Jean-Louis MARTIN
jean-louis.martin@credit-agricole-sa.fr
N° 23 – novembre 2012
indépendamment de la durée, quand l'inflation est
à 7,6%). A court terme, une telle situation a un
impact négatif sur l'investissement privé et la
croissance (par "crowding out" des emprunteurs
privés). A moyen terme, elle n'est simplement pas
soutenable
: d'une part, un affaiblissement de la
croissance se traduirait par une remontée du taux
d'endettement, et d'autre part, le système bancaire
ne peut accumuler éternellement des créances
mal rémunérées sur l'Etat, même si leur risque
apparaît mesuré. La "consolidation fiscale" est
d'ailleurs la principale recommandation du FMI
aux autorités indiennes, même si le Fonds semble
conscient des contraintes politiques qui rendent
les réformes plus difficiles en Inde qu'ailleurs
.
Le Brésil est, des quatre BRICs, celui qui a fait les
efforts d'ajustement des finances publiques les
plus soutenus, avec un excédent primaire moyen
de 3,6% du PIB sur la décennie 2002-2011
. La
gestion de la dette a aussi été remarquable, avec
un basculement du dollar au real et un
allongement de la durée moyenne. Mais la
ponction fiscale est devenue un frein à la
compétitivité et à la croissance (les recettes
publiques représentent 36 à 37% du PIB, un
niveau de pays "développé", sans les services
publics correspondants), et les retraites et les
salaires absorbent 65% du budget fédéral,
réduisant la capacité d'investissement de l'Etat à
presque rien. Le Brésil a donc besoin à la fois de
baisses d'impôts (le gouvernement en est
conscient, qui vient de réduire les taxes sur
l'énergie) et d'un redéploiement des dépenses
publiques, incluant une réforme drastique des
retraites des fonctionnaires (dont le poids va,
sinon, encore augmenter). On imagine la difficulté
politique d'une telle réforme.
En Russie enfin, le retour à l'équilibre des
finances publiques (solde global : +1,6% du PIB
en 2011) après deux ans de déficit en 2009 et
2010 est dû pour moitié à un effort budgétaire, et
pour l'autre moitié à l'augmentation des recettes
pétrolières (+1,9% du PIB en 2011). Le déficit hors
pétrole reste très élevé, à 9,8% du PIB en 2011.
Et si les perspectives de prix à moyen terme
restent plutôt favorables pour le pétrole, celles du
gaz sont beaucoup plus incertaines. Malgré cette
dépendance, la Russie est cependant celui des
BRICs dont les finances publiques sont les plus
confortables.
4 Les modèles politiques et sociaux des BRICs vont
devoir évoluer, sous peine d'exacerbation des
tensions internes; ils évoluent déjà, mais pas
toujours dans la bonne direction : les inégalités s'y
Les agences de rating finissent d'ailleurs par s'en inquiéter :
Standars & Poor's a en avril 2012 affecté la note souveraine
indienne (BBB-, à la limite de l'investment-grade) d'une perspective
négative.
"Fiscal policy should stay the course of medium-term
consolidation, resisting pressures to introduce a demand stimulus"
("Report for the 2012 Article IV Consultation" du 22 février 2012).
Parmi les pays investment-grade et pays pétroliers exclus, seule
la Corée a fait mieux.
creusent, et bien que les autorités soient conscientes
des risques impliqués, elles sont peu actives dans la
défense de la cohésion sociale. Concernant les
systèmes politiques, il ne semble pas raisonnable
d'imaginer que les deux régimes autoritaires, en Chine
et en Russie, puissent perdurer à moyen terme sans
changements profonds ; les deux démocraties,
brésilienne et indienne, sont quant à elles souvent
paralysées par le morcellement partisan.
Les inégalités sociales, telles que mesurées (très
imparfaitement) par le coefficient de Gini
, sont
plus élevées dans les BRICs que dans la moyenne
des pays émergents (Amérique latine exclue).
Surtout, elles sont, sauf au Brésil, orientées à la
hausse. Massivement en Russie, fortement en
Chine (où on se rapproche des niveaux latino-
américains), plus modérément en Inde. Dans les
trois cas, l'explication est la même : le
démantèlement pendant ces 20 ans d'une économie
administrée, impliquant non seulement l'émergence
d'une nouvelle classe moyenne, mais aussi d'une
nouvelle oligarchie, alors qu'une partie de la
population (en simplifiant : en Chine, les ruraux ; en
Inde, les basses castes et les analphabètes ; en
Russie : les retraités, une partie des fonctionnaires)
restait à l'écart du processus d'enrichissement. Le
Brésil partait d'un niveau d'inégalités beaucoup plus
élevé que les trois autres BRICs, avec une masse
importante d'"exclus" et une oligarchie ancienne et
établie. La politique de redistribution initiée par F.H.
Cardoso et poursuivie par Lula et Dilma Rousseff
n'a absolument pas changé les structures sociales
brésiliennes, mais elle a sorti de l'extrême pauvreté
des millions de Brésiliens, et avec la forte
croissance du boom minier 2004-2008 qui a enrichi
la classe moyenne, elle a permis une certaine
réduction des inégalités de revenus
. Les autorités
des trois autres BRICs ne sont pas restées
indifférentes à cette montée des inégalités (on peut
citer, par exemple, l'extension de la couverture santé
des ruraux en Chine, ou les hausses des retraites en
Russie). Mais il est clair que ce souci était
secondaire par rapport à la priorité à la croissance
(Chine, Inde) ou à la volonté de faire émerger des
"champions nationaux" dans quelques secteurs clés
(Russie). Si la pauvreté absolue a partout reculé, la
pauvreté relative a donc souvent augmenté, et plus
encore sa perception
, génératrice de frustrations
ou d'"indignation", et de risque d'agitation, surtout
Le coefficient de Gini est un indicateur de distribution des revenus,
compris entre 0 et 1. Dans une situation de distribution parfaitement
égalitaire, il serait égal à 0. A l'inverse, si tous les revenus étaient
perçus par un seul individu, il serait de 1. Une des faiblesses du
coefficient de Gini est la qualité souvent très médiocre des données de
base, fiscales ou provenant d'enquêtes sur les budgets, en particulier
dans les pays émergents. Une autre est qu'il ne s'intéresse qu'aux flux
(les revenus), et pas du tout aux stocks (la richesse).
La baisse du coefficient de Gini au Brésil en 20 ans a été la plus
forte de tous les émergents grands et moyens, à l'exception du
Venezuela.
Selon des sondages récents, 40% des Russes se considèrent
comme pauvres, à peu près le même niveau qu'en 1990, ce qui ne
correspond pas à la réalité (cité par T. Sollogoub, "Le bel avenir du
risque politique", Eclairages Emergents nº19, Crédit Agricole S.A, juin
2012).