportement. En effet, il n’existe pas de corrélation significative entre ces deux paramètres, cependant si l’on s’intéresse
à l’attachement envers les parents, la confiance que ces jeunes
ont envers eux est corrélée très négativement avec un trouble
obsessionnel compulsif. De plus, l’attachement à la mère, qui
est souvent la figure d’attachement primaire, est en lien avec un
trouble des conduites et des difficultés attentionnelles. Il semblerait donc qu’un attachement sécure envers la mère est important
pour la régulation des comportements.
5.1.4. Hypothèse no 4
Enfin, lors de notre quatrième hypothèse, nous nous attendions à ce qu’un attachement insécure soit lié à une mauvaise
adaptation sociale. Les résultats ne nous montrent pas de
lien entre l’adaptation sociale et l’attachement aux parents
mais seulement avec l’attachement aux pairs. L’hypothèse de
départ n’est donc pas confirmée. Cependant, la représentation
d’attachement envers les amis est peut-être plus représentative de
100
H. Lemoust de Lafosse, R. Blanc / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 93–101
la réalité que l’attachement aux parents qui semble idéalisé. Par
ailleurs, le processus d’adolescence où le jeune va acquérir une
certaine autonomie affective et sociale va être perturbé chez les
enfants placés. Ne pas pouvoir s’appuyer sur des repères stables
peut engendrer des difficultés sociales et un retard au niveau
de l’autonomie. Ainsi, Mahé dit que le jeune va devoir traverser le processus d’adolescence sans les supports identificatoires
qui lui permettraient d’accéder efficacement aux remaniements
psychiques afin qu’il devienne adulte [27]. Le fait qu’il en soit
en partie privé, explique, selon lui, qu’il présente une forme
d’immaturité et une difficulté à devenir adulte.
6. Conclusion
Les expériences précoces que font les enfants sont
déterminantes puisque s’établissent alors les mécanismes
physiologiques, comportementaux et psychologiques qui les
guideront toute leur vie. C’est pourquoi nous avons utilisé
l’attachement, un besoin primaire, pour étudier le comportement des adolescents placés. En effet, ces jeunes présentent des
troubles du comportement ou des dysfonctionnements relationnels importants dus à des traumatismes, des carences affectives
ou un attachement insécure. Cependant, pour se construire une
identité et lutter contre une faille narcissique, ils vont se créer une
image idéale de leur figure d’attachement. Cette étude permet
un angle d’approche pour la compréhension des comportements
des jeunes placés en institution, trop souvent oubliés dans les
recherches cliniques. En effet, l’idée de mettre en lien les
troubles du comportement avec une éventuelle insécurité de
l’attachement était de permettre aux différents professionnels
travaillant au sein de la protection de l’enfance de, peut-être,
comprendre autrement les causes ou tout ce qui peut avoir une
influence sur ce que peuvent mettre en place les jeunes placés en
institution dans leur comportement. En effet, ces jeunes arrivent
dans les institutions souvent avec de nombreux troubles, voire
un comportement très désorganisé. Il faut faire attention à ne pas
« pathologiser » trop vite ces jeunes et essayer de comprendre
leurs troubles en les mettant en lien avec des aspects contextuels
ou environnementaux. De plus, il était intéressant de pouvoir
interroger directement les jeunes afin d’avoir leurs propres représentations de leurs relations avec leurs parents. Ceci va permettre
de comprendre ce qu’ils ressentent car ce sont des jeunes qui
ont des difficultés à faire confiance en l’adulte et des difficultés à verbaliser ce qu’ils pensent. D’autant plus, que nous
avons également étudié leur comportement à la fois externalisé
et internalisé. Ainsi, cette étude est innovante et peut donner
des idées pour des axes thérapeutiques de travail. La principale
limite concerne l’échelle LCE car la première partie concernant « les compétences sociales » n’était peut-être pas adaptée à
cette population. De plus, chaque éducateur a évalué plusieurs
enfants, ceci peut provoquer de la dépendance entre les données. Par ailleurs, des paramètres n’ont pas été pris en compte.
Il serait intéressant de pouvoir poursuivre ces recherches en prenant en compte d’autres critères tels que l’âge car, avec nos deux
vignettes cliniques, nous avons pu observer une différence en ce
qui concerne l’attachement et les troubles du comportement.
Ces deux jeunes ont un écart d’âge donc il serait intéressant
de vérifier si des jeunes plus âgés ont une représentation plus
négative de leurs relations avec leurs parents que celles des plus
jeunes et s’ils auront davantage de troubles du comportement.
Ces paramètres peuvent également être influencés par la durée
du placement et/ou la durée de la prise en charge psychothérapeutique. En effet, si le jeune est placé depuis longtemps, un
travail psychique a pu être réalisé, lui permettant d’accepter ses
difficultés familiales et de se détacher du « parent idéal » intériorisé. Il serait également intéressant d’évaluer un troisième critère
qui est le sexe. En effet, dans notre étude, nous avons pu observer une différence entre les scores des filles et des garçons mais
cette différence n’a pu être exploitée, n’étant pas significative,
car seulement quatre filles ont participé à cette étude. Il serait
donc intéressant de voir sur un échantillon plus important si
les filles ont une représentation de leur attachement envers leurs
parents plus insécure que les garçons et si elles ont pour cela plus
de trouble du comportement. Enfin, une étude serait intéressante
à réaliser afin de pouvoir comparer ce lien entre attachement et
comportement selon que les jeunes sont placés en institution ou
en famille d’accueil. Peut-être que la famille d’accueil permettrait aux jeunes d’acquérir des repères plus stables, de s’inscrire
plus facilement dans la réalité et d’être plus apaisés psychiquement, ce qui diminuerait les troubles du comportement et
permettrait une représentation plus inscrite dans la réalité de ses
relations d’attachement.
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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