Kinesither Rev 2013;13(137):11–12 Actualités / Analyse critique Efficacité de la kinésithérapie respiratoire afin de réduire le temps d'hospitalisation, la durée de la ventilation mécanique, l'incidence des infections pulmonaires et la mortalité des patients en service de réanimation Baptiste Michaux a, Guillaume Prieur b a Service de kinésithérapie, CHU de Rouen, 1, rue de Germont, 76031 Rouen cedex, France b Services de réanimation et de pneumologie, groupe hospitalier du Havre, hôpital Jacques Monod, 29, avenue Pierre-Mendès-France, 76290 Montivilliers, France & Castro A.M.M. et al. Chest physiotherapy effectiveness to reduce hospitalization and mechanical ventilation length of stay, pulmonary infection rate and mortality in ICU patients. Respir Med 2013;107:68–74. Contexte actuel Les progrès et la gestion des services de réanimation montrent une amélioration du taux de survie des patients. Cependant, l'apparition des complications est corrélée au temps d'hospitalisation et à l'alitement prolongé des patients. La présence d'un kinésithérapeute apporte un intérêt majeur dans ces services, aussi bien dans la prévention des troubles respiratoires, cutanés, orthopédiques et fonctionnels, que dans l'aide au sevrage de la ventilation mécanique. Protocole de l'étude Cette étude a pour hypothèse que la présence d'un physiothérapeute 24 h/ 24 dans un service de réanimation est Auteur correspondant : B Michaux, Service de kinésithérapie, CHU de Rouen, 1, rue de Germont, 76031 Rouen cedex, France. Adresse e-mail : [email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.kine.2013.02.005 corrélée à une réduction de la durée d'hospitalisation et de ventilation mécanique, une diminution de l'incidence d'infections pulmonaires et de la mortalité. Les résultats sont étudiés dans les services de réanimation de deux hôpitaux publics brésiliens : un hôpital dispose de physiothérapeutes 24 h/24 (hôpital A) et l'autre hôpital dispose de physiothérapeutes six heures par jour (hôpital B). Les physiothérapeutes du groupe A interviennent quatre fois par jour auprès du patient (matin, après midi, soir et nuit). Ils ont la possibilité d'effectuer des séances supplémentaires si l'état clinique du patient le nécessite. Les physiothérapeutes du groupe B ne peuvent intervenir qu'une seule fois par jour. Les techniques de kinésithérapie (désobstruction bronchique et mobilisation globale) ainsi que la durée des séances sont similaires aux deux hôpitaux. La répartition des patients se fait suivant leur admission dans un des deux hôpitaux. Les 73 patients de chaque groupe ont été évalués le premier jour de leur hospitalisation. Les deux groupes sont considérés par les auteurs comme homogènes (Tableau I). Les patients sont évalués jusqu'à la sortie du service de réanimation. Les auteurs retrouvent plusieurs différences significatives entre les deux groupes : ventilation mécanique : dix jours 20 (groupe A) et 15 jours 12 (groupe B) avec un p < 0,0001. À j31 de leur admission plus aucun patient n'est ventilé dans le groupe A contre 22 % des patients du groupe B ; mortalité : augmentation du taux de mortalité de 30 % chez les patients avec une seule séance de physiothérapie par jour ; durée de séjour en réanimation : 13,2 jours 12,6 dans le groupe A et 21,6 jours 17,8 dans le groupe B (p = 0,0003). À j30, 40 % des patients sont encore présents dans le service B contre aucun dans le service A ; incidence des infections du système respiratoire (rapport calculé à partir du nombre de patients avec une infection sur le nombre de patients admis) : 0,356 dans le groupe A et 0,616 dans le groupe B (p = 0,0043). À noter que ce calcul est surprenant, les études évoquant plutôt un rapport « nombre d'épisodes d'infections respiratoires 48 heures après intubation » sur « nombre de jours sous ventilation mécanique » ; incidence des neuromyopathies acquises en réanimation : 3 % des patients pour le groupe A et 5 % pour