L’esprit et la matière Descartes, l’âme, le corps, l’union de l’âme et du corps Plan 1. 2. 3. La philosophie d’après Descartes Le problème moderne de l’esprit et du corps La solution de Descartes: l’âme, le corps, l’union de l’âme et du corps. 1. La philosophie de Descartes Descartes (1596-1650) Caractéristiques générales de la philosophie de Descartes: - Frans Hals - Un retrait vis-à-vis des questions politiques et théologiques. Une méfiance vis-à-vis de la Tradition philosophique Le souci du fondement Un génie universel Rendre la science publique Science mécanique Principales oeuvres de Descartes Discours de la méthode (1637) Méditations Métaphysiques (1641) Principes de la philosophie (1643), avec l’importante Lettre-préface Passions de l’âme (1649) But de Descartes: une science rationnelle. Descartes veut établir une science rationnelle. Rationalité d’après Descartes: est rationnel ce que tout individu pourrait admettre, s’il n’exerce que son entendement. Entendement: ensemble des facultés d’analyse et de compréhension. Conséquence: on ne doit rien admettre sans raison. Il constate qu’au nom de la Tradition, on admet beaucoup de choses sans raison. Démarche de Descartes (1): le doute Descartes constate qu’il a appris beaucoup de choses, mais qu’il ne sait pas si ces choses sont fondées. Il décide de douter: le doute est une manifestation de la liberté humaine. Je peux douter de pratiquement tout. Il décide d’appliquer son doute à toutes les vérités (doute hyperbolique). Une seule vérité résiste à ce doute: “Je suis, je pense”: le COGITO Démarche de Descartes (2): la méthode Il faut une méthode pour construire la science sur ses fondements: Il élabore des règles, qu’il expose dans le Discours de la Méthode, seconde partie: Quatre règles (le mot utilisé par Descartes est “préceptes”.) L’exemple est celui des géomètres, des démonstrations de géométrie. C’est la forme de rigueur que Descartes recherche pour toute la science. Demarche de Descartes (2): la méthode Première règle: “éviter soigneusement la précipitation et la prévention”. Eviter la précipitation: ne pas accepter une idée sans l’avoir d’abord examinée. recul, réflexion. Toute nouvelle idée mérite examen. Cela n’est pas si facile. Car nous sommes habitués à croire ce que l’on nous dit. Eviter la prévention: c’est se méfier de ce que la psychologie cognitive appelle des “biais”. Un biais, c’est ce qui influence nos croyances sans que cela ait forcément un rapport avec la vérité (exemple: biais de confirmation). Cela n’est pas si facile non plus. Les biais sont la plupart du temps inconscients. La première règle a pour conséquence que, pour bien raisonner, il faut être attentifs à des problèmes de psychologie du raisonnement. Démarche de Descartes (2): La méthode Deuxième règle: Diviser les difficultés “en autant de parcelles qu’il se pourrait, et qu’il serait requis pour mieux les résoudre.” Face à un problème, il faut d’abord évaluer la complexité du problème à résoudre. - Est-ce que le problème a plusieurs dimensions? Est-ce que ce n’est pas plutôt un ensemble de problèmes? Est-ce que, dans cet ensemble de problèmes, il n’y en a pas que nous pouvons résoudre plus vite? Démarche de Descartes (2): la méthode Troisième règle: “conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés (...)” L’esprit doit d’abord se concentrer sur les choses simples. Une chose simple est une chose qui a peu de propriétés. C’est facile à connaître si la propriété est accessible immédiatement à l’esprit. Simple et facile à connaître sont deux choses différentes. Démarche de Descartes (2): la méthode Suite de l’explication de la troisième règle: Vérité simple/Vérité facile à connaître: exemples Combien y a-t-il de voitures en ce moment sur le parking derrière la rotonde?: simple, mais pas facile à connaître. L’univers a-t-il un commencement? Ni simple, ni facile à connaître Est-ce que j’existe? Simple et facile à connaître Démarche de Descartes (2): la méthode Quatrième règle: “de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre” D’après cette règle: il faut être exhaustif. Cela veut dire que si on réfléchit sur un certain domaine, il ne faut oublier aucun élément du domaine. Pour cela, il faut avoir des méthodes pour compter les éléments, et pour les nommer, pour bien les distinguer les uns des autres. Les quatre règles Première règle: “éviter soigneusement la précipitation et la prévention”. Deuxième règle: Diviser les difficultés “en autant de parcelles qu’il se pourrait, et qu’il serait requis pour mieux les résoudre.” Troisième règle: “conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés (...)” Quatrième règle: “de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre” Récapitulation La méthode est l’ensemble des règles qu’il faut suivre pour utiliser correctement son entendement (le “bon sens”). Il y a un ordre des choses. Connaître, c’est trouver cet ordre. La raison humaine est capable de trouver cet ordre. Finalement, qu’est-ce que la philosophie pour Descartes? C’est l’application raisonnée de son bon sens, tant pour les choses théoriques que pour les choses pratiques. Synthèse de la première partie Descartes veut établir une science rationnelle. Il propose une méthode: ce sont les règles qu’un esprit doit suivre pour bien utiliser son bon sens. Est rationnel ce qui doit être admis par un individu qui n’est influencé que par sa raison. Toute vérité non examinée doit être soumise au doute et examinée soigneusement. La philosophie, c’est le bon usage de la méthode, dans la pratique et dans la théorie. L’arbre de la philosophie 2. Le problème moderne de l’esprit et de la matière Intro et plan Le problème est celui de l’incompatibilité de deux thèses métaphysiques: Le dualisme et la causalité mentale. Nous allons donc expliquer tout d’abord le dualisme et la causalité mentale, pour ensuite indiquer en quoi il y a une incompatibilité entre ces deux thèses. A. Le dualisme L’esprit est plus facile à connaître que le corps: on doit donc partir de là. Il suffit de penser pour connaître que je pense. Il y a une seule chose dont je ne peux pas douter, c’est que je pense. Penser, savoir que l’on pense et savoir ce que c’est que penser sont une seule et même chose. On ne peut pas dire: “marcher, savoir que l’on marche et savoir ce que c’est que marcher sont une seule et même chose”. A. Le dualisme Penser, savoir que l’on pense et savoir ce que c’est que penser sont une seule et même chose: impossible de concevoir des cas où les trois éléments ne sont pas ensemble. On ne peut pas dire: “marcher, savoir que l’on marche et savoir ce que c’est que marcher sont une seule et même chose”. Pourquoi? On peut concevoir des cas où je marche sans savoir que je marche, et sans doute des cas où je sais que je marche, mais où je ne sais pas ce que c’est que marcher. → Rôle des expériences de pensée. A. Le dualisme A. Le dualisme Dualisme épistémique: même si la réalité est une, il existe deux modes d’accès indépendants. Par exemple: même si on parvenait à montrer que la douleur n’est rien d’autre qu’un état du SNC (état physique ou matériel), l’accès premier à la douleur (le ressenti), reste unique indépendant et différent d’une observation (par exemple avec un IRMf). Mais ce que je ressens et ce que j’observe grâce à l’IRMf sont la même chose. Dualisme ontique: la réalité n’est pas une. Ce que je ressens est différent d’un état matériel du SNC. A. Dualisme fort et dualisme faible. Alors que le dualisme ontique implique le dualisme épistémique, l’inverse n’est pas vrai. Le dualisme épistémique n’implique pas le dualisme ontique. On dira donc que le dualisme ontique est plus fort que le dualisme épistémique. On pourra également s’exprimer ainsi: Dualisme ontique: dualisme fort. Dualisme épistémique: dualisme faible. Le dualisme de Descartes est un dualisme fort. B. La causalité mentale. J’ai l’expérience d’une causalité mentale: Je pense que je veux lever mon bras et je lève mon bras. J’ai donc l’expérience que ma volonté de lever mon bras est la cause du mouvement de mon bras, Que quelque chose de MENTAL est la cause de quelque chose de PHYSIQUE. J’ai l’expérience de la causalité mentale dans l’autre sens. Cas de la douleur. Si mon doigt est piqué, je ressens une douleur. Quelque chose de PHYSIQUE est la cause de quelque chose de MENTAL Mais comment la causalité mentale est-elle conciliable avec le dualisme? C. Compatibilité causalité mentale/dualisme fort Comment un événement mental peut-il être la cause d’un événement physique? 1. la cause et l’effet doivent être dans le même espace. 2. Or, être dans l’espace, c’est être étendu. 3. Etre étendu, c’est pouvoir être divisé en plus petites parties. 4. Si A est la cause de B, alors A doit être divisible 5. Une penseé n’est pas divisible (on ne peut pas couper une pensée en morceaux) 6. Une pensée ne peut pas être la cause d’autre chose. Même raisonnement pour dire qu’une pensée ne peut pas être causée. C. Compatibilité causalité mentale/dualisme fort Comment un événement physique peut-il être la cause d’un événement mental? Comment un événement mental peut-il être l’effet d’un événement physique? - la cause et l’effet doivent être dans le même espace. - Or, être dans l’espace, c’est être étendu. - Etre étendu, c’est pouvoir être divisé en plus petites parties. - Si A est l’effet de B, alors A doit être divisible - Une penseé n’est pas divisible (on ne peut pas couper une pensée en morceaux) - Une pensée ne peut pas être l’effet d’autre chose. La causalité mentale est inconcevable. C. compatibilité du dualisme et de la causalité mentale Avant d’expliquer le deuxième argument d’incompatibilité, il faut introduire la notion de conservation de la quantité de mouvement. Quantité de mouvement = masse x vitesse. D’après Descartes, la quantité de mouvement de tout l’univers ne varie pas. Supposons une boule de billard A avec une quantité de mouvement q1 et une boule de billard B avec une quantité de mouvement q2, avant le choc. Après le choc, la boule de billard A a une quantité de mouvement q3 et la boule de billard B une quantité de mouvement q4 La loi de conservation énonce que: La quantité totale de mouvement est la même avant et après le choc. C. Compatibilité causalité mentale/dualisme P1. S’il est vrai que l’esprit affecte le corps, alors l’esprit doit produire une quantité minimale d’énergie (modifier la quantité de mouvement présente dans l’univers) P2. Une entité non-physique ne peut pas produire d’énergie. (la quantité de mouvement présente dans l’univers ne varie pas) ----------------------------------------------------Conclusion: il n’est pas vrai que l’esprit peut affecter le corps. Or nous avons l’expérience que l’esprit affecte le corps (je veux lever mon bras, je lève mon bras). Synthèse P1: Si le dualisme est vrai, alors l’esprit est une entité non-physique. P2:Une entité non-physique ne peut être ni la cause ni l’effet d’un événement physique Conclusion: L’esprit ne peut pas être la cause d’un mouvement du corps. Et les états mentaux ne peuvent pas être causés par des événements physiques. Or, la conclusion est fausse du point de vue de notre expérience. Nous avons l’expérience d’une causalité mentale, dans les deux sens: Du mental vers le physique, Du physique vers le mental. Un dilemme Comme le raisonnement est valide formellement, alors la seule possibilité, c’est que l’une des deux prémisses soit fausse: DILEMME: Ou bien le dualisme est faux, Ou bien une entité non-physique peut tout de même causer des événements physiques, et des événements physiques affecter une entité non-physique. Descartes tient au dualisme comme à la prunelle de ses yeux. Il choisit donc la deuxième branche du dilemme: Après tout, il se pourrait qu’une entité non-physique puisse causer des événements physiques, et des événements physiques affecter une entité non-physique. 3. La solution de Descartes L’interactionnisme de Descartes Donc: Ou bien on doit abandonner le dualisme Ou bien il faut défendre une certaine forme d’interaction entre l’esprit et le corps. L’interaction est une relation moins forte que la causalité: Causalité: entre événements physiques Interaction: entre entités physiques et entités non-physiques (comme l’esprit) L’interaction préserve l’indépendance de l’esprit et du corps. (différent du matérialisme). Comment l’interaction entre l’esprit et le corps est-elle possible? La notion d’interaction. Deux questions: 1°) Pourquoi la notion d’interaction entre l’esprit et le corps est-elle plus faible que la notion de causalité mentale? 2°) Pourquoi Descartes s’appuie-t-il sur une notion plus faible que la causalité mentale pour sortir du dilemme, et sauver le dualisme? Interaction et causalité: une image Le dualisme interdit, par exemple, que la douleur que je ressens soit l’effet au sens propre de la piqûre (par un moustique) ou de l’incision (par une petite lame). C’est un peu comme si une piqûre n’avait aucun moyen de se signaler auprès de l’esprit. (idée qui est contraire à l’expérience). Il y a bien un effet sur la peau, puis sur les capteurs de la douleur (les nocicepteurs), puis sur les nerfs afférents, puis sur le SNC… Mais cette chaîne causale se passe toute entière dans la matière. Comment le signal peut-il arriver à l’esprit? Comment la piqûre peut-elle se manifester à l’esprit sous la forme d’une douleur? Le problème du fossé Ce dessin de Sydney Harris résume un peu le problème. Même si je peux expliquer ce qui se passe du côté du corps, jusqu’à un certain point, et même si je peux expliquer ce qui se passe du côté de l’esprit, à partir d’un certain… Tout le problème