Santé publique
2008,volume 20,n° 5,pp. 455-464
ÉTUDES
Correspondance:
J.Jadot
Réception :
17/07/2006
Acceptation :
08/07/2008
Incapacitédetravail temporaire
et troublesanxio-dépressifs
Incapacity toworkand anxiety-depression disorders
JeanJadot(1)
Résu:Partantduconstatdune augmentation de lafréquencede l’étatd’incapacitéde
travail pour trouble psychique en Belgique,l’article aborde lescaractéristiquesdicales,
psychologiquesetdémographiquesdun échantillon de262 personnes setrouvantdans
cettesituation. La population àl’étudesesignale par une fréquence élevée detroublespoly-
morphesassociant syndromesanxio-dépressifset somatisations.Dansla discussion,
l’auteur interroge le caractère floudeces troublesen regard desaspects sociodémographi-
quesde l’échantillon etdesconcepts cliniquesde macrosyndrome psychique etdedémora-
lisation.
Mots-cs:
Incapacitédetravail - anxté - dépression - macrosyndrome - démoralisation.
Summary:
Basedon the observation thatan increasing numberof people in Belgiumare
unable towork for reasons relatedto mentaldisorders,thisarticle addressesmedical,
psychologicaland demographic characteristicsof asample of 262 persons who findthem-
selvesin this situation. Thisoutpatientcommunity ischaracterized byhigh prevalence of
depression, anxiety andpsychosomatic disorders of manyforms.The article discussesand
questions the polymorphism of thesedisorders withregardtosocio-demographic characte-
risticsof the sample population and clinicalconcepts of thismacro psychicsyndrome and
demoralization.
Keywords:
Incapable of work - anxiety -depression - macrosyndrome - demoralization.
(1) RuedesLibellules,41. 4100 Boncelles.Belgique.
J.JADOT
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Introduction
Le nombrede patients belgesen incapacitédetravail pour le motif detrouble
psychiqueconnaîtdepuisplusieurs années unaccroissement remarqué parles
acteurs sociaux.Leschiffresdonnésparl’Institut nationaldesAccidents, Mala-
diesetInvalidités(INAMI) montrent une haussesignificativede 15 % (de 175766
à200 703)dunombretotald’invalidités(employésetouvriers) entre 1998 et
2003.Pour cette même période,l’augmentation est respectivementde 18 % chez
lesfemmesetde 4 % chezleshommes.Àtitredecomparaison,entre 1992et
1997,lahausse n’avaitété quede 4 % (6500 unités). Ilsembleraitque l’aug-
mentation grimpe d’environ 2à3%chaqueannée. Lesouvriers sontplus tou-
csque lesemployésparce phénomène de l’incapacité etde l’invalidité. Ce
sont surtout lespathologiespsychiquesquisonten augmentation :entre 1998
et 2003, ce groupe de pathologiespassede 50 047 unitésà63 904 (+ 27 %). On
remarque quàpartirde 40ans, de nombreux travailleurs sortentdumarcdu
travail en raison detroublespsychologiquesetde la dépression en particulier.
LINAMI répertorie lesinvaliditésen 17catégories.Cependant,lesinformations
relativesàla catégorie trouble psychiquesont sommaires ; pour preuve,il n’est
pasfaitdedifférence entre les sexesquantàla différenciation des troubleset
l’enregistrementdesdonnéesne répertorie quune seule catégorie diagnostique
sous la dénomination detrouble psychique[10].
