17
RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme
n°2 - NE - mai-juin-juillet 2012 - VARIA
El Mehdi LAMRANI1
Résumé
Le présent article cherche à contribuer à l’étude des déterminants de la gestion
du résultat comptable. Son apport consiste à appréhender cette dimension de la
politique comptable des entreprises selon la seule perspective éthique. La gestion
du résultat, bien qu’elle s’effectue dans le cadre légal, elle s’écarte des principes
de la comptabilité (sincérité, régularité et image fidèle) et trouve ses motivations
(parfois contradictoires) dans les relations contractuelles entres les dirigeants et les
parties prenantes. Ainsi, nous mettons en exergue l’importance du facteur éthique et
soulignons sa complexité. Il s’agit de proposer une autre approche théorique pour
appréhender et comprendre ce phénomène. L’analyse de la gestion du résultat à la
lumière de l’éthique permet de relativiser et d’atténuer la dimension opportuniste,
offrant ainsi une grille de lecture et d’analyse des agissements des acteurs de la
comptabilité sensiblement différente de ce qu’une grande partie des travaux antérieurs
ont développé. En effet, l’appréciation des acteurs de l’information comptable est
différente. En conséquence, la gestion du résultat est parfois guidée par le sentiment
de bien faire (un sentiment éthique). Il convient donc de parler de gestion éthique du
résultat comptable.
Mots clés
Gestion du résultat – Éthique – Image fidèle
Abstract
The purpose of this document is to examine how ethics may earn management. It
focuses on ethical considerations and standards in corporate accounting policies.
Earning management, while totally within the law tends to distance itself from the
fundamentals of accounting (fairness, accuracy, truthfulness) and is usually driven
by what interests may be at stake , the management’s and the shareholders’. We wish
to highlight the pivotal significance of ethical issues and to caution on its complexity.
Grasping the full extent of earning management and its consequences may well take
a entirely new theoretical approach. The analysis of the earning management in
the light of the ethics allows to put in perspective and to lessen the opportunistic
dimension, thus offering an interpretation and analysis of corporate accounting
significantly different from what previous contributions have largely shown. Views
may indeed differ. Earning management is sometimes guided by virtue (an ethical
feeling). So there can be such a thing as ethical earning management.
Keywords
Earning management - Ethics - True and fair view
1 - Doctorant sciences de gestion - CEDAG (EA 1516) Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité
Éthique et gestion du résultat comptable
18
Éthique et gestion du résultat comptable - El Mehdi LAMRANI
RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme
n°2 - NE - mai-juin-juillet 2012 - VARIA
Introduction
Les scandales financiers2 des années 2000 ont été source d’interrogations
dans plusieurs travaux académiques en comptabilité. Les auteurs se sont
notamment interrogés sur l’ampleur des comportements discrétionnaires
des dirigeants en matière d’information comptable et financière diffusée par
les entreprises. La comptabilité en tant que représentation objective d’une
réalité économique s’est retrouvée en manque de légitimité. Elle continue à
faire l’objet de toutes les attentions, particulièrement auprès du grand public
qui a découvert la fragilité de son impartialité et de son objectivité (Lambert
et Sponem, 2003). Un mouvement législatif a été engagé et les auteurs
identifiés des manipulations réalisées ont été juridiquement sanctionnés.
