alcool et troubles mentaux alcohol and mental disorders

Numéro 10 -Premier trimestre 2006 /
10th Issue - First quarter 2006
Institut de Recherches Scientifiques
sur les Boissons
ALCOOL ET TROUBLES MENTAUX
Abus, dépendance, troubles thymiques et anxiété
ALCOHOL AND MENTAL DISORDERS
Abuse, dependence, mood disorders and anxiety
Principaux résultats de l’étude NESARC
(National Epidemiologic Survey on Alcohol and Related Conditions, Etats-Unis -
Enquête épidémiologique nationale sur l’alcoolisme et les affections apparentées)
Avec une interview du Professeur Jean Adès, chef de service Psychiatrie adultes, CHU Louis Mourier (Colombes)
par le Professeur Philip Gorwood, psychiatre au CHU Louis Mourier,(Colombes)
et membre du comité scientifique de l’IREB
NESARC main results (National Epidemiologic Survey on Alcohol and Related Conditions, USA)
Including an interview with Professor Jean Adès, Head of the Adult Psychiatry Department,
Louis Mourier University Hospital Centre (Colombes)
byProfessor Philip Gorwood, psychiatrist atthe Louis Mourier University Hospital Centre, (Colombes)
and member of the IREB Scientific Committee
1
our les psychiatres, en première ligne dans la prise en charge des malades
alcooliques, l’enquête NESARC constitue un évènement majeur. Elle remet en
cause quelques repères jusqu’ici couramment admis. C’est la raison pour
laquelle le professeur Gorwood (psychiatre et membre du comité scientifique de
l’IREB) a souhaité interroger le professeur Adès, psychiatre, chef de service au CHU Louis
Mourier de Colombes (92), au sujet de cette étude.
Pour le lecteur non averti, il importe de rappeler que l’enquête fait appel à des notions parfois
complexes mais correspondant à des éléments tangibles. Ainsi, “abus” et “dépendance” liés
àune substance, ne sont pas à lire au sens commun ; en psychiatrie, ces notions renvoient
àdes critères précis qui permettent de “classer” les sujets dans la bonne catégorie.
L’utilisation de ces critères s’avère néanmoins cruciale dans la mesure où il n’existe pas de
tests biologiques permettant de dire si un sujet abuse d’une substance ou s’il en est dépendant.
NESARC est une enquête réalisée auprès d’un échantillon de la population générale aux
Etats-Unis. Elle n’a pas été réalisée auprès de malades alcooliques, c’est pourquoi les
résultats peuvent paraître surprenants.
L’enquête met en lumière deux idées majeures :
- on peut être dépendant à une substance (notamment l’alcool) sans nécessairement avoir
abusé de ce même produit ;
-les troubles de l’humeur ou de l’anxiété peuvent perdurer même après le sevrage d’une
substance, indiquant que le lien causal entre consommation d’une substance et trouble
mental n’est pas systématique.
Intéressante à bien des égards, elle pose également le problème de la définition d’un seuil
au-delà duquel on peut considérer le sujet comme “malade”…
Marie Choquet,
Directeur de recherche INSERM
et vice-présidente du comité scientifique de l’IREB.
PRÉFACE
P
2
1. Grant B.F., Stinson F.S., Dawson D.A., Chou S.P., Dufour M.C., Compton W., Pickering R.P., Kaplan K. Prevalence and
Co-occurrence of Substance Use Disorders and Independent Mood and Anxiety Disorders. Results From the National
Epidemiologic Survey on Alcohol and Related Conditions. Arch. Gen. Psychiatry 2004, vol.61 n°8, p. 807-816.
2. Existence concomitante d'une affection ou d'un facteur qui n'est pas lié à la maladie pour laquelle une personne reçoit des
soins, mais qui a des conséquences sur les chances de survie du malade.
3. Qui concerne les dispositions affectives, l'humeur en général.
4. Classification par catégorie des troubles mentaux fondés sur un ensemble de critères avec des propriétés définies.
Elle est produite par l'Association Psychiatrique Américaine.
5. Forme de dépression chronique caractérisée par un trouble de l'humeur de type dépressif.
6. Etat d’excitation passager ou habituel qui se caractérise par une humeur expansive, la surabondance des idées et des propos
et une certaine exubérance.
7. Peur irraisonnée liée au fait de se retrouver dans des grands espaces ou au milieu d’une foule (salles de cinéma, files
d'attente, trains, bus).
NESARC
NATIONAL EPIDEMIOLOGIC SURVEY ON ALCOHOL AND RELATED CONDITIONS1
POUR MIEUX COMPRENDRE…
NESARC est une étude épidémiologique qui a été conduite par le National Institute
on Alcohol Abuse and Alcoholism, National Institutes of Health (NIAAA-NIH, Etats-
Unis) en deux vagues, 2001-2002 et 2004-2005. L’étude a pour objectif de mesurer la
prévalence et la comorbidité2des troubles liés à l’utilisation de substances
(essentiellement l’alcool) et les pathologies psychiatriques parmi lesquels les troubles
thymiques3et anxieux selon les critères du DSM-IV (Diagnostic and Stastistical manual of
Mental disorders)4.
Pour ce faire, l’étude distingue les troubles psychiatriques indépendants (préexistants
et autonomes) de ceux induits par une substance (secondaires et consécutifs à la
dépendance). Tous les troubles thymiques ou anxieux dus à des affections médicales
(constatées par un médecin) ou provoqués par un deuil, ont été exclus.