La haussedunombred’invaliditésasuscité en 2004des réactions rudes
notammentde lapart dupatronatflamand(VOKA) etde la Fédération Belge
desEntreprises(FEB). La VOKA fait remarquerque l’invaliditérisquededevenir
une nouvelle portedesortie dumarcde l’emploi. Onapuliredanslapresse
économique etfinancredesanalysesoséesàlalumièredesdonnéeseffecti-
vementdisponibles.Ainsi, dans une étude présentée en 2004,la direction
dicale dune Mutualitéavançait une tseselon laquelle l’augmentation du
nombredecaspsychologiquespourraitêtredueàl’augmentation dunombre
de femmes,surtout employées,sur le marcdu travail,«sachantque les
plaintespsychiques sontplus le faitdesfemmes»[10].Ouencore que l’aug-
mentation des troublespsychiquespourrait s’expliquerparlaprise en compte
récentede maladiesjusqualors non comptabiliséescomme le syndrome de
fatiguechronique oulafibromyalgie. Aumême moment,la direction médico-
mutualistereconnaissaitque « l’interprétation deschiffrespour lesmaladies
psychiatriquesàl’origine de l’incapacitérelèvede lahautevoltige » [10].
Devantl’insuffisancedesdonnéesépidémiologiques, detelscommentaires
nous semblentinqutants dans undomaine oùla branche indemnitérelativeà
l’ensemble desincapacitésetinvaliditésdetravail représente environ 7%du
totaldesdépenses sociales.EnBelgique,le montant totaldesindemnitésd’inca-
pacitédetravail représented’oresetdéjàlamoitdumontantdépensé pour les
allocationsdechômage. Depuis 2004, desacteurs sociaux évoquentl’incapacité
detravail comme pistederelèvementdu taux d’emploi etpointentlaquestion de
laplacede lafemme dansle champ desinvaliditésprofessionnelles.
Sur ce fond de politiquesociale,l’article questionne desparticularités socio-
démographiquesetdico-psychologiquesdun groupe de262 patients
(101 hommeset161 femmes) en incapacitédetravail pour le motif catégoriel
detrouble psychique. Dansla discussion,nous proposerons une réflexion sur
lesconcepts cliniquesde macrosyndrome psychique etdedémoralisation et
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leurs relationsà des sous-groupes scifiquesde lapopulation danscecadre
desincapacitésdetravail pour trouble psychique.
Matériel etthode
Lors danalyses[8]relativesàl’apport duMMPI-2(InventaireMultiphasi-
quedePersonnalitéduMinnesota-2)dansla compréhension des troublesde
lapersonnalitéassocsàl’étatd’incapacitédetravail pour motif detrouble
psychique,nous avonsexaminé rétrospectivementlesdonnées sociodémo-
graphiquesetdico psychologiques recueilliesentre 1999 et 2005auprès
de262 patients suivispour laréalisation dune évaluation psychologique en
consultation ambulatoire (Clinique
A.Renard
etCentredeConsultationsPsy-
chologiques
CentreVille
)à Liège (Est de la Belgique).
Préalablement,nous avions rencontré individuellementchaque patientàla
suitedesdemandesdavispsychologique formuléesparlesdecins-
conseilsdediversesmutualités.Ces 262 patients setrouvaientalors en état
d’incapacitédetravail ;ce qui ne signifie nullementque lesparticipants dis-
posaientdune insertion professionnelle aumomentde l’évaluation. Le
contexted’examen psychologiques’inscritdansle cadreducontrôle médical.
Lavispsychologique intervientcomme complémentd’informationspara-cli-
niques(testing) destinéesaudecin-conseil dans sapropre évaluation de
l’étatdupatientetdesa capacitéàêtreremis sur le marcde l’emploi.
