L’AÉRONAUTIQUE : SALARIÉS ET PATRONS D’UNE INDUSTRIE FRANÇAISE, 19281950
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des conflits industriels d’un genre particulièrement explosif. Depuis la fin de la
Seconde Guerre mondiale, la France se distingue de la plupart des autres nations
occidentales par la radicalité de ses ouvriers et par l’ampleur et la fréquence de
ses grèves. Dans aucune autre société capitaliste évoluée les ouvriers n’ont remis
en question de façon si constante la légitimité de l’entreprise capitaliste. Pendant
trente ans, les principales tendances du mouvement ouvrier d’après-guerre (la
survie de la Confédération générale du travail (CGT), dominée par les commu-
nistes, en tant que plus grande confédération ouvrière de France, la faiblesse de
son équivalent anticommuniste, Force ouvrière, et l’évolution de la Confédération
française des travailleurs chrétiens (CFTC), syndicat catholique qui se transforma
en Confédération française démocratique du travail, entité extrémiste) laissent à
penser que les ouvriers continuèrent à prendre les antagonismes de classes et les
principes de gauche au sérieux dans la France de l’après-guerre. Les études réalisées
dès les années 1970 semblent indiquer que les ouvriers français, particulièrement
en comparaison avec leurs équivalents de Grande-Bretagne, ont plus tendance,
comme l’a affirmé Duncan Gallie, « à considérer la solution de leurs conflits
sociaux comme étant dépendante de l’issue de conflits sociaux plus larges ». De
même, les patrons français ont mis plus de temps que leurs équivalents étrangers
à prendre les syndicats en compte. Les arrangements corporatistes, qui permirent
aux syndicats et aux organisations commerciales et industrielles de négocier des
accords de grande envergure de façon normale dans beaucoup de pays du reste de
l’Europe, n’apparurent pas dans la France de l’après-guerre 1.
Ce n’est pas que la France ne se soit pas, à sa façon, stabilisée après la Seconde
Guerre mondiale. En dépit des traumatismes de la guerre coloniale, de la chute
de la IVe République et des révoltes de 1968, la France de l’après-guerre n’a jamais
connu de crise révolutionnaire ni faibli (au moins jusqu’aux années 1970), mainte-
nant une croissance économique remarquable. Et, en effet, depuis la fin des années
1970, les conflits industriels ont énormément diminué, et ce d’autant plus que la
CGT et le parti communiste ont décliné et que le mouvement ouvrier dans son
ensemble, en France comme ailleurs, traverse des temps difficiles. Néanmoins,
1. Duncan G, Social Inequality and Class Radicalism in France and Britain, New York, Cambridge
University Press, 1983, p. 260. Voir également son étude précédente des ouvriers des raffineries en Grande
Bretagne et en France, In Search of the New Working Class : Automation and Social Integration within the
Capitalist Enterprise, New York, Cambridge University Press, 1978. Pour une comparaison des taux de grèves
entre pays, voir Edward Shorter et Charles Tilly, Strikes in France, 1830-1968, Cambridge, Mass., Harvard
University Press, 1974, chapitre 12 ; et Walter K et Michael S, « Strikes, Power and Politics in
the Western Nations, 1900-1976 », Political Power and Social eory, 1, 1980, p. 301-334. Sur le carac-
tère particulièrement conflictuel des relations ouvriers-patronat en France, se rapporter à Gérard A et
Jean-Daniel R, Conflits du travail et changement social, Paris, Presses universitaires de France,
1978, p. 13-61. Sur le corporatisme, voir surtout Charles S. M, « Preconditions for Corporatism », in
John H. G (dir.), Order and Conflict in Contemporary Capitalism : Studies in the Political Economy
of Western European Nations, Oxford, Clarendon Press, 1984, p. 39-59 ; M, Recasting Bourgeois Europe :
Stabilization in France, Germany and Italy in the Decade after World War I, Princeton, Princeton University
Press, 1975 ; Philippe C. S et Gerhard L (dir.), Trends toward Corporatist Intermediation,
Beverly Hills, Calif., Sage, 1979 ; et Suzanne D. B (dir.), Organizing Interests in Western Europe :
Pluralism, Corporatism, and the Transformation of Politics, New York, Cambridge University Press, 1981.
[« L’aéronautique », Herrick Chapman. Traduction de Bernard Mullié.]
[ISBN 978-2-7535-1394-5 Presses universitaires de Rennes, 2011, www.pur-editions.fr]