Qu' est-ce que "le sacré" ? Tentative d' explication par les dédicaces gallo-romaines ... et le sanskrit
Par Philippe POTEL-BELNER, 1 juin 2013, sur www.independent.academia.edu
Sur une pierre (cippus = pilier, borne ?) trouvée sous la nef de la cathédrale de Grenoble (CIL XII-2220):
MATRIS ه AVG ه
ه MVRCAS ه
T ه CASSIVS ه EROS ه
Ma traduction est: "aux Déesses-Mères bien-aimées / pour les sacrer / T. Cassius Eros" (nom gallo-romain)
Je pense que ma traduction est conforme à la tradition philologique.
AVG pour augustis est généralement traduit par "augustes, vénérables" mais le sens originel de "très aimées" s' im-
pose.
Ma traduction de SACRVM est également recevable, bien que le véritable supin de sacrare soit sacratum, mais l'
existence d' une langue religieuse, parallèle à la langue littéraire que l' on connaît mieux, est indubitable.
(à noter que le supin latin est exactement l' adaptation du tumanta sanskrit)
Mais la véritable énigme est le sens du verbe sacrare et de l' adjectif sacer = sacré.
Comme d' habitude l' ouvrage de ERNOUT et MEILLET n' est d' aucun secours. Plutôt que "dictionnaire étymolo-
gique", ils auraient bien dû l' appeler seulement "Histoire de la langue latine", car d' étymologie et de sens originel
des mots, il n' y a nulle part...
Pourtant avec un peu de connaissance des anciennes religions et un peu de connaissances sanskrites, le sens est évi-
dent...
En sanskrit, il existe le mot sakhi TB-988 qui signifie "associé, ami". Si l' on ajoute le suffixe –er qui est un suffixe
agentif verbal comme lat: -are = faire / FR: -er = faire >> le sens de sacer est " qui fait ami" et sacrare = faire faire
ami.
La traduction plus précise de la dédicace serait donc: "aux Déesses-Mères bien-aimées / pour devenir ami /
T.Cassius Eros".
Néanmoins, il y a possibilité d' être encore plus précis, en cherchant le véritable et originel sens du sanskrit sakhi.
Mes recherches m' ont amené à penser qu' il existe une syllabe ri / si / khi / li qui signifie dans de nombreux mots
sanskrits: relier. D' autre part, le préfixe sanskrit sa- est bien connu, il signifie "avec, muni de", c' est en quelque
sorte un préfixe adjectival. >> le sens de sakhi = associé, ami, est donc: qui a un lien avec.
Ce qui m' amène à effectuer une troisième traduction, je pense, encore plus précise de la dédicace: "aux Déesses-
Mères bien-aimées / pour établir un lien / T.Cassius Eros".
Insensiblement, nous entrons dans le monde de la philologie historique.
L' analyse des mots permet de comprendre des données historiques difficilement accessibles par d' autres sources
(mythes, sculptures, peintures).
Ici, nous sommes au coeur de la conception du monde et de la religion de tous les peuples anciens:
druides, Dravidiens, David, etc... signifient "qui connaissent les rayons" et aussi "qui connaissent les liens", car un
rayon de lumière est un lien qui relie le ciel à la surface de la terre. La Science est à l' origine "l' art d ' établir des
correspondances, des liens entre les choses, entre les mots, entre les dieux..." < skr: siantî = participe présent du verbe
SI = relier. La Religion est ce qui relie (lat: religo = je lie).
Les autres sens du paradigme en latin confirment ce sens:
1- sacrâmentum terme de droit: "dépôt fait aux dieux d' une certaine somme comme garantie de sa bonne foi ou de la
bonté de sa cause dans un procès". (DELL-586) La présence de la racine sacer a poussé à penser que le dépôt d' ar-
gent était fait aux dieux, mais il y a tout lieu de croire que sacra-mentum signifie "munir d' un lien, d' un engage-
ment". Apparemment, la parole chez les Romains ne suffisait pas... une des différences primordiales, semble-t-il,
avec la mentalité gauloise ou germanique où le serment engage plus que tout. Nous retrouvons chez les Gaulois et les
Germains la croyance védique dans la puissance et le caractère divin de la parole prononcée.
Le Français serment possède la même origine que le latin sacramentum. Il est probable qu' il existait un mot en gau-
lois qui ressemblait au latin < sakhi-er-mantum = munir d' un lien. Le NDE cite une forme sagrament au IXè s, puis
à l' extrême fin du XIIIè s. (JOINVILLE): serement (< *secrement).