L’enregistrementdesdonnées sociodémographiquesetdico-psycholo-
giquesaeulieulors dun entretien précédantlapassation des tests psycho-
logiquesetdirigé àl’aidedun questionnairead hoc.Outre le recueil des
donnéesciviles,familiales,scolairesetprofessionnelles,le questionnaire
comportaitdesitems relatifsàla durée de l’incapacitédetravail, à la
consommation de médicaments psychotropes, à lafréquencedeshospitali-
sationspsychiatriquesetdes tentativesdesuicide, ainsi quàlaprésence
effectivedunsuivi psychotrapeutique (assurédanslagrande majoritédes
caspar un psychiatre). Lesdonnéespermettantdedéfinirlescaractéristiques
diagnostiquesdechaque patientprovenaientdes rapports dicaux trans-
mispour l’évaluation de l’étatd’incapacitédetravail. Lesdescriptionsclini-
quesdes signeset symptômesdechaquetrouble – motivantl’état
d’incapacité – étaient répertoriées selon lesdirectivesetlesindications taxo-
nomiquesde la
Classification Internationale desTroublesMentaux etdes
TroublesduComportementICD-10
.Cesdescriptions sontcomplétéespardes
informations relativesaux plaintes somatiquesconcomitantes.
Lanalysedesdonnéesest de naturedescriptive. Elle inclut une étudedes
corrélationsentre les variables sociodémographiquesetdicales.La ges-
tion desdonnéesetle calculdescorrélationsetdesprobabilitésassociées
ontétéréalisésàl’aidedu système informatiquedanalyse
Statistica
.
Résultats
Caractéristiquesgéographiques
Tous lesparticipants sontdomiciliésdansla ProvincedeLiège. La majorité
résidedansl’agglomération liégeoise (62 %). Rappelonsquecesentités
J.JADOT
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urbaines sontimplantéesdans unbassin industriel en voie derestructuration
etderedéploiementde l’activité économiqueàlasuite notammentde
l’extinction de lasidérurgie. Les taux dechômage sontparticulièrementéle-
vés(entre 15 et 30 %) danscesagglomérationsoùlesindividus jeunesavec
un faible niveaudescolarité oude qualification professionnelle connaissent
d’importantesdifficultésd’insertion socioprofessionnelle.
Caractéristiques sociodémographiques
L’échantillon est composéde 161 femmes(61 %) etde 101 hommes
(39 %). La moyenne dâge est de 40anscart-type de 8 ans). L’étenduedes
âgesest comprise entre21 et58 ans.Le groupe dâgesnuriquementle
plus important rassemble lesindividus âsentre31 et50ans:il représente
80%de l’échantillon. Pour lesdeux sexes,les sujets mars sontlesplus
nombreux (34 % pour leshommeset45 % pour lesfemmes). Lescatégories
individus divorcéset séparésontapproximativementlesmêmes répartitions
chezleshommes(35 %) etchezlesfemmes(37 %). Leshommescélibataires
(28 %) sont significativementplus nombreux que lesfemmes(16%). Le nom-
bre moyen d’enfants parindividuest semblable entre lesdeux sexes(1,53et
1,78).
Caractéristiques scolaires
Le niveaudescolaritédesparticipants est faible ; respectivement55 % et
58 % deshommesetdesfemmesont un niveaud’étude qui ne dépasse pas
les troispremièresannéesducycle secondaire,qu’il sagissede l’enseigne-
mentgénéral,technique ouprofessionnel. Lecycle surieur de l’enseigne-
ment secondaireapuêtreterminé avecsuccèschez 26 %deshommeset
31 % desfemmes.Seulement 2 %deshommeset 6 %desfemmesonteu
accèsà desétudes surieures.
Caractéristiques socioprofessionnelles
La répartition socioprofessionnelle est dominée parlescatégoriesouvriers
etouvrres(40%) ainsi que parla catégorie sansemploi (45 %). Chezles
hommes,on enregistreune prépondéranced’ouvriers qualifiés(42%) et
d’individus sansemploi (33 %). Chezlesfemmes,les résultats montrent une
majoritéde femmes sansemploi (52%) aumomentde l’évaluation et
d’ouvrresnon qualifiées(26 %). Le nombrede femmesexerçantlaprofes-
sion detechnicienne desurface (activitéd’entretien etde nettoyage) est par-
ticulièrementélevé:31 personnes,soit19 % de l’échantillon féminin.