le groupe B. Limites de l'étude Puissance de l'étude L'étude est contrôlée mais non randomisée. La répartition des patients se fait 11 B. Michaux, G. Prieur Actualités / Analyse critique Tableau I. Paramètres relevés à l'admission. Avec une différence significative Avec une différence non significative Score Ramsay (p = 0,01) Sexe, âge Scores Glasgow, APACHE II, SOFA Nombre de dysfonctions d'organes (p = 0,05) Température corporelle, pression artérielle moyenne, hématocrites, pression artérielle en oxygène Fréquence cardiaque et respiratoire Motif d'admission entre les deux groupes Créatinine, taux de protéine C-réactive, SpO2, FiO2, diffusion alvéolocapillaire Les traumatisés crâniens (quatre dans le groupe A contre 24 dans le groupe B) suivant leur admission dans l'hôpital A ou B. Bien que les auteurs affirment que les soins de physiothérapie soient identiques entre les deux hôpitaux (après une observation d'une semaine), nous pouvons nous interroger sur la pratique courante des autres professionnels de santé (médecins, infirmiers notamment) et la répercussion sur les résultats de cette étude. Cette étude est simplement observationnelle et ne peut conclure à une incidence sur différents paramètres (mortalité, durée de séjour, etc.). Qualité des séances de physiothérapie Les auteurs décrivent la physiothérapie dispensée aux patients comme des techniques de désobstruction bronchique et de mobilisations globales (membres inférieurs et supérieurs). Les auteurs précisent que ces techniques effectuées dans l'étude sont identiques entre les deux hôpitaux, cependant il n'est pas décrit d'autres techniques de physiothérapie comme le bord de lit, la verticalisation, la mise au fauteuil, etc. Les auteurs se focalisent sans doute sur la physiothérapie respiratoire (hypothèse initiale de leur étude). 12 Nombre de séances de physiothérapie Les physiothérapeutes de l'hôpital A n'avait le droit de voir chaque patient qu'une seule fois par jour. Nous nous interrogeons sur cette restriction. À notre courte expérience professionnelle en réanimation en France, les patients, si besoin, bénéficient de plusieurs séances de kinésithérapie (notamment respiratoire), même quand les kinésithérapeutes ne sont présents que la journée. De notre simple avis, la répercussion d'une séance unique, notamment postextubation, peut s'avérer délétère pour les patients. Ainsi, les auteurs auraient dû dire que l'étude comparait une prise en charge avec une seule séance de physiothérapie contre plusieurs séances quotidiennes et non 6 h/24 vs 24 h/24. Motifs d'admission des patients Les auteurs décrivent leurs groupes comme homogènes. Le groupe B présente un nombre plus important de patients traumatisés crâniens. Ce biais peut avoir un impact sur les résultats de l'étude (durée sous ventilation mécanique, nombre de jours en service de réanimation, complication, etc.). « L'après réanimation » Les auteurs ne précisent pas la durée d'hospitalisation totale et la mortalité à plus long terme (six mois et un an). Conclusion Cette étude semble démontrer que la présence de physiothérapeutes en réanimation 24 h/24 réduirait la durée d'hospitalisation, de ventilation mécanique, l'incidence des infections pulmonaires et la mortalité des patients par rapport à une présence des physiothérapeutes six heures par jour. Nous notons cependant plusieurs limites à l'étude qui diminuent la puissance des résultats. La non-randomisation de l'étude étant une limite majeure. Le titre constitue un biais en n'évoquant que la kinésithérapie respiratoire. Les auteurs ont, semble-t-il, également sous estimé leurs biais dans la discussion de leur étude. Cette étude devra donc être confortée par de nouvelles études randomisées contrôlées. Il sera également intéressant de faire une étude économique comprenant les coûts supplémentaires d'une présence de physiothérapeute 24 h/24 et les économies supposées de réduction de la durée d'hospitalisation.