rassembler les membres du corps social dans une œuvre commune, chacun contri-
buant, là où il se trouve, à assurer les fonctions indispensables au développement
harmonieux de l’ensemble. Ces fonctions, ce sont la production et la mise en circu-
lation de biens matériels, l’élaboration et la transmission de savoirs, le gouverne-
ment de la collectivité et la gestion du sacré. On comprend pourquoi ce paradigme
a influencé le courant fonctionnaliste (Malinowski, Merton). Celui-ci s’intéresse, en
effet, tout particulièrement aux types d’activité qui doivent nécessairement être pris
en charge pour permettre à une société de s’affirmer et se pérenniser. Il en résulte
que, chez eux, la notion d’individu s’efface derrière celle de rôle, lequel est socia-
lement défini par les exigences de fonctionnement de l’ensemble considéré. Avec
Oswald Spengler (Le Déclin de l’Occident, 1919), l’analogie avec l’organisme
vivant conduit même à repérer dans l’histoire des groupements humains un véritable
cycle biologique qui enchaîne irrémédiablement les phases de jeunesse, de maturité,
de déclin et de mort.
Émile Durkheim, dont l’œuvre demeure encore influente aujourd’hui, valorise
également la cohésion sociale, mais en prenant ses distances avec l’organicisme
de Spencer qu’il a vivement critiqué. Loin de voir dans les nécessaires solidarités
des forces intrinsèquement contraires à l’affirmation des personnalités individuelles,
il en fait, au contraire, la condition de leur épanouissement. Sa pensée n’en demeure
pas moins fondamentalement holiste. Pour lui, si les sociétés évoluées se caractéri-
sent par une diminution de la solidarité fondée sur les similitudes (donc la prédomi-
nance de la masse sur les individus), la division du travail, toujours croissante,
assure « la prépondérance progressive d’une solidarité organique » qui, elle-même,
engendre une « conscience commune »
4
. Le social est donc omniprésent dans le
mental des individus ; il façonne leurs états de conscience grâce à l’émergence
d’une morale et d’un droit issus des exigences de cette division du travail. La socio-
logie peut ainsi se désintéresser des états d’âme individuels qui ne sauraient acquérir
une importance significative pour l’explication des dynamiques sociales. Au
contraire, ce sont les faits sociaux qui doivent constituer son terrain d’élection.
Une conséquence de ce point de vue aboutit à conférer aux phénomènes collectifs
une réalité substantielle, une existence objective, même si elle se situe dans l’ordre
des représentations mentales des individus qui composent le Tout.
Une autre école de pensée holiste s’affirme avec le courant dit culturaliste qui
produit des œuvres importantes dans la première moitié du XX
e
siècle. Les recher-
ches menées sur des sociétés non européennes par une ethnologie alors en plein
essor, ont souvent nourri une conception rigide de la culture, entendue comme un
ensemble de normes et de valeurs, de rites et de croyances, qui conditionne étroite-
ment les individus appartenant à un même groupe ethnique ou à une même nation.
Disciple de Boas, Ruth Benedict cherche, par exemple, à dégager des modèles
culturels (cultural patterns) ou à dégager l’existence d’un « tempérament » natio-
nal
5
. Biaisés par l’ethnocentrisme occidental, ces travaux ont souvent tendance à
minimiser les capacités internes d’évolution des sociétés observées, surtout s’il
s’agit de sociétés considérées comme « primitives », ou même à sous-estimer les
contradictions qui les traversent. Un regard trop éloigné des réalités de terrain favo-
rise en effet la propension à ne percevoir que les éléments d’homogénéité et de sta-
bilité culturelle dans le groupe considéré. Les travaux d’un Lévi-Strauss sont, eux
Les « fondamentaux » de l’analyse politique 23
4. Voir le plan de son ouvrage : De la Division du travail social (1893) rééd., Paris, PUF, 1967.
5. Ruth BENEDICT,Patterns of Culture (1934) et Le Sabre et le chrysanthème (1946) sur le tem-
pérament japonais.