Néanmoins, on peut se demander si ces démarches juridiques et législatives
sont suffisantes pour que le système soit durablement sécurisé. La recherche
comptable, à travers la théorie positive de la comptabilité (TPC), a examiné
les manipulations comptables dont la gestion du résultat3 sous un angle
exclusivement économique. Les approches compréhensives et sociologiques
ont été peu adoptées (Lambert et Sponem, 2003 ; Macintosh, 1995). Dans
cette optique, nous optons dans cet article pour une perspective explicative
et compréhensive afin de mettre en exergue la dimension éthique dans la
gestion du résultat. Cette dernière est étroitement liée à la discrétion laissée
aux dirigeants du fait de l’existence de choix comptables. Elle se fait dans le
respect de la réglementation comptable. Ses déterminants développés dans
la littérature académique4 placent l’individu au centre des mécanismes de
production et de contrôle de l’information financière. En effet, la comptabilité
comme « élément du jeu social » mène immédiatement à un questionnement
éthique. En conséquence, nous nous intéresserons particulièrement à
l’éthique des « acteurs » de la gestion du résultat (producteurs et utilisateurs
de l’information comptable) avec comme objectif d’apporter des éléments de
réponse à la question de recherche suivante : la gestion du résultat comptable
peut-elle être éthique ?
Le résultat comptable constitue une faible proportion de l’information
financière globale fournie par les entreprises cotées. Néanmoins, il est une
composante essentielle de l’information diffusée aux marchés financiers
(Lakhal, 2006). C’est un élément important qui permet aux différentes
parties prenantes de pouvoir juger la performance financière de l’entreprise.
Sa qualité est définie comme la capacité de celui-ci à refléter fidèlement
la performance économique (Raffournier, 2009). Dans des pays comme
2 - Enron, Tyco et WorldCom aux États-Unis, Vivendi-Universal en France, Nortel au Canada, Parmalat
en Italie et Ahold aux Pays-Bas.
3 - Bien qu’il n’existe pas de consensus sur le sujet, nous retenons ici pour la gestion du résultat la définition
suivante (Jeanjean 2002) : « l’utilisation de la flexibilité du modèle comptable afin de répartir dans le temps
la sécrétion du résultat pour répondre aux enjeux légaux, économiques et organisationnels de la firme ».
4 - Pour une revue de la littérature complète des incitations et contraintes de la gestion du résultat, voir les
travaux de Mermousez (2009), Mard (2002) et Jeanjean (2001, 2002).
19
RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme
n°2 - NE - mai-juin-juillet 2012 - VARIA
Éthique et gestion du résultat comptable - El Mehdi LAMRANI
la France5, le résultat comptable serait avant tout considéré comme une
richesse à partager entre les diverses parties prenantes de l’entreprise sous
forme de dividendes (actionnaires), d’impôts (État), et de primes (salariés
et dirigeants). En revanche dans des pays comme les États-Unis6, l’objectif
de la comptabilité est de servir les besoins des investisseurs. Ces derniers
étant avant tout intéressés par la capacité du résultat à refléter fidèlement la
performance économique réelle de l’entreprise. Dans tous les cas, Il y a une
préférence pour un résultat non manipulé, incorporant immédiatement les
bonnes et les mauvaises nouvelles. L’objectivité du résultat comptable étant
impossible et la norme incertaine, l’éthique doit prendre le relais. C’est la
signification profonde de la notion britannique de true and fair view traduite
de façon raccourcie et ambiguë en français par « image fidèle » (Colasse,
2007). À défaut d’être vraie (true), l’image de l’entreprise produite par la
comptabilité doit être loyale (fair). L’éthique est ainsi convoquée pour pallier
les insuffisances éventuelles de la technique.
Avant de développer la dimension éthique des professionnels de la
comptabilité (2), nous développerons la considération éthique dans la pratique
de gestion du résultat (1). Ainsi, en nous basant sur des études qualitatives7,
peu nombreuses, nous essayons de porter un regard éthique sur la gestion du
résultat.
1 - La gestion du résultat comptable comme source de questionnements
éthiques
Pour traiter de l’éthique, il convient au préalable de préciser cette notion par
rapport à d’autres qui bien qu’elles soient voisines restent fondamentalement
différentes : la morale et la déontologie. La morale « correspond à la
démarche par laquelle un individu se conforme à des règles ou des normes
préétablies pour déterminer ce qui est bien ou mal » Claude (2002, p. 50).