Caractéristiquesdiagnostiques
Lescaractéristiquesdiagnostiques sontprésentéesdansle tableauI.En
moyenne,le nombredetroublesdiagnostiqués selon l’ICD-10[4]parpatient
est quasi identique pour lesdeux sexes(1,1 et1,2). L’étenduedunombrede
diagnostics rapportésdanslesdossiers dicaux desparticipants varie
entre0et4diagnostics.Les troublesmentaux etducomportementconcer-
sciblentprincipalementlescatégoriesF3(troublesde l’humeur) etF4
(troublesvrotiques,troublesliésà desfacteurs destress,et troubles
somatoformes)avecnotammentles sous-catégories«Épisodesdépressifs
F32 » et«Troublesanxieux etdépressifsmixtesF41.2». Pour lamajoritédes
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participants,le type dediagnosticmentionné correspondessentiellementà
desétats mixtesanxio-dépressifsde nature non psychotique.
Typesde plaintes somatiquesassociéesau trouble psychique
Le nombre moyen de plaintes somatiquesassociéesaudiagnostic ICD-10
est significativementplus élevéchezlesfemmes(1,1 pour leshommeset
1,5 pour lesfemmes). L’étenduedunombrede plaintes somatiquesest com-
prise entre0et 6 plaintes.Parmi lesplaintes somatiqueslesplus fréquem-
mentassociéesàl’étatd’incapacitédetravail,nous relevonslesproblèmes
dethyrde (1 % hommeset11 % femmes),lesmigraines(2et17%) etles
autres syndromesdalgiescéphaliques(8 et4 %),les syndromesdespasmo-
philie-tétanie (4 et18 %),les troublesde l’appareil circulatoire etcardio-
vasculaires(12et8 %),les ulcèresdigestifsetde l’estomac (11 et 7 %),les
troublesdu système ostéo-articulaire, desmusclesetdu tissu conjonctif qui
représententla catégorie nuriquementlaplus importante (26 et 35 %)
avecnotammentlesdorsalgies(19 et 24 %) etlafibromyalgie (2et14 %),et
enfin lesdouleurs somatiquesaiguëschroniques(9 et5 %).
Caractéristiquesdico-psychologiques
Aumomentde lapassation du test,la durée moyenne de l’invalidité était
de3anscart-type de3ans)avecune dispersion desduréesentre 1 et
10ans.Parmi lesdicationspsychotropes, cesontprioritairementles
anxiolytiquesetlesantidépresseurs quisontlesplus fréquemmentprescrits
(anxiolytiques48 % hommeset59 % femmes ; antidépresseurs 61 et 75 %).
Ensuite nous observonslesprescriptionsdantidouleurs (15 et 21 %), de
somnifères(12et11 %) etdantipsychotiques(16et 6 %). Le nombredetype
de psychotropesprescritparpatient s’établiten moyenne autour de2.Envi-
ron 25 % desparticipants ontconnuaumoins une hospitalisation dans un
service psychiatriqueaucours de leur existence. Pour les tentativesde
TableauI : CaractéristiquesdiagnostiquesICD 10
H(101) F(161) Total (262)
Absencedediagnosticprécis14 1024
F0101
F1538
F2314
F34795 142
F4 49 79128
F5088
F610818
F7000
F0(troublesmentaux organiques);F1 (troublesmentaux etducomportementliésàl’utilisation desubstances
psychoactives ; F2(schizophrénie,trouble schizotypique et troublesdélirants);F3(troublesde l’humeur);F4
(troublesvrotiques,troublesliésà desfacteurs destress,et troubles somatoformes);F5 (syndromes
comportementaux assocsà desperturbationsphysiologiquesetà desfacteurs physiques);F6(troublesde la
personnalité etducomportement);F7(retardmental).
(N.b.Les sommesdeseffectifspeuventêtresurieuresaunombretotalde patients carcertainsparticipants
sesont vus attribuerplusieurs diagnostics).
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