Les “substances” considérées sont les suivantes : alcool, médicaments, sédatifs, tran-
quillisants, opiacés, amphétamines, hallucinogènes, cannabis, cocaïne, solvant/inhalant.
L’étude est basée sur 9 troubles thymiques et anxieux indépendants classés de la
manière suivante :
Troubles de l’humeur :
Dépression majeure
Dysthymie5
Manie
Hypomanie6
Tout trouble anxieux :
Trouble panique avec agoraphobie7
Trouble panique sans agoraphobie
Phobie sociale
Phobie spécifique
Trouble anxieux généralisé
3
MIEUX ANALYSER LES LIENS COMPLEXES QUI UNISSENT PATHOLOGIE
ADDICTIVE ET PATHOLOGIE PSYCHIATRIQUE
L’étude a rassemblé plus de 40 000 sujets américains incluant les régions de l’Alaska, des
Iles Hawaï et du district de Columbia. Tous ont été interrogés en face-à-face entre 2001 et
2002. Cette enquête est la plus large jamais réalisée sur ce sujet et dresse un tableau
représentatif de la situation des Etats-Unis. Surtout, c’est la première étude à se focaliser
sur la question de la comorbidité, en général mal exploitée dans les grandes études
épidémiologiques américaines récentes
(Epidemiological Catchment Area, National
Comorbidity Survey)
.
La présence d’une comorbidité addictive rend en effet les entretiens plus compliqués
et plus longs du fait de la multiplicité des diagnostics dont la personne interrogée n’a
pas forcément conscience. Les réponses sont également moins fiables eu égard au
phénomène de déni souvent inhérent à la dépendance, mais également à cause du
manque de maîtrise des dates, de la sévérité et de l’intrication des symptômes par les
patients.
Le taux de réponse globale a atteint les 81% et les tests de fiabilité se sont révélés
concluants.
Les enquêteurs devaient justifier de 5 années d’expérience et ont bénéficié de 10 jours de
formation intensive. Les coordinateurs se sont chargés de la vérification des données et
de la qualité du travail.
L’étude NESARC a déjà fait l’objet d’une vingtaine de publications dans les plus grands
journaux, dont une demi-douzaine d’articles dans les
Archives of General Psychiatry
et
dans le
JAMA
(the Journal of the American Medical Association). Notons que l’un de
ces articles a été traduit dans la version française des
Archives of General Psychiatry
,
(www.jama-francais.com)8.
QU’EST-CE QUE “L’ABUS” ? QU’EST-CE QUE LA “DÉPENDANCE” ?
Le DSM-IV propose une description extrêmement précise de ces deux notions, essentielles
dans l’étude NESARC. Au sein de la catégorie “Troubles liés à une substance”, le manuel
distingue les troubles induits par une substance (intoxication, sevrage, delirium,
démence, trouble psychotique, trouble de l’humeur, etc.) et les troubles liés à l’utilisation
d’une substance (abus ou dépendance).
La dépendance à une substance se caractérise ainsi par un ensemble de manifestations
comportementales et physiologiques indiquant que le sujet continue à utiliser la
substance malgré des problèmes significatifs liés à la substance. La dépendance suppose
8. Grant B.F., Stinson F.S., Dawson D.A., Chou S.P., Dufour M.C., Compton W., Pickering R.P., Kaplan K. Prévalence
et co-existence des troubles liés à l'utilisation d'une substance et des troubles anxieux et thymiques indépendants.
Résultats de l'Enquête NESARC. Arch. Gen. Psychiatry janvier 2005, p. 77-89.
4
l’apparition d’au moins trois des symptômes ci-dessous à un moment quelconque au
cours d’une période continue de douze mois9:
1) tolérance définie par l’un des symptômes suivants :
a. besoin de quantités notablement plus fortes de la substance pour obtenir une
intoxication ou l’effet désiré
b. effet notablement diminué en cas d’utilisation continue d’une même quantité de la
substance
2) sevrage caractérisé par l’une ou l’autre des manifestations suivantes :
a. syndrome de sevrage caractéristique de la substance
b. la même substance (ou une substance très proche) est prise pour soulager ou éviter
les symptômes de sevrage
3) la substance est souvent prise en quantité plus importante ou pendant une période
plus prolongée que prévu
4) il y a un désir persistant, ou des efforts infructueux, pour diminuer ou contrôler
l’utilisation de la substance
5) beaucoup de temps est passé à des activités nécessaires pour obtenir la substance
(exemple : consultation de nombreux médecins ou déplacements sur de longues
distances), à utiliser le produit (exemple : fumer sans discontinuer), ou à récupérer de ses
effets
6) des activités sociales, professionnelles ou de loisirs importantes sont abandonnées ou
réduites à cause de l’utilisation de la substance
7) l’utilisation de la substance est poursuivie bien que la personne sache avoir un
problème psychologique ou physique persistant ou récurrent susceptible d’avoir été
causé ou exacerbé par la substance (par exemple, poursuite de la prise de la cocaïne bien
que la personne admette une dépression liée à la cocaïne, ou poursuite de la prise de
boissons alcoolisées bien que le sujet reconnaisse l’aggravation d’un ulcère du fait de la
consommation d’alcool).
9. American Psychiatric Association. DSM-IV : manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Masson ; 1996, 918 p.
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