Selon Even-Granboulan (1998, p. 14), elle est « la recherche de la part de
l’individu de règles d’action universelles, c’est-à-dire valides en tout temps
et en tout lieu ». L’auteure définie également la déontologie comme « un
ensemble de règles d’action propres à un groupe professionnel précis »
(p. 16) et l’éthique comme « un ensemble de règles d’action collectives,
relatives à une société et à une époque donnée » (p. 15). Claude (2002, p. 51)
souligne que « l’approche éthique considère que l’idéal de qu’il est bon de
faire procède d’une construction personnelle ». Pour Claude (2002, p. 51),
« l’éthique est plus pragmatique que la morale, dans la mesure elle peut
représenter une démarche progressive, alors que la morale positionne chacun
d’une façon plus absolue dans le champ du bien ou dans celui du mal ». En
effet, la question de l’éthique est universelle et permanente. Contrairement à
5 - Dans les pays de droit codifié (France, Allemagne, Japon).
6 - Dans les pays de droit coutumier (États-Unis, Canada, Royaume-Uni et Australie).
7 - Bruns et Merchant (1990) ; Lambert et Sponem (2003) ; Graham et al. (2005).
20
Éthique et gestion du résultat comptable - El Mehdi LAMRANI
RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme
n°2 - NE - mai-juin-juillet 2012 - VARIA
la morale, l’éthique est amenée à avoir un contenu qui évolue (Honoré, 1999).
En comptabilité, l’éthique8 « serait alors un ensemble de règles collectives
relatives à une société et à une époque donnée. La « collectivité » concernée
serait l’ensemble des professionnels de la comptabilité et des utilisateurs
des documents de synthèse » (Honoré, 1999, p. 123). L’auteure ajoute « que
l’éthique se différencie de la déontologie, d’application plus réduite, compte
tenu des différents corps professionnels composant la « collectivité » » (p.
124). Dans cette perspective, elle considère que le concept d’image fidèle
relève bien de l’éthique, ce qui n’est ni un concept moral, ni un concept
déontologique. En effet, l’image fidèle conditionne, selon Honoré (1999),
les pratiques et comportements d’individus appartenant à une « collectivité »
faites de corps professionnels différents. Si la déontologie comptable pose
le problème du rapport des règles à la profession, la comptabilité comme
jeu social pose celui du questionnement éthique (Pesqueux, 2000). Ainsi,
l’éthique telle que nous l’envisageons dans cet article est l’éthique au sens
d’éthique personnelle. Elle part de l’individu et concerne la façon dont il peut
se construire une bonne conduite en situation professionnelle. Bien entendu
les réflexions et les pratiques occasionnées par l’éthique dans les affaires
nourrissent l’éthique personnelle (Claude, 2002). Mais l’éthique dans les
affaires n’aborde pas de front la manière dont chaque acteur de la production
et du contrôle de l’information comptable peut viser une bonne conduite.
1-1 L’image fidèle : une conception de l’éthique mieux appropriée à
la gestion du résultat
Les normes comptables visent à mettre en lumière le chemin à suivre pour
atteindre l’objectif d’image fidèle de la comptabilité. Leur correcte application
semble donc essentielle et fait l’objet de deux principes supplémentaires,
qualifiés de principes éthiques : le principe de régularité d’une part, et le
principe de sincérité d’autre part. Selon le principe de régularité, le respect
des normes comptables revêt un caractère obligatoire. Ces dernières ne
constituent pas une simple référence que l’on pourrait choisir d’ignorer. Sauf
exception, il n’est pas question d’y déroger. Elles doivent être appliquées
à la lettre. Ceci est toutefois insuffisant. En effet, pour comptabiliser un
événement donné, il arrive que plusieurs solutions puissent être envisagées.
Il faut donc non seulement respecter les normes, mais aussi le faire de
bonne foi et choisir celles qui reflèteront au mieux la réalité économique de
l’entreprise. Tel est le principe de sincérité. Respectés, ces deux principes
sont censés garantir l’atteinte de l’objectif d’image fidèle.
