J.JADOT
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Santé publique
2008,volume 20,n° 5,pp. 455-464
Introduction
Le nombrede patients belgesen incapacitédetravail pour le motif detrouble
psychiqueconnaîtdepuisplusieurs années unaccroissement remarqué parles
acteurs sociaux.Leschiffresdonnésparl’Institut nationaldesAccidents, Mala-
diesetInvalidités(INAMI) montrent une haussesignificativede 15 % (de 175766
à200 703)dunombretotald’invalidités(employésetouvriers) entre 1998 et
2003.Pour cette même période,l’augmentation est respectivementde 18 % chez
lesfemmesetde 4 % chezleshommes.Àtitredecomparaison,entre 1992et
1997,lahausse n’avaitété quede 4 % (6500 unités). Ilsembleraitque l’aug-
mentation grimpe d’environ 2à3%chaqueannée. Lesouvriers sontplus tou-
chésque lesemployésparce phénomène de l’incapacité etde l’invalidité. Ce
sont surtout lespathologiespsychiquesquisonten augmentation :entre 1998
et 2003, ce groupe de pathologiespassede 50 047 unitésà63 904 (+ 27 %). On
remarque qu’àpartirde 40ans, de nombreux travailleurs sortentdumarché du
travail en raison detroublespsychologiquesetde la dépression en particulier.
L’INAMI répertorie lesinvaliditésen 17catégories.Cependant,lesinformations
relativesàla catégorie trouble psychiquesont sommaires ; pour preuve,il n’est
pasfaitdedifférence entre les sexesquantàla différenciation des troubleset
l’enregistrementdesdonnéesne répertorie qu’une seule catégorie diagnostique
sous la dénomination detrouble psychique[10].
La haussedunombred’invaliditésasuscité en 2004des réactions rudes
notammentde lapart dupatronatflamand(VOKA) etde la Fédération Belge
desEntreprises(FEB). La VOKA fait remarquerque l’invaliditérisquededevenir
une nouvelle portedesortie dumarché de l’emploi. Onapuliredanslapresse
économique etfinancièredesanalysesoséesàlalumièredesdonnéeseffecti-
vementdisponibles.Ainsi, dans une étude présentée en 2004,la direction
médicale d’une Mutualitéavançait une thèseselon laquelle l’augmentation du
nombredecaspsychologiquespourraitêtredueàl’augmentation dunombre
de femmes,surtout employées,sur le marché du travail,«sachantque les
plaintespsychiques sontplus le faitdesfemmes»[10].Ouencore que l’aug-
mentation des troublespsychiquespourrait s’expliquerparlaprise en compte
récentede maladiesjusqu’alors non comptabiliséescomme le syndrome de
fatiguechronique oulafibromyalgie. Aumême moment,la direction médico-
mutualistereconnaissaitque « l’interprétation deschiffrespour lesmaladies
psychiatriquesàl’origine de l’incapacitérelèvede lahautevoltige » [10].
Devantl’insuffisancedesdonnéesépidémiologiques, detelscommentaires
nous semblentinquiétants dans undomaine oùla branche indemnitérelativeà
l’ensemble desincapacitésetinvaliditésdetravail représente environ 7%du
totaldesdépenses sociales.EnBelgique,le montant totaldesindemnitésd’inca-
pacitédetravail représented’oresetdéjàlamoitié dumontantdépensé pour les
allocationsdechômage. Depuis 2004, desacteurs sociaux évoquentl’incapacité
detravail comme pistederelèvementdu taux d’emploi etpointentlaquestion de
laplacede lafemme dansle champ desinvaliditésprofessionnelles.
Sur ce fond de politiquesociale,l’article questionne desparticularités socio-
démographiquesetmédico-psychologiquesd’un groupe de262 patients
(101 hommeset161 femmes) en incapacitédetravail pour le motif catégoriel
detrouble psychique. Dansla discussion,nous proposerons une réflexion sur
lesconcepts cliniquesde macrosyndrome psychique etdedémoralisation et