Une monnaie arménienne représentant le mont Ararat frappée au moment de la naissance du Christ Au mois de mars dernier une maison anglaise d’enchères spécialisée a mis en vente, sous le numéro 775, une pièce de monnaie arménienne qui a attiré le regard des numismates et historiens. Cette pièce remarquable état de conservation est extrêmement rare, puisque moins d’une quinzaine d’exemplaires sont connus à ce jour. Ce type monétaire représente au revers une vue de la plaine de l’Ararat avec le petit et le grand Ararat ainsi que les collines formant l’antique capitale arménienne Artaxata. Que peut-on dire sur cette petite pièce d’un diamètre de 20 millimètres et d’un poids de 5.23 grammes ? Sur l’avers on peut constater le profil à droite de deux bustes superposés aux visages imberbes. Le buste au premier plan est coiffé de la tiare traditionnelle des rois Artaxiades d’Arménie reconnaissable à ses cinq pointes. On peut distinguer quelques lettres de la légende grecque qui semble être : « ΒΑΣΙΛΕΩΣ ΤΙΓΡΑΝΟΥ ΜΕΓΑΛΟΥ – Grand roi Tigrane » Images Roma Numismatics Ltd Sur le revers, au centre, deux montagnes à deux sommets pointus, à gauche une plus petite que celle de droite qui évoquent immédiatement le petit et le grand Ararat. Au premier plan une série de collines rappelle celles formant la cité d’Artaxata. Au-dessus du petit Ararat, à droite, on peut lire une légende en grec : ΦΙΛΟΚΑΙCΑΡ (« ami de César ») et en exergue la lettre « A ». Il s'agit incontestablement d'une pièce de l'époque artaxiade (environ 189 av. J-C à 12 apr. J-C) compte tenu de l'iconographie adoptée des rois de cette dynastie et notamment la tiare à cinq pointes arménienne. La légende sur le revers, aujourd'hui bien déchiffrée, de « ΦΙΛΟΚΑΙCΑΡ » c’est-à-dire « amis de César » ne laisse aucun doute qu'il s'agit d'un roi qui a dû composer avec Rome. La lettre A en exergue peut signifier aussi bien le lieu de frappe de la monnaie la capitale d’Artaxata, que l'année de sa frappe, c’est-à-dire la première année du règne du souverain en question. Cette monnaie se distingue par la représentation des deux montagnes hautement symboliques pour les Arméniens que sont le petit et le grand Ararat. Cette iconographie unique, est en complète rupture avec les autres monnaies connues de cette époque. En effet, le reste du monnayage arménien de l’époque hellénistique ne représente jamais un lieu symbolique mais plutôt des allégories de dieux ou de déesses. Ainsi, cette monnaie comporte le seul revers incontestablement lié à la civilisation arménienne. Mais qui sont ces souverains volontaires, représentés sur la monnaie, qui ont pu se payer le luxe de sortir de l’influence iconographie grecque de l’époque? Depuis la découverte du premier exemplaire en 1978 et du fait du mauvais état de conservation des pièces connues, les numismates ont avancés plusieurs noms allant de Tigrane II le Grand (95-55 av. J.-C.) à Sohème (144 env.-161 / 164-168 env. apr. J.-C.), mémorablement incarné en 1964 par Omar Shérif dans le film « The Fall of the Roman Empire ». La découverte plus récente de pièces avec des légendes légèrement plus lisibles a permis d’orienter la réflexion vers d’autres rois comme Tigrane III (20-8 av. J.-C.), Tigrane IV (environ de 8 av. J.-C. à 1 apr. J.-C.), ou encore Tigrane V (vers 12 apr. J.-C.) et à la reine Erato, dernier membre régnant de la dynastie Artaxiades et seul souverain Arménien à monter sur le trône à trois reprises. Aucun souverain arménien n’a associé à son buste celui de son épouse ou de ses fils. On peut donc en déduire que les deux souverains régnaient à égalité de droit et dignité ou que l’un voulait s’attirer la légitimité de l’autre. Le seul cas connu correspondant à cette hypothèse semble être Tigrane IV et Erato qui étaient tout à la fois frère et sœur et époux. Les numismates ont par conséquent déduit que cette pièce a été frappée lors de leur second règne, où ils étaient alliés de Rome et « ami de césar ». Toutefois, les séries monétaires attribuées par les numismates à ce second règne, d’une durée de près de deux ans seulement, sont tellement différentes qu’elles nous posent un problème de cohérence. Le même roi ne pouvait, en effet, émettre en si peu de temps des séries si différentes. Nous en sommes arrivés à supposer que le roi représenté sur cette monnaie était plutôt Tigrane V qui associa, au moins symboliquement, Erato à son pouvoir pour conforter son pouvoir. Ce roi imposé par Rome, connaissant mal son peuple, a probablement utilisé cette association comme moyen de sa légitimation. De plus sa tiare à cinq pointes, ne comporte plus les motifs (étoile et aigles) qu’on peut observer sur les tiares des souverains arméniens allant de Tigrane II le Grand à Tigrane IV, ce qui confirme la romanisation des derniers souverains artaxiades. En conclusion, cette monnaie est exceptionnelle du fait de la représentation de l’Ararat sur son revers et la symbolique qu’elle engendre. Elle est également intéressante du fait de sa qualité de conservation qui nous permet d’apporter des éclairages sur l’ordre des dernières séries monétaires artaxiades ; l’on peut se réjouir de savoir qu’elle a pu être acquise par un collectionneur parisien d’origine arménienne. R. Arakelian M. Yevadian