8 - Bien qu’il n’existe pas de définition consensuelle de l’éthique nous retenons celle de Mercier (2002,
p. 34), l’éthique est « la réflexion qui intervient en amont de l’action. C’est une recherche identitaire qui a
pour ambition de distinguer, par une réflexion personnelle, la bonne et la mauvaise façon d’agir, elle vise
donc à atteindre une sagesse de l’action. Les notions relatives de bon ou mauvais se forgent à partir du
système de valeurs et des attitudes des acteurs. ».
21
RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme
n°2 - NE - mai-juin-juillet 2012 - VARIA
Éthique et gestion du résultat comptable - El Mehdi LAMRANI
Le PCG 19829 (en son titre I) indiquait ainsi : « A effet de présenter des états
reflétant une image fidèle de la situation et des opérations de l’entreprise,
la comptabilité doit satisfaire, dans le respect de la règle de prudence, aux
obligations de régularité et de sincérité ». L’image fidèle de la situation
financière d’une entreprise exige donc que les documents comptables soient
établis dans le respect des principes de régularité et de sincérité. Dans
certains cas, la gestion du résultat comptable se fait en violation du principe
de sincérité, comme le soulignent Breton et Taffler (1995, p. 82) : « Bien
que les états financiers gérés soient rigoureusement conformes à la loi et aux
règles comptables, ils ne respectent pas toujours leur esprit ». La réflexion
sur la gestion du résultat conduit à s’interroger sur la place de l’éthique en
comptabilité.
Les postulats comptables émanent d’un univers économique et financier
la vertu première semble être l’efficacité (Honoré, 1999). Ainsi, l’AICPA10
mentionne que « la comptabilité financière vise à refléter les aspects de
l’environnement économique et financier dans lequel elle opère ». Ce type
d’encadrement ne peut que favoriser la maximisation des intérêts individuels,
parfois divergents, des agents-utilisateurs-producteurs des informations
comptables et financières, et créer des pressions ou conflits sur la définition
même des normes au sein des organismes de normalisation, ou sur le choix de
la politique comptable au sein des entreprises. Un tel environnement pour la
comptabilité peut sembler contradictoire avec une finalité éthique supposant
la prise en compte, au moyen d’un « instrument » de régulation, de l’intérêt
général, c’est-à-dire du « plus grand commun rassembleur » des intérêts de
toutes les parties prenantes. Il semble donc que « l’éthique a quelque chose à
dire à la comptabilité » Pesqueux (2000, p. 676). En effet, l’élément éthique,
parce qu’il est difficile à appréhender, peut se situer non pas au niveau des
postulats de base des théories comptables, mais au niveau des objectifs de
la comptabilité. Le PCG (1999) place désormais l’image fidèle au rang de
l’unique objectif de la comptabilité. Il s’agit bien, en effet, d’une notion
d’ordre éthique rappelant d’avantage les règles du jeu, dotée d’une logique
particulière plutôt que les directives d’un code de bonne conduite. L’image
fidèle se positionne simultanément comme concept éthique de la comptabilité
et élément central de la représentation économique, grâce auquel peuvent être
conciliées les contradictions du cadre comptable. Ceci lui donne alors une
dimension supérieure et finalisante. La question d’une éthique comptable est
loin de représenter un effet de mode. Elle est héritière du débat éthique mené
en économie. En effet, la comptabilité est en partie subordonnée à l’économie
(Honoré, 1999), l’économie politique intégrant les individus et leurs calculs
9 - Contrairement à la prudence, la régularité et la sincérité, l’image fidèle n’est curieusement pas définie
dans la terminologie du plan comptable 1982. Rappelons qu’à la suite de la réforme, la partie du PCG 1982
consacrée à la terminologie n’a pas été reprise dans le PCG 1999.
10 - American Institute of Certified Public Accountants.
1 / 16 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !