2010-2011 : institutions
et conflits d'intérêts...
La publication de cet éditorial coïncida avec l’explosion du
scandale de Médiator®, une affaire hors norme qui mit en
lumière un système réglé par les firmes pharmaceutiques.
Mais d’autres événements ont joué un rôle. En 2008, ce
sont les généralistes qui participaient à la recommandation
de la HAS qui refusèrent de signer celle-ci, au motif d’un
désaccord majeur tant sur la mise en œuvre d’un diagnostic
précoce que sur la recommandation de prescription systé-
matique de ces traitements. Cet événement, hélas passé
sous silence, figure dans l’argumentaire de mon rapport [3].
En mars 2009, l’association Formindep demanda le retrait
de cette recommandation de la HAS. Après le refus de la
HAS, le Formindep formula un recours en conseil d’État, qui
aboutit au retrait de la recommandation annoncé le 18 mai
2011 au cours de l’émission le téléphone sonne sur France
Inter [8].
Ces divers éléments ont en commun d’avoir mis sous le
puissant éclairage médiatique une gestion inadéquate des
conflits d’intérêts par les institutions. À cela s’est ajoutée
une nécessité de transparence des débats. Dans le post-
Médiator®immédiat, au cours des assises du médicament,
a émergé la nécessité de filmer et de rendre publics cer-
tains débats de santé publique3. La HAS décida exception-
nellement de filmer et de rendre publics les débats de la
commission de la transparence du 20 juillet et du 19 octo-
bre 2011, sur ce thème très attendu des médicaments anti-
alzheimer4.
En Angleterre, les choses se passèrent de manière radicale-
ment différente. En 2010, le NICE (équivalent anglais de la
HAS) a assoupli sa position sur la base de prétendues nou-
velles données favorables aux médicaments [9]. Il est proba-
ble que le procès fait au NICE en 2007 [1] par les défendeurs
de ces médicaments ait pesé dans ce revirement. En effet,
en France en 2011, les mêmes firmes pharmaceutiques de-
mandèrent le maintien d’une cotation favorable, car il n’y
avait pas de données nouvelles ! En regardant de près la
recommandation du NICE, je découvris notamment que les
données sur les effets secondaires de ces médicaments
n’avaient quasiment pas été prises en compte [3].
Ajoutons que les axes stratégiques institutionnels ne concer-
naient pas ces médicaments. Si les mesures de prévention
de la iatrogénie étaient prévues dans la mesure 15 pilotée
par la HAS du plan Alzheimer, les efforts ont été concentrés
sur les neuroleptiques. L’assurance-maladie avait quant à
elle, via la ROSP, axé ses efforts sur les benzodiazépines et
les vasodilatateurs.
Les arguments des défendeurs
de ces médicaments
À partir du 15 septembre 2011, à la veille de la Journée Mon-
diale pour la Maladie d’Alzheimer, c’est la menace d’une
baisse de remboursement qui fut au centre des propos de
plusieurs leaders d’opinions. En premier sur Europe 1, Jean-
Pierre Olié s’inquiétait d’une « rumeur qui va devenir réalité »,
c’est-à-dire d’un moindre remboursement de ces médica-
ments. À sa suite, Jacques Touchon prévenait : «Si la
commission de la transparence confirme sa position, ce serait
scandaleux et je m’y opposerai. Je rassemblerai les patients
et les médecins pour qu’ils se positionnent », et déplorait
également les effets « d’un lobby anti-médicament après l’af-
faire Mediator®». D’autres comme Bruno Dubois ou Bernard
Croisille ont tenu des propos quasi identiques. Dans une tri-
bune dans Le Monde, le 19 septembre, Christophe Trivalle
poussait plus loin l’argument : « Si on enlève ces médica-
ments (déremboursement ou SMR faible), l’effet domino est
évident et prévisible : à quoi cela sert-il de faire un diagnostic
s’il n’y a plus de traitement ? Pourquoi adresser un patient à
un Centre Mémoire ? Pourquoi faire un suivi si on ne fait rien ?
C’est la disparition assurée des Centres Mémoire, des ré-
seaux et de la recherche [...] Si on supprime ces médica-
ments, la France sera le premier pays qui verra ainsi disparaî-
tre la maladie d’Alzheimer, car plus personne ne fera de bilan
diagnostique pour une pathologie sans aucun traitement. »
À la veille de la journée mondiale de la maladie d’Alzheimer
de 2013, le constat dressé dans Le Monde [6] est sans ap-
pel : une baisse de 27,8 % des prescriptions et de 49 % du
chiffre d’affaire de ses médicaments. Le discours des défen-
deurs a peu changé. Pour Aurore Burlaud, dans Le Monde,
il y a une « possible perte de chance » en cas de non-pres-
cription de ces médicaments, tandis qu’au Figaro, Florence
Pasquier déclare : « La démarche de la France va à rebours
du reste du monde : les spécialistes étrangers prescrivent
volontiers les anti-Alzheimer... »
Des mesures
d'accompagnement
expliqueraient-elles
cette baisse ?
La baisse de la prescription de ces médicaments n’était au
programme ni des mesures du plan Alzheimer, ni même de
l’assurance-maladie (il n’y a pas d’indicateur de prime à la
performance sur ce thème). Il n’y a pas eu non plus de plan
de formation mis en œuvre. Nous avons en novembre 2013
interrogé l’Organisme Gestionnaire du Développement Pro-
fessionnel Continu (OGDPC) et des associations nationales
comme l’Unaformec ou MG Form qui font état de quelques
formations ayant concerné moins de 200 médecins en tout
et du manque de demande des médecins.
C’est donc hors de ces chemins fléchés et financés que
l’amélioration des pratiques eut lieu. Il ne m’est pas possible
3. La Revue Prescrire avait demandé que les débats soient filmés. Une absence
de budget avait été argumentée par les organisateurs. Le docteur Philippe
Foucras, président du Formindep s’est vu interdire de participation et menacé
de poursuite pour avoir filmé un débat sur la transparence. Dominique Dupagne
et le Formindep ont de ce fait quitté ces assises. La médiatisation de cette affaire
a permis de trouver les budgets nécessaires. Voir : http://www.sante.gouv.fr/
IMG/pdf/Contribution_du_FORMINDEP_du_15_mars_2011-2.pdf
4. Les vidéos de la commission de la transparence : http://www.has-sante.fr/
portail/jcms/c_1107930/videos-commission-de-la-transparence-2011
80 MÉDECINE février 2014
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