est d’expliquer ce qui se passe entre ces deux points. Il y a un fossé entre les deux. Ce n’est pas juste qu’on ne peut pas se représenter ce qu’il y a de commun entre un état mental et un état physique. C’est juste qu’il n’y a sans doute rien de commun entre un état mental et un état physique. Un peu comme si des fantômes essayaient de construire un château de sable. Ou comme si vous essayiez, avec vos mains, de construire un mur avec de l’eau. C’est impossible dans les deux cas, car les fantômes, comme ils n’ont pas de corps solide, ne peuvent pas utiliser leurs corps pour offrir une résistance au sable. Et, comme l’eau est liquide, et non solide, la résistance que peuvent offrir nos mains est inutile dans le cas d’un liquide. http://www.chemindesjours.com/2016/ 09/chateaux-de-sable.html Alors qu’est-ce que la notion d’interaction apporte? Imaginons que nous apprenions que nos fantômes sont néanmoins capables de fabriquer des chateaux de sable. C’est surprenant! Comment expliquer cela: 1°) les fantômes ont finalement des mains solides; 2°) le miracle: c’est comme ça, les fantômes ont des pouvoirs qui défient les lois de la nature. 3°) Autre chose: les fantômes ont trouvé un moyen d’interagir avec la matière: par exemple, ils peuvent communiquer avec des humains bienveillants leurs intentions et leurs volontés, de manière suffisamment précise. Qu’est-ce que la notion d’interaction apporte? Dans ce cas: c’est que les fantômes ont “juste” trouvé un moyen de communiquer avec les humains (certains humains), et de se faire comprendre d’eux, de manière suffisamment précise, pour réaliser un chateau de sable. Dans ce cas: sans les intentions et les volontés des fantômes, il n’y aurait pas eu de chateau de sable. Mais c’est plus faible que la causalité. On ne peut pas trouver de chaîne causale ininterrompue qui aille des intentions et des volontés des fantômes jusqu’à la réalisation du chateau de sable… Le problème alors: c’est d’expliquer comment les fantômes et les humains peuvent communiquer, dans la mesure où la communication implique tout de même des transferts d’énergie. Mais disons que le problème est restreint et précisé... L’interactionnisme Oublions les histoires de fantômes et revenons à nos états mentaux et à nos états physiques. Descartes constate que nous avons une petite idée du lieu où cette interaction peut se produire. C’est le cerveau. En effet, c’est la seule partie du corps indispensable à la pensée. (On n’a pas toujours pensé que le cerveau était le siège de la pensée. Aristote, par exemple, pensait que c’était le coeur). Descartes avait déjà l’idée d’un système nerveux centralisé, le centre étant le cerveau. Par ailleurs, il y a au centre du cerveau un certain organe qu’il appelle la glande pinéale. L’interactionnisme A partir des observations physiologiques, et de la place centrale de la glande pinéale dans le cerveau, Descartes en déduit que c’est sans doute là que se trouve l’organe de communication (et de traduction) entre l’esprit et le corps. C’est une déduction purement analogique. Descartes part de l’idée que les centres de commandement des ordres et de réception des informations doivent occuper un centre de symétrie. C’est sans doute par analogie avec la manière dont cela se passe pour les institutions humaines. Mais il n’y a rien de décisivement scientifique là-dedans. Cela reste néanmoins une intuition géniale: il y a une partie du corps qui est consacré à la transformation des informations et à leur redistribution. C’est sans doute la base du connexionnisme (cf. Google) La glande pinéale. Les nerfs transmettent un mouvement. Ce mouvement se transmet à la glande pinéale. La glande pinéale est alors disposée d’une certaine manière. Cette manière d’être disposée correspond à un état mental (sentir que l’on a mal au doigt, par exemple). Dans le sens inverse, cela marche également. Cela se passe dans les parties “les plus intérieures” du cerveau. Difficultés Descartes ne résoud pas les deux principaux problèmes: - Comment l’interaction est-elle possible sans que quelque chose de cette entité non-physique, l’esprit, se trouve quelque part? Et comment cette présence dans le monde physique d’une entité non-physique est-elle concevable? - Comment, dans le cas de l’action de l’esprit sur le corps, l’esprit peut-il créer une énergie propre à provoquer un mouvement de la glande pinéale? Mais il est le premier à avoir voulu défendre une conception métaphysique (le dualisme) en prenant au sérieux les données de la nouvelle